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Virginie Descoutures, Les mères lesbiennes

Laëticia Stauffer
Les mères lesbiennes
Virginie Descoutures, Les mères lesbiennes, PUF, coll. « Partage du savoir », 2010, 248 p., EAN : 9782130582441.
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Texte intégral

1Dans cet ouvrage, V. Descoutures s'intéresse à l'expérience de la parentalité dans les couples de femmes homosexuelles. S'appuyant sur l'analyse de 48 entretiens réalisés auprès de 24 familles avec enfants, en France métropolitaine - ainsi que des données concernant notamment l'organisation des activités quotidiennes de ces femmes, récoltées à l'aide de carnets - l'auteure aborde ces familles (de quatre types : familles adoptives, familles dites coparentales, familles ayant eu recours à une insémination artificielle avec donneur (IAD) et celles dont le ou les enfant(s) ont été conçu(s) lors d'un rapport hétérosexuel) d'une part dans leur fonctionnement quotidien à l'intérieur du couple, et d'autre part dans leur rapport au cadre hétéronormatif dans lequel elles s'inscrivent.

  • 1 Concernant son propre usage de ce concept, l'auteure précise : « Du point de vue des enquêtées, êtr (...)

2Dans la partie introductive, l'auteure balise son propos en revenant tout d'abord sur les transformations socio-historiques de la « famille ». L'auteure montre comment la diversification des configurations familiales intervenant durant la deuxième moitié du XXème siècle (de par notamment la déstabilisation du mariage, ainsi que le rôle joué par les mouvements sociaux d'émancipation des individus dans l'accompagnement de ces changements) ont conduit à une redéfinition des liens familiaux et sociaux. Est discuté alors l'émergence du concept de « parentalité ». L'auteure met en évidence les usages différenciés qu'il est fait de ce terme : son acception psychologique et psychanalytique, le recours à cette notion par les sociologues et ethnologues dès les années 1990 pour nommer les nouvelles formes familiales, son intégration dans les politiques publiques, montrant les enjeux qui sous-tendent l'utilisation du concept de par sa participation à une reformulation des normes1. Enfin, l'auteure développe plus spécifiquement la question de l'homoparentalité, revenant sur sa dimension politique et sociale, l'invention du terme (apparu en 1997) et ici aussi les enjeux qui le sous-tendent, faisant apparaître la famille homoparentale comme catégorie sociale non-réalisée (Bourdieu) et les acteurs intervenant dans ce processus de légitimation/institutionnalisation.

  • 2 Le droit français ne reconnaît qu'une seule mère légalement, les législations différant selon les p (...)

3Dans un deuxième temps, l'auteure présente les résultats de sa recherche. Dans la première partie, elle développe les éléments à la fois sociaux et juridiques caractérisant le cadre hétéronormatif auquel sont dans une certaine mesure soumises les familles homoparentales. S'agissant du Pacs, qui définit des règles matérielles entre les conjointes mais non pas de la famille, et notamment ne permet pas d'établir un lien juridique entre la mère « non statutaire » et l'enfant, s'agissant ensuite de l'impossibilité pour ces femmes de bénéficier de l'autorité parentale partagée (en France, la délégation de l'autorité parentale n'a été dans les faits qu'exceptionnellement autorisée pour les couples de même sexe), ces restrictions constituent autant d'éléments perçus par les mères (tant la mère légale que la mère non statutaire)2 comme un déni du travail parental effectué, et source d'angoisse dans l'éventualité du décès de la mère légale (où la mère non statutaire ne se voit pas reconnaître de droits face à le ou les enfant(s)). Outre le droit, les parents et la famille élargie des couples occupent une place importante en tant qu'agents de la norme, susceptibles de valider ou non leur vie familiale.

4L'auteure met ensuite en évidence comment et dans quelle mesure ce cadre hétéronormatif est intériorisé par les femmes homosexuelles elles-mêmes dans leurs discours et pratiques relatifs au projet et travail parental. De la difficulté qu'ont eue certaines enquêtées à envisager elles-mêmes qu'une femme homosexuelle ait des enfants, à un rapport ambigu face à l'assignation à la maternité, des justifications du choix de la configuration familiale, des argumentations relatives à la présence ou non d'un père dans ce choix, de la prise en compte de « l'intérêt de l'enfant » et des conflits potentiels ou réels dans ces choix préalables et au quotidien, V. Descoutures articule ces différents éléments pour nous montrer la négociation du projet et travail parental de ces femmes et de ces couples dans son rapport à la norme. Parallèlement, ces femmes mettent en place des stratégies de visibilisation, de composition et également de résistance au modèle hétéronormatif. A travers leur mise en scène de la vie familiale, la visibilité à l'école et la reconnaissance (fragile) par l'institution, d'innombrables actions dans la vie quotidienne, dans une revendication de vouloir être des parents « comme les autres », il apparaît une configuration où le modèle dominant est intégré comme réalité environnante sans que ces femmes se voient forcément assujetties à la norme hétérosexuelle. Selon l'auteure, cette visibilisation (sans se revendiquer nécessairement militante) sert à la fois leur identité intime mais également la « cause homosexuelle » en général.

5Dans la deuxième partie, l'auteure nous entraîne à l'intérieur du couple conjugal et son quotidien, et notamment dans la répartition du travail domestique et l'exercice de la parentalité face à un cadre juridique contraignant.

6S'intéressant tout d'abord à la relation conjugale entre les conjointes, son réajustement et son éventuelle déstabilisation avec l'arrivée d'un enfant, ce chapitre est intéressant à double titre : non seulement l'auteure présente comment ces femmes rendent compte d'un « devenir » mère comme processus, mais il permet également de mettre en évidence la quête de légitimité face au chercheur (et à la société), par un discours sur la spécificité propre aux couples lesbiens (le sentiment amoureux comme fondement de l'unité, la présentation du couple comme harmonieux), montrant la nécessaire justification à laquelle doivent se prêter ces femmes, et interrogeant au niveau méthodologique le statut des données recueillies lors des entretiens. Il apparaît chez les enquêtées une tension entre la volonté d'exprimer la difficulté à apprendre à être mère et celle de ne pas accentuer la suspicion qui pèse sur elles en tant que mères lesbiennes.

7L'auteure s'intéresse ensuite à la répartition du travail domestique au sein du couple. Les recherches féministes et en études genre, notamment celles s'intéressant à la division sexuelle du travail dans une perspective de rapports sociaux de sexe, ont rendu compte et rendent compte du fait que, malgré de nombreux changements, les femmes (dans les couples hétérosexuels) continuent d'avoir une part plus grande dans la prise en charge des tâches domestiques ou de travail parental. Qu'en est-il alors de la répartition du travail domestique au sein des couples de femmes ? L'enquête (sans volonté de généralisation, l'auteure présentant ses résultats avec précaution de par son approche qui se veut qualitative) ne relève pas de grandes lignes de clivages dans la spécialisation des tâches domestiques telles qu'elles peuvent encore apparaître dans les couples hétérosexuels, et les inégalités sont moindre dans leur répartition, les mères lesbiennes semblant disposer d'une plus grande marge de manœuvre du fait d'incarner le même rôle social et se prêtent à une plus grande négociation conjugale. La répartition des tâches est le plus souvent perçue comme égalitaire (en dépit de certaines inégalités objectives). La répartition est justifiée en termes de disponibilité (en fonction de l'activité professionnelle).

8Enfin, dans le dernier chapitre, « Les compétences parentales à l'épreuve du statut », l'auteure s'intéresse plus spécialement aux mères non statutaires, mères qui se définissent comme telles mais n'en ont pas le statut officiel. L'enquête relève que le fait de ne pouvoir recourir à une définition sociale commune et/ou légale de leur rôle parental conduit certaines d'entre elles à adopter un positionnement révélant l'ambivalence de leur place au sein de la famille, la reconnaissance juridique du coparent apparaissant comme un élément important de l'identité parentale.

9S'inscrivant dans la lignée des recherches sur l'homoparentalité (articulant deux vastes domaines de la sociologie : de la famille, et du genre et des sexualités), l'ouvrage de V. Descoutures contribue à une compréhension fine de la famille conjugale « lesbienne ». Sa recherche ciblée, loin d'enfermer son propos dans une problématisation réifiante, permet d'interroger avec pertinence la « famille » contemporaine, la diversité de ses formes et le cadre normatif dans lequel elle s'inscrit.

10D'autre part, l'ouvrage réussit l'équilibre délicat de ne pas sacrifier à la nécessaire conceptualisation sociologique, tout en étant potentiellement accessible à un vaste public de lecteurs et lectrices.

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Notes

1 Concernant son propre usage de ce concept, l'auteure précise : « Du point de vue des enquêtées, être parents désigne un mode de combinaison de différentes dimensions qui peuvent ou non se recouvrir : la procréation, la filiation, le travail parental et l'autorité parentale. (...) A partir de là, ma démarche est celle d'utiliser le terme de parentalité quelle que soit la combinaison des quatre dimensions/registres énoncés. Le registre que l'on retrouve dans chaque combinaison est celui du travail parental » (pp. 32-33). D'où l'intérêt particulier de l'auteure pour cette dernière dimension (alors que ce travail parental n'est pas pris en compte par la loi). A ce sujet, voir également : Descoutures, Virginie (2006), « De l'usage commun de la notion de parentalité », in Cadoret, Anne et al, Homoparentalités. Approches scientifiques et politiques, Paris : PUF, pp. 211-222.

2 Le droit français ne reconnaît qu'une seule mère légalement, les législations différant selon les pays. Outre la situation au Canada, en Belgique et aux Pays-Bas auxquelles fait référence sous certains aspects l'auteure dans son ouvrage, dans une perspective de droit comparé concernant notamment le devoir d'assistance, l'autorité parentale et l'interdiction ou autorisation d'adoption et de procréation médicalement assistée en Suisse, au Danemark, en Allemagne (et aux Pays-Bas), voir notamment : Eylem, Copur (2007), « Homoparentalité », in Ziegler, Andreas R. et al, Droits des gays et lesbiennes en Suisse, Berne : Stämpfli, pp. 283-307.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laëticia Stauffer, « Virginie Descoutures, Les mères lesbiennes », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 02 septembre 2010, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/1126 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.1126

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