Crise, Europe, retraite. L'urgence d'une alternative
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- 1 Voir par exemple Sébastien Chauvin, Les agences de la précarité, Paris, Seuil, 2010 ou Nicolas Joun (...)
1Gageons que si le nom n'avait déjà été pris, cette nouvelle revue se serait intitulée Le Mouvement Social. Car ses fondateurs, militants syndicaux, associatifs ou « altermondialistes » (notamment à ATTAC), et -souvent simultanément économistes, sociologues, politistes ou historiens, emmenés par Claude Debons, entendent en faire un lieu de propositions face à l'hégémonie du capitalisme libéral engagé il y a maintenant trois bonnes décennies. Cette volonté de dépasser les barrières entre mondes syndical, politique et scientifique les conduit à présenter des articles d'un format assez original : assez brefs et au ton incisif, qui ne se veulent ni comptes rendus de recherche, ni reportages à la façon du Monde diplomatique, mais des interventions qui se veulent aussi accessibles et percutantes. Il faut donc leur reconnaître une indéniable accessibilité, mais qui se fait souvent au détriment de l'approfondissement, et parfois même de l'argumentation. Le bloc-notes de Marie-Agnès Combesque ou le libre-propos de Denis Sieffert sur le conflit israélo-palestinien qui invite à ne pas stigmatiser le Hamas laissent ainsi le lecteur sur sa faim. Il en va de même des trois petites pages dans lesquelles les membres du collectif ASPLAN (leurs initiales), Pierre Barron, Anne Bory, Sébastien Chauvin, Nicolas Jounin et Lucie Tourette - dont les travaux en cours sont au demeurant aussi passionnants qu'essentiels 1-, expliquent que les mouvements actuels des travailleurs sans papiers réinventent le sens de la grève, ou encore de ces morceaux choisis - et traduits- d'un numéro de la revue espagnole Mientras Tanto.
2Malgré cette concision, sorte de contrainte choisie, certains contributions méritent malgré tout largement le coup d'œil : c'est le cas par exemple de celle de Dominique Plihon, professeur à Paris-13 et président du Conseil scientifique d'ATTAC, qui propose un rapprochement des crises systémiques majeures de 1873, 1929 et 2008 sur six aspects : une libéralisation poussée du commerce et des mouvements de capitaux, l'irruption de pays « neufs » dans les échanges internationaux ; l'effondrement du système financier ; un excès d'investissement et de production ; une baisse de la demande indissociable d'une hausse des inégalités de revenus et, enfin, des politiques économiques erronées. Face à ce constat, Jean-Claude Branchereau et Jean-Marie Roux, militants de la fédération Banques et Finances à la CGT proposent quelques mesures, de bon sens serait-on tenté de dire face aux dérives récemment mises à jour du secteur bancaire, pour réorienter son activité toujours aussi centrale, malgré la désintermédiation des années 1980, dans le financement de l'activité économique, à commencer par mettre fin aux pratiques d'auto-contrôle qui le caractérisent aujourd'hui. Une volonté qui semble émaner des discours des dirigeants politiques des pays les plus riches, mais qui ne se traduit pour l'heure absolument pas en actes...
- 2 Championne également de la discrimination syndicale omet-il d'ajouter
- 3 Avec toutes les réserves que l'on ne doit cependant pas manquer d'apporter aux comparaisons économi (...)
- 4 Bel exemple d'oxymore, symptomatique de la rhétorique politico-marchande actuelle. Voir Bertrand Mé (...)
- 5 Qui sont curieusement oubliés, en revanche, quand il s'agit d'envisager la viabilité du système de (...)
3Jacques Rigaudiat propose pour sa part une analyse des transformations du marché du travail, sans grande nouveauté, et qui se résume selon lui par un passage du « fordisme » au « walmartisme », avec une intensification de l'exploitation via les deux canaux de la précarisation et de la flexibilisation des emplois, elles-mêmes mises en oeuvre grâce aux pratiques de sous-traitance et d'outsourcing dans des pays où le coût du travail est particulièrement faible - dans laquelle le géant de la distribution texan est passé maître. L'économiste rappelle ainsi qu'en plus d'être le plus gros employeur du monde avec 2 millions de salarié-e-s, Wal-Mart 2 achète aujourd'hui davantage de la Chine que la Russie, le Royaume-Uni ou la France 3. A lire enfin dans ce dossier un article de Jean-Marie Harribey où celui-ci pointe les deux contradictions, sociales et écologiques, du capitalisme mises en évidence par la « crise » actuelle ; mais aussi les impasses prônées pour les résoudre : le « capitalisme vert » 4-, et les gains de productivité 5. Pour Jean-Marie Harribey, la poursuite de la logique d'accumulation du capital nécessite tout bonnement la continuation de l'expropriation de biens communs, qu'ils relèvent de la nature ou de la connaissance. Une fuite en avant prédatrice qui ne peut que renforcer les déséquilibres déjà constatés. Face à ce constat, et à celui de l'incapacité du « marché » de produire les normes nécessaires à la régulation sociale, il s'agit donc d'inverser ce processus en élargissant le périmètre des biens collectifs (ou publics, la distinction n'important guère pour l'auteur). En d'autres termes, de sortir du capitalisme et du productivisme associé, une alternative qu'il est selon l'auteur désormais à nouveau possible de proposer.
- 6 La démocratie de l'abstention, Paris, Gallimard, 1999
- 7 Dont Bernard Friot rappelle dans son dernier ouvrage (L'enjeu des retraites, Paris, La Dispute, 201 (...)
4Plus stimulante peut-être que ce dossier central sur la « crise » - qui laisse malgré tout dans l'ombre un certain nombre de questions clivantes dans la "gauche de gauche", tels que le libre-échange, la sortie de l'euro ou ce mot-obus que représente la "décroissance"-, la rubrique « émancipation » revient sur la manière dont la démocratie est aujourd'hui « malmenée » en France. Céline Braconnier, co-auteure avec Jean-Michel Dormagen d'une enquête de référence sur le rapport au politique des habitants de la cité populaire des Cosmonautes de Saint-Denis 6, propose ainsi une analyse des ressorts de la disqualification actuelle du politique, et qui se situent autant du côté de l' « offre », travaillée par une certaine dé-différenciation, que de celui des électeurs et abstentionnistes, dont les uns ne sont pas forcément plus « désenchantés » que les autres. Anicet Le Pors, ancien ministre communiste de la Fonction publique revient pour sa part sur la réforme programmée des collectivités territoriales et les menaces qu'elles portent quant au financement de ces dernières, mais aussi au statut des fonctionnaires qu'elles emploient 7. Enfin, la magistrate Evelyne Sire-Marin propose un point de vue incarné sur le traitement pénal des inégalités sociales.
5Bien évidemment, cette livraison d'automne ne pouvait s'abstenir d'un dernier dossier sur les retraites, qui synthétise plus qu'il ne complète l'abondant flot actuel de discours de gauche sur la question. Daniel Rallet, ancien professeur de SES et représentant de la FSU au désormais bien connu Conseil d'Orientation des Retraites (COR) revient ainsi sur les enjeux sociaux sous-tendus par le débat actuel et Christiane Marty, d'ATTAC, sur la situation spécifique des femmes. Didier Gélot pointe toutefois le retour de la paupérisation des personnes âgées que le système de retraite par répartition avait précisément réussi à résorber et Jacques Rigaudiat rappelle l'ironie qu'il y a à saborder ce dernier l'année du centenaire de la création des retraites ouvrières et paysannes. Un système adopté au prix d'une longue bataille parlementaire - 12 ans-, et considérée comme une « escroquerie » par les guesdistes ou la CGT, car favorable aux capitalistes. Jaurès, lui, décida de la défendre cependant, sans se bercer cependant d'illusions, déclarant : « Nous la votons pour avoir le principe, nous la votons malgré les sacrifices qu'elle impose à la classe ouvrière. Mais demain, nous vous demanderons un âge abaissé, (...) une retraite plus élevée, une participation plus large des assurés à la gestion des caisses... ». Des propos qui résument à eux seuls le sens du mouvement actuel.
6Ce numéro se clôt enfin par un entretien avec Claire Villiers, figure d'Agir contre le Chômage ! (AC!) et vice-présidente du Conseil régional d'Île-de-France jusqu'en mars dernier, qui récuse la frontière entre mouvement social et politique. Une conclusion logique étant donné la vocation que se donne cette revue. La plupart des articles se terminant par la nécessité d'un renversement du rapport des forces sociales préalable aux mesures qui y sont préconisées, on ne peut donc que souhaiter à cette dernière, en guise de bienvenue, d'y contribuer, en élargissant l'espace du politiquement pensable.
Notas
1 Voir par exemple Sébastien Chauvin, Les agences de la précarité, Paris, Seuil, 2010 ou Nicolas Jounin, Chantier interdit au public, Paris, La Découverte, 2008
2 Championne également de la discrimination syndicale omet-il d'ajouter
3 Avec toutes les réserves que l'on ne doit cependant pas manquer d'apporter aux comparaisons économiques de plus en plus fréquemment entendues - et ce n'est sans doute pas anodin- entre entreprises et économies nationales, notamment en matière d'endettement - voir Laurent Cordonnier, « Un pays peut-il faire faillite ? », Le Monde diplomatique, mars 2010
4 Bel exemple d'oxymore, symptomatique de la rhétorique politico-marchande actuelle. Voir Bertrand Méheust, La politique de l'oxymore, Paris, La Découverte, 2009
5 Qui sont curieusement oubliés, en revanche, quand il s'agit d'envisager la viabilité du système de retraite par répartition...
6 La démocratie de l'abstention, Paris, Gallimard, 1999
7 Dont Bernard Friot rappelle dans son dernier ouvrage (L'enjeu des retraites, Paris, La Dispute, 2010) qu'il représente précisément, avec donc les retraités dans le régime actuel, le cas le plus avancé d'un salariat démarchandisé
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Referencia electrónica
Igor Martinache, « Crise, Europe, retraite. L'urgence d'une alternative », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 20 septiembre 2010, consultado el 14 noviembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/1136 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.1136
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