Olivier Dabène (dir.), La gauche en Amérique latine (1998-2012)
Texte intégral
- 1 Pierre-Louis Mayaux, Antoine Maillet, « Gérer l’héritage de l´État néolibéral », Olivier Dabène (d (...)
1L’ouvrage dirigé par Olivier Dabène sur la gauche en Amérique Latine était attendu. Attendu parce qu’il fait le bilan de l’arrivée de la gauche au pouvoir dans un certain nombre d’États d’Amérique Latine depuis une quinzaine d’années, attendu également parce qu’il se fonde sur une approche résolument scientifique et ne cède à aucune considération idéologique. Les méthodes qualitatives ont d’ailleurs été privilégiées dans l’analyse du comportement de la gauche au pouvoir, que ce soit à travers l’analyse de protocoles administratifs, l’observation participante ou les entretiens semi-directifs menés. La thèse de l’ouvrage est d’ailleurs assez forte : la gauche en Amérique Latine est durable, elle s’enracine dans un pragmatisme assez fort au-delà des effets d’annonce idéologiques. Preuve en est la gestion des relations internationales. Loin de remettre en cause les structures mises en place lors des réformes néolibérales du début des années 1990, les gauches latino-américaines adaptent l’offre de politiques publiques aux ressources existantes des différents pays1. Plusieurs chapitres montrent comment les transformations des pratiques politiques sont parfois difficiles à opérer comme c’est le cas au Brésil où le renouvellement des élites politiques et administratives demeure un processus très lent et explique la faible féminisation du métier politique. Hélène Combes propose une version originale d’un gouvernement de l’opposition au Mexique où l’opposition de gauche ayant perdu de très peu aux dernières présidentielles a créé une structure de « gouvernement légitime » permettant au leader de l’opposition d’être visible sur la scène nationale. Le gouvernement légitime est en quelque sorte une réactualisation du shadow cabinet à la sauce mexicaine puisque l’opposition se teste en tant que gouvernement alternatif. A.M López Obrador s’affirme sur la scène politique mexicaine sans avoir nécessairement un avenir politique garanti. Le gouvernement légitime s’est structuré avec des ministres, des antennes locales et un quadrillage du pays par l’opposition.
- 2 Olivier Dabène (dir.), La gauche en Amérique latine, Paris, Sciences Po, 2012, p. 113.
- 3 Ibid., pp. 182-183.
- 4 Ibid., p. 283.
2Eric Guevara s’intéresse lui au cas des télé-présidents au Venezuela, en Colombie, en Argentine et au Brésil. Cette comparaison est essentielle en ce qu’elle permet d’évaluer les relations entre les systèmes présidentialistes et les médias. Dans chacun de ces pays, les relations entre le président et le système médiatique sont passées par des phases contradictoires (méfiance puis confiance), mais aucun président n’a ignoré le poids de la légitimité médiatique. Le terme de « tinellización » en Argentine traduit ce combat de tête à tête entre journalistes et hommes politiques. La « tinellización » est un néologisme après le passage de l’ancien président Fernando de la Rúa dans l’émission de Marcelo Tinelli où il s’est fait ridiculiser2. Les relations de Chávez et d’Uribe avec les télévisions nationales de leurs pays respectifs sont également emblématiques de la manière dont ces présidents façonnent leur charisme, le tout étant de s’interroger sur la manière dont ces médias sont instrumentalisés à leur tour à des fins de propagande. Dans la suite de l’ouvrage, des contributions portent sur les dispositifs de participation populaire à l’instar du Venezuela avec le pilotage d’une politique sociale possible grâce aux revenus du pétrole et de l’Équateur où la révolution citoyenne a largement contribué à la personnification du pouvoir de Rafael Correa qui a souhaité renverser la partitocratie existante. En Bolivie, le gouvernement de Morales s’est appuyé sur l’autonomie indigène pour pouvoir consolider ce pouvoir tout en maintenant une politique largement extractiviste (gaz). L’autonomie des municipes est l’un des principes de ce changement bolivien3 tout comme au Salvador, la gauche au pouvoir gère la question de la sécurité au moyen d’une nouvelle politique municipale4. Au fond, le point commun de ces gauches au pouvoir pourrait être le suivant : les systèmes politiques restent largement présidentialistes avec une forte personnalisation du pouvoir politique et une rénovation institutionnelle fondée sur des politiques participatives plus ou moins liées à la priorité des politiques publiques (sécurité au Salvador, lutte contre la pauvreté au Venezuela avec les expériences de microcrédit).
- 5 Ibid., pp. 218-219.
- 6 Ibid., pp. 370-371.
3Sur le plan économique, l’ouvrage montre que la gauche latino-américaine au pouvoir gère l’héritage néolibéral sans le remettre fondamentalement en cause. Certains pays comme la Bolivie ont supprimé une partie de ces agences régulatrices5 pour renouveler le système politico-administratif, d’autres les ont conservées. Olivier Dabène met en perspective l’attitude économique des gouvernements de gauche en montrant leur rôle dans l’intégration régionale. Il existe aujourd’hui une alternative entre une intégration économique plus libérale avec le Mercosur et une intégration bolivarienne plus volontariste (Alliance Bolivarienne pour les Amériques) et plus soucieuse de la solidarité entre les pays6. Si la gauche a du mal à trancher entre son attachement à la souveraineté et un régionalisme pragmatique, elle a influencé le discours de certaines structures régionales comme la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc) au point de revaloriser les thèses développementalistes des années 1960.
- 7 Ibid., pp. 392-393.
- 8 Ibid., pp. 420-421.
- 9 Ibid., pp. 299-333.
- 10 Ibid., pp. 335-365.
4Le traité de l’UNASUR signé en mai 2008 est peut-être une synthèse balbutiante pour unifier le continent au-delà de souverainetés nationales et d’une approche strictement marchande des échanges et des relations entre les pays d’Amérique du Sud7. Kevin Parthenay réfléchit sur le rôle de la gauche centraméricaine dans l’intégration sociale de la région. L’accès de la gauche au pouvoir dans un certain nombre de pays d’Amérique Centrale à la fin des années 2000 crée les conditions de nouvelles formes de coopération régionale. Cependant, le bilan est pour l’instant négatif car la gauche centraméricaine a du mal à dessiner les contours de cette coopération, les systèmes présidentialistes favorisant davantage une rhétorique nationale liée à la souveraineté8. L’avenir des gauches en Amérique Latine est largement lié à la manière dont ces pays peuvent construire un processus d’intégration régionale innovant. Les gauches ont eu à réparer un certain nombre de blessures du passé9, elles sont parfois tentées par un discours plus souverainiste quand elles en ont les moyens10, mais elles font preuve en même temps d’un certain pragmatisme sur le plan de l’action économique et régional. C’est ce paradoxe qui les rend durables et explique qu’elles ont influencé considérablement l’ensemble des institutions latino-américaines.
Notes
1 Pierre-Louis Mayaux, Antoine Maillet, « Gérer l’héritage de l´État néolibéral », Olivier Dabène (dir.), La gauche en Amérique latine, Paris, Sciences Po, 2012, pp. 203-235.
2 Olivier Dabène (dir.), La gauche en Amérique latine, Paris, Sciences Po, 2012, p. 113.
3 Ibid., pp. 182-183.
4 Ibid., p. 283.
5 Ibid., pp. 218-219.
6 Ibid., pp. 370-371.
7 Ibid., pp. 392-393.
8 Ibid., pp. 420-421.
9 Ibid., pp. 299-333.
10 Ibid., pp. 335-365.
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Référence électronique
Christophe Premat, « Olivier Dabène (dir.), La gauche en Amérique latine (1998-2012) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 mai 2013, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/11415 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.11415
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