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Florent Kohler, L’Animal qui n’en était pas un

Nadia Veyrié
L'animal qui n'en n'était pas un
Florent Kohler, L'animal qui n'en n'était pas un, Médial éditions, 2012, 220 p., ISBN : 978-2-84730-021-5.
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Texte intégral

1Florent Kohler est maître de conférences en études brésiliennes à l’Université de Tours, habilité à diriger des recherches en anthropologie (École pratique des hautes études de Paris), membre du Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (CREDA-UMR 7227). Dans cet ouvrage, qui correspond en grande partie à son habilitation à diriger des recherches, l’auteur convoque différentes disciplines (littérature, anthropologie, ethnologie, éthologie, philosophie, psychologie) pour interpréter notre rapport au vivant, à la nature et à l’animal.

2Sa réflexion prend tout d’abord appui sur une comparaison entre les comportements et les représentations de la société occidentale et des populations amazoniennes. L’auteur prend soin de rappeler les positionnements qui permirent à l’anthropologie de quitter ses liens avec le colonialisme. Il évoque, par exemple, comment, dans un village des Pataxó, la mise en scène de l’exotisme en tant que produit culturel est prégnante. Lors d’une première rencontre avec l’auteur, en 2001, certains Pataxó expliquent l’essence de leur tribu dans le rapport à la Nature tout en témoignant d’une vie quotidienne empreinte de consommation : « On rentre chez soi, on revêt un bermuda, et l’on mange un poulet industriel arrosé de Fanta ; le jour suivant on va dans la forêt abattre les derniers arbres pour fabriquer des écuelles et des pelles à tarte » (p. 47). Il convient alors de différencier le rapport à la cosmologie qui peut expliquer la pratique de certains rituels et l’idéologie qui se forme aux contacts entre certains indigènes et les touristes. Cet exemple permet d’ailleurs d’engager une réflexion sur le « discours identitaire » et qui le produit. Par la suite, l’auteur souligne que la survie des écosystèmes dépasse la préoccupation cosmologique, dans la mesure où ce sont bien les hommes qui engendrent « un processus d’appauvrissement » et donc « une réorganisation ».

3La question animale fait jour autour du fait que « la capacité de l’environnement à s’adapter à l’homme, et non l’inverse, devrait retenir notre attention » (p. 100). Déclinant tout d’abord les enjeux de l’hominisation, l’auteur montre comment celle-ci est un mythe, « la construction d’une espèce à rebours de l’évolution » qui face à l’hostilité et la perte de l’instinct doit alors rechercher une « conscience de survie » (p. 116). Une conscience qui révèle en fait une rupture avec l’animal. À partir de cette rupture, l’auteur montre que les recherches d’éthologues perturbent certaines logiques scientifiques et, de manière générale, certains systèmes de pensée. En fait, c’est comme si l’animal qui développe certaines compétences proches de l’homme (par exemple, les chimpanzés) devenait une menace. Les théories oscillent alors entre un abaissement de l’animal (le zoomorphisme) et une surélévation (l’anthropomorphisme). L’auteur prend appui sur de nombreuses théories contemporaines : Peter Singer, Élisabeth de Fontenay, Dominique Lestel, Florence Burgat, etc.

4De la sorte, l’approche anthropologique est perçue par Florent Kohler comme un moyen de réinterroger ces systèmes de pensée. Car l’homme comparé à l’animal est un leurre : « L’homme n’est pas un autre animal que lui-même » (p. 113). Par le biais du langage, l’auteur interroge les formes d’une communication sans paroles et ainsi engage une réflexion sur une éventuelle pensée sans langage. Poursuivant sa démonstration, il démontre que la relation ne se limite pas aux paroles.

5L’apparition du langage chez l’homme ne doit pas évincer les autres expériences qui n’ont pas ou plus d’expression verbale (par exemple, le deuil et de manière générale le manque). Si le langage a permis pour les sociétés humaines un partage, il serait bon également de réinvestir comme objet de recherche la « capacité à se représenter ce que perçoit ou éprouve autrui » (p. 179). Dans la continuité de cette réflexion, Florent Kohler évoque l’expression directe et l’expression faciale des animaux. En fait, en soulignant que certains animaux n’ont pas de possibilité d’expression faciale, il propose une réflexion sur l’observation que peut réaliser l’anthropologue, par exemple avec les vaches. « Que font donc les vaches quand elles ne font rien ? Quand elles regardent la route ou dans le champ d’à côté, à quoi pensent-elles ? » (p. 197). L’observation quotidienne d’un animal ne suffit pas si nous ne savons pas aussi nous intéresser à des temps de mouvements vers l’observateur et à d’autres temps qui pourraient paraître plus neutres, plus inféconds scientifiquement parlant. De même, le chercheur intègre ce que renvoie l’animal dans sa confrontation singulière. Étudier un troupeau de vaches révèle effectivement la singularité de chaque animal dans la confrontation à l’humain et dans ce que nous pouvons ressentir et traduire de ses émotions.

6En conclusion, le lecteur peut se sentir décontenancé face à un objet de recherche qui n’apparaît pas immédiatement. Effectivement, peut-être aurions-nous souhaité plus d’unité entre les différentes parties de l’ouvrage et les arguments qui s’y réfèrent. Mais nous apprécions l’érudition de l’auteur et son autoréflexivité qui se perçoit au fil des pages dans le souci d’un parcours anthropologique. Peu à peu, les résonnances du parcours de l’auteur, en tant que chercheur en mission sur le terrain et en tant qu’observateur sensible du quotidien des animaux, s’articulent. À notre sens, c’est la réflexion sur la sensibilité, la subjectivité, la communication sans paroles avec les animaux qui révèle la force de cet ouvrage.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nadia Veyrié, « Florent Kohler, L’Animal qui n’en était pas un », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 26 mars 2013, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/11054 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.11054

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Rédacteur

Nadia Veyrié

Docteur en sociologie de l'Université Montpellier III, chargée d'enseignement aux Universités de Caen et Montpellier I, membre du Centre de recherche et d'étude sur les risques et les vulnérabilités.

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