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Aurélie Tavernier (dir.), « Scientisme(s) et communication », Médiation et information, n° 35

Emilien Schultz
Scientisme(s) et communication
Aurélie Tavernier (dir.), « Scientisme(s) et communication », médiation et information, n° 35, 2012, 226 p., L'Harmattan, ISBN : 978-2-336-00619-2.
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Texte intégral

1« De quoi le scientisme est-il le nom ? » est la question que pose Aurélie Tavernier dans l'introduction de ce dossier « Scientisme(s) & Communication » qu'elle coordonne. Dans une actualité qui met régulièrement sous les projecteurs les choix techno-scientifiques et la place des experts, ce numéro se donne pour horizon de réfléchir le(s) scientisme(s) présents dans les discours publics, et de « mettre en question les processus de leur élaboration et de leur dispersion : il s'agit, de la sorte, de s'intéresser non pas aux déformations, mais aux formations du social et du politique pour lesquelles des savoirs, à visée ou à prétention scientifique, sont mis en circulation » (p. 11). Cependant, et nous y reviendrons après une rapide présentation de ce dossier, les différentes contributions répondent finalement assez peu à cette volonté de cerner le scientisme, mais en revanche donnent à voir dans le traitement des syntagmes de « science » et « scientifique » une certaine plasticité pouvant confiner à la mollesse conceptuelle.

2Le dossier s'ouvre, fidèle au format de la revue,  avec deux entretiens. On lira avec intérêt le témoignage de Gérard Noiriel sur sa participation à la fondation du courant de la « socio-histoire » dont il souligne sa visée d'explicitation des dimensions construites des catégories mobilisées en histoire : « combattre les réifications, la chosification des rapports sociaux est une dimension essentielle de la socio-histoire » (p. 24). De même, le lecteur trouvera à réflexion dans l'entretien mené avec Roland Gori, psychanalyste, qui prend position contre la figure moderne naturalisante de « l'homme neuro-économique » et contre la  tendance « d'imposer le modèle des sciences à des disciplines de savoir et de connaissance comme le droit, la médecine ou les sciences humaines et sociales » (p. 54). Le dossier se poursuit par dix contributions qui entretiennent des rapports plus ou moins variés, voire distants, avec la question du scientisme. Sans rentrer dans le détail de chaque article, essayons de dresser un aperçu des angles de réflexion proposés.

3Une partie des travaux relève d'une approche d'analyse des discours. L'article de cadrage introductif au dossier de Roselyne Ringoot « Savoirs et scientisme saisis par le discours. Les liaisons discursives » revient ainsi sur la définition historique du scientisme et insiste pour introduire de l'hétérogénéité dans ce découpage forcé du discours en catégories étanches. Deux autres articles mettent en œuvre une analyse de discours sur le thème des OGM pour y expliciter les appels à la science. Ainsi, « Mise en scène de la scientificité dans le débat citoyen. Le cas des OGM comme argument d'une lettre ouverte autour de la science » de Nathalie Garric et Michel Goldberg passent en revue les formes d'argumentations d'une lettre ouverte émanant de chercheurs tandis que Michel Goldberg et Maryse Souchard déconstruisent la narration d'une utopie dans « Fiction, idéologie et argumentation dans le débat des OGM ». Complémentaire à cette dimension du discours, un autre ensemble de travaux concerne la dynamique des savoirs, principalement autour du rôle des experts en tant qu'intellectuels spécifiques et de leur mobilisation comme ressources dans l'espace public. Ainsi,  Aurélie Tavernier s'intéresse aux experts dans leur rôle de producteurs de « référentiels normatifs » aux demandes des décideurs dans « Vous pouvez répéter la réponse ? L'expertise scientifique au risque de la certitude », David Pichonnaz compare la parole des experts relevant de la sociologie et de la criminologie dans « Délinquance juvénile : les usages journalistiques des discours sociologique et criminologique », Zineb Benrahhal Serghini suit la mobilisation des études sociologiques dans « Du scientisme à l'anti-scientisme. Réception militante et médiatique des discours scientifiques autour de 'Ni putes ni soumises' » et Magali Nonjon souligne leur irréductible persistance au sein des procédures de démocraties participatives dans «  La démocratie participative ou l'impossible refus du scientisme ». Plus orienté vers la visibilité des savoirs dans l'espace public, Johannes Angermüller s'interroge sur les recompositions des catégories scientifiques causées par la mise en visibilité sur le web des articles dans « La science sur le Web. Numérisation de textes et dédifférenciation du savoir chez Google Scholar & Cie » tandis que, plus éloigné d'un traitement spécifique de l'objet science, Pascal Froissart se penche sur la constitution du concept « d'emballement médiatique » dans « Mesure et démesure de l'emballement médiatique. Réflexions sur l'expertise en milieu journalistique ». Enfin, s'inscrivant dans une approche historique, l'article de Frédéric Dupin, « Positivisme ou scientisme ? Les enjeux politiques d'un point de vocabulaire » propose un éclairage des propos d'Auguste Comte pour tracer une démarcation forte entre scientisme et positivisme, et réhabiliter la dimension irrémédiablement immanente des savoirs de la science positive. « L’esprit positif consiste donc à substituer à l'unilatéralité des discours ontologiques un dualisme réglé : la science n'est point la détermination d'une essence, mais la caractérisation d'un compromis stable, entre point de vue et données empiriques, entre observateur et observation » (p. 79)

4En synthèse transversale, qu'apporte le dossier sur la question du scientisme ? La diversité des contextes abordés permet d'explorer des contextes de mobilisation des savoirs très divers : le témoignage d'un psychanalyste engagé contre la diffusion des critères managériaux issus des sciences dures, les bases de données d'articles scientifiques en ligne, un comité de riverains dans une procédure de consultation, la structure discursive d'une histoire dans un contexte de persuasion autour des OGM ou encore la présence dans l'espace médiatique des experts. Ce faisant, ces travaux éclairent les différentes dimensions du savoir dans l'espace public : celui-ci est issu d'un processus de construction plus ou moins contrôlé par un mandataire pour être ensuite diffusé sous la forme de discours à travers des médias par des acteurs dont le statut d'expert donne une légitimité à leurs déclarations. Ces déclarations sont elles-mêmes converties en ressources pour l'action par d'autres acteurs. Le fait de qualifier ces savoirs de « scientifiques » leur permet, dans le contexte de la modernité, de les doter d'une autorité spécifique, dont l'abus fait advenir la question du, ou des, scientisme(s). Différentes définitions du scientisme sont alors données à travers ces travaux : attitude consistant à attendre de la science qu'elle résolve les problèmes métaphysiques et moraux de l’existence, « L'oubli des conditions de production d'un discours qui fait apparaître l'énoncé comme ayant une valeur transcendantale et religieuse » ou encore une conception de la science comme unique voie pour accéder à un savoir utile et véritable. Si ces définitions ont en commun l'idée générale d'une forme de légitimité exclusive de la connaissance scientifique, elles passent sous silence les enjeux de définition de ce qui est « scientifique » et la construction de cette légitimité. Donnée pour acquise, quasiment substantialisée à certain moment, ou au contraire renvoyé à une simple production sociale, la dynamique de l'attribution de cette légitimité et les différentes formes qu'elle peut avoir pour les acteurs impliqués ne sont que peu interrogées. Ainsi, l'attribution automatique du statut de science à la sociologie et du statut d'expert scientifique au sociologue prêterait à débat au sein même de la sociologie. Dans l'ensemble, ce dossier traite ainsi largement des sciences humaines et laisse finalement peu de place à des études empiriques impliquant des positions scientistes issues des sciences « dures ». Mais surtout, la question de l'effet d'imposition et la réception de ce scientisme n'est jamais abordée.

  • 1  Notons par exemple le numéro de la revue Hermès « Les chercheurs au cœur de l'expertise », 2012.

5Si la question posée par le dossier est indéniablement d'actualité, les éclairages apportés sont trop éclatés pour fournir des réponses cohérentes. En outre, une partie des contributions semblent s'écarter de la question du scientisme, par exemple sur « l'emballement médiatique ». Aussi, en ce qui concerne la question de l'expertise, une littérature conséquente existe par ailleurs1 sur laquelle ce dossier n'ajoute que peu d'éléments nouveaux. Le lecteur sera également surpris par la faible présence de la sociologie des sciences dans les différentes analyses alors qu'elle y aurait sa place, que ce soit concernant le développement de l'idéologie scientifique, la caractérisation du rôle d'expert ou la restitution des conditions de production des savoirs.

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Notes

1  Notons par exemple le numéro de la revue Hermès « Les chercheurs au cœur de l'expertise », 2012.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Emilien Schultz, « Aurélie Tavernier (dir.), « Scientisme(s) et communication », Médiation et information, n° 35 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 05 mars 2012, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/10869 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.10869

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