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Marie-Lise Brunel, Jacques Cosnier, L’empathie. Un sixième sens

Sophie Jumeaux-Bekkouche
L'empathie
Marie-Lise Brunel, Jacques Cosnier, L'empathie. Un sixième sens, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2012, 295 p., ISBN : 978-2-7297-0859-7.
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Full text

1Absent des dictionnaires il y a peu de temps encore, le terme d’empathie est aujourd’hui entré dans le langage courant et a le vent en poupe dans des contextes aussi divers que le travail social, le marketing ou l’éducation. Si le terme se veut de plus en plus nomade, la question de savoir ce qu’est l’empathie ‑ et ce qu’elle n’est pas ‑ se pose avec d’autant plus d’acuité que les acceptions sont diverses et parfois contradictoires. Ce livre, co-écrit par Marie-Lise Brunel, docteure en psychologie du counseling, et Jacques Cosnier, docteur en sciences naturelles et spécialiste en psychiatrie et en éthologie de la communication, a pour ambition de dresser un état de l’art de la question, ambition qui, comme le soulignent les auteurs, s’est avérée pour le moins complexe et colossale tant les recherches sur ce sujet ont littéralement explosé ces dernières années dans des champs disciplinaires très divers. En quoi l’empathie se distingue-t-elle de la sympathie ou de la contagion émotionnelle ? La partage-t-on avec les animaux ou bien est-elle au cœur de la différence anthropologique ? Dans quelle mesure est-elle impliquée dans les interactions sociales ? Ou encore : de quelles façons peut-on mesurer l’empathie d’un individu ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles ce livre tente de répondre en mobilisant un large corpus de recherches transdisciplinaires. Et force est de constater, à sa lecture, que si nous pratiquons l’empathie au quotidien et si ce terme nous apparaît familier, nous n’en savons pourtant pas grand chose tant du point de vue de son ontogenèse que de celui des mécanismes qui la sous-tendent ou de ses liens avec la communication.

2L’ouvrage est constitué de huit chapitres concis mais très denses qui traitent tour à tour de l’histoire du concept, de sa phylo- et onto-genèse, de ses liens avec la communication, de ses mécanismes, des pathologies qui l’affectent, de son statut en psychanalyse et dans les thérapies humanistes, de ses mesures et des formations pour la travailler. Il comporte également un glossaire fort utile au lecteur non expert pour mieux saisir le sens des termes et notions utilisés tout au long du livre.

  • 1  Cf. Hochmann Jacques, Une histoire de l’empathie, Paris, Odile Jacob, 2012.

3Dans un premier temps, les auteurs retracent l’histoire de l’empathie1comme terme et comme concept. Le terme d’Einfühlung apparu au XIXe siècle dans le contexte du romantisme allemand, est repris par l’esthétique puis par la psychologie un peu plus tard, et traduit par le psychologue Edward Titchener en 1909 par le terme anglais d’empathy. Ce terme connaît un succès grandissant dans les années 1960 avec Carl R. Rogers, psychologue du counseling, qui en fait le point central de sa thérapie centrée sur la personne, succès d’autant plus considérable que le mouvement interactionniste est à ce moment-là en plein essor. Le terme français d’empathie ne fait quant à lui son apparition que plus de cinquante ans plus tard. Relativement récent, le concept a néanmoins été pensé auparavant dans différentes disciplines comme la philosophie ou la psychologie qui ont contribué à conceptualiser ‑ avec par exemple la théorie de l’intersubjectivité ou encore la théorie de l’esprit ‑ ce qui se joue à l’interface entre soi et l’autre.

4C'est par un rapide mais efficace aperçu de la phylogénèse de l’empathie d’une part, et de son ontogénèse d’autre part que le livre se poursuit. Les observations réalisées auprès des animaux sociaux notamment laissent à penser que l’empathie serait présente sous certaines formes, tout particulièrement dans les comportements de reproduction ou de vie en groupe, où l’on retrouve des phénomènes de synchronie interactionnelle, de contagion motrice ou encore de collaboration. Du point de vue de l’ontogénèse cette fois, comment l’empathie vient-elle aux enfants ? Il conviendrait de distinguer plusieurs niveaux d’empathie accessibles au fur et à mesure du développement de l’enfant. Il y aurait ainsi trois étapes chronologiques dans la construction de l’empathie : premièrement l’empathie archaïque qui serait une empathie d’affect (« être le même ») ; ensuite, l’empathie primaire (« faire pareil ») qui conjuguerait empathie d’affect et d’action ; et enfin, l’empathie secondaire (« faire comme si ») qui serait à la fois empathie d’affect, d’action et de pensée. L’adulte fonctionnerait plutôt sur le troisième mode, sans que les deux autres modes ne soient pour autant exclus.

5Les auteurs s’attachent ensuite à étayer le rôle central de l’empathie dans le cadre des interactions de la vie quotidienne, mais aussi dans un contexte plus spécifique, celui la relation thérapeutique. Les phénomènes empathiques sont non seulement nécessaires mais quasi permanents dans toute interaction verbale ou non verbale, sous des formes manifestes ou plus subtiles. Bien évidemment, comme le font remarquer les auteurs, les formes et modalités de l’empathie sont aussi diverses que les contextes et types d’interactions.

6Les mécanismes de l’empathie sont également étudiés et sont l’occasion de faire un petit tour d’horizon des différentes définitions de l’empathie à l’œuvre dans la littérature existante, mais aussi de revenir sur les différentes terminologies utilisées. Forts de ce retour, les auteurs proposent une définition opérationnelle de l’empathie, inspirée de Jean Decety : elle se « caractérise par deux composantes primaires : [d’abord] une réponse affective qui implique parfois (mais pas toujours) un partage de l’état émotionnel ; [ensuite] la capacité cognitive de prendre les perspectives objectives et/ou subjectives d’autrui » (p. 95). Et précisent que la composante émotionnelle précède ontogénétiquement la composante cognitive, tout en pouvant néanmoins encore se manifester de manière isolée à l’âge adulte. Le concept de « corps-analyseur » pointe le rôle fondamental du corps comme organe support sensori-moteur de la fonction empathique. Ce chapitre met en évidence la complexité des mécanismes à l’œuvre dans l’empathie, mécanismes qui se trouvent parfois bloqués ou empêchés dans certaines pathologies.

7L’analyse des différents symptômes résultant de neuropathologies, de psychopathologies et de sociopathologies laisse apparaître la possibilité de dysfonctionnements de l’empathie à plusieurs niveaux et sous plusieurs formes, ce qui illustre bien le caractère composite de l'empathie. La figure du tortionnaire montre par ailleurs que l’empathie à elle seule n’est pas garante d’un comportement pro-social comme on serait tenté de le penser.

8Le livre retrace ensuite l’itinéraire du statut de l’empathie en psychanalyse et dans les thérapies humanistes, qui tendent progressivement vers une prise en compte de l’interaction entre l’analyste et l’analysant. À la lecture du titre du chapitre (« l’empathie et les psychothérapies »), et ce chapitre faisant suite aux pathologies de l’empathie, nous nous attendions néanmoins à ce qu’il soit question des possibilités de traitement des dysfonctionnements de l’empathie par la psychothérapie, point qui ne sera pas traité dans cet ouvrage.

9Les possibilités de mesure de l’empathie sont également questionnées, et mettent en évidence la nécessité de distinguer l’empathie dispositionnelle, qui constitue un trait de caractère relativement stable chez un individu donné, de l’empathie situationnelle, c’est-à-dire l’empathie telle qu’elle s’exprime dans une situation concrète. Les auteurs soulignent toute la difficulté qu’il y a à évaluer l’empathie d’un individu, tant du point de vue de l’auto-évaluation de l’empathie dispositionnelle à travers les tests de personnalité par exemple, où le biais de désirabilité sociale est très fort, que de celui de l’évaluation de l’empathie situationnelle, puisqu’il ne faut pas oublier que l’empathie est un processus bi-directionnel et qu’un individu peut être très empathique dans une situation donnée, et très faiblement empathique dans une autre situation. Néanmoins, les progrès récents en neurobiologie laissent à penser qu’il sera sans doute possible d’ici quelques années de faire appel à l’imagerie cérébrale pour mesurer l’empathie.

10Les formations à l’empathie, très en vogue à l’heure actuelle, sont également évoquées. Les offres en la matière fleurissent sur Internet et s’adressent à des publics très divers, allant du soignant à l’astrologue en passant par le manager. Mais outre la formation à l’empathie, qu’en est-il de la possibilité d’une éducation à l’empathie ? Si, comme le laissent à penser les auteurs, l’empathie peut sans doute « s’entretenir voire s’améliorer » (p. 225), il nous semble que dès lors l’éducation à l’empathie constitue un enjeu majeur du vivre-ensemble. Bien évidemment la question de la possibilité d’une éducation à l’empathie va de pair avec celle de l’articulation entre empathie et pro-socialité mais aussi avec celle de la possibilité d’évaluer l’empathie en vue de mesurer l’impact des mesures éducatives sur le degré d’empathie des individus.

  • 2  Zanna Omar, Restaurer l’empathie chez les mineurs délinquants, Paris, Dunod, 2010.

11Au final, ce livre propose au lecteur un panorama synthétique et très richement documenté sur ce « sixième sens », le sens de l’autre et de soi-même, qu’est l’empathie. Il a, en outre, le mérite d’éclaircir le sujet dans un contexte où l’empathie semble être devenue un terme un peu « fourre-tout » dont se sont emparés les médias. Nous regrettons toutefois, comme nous l’avons souligné précédemment, que certains points comme l’articulation de l’empathie et des comportements pro-sociaux ou encore les possibilités d’une éducation à l’empathie voire d’une « restauration »2de l’empathie n’aient pas été abordés ici. Néanmoins, l’importante bibliographie se veut, pour le lecteur intéressé, une invitation à compléter et approfondir la réflexion sur ces points précis.

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Notes

1  Cf. Hochmann Jacques, Une histoire de l’empathie, Paris, Odile Jacob, 2012.

2  Zanna Omar, Restaurer l’empathie chez les mineurs délinquants, Paris, Dunod, 2010.

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References

Electronic reference

Sophie Jumeaux-Bekkouche, « Marie-Lise Brunel, Jacques Cosnier, L’empathie. Un sixième sens », Lectures [Online], Reviews, Online since 11 April 2013, connection on 05 December 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/11230 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.11230

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