Ian Stewart, Les mathématiques du vivant, ou la clef des mystères de l'existence

Texte intégral
1Le lecteur ne s'y trompera pas à la vue de la couverture colorée. Si le propos porte sur des mathématiques, il ne sera ni austère ni monotone et nulle formule n'apparaîtra à l'horizon. Ian Stewart, par ailleurs chercheur en physique, a déjà commis de nombreux ouvrages de popularisation sur les mathématiques et collaboré avec Terry Prachett à l'exploration de la surprenante science du Disque Monde. Avec Les mathématiques du vivant, ou la clef des mystères de l'existence, le lecteur emprunte le sentier d'une ballade divertissante consacrée à suivre les multiples points de contact qu'ont les sciences de la vie avec les mathématiques. Car de la taille des coquillages au projet de décryptage du génome humain, les mathématiques ont progressivement allié leur puissance conceptuelle à celle de la biologie, et l'explosion de la recherche biomédicale leur doit beaucoup, jusqu'au niveau le plus fondamental. De fait, « les mathématiques ne sont pas simplement utilisées pour aider les biologistes à gérer leurs données ou à améliorer leurs instruments. Elles interviennent à un niveau plus profond en permettant d'explorer la science elle-même, d'aider à comprendre le fonctionnement de la vie » (p. 24). L'auteur voit d'ailleurs dans ces développements récents du rôle des mathématiques la sixième des révolutions qui ont bouleversé notre connaissance du vivant.
2La forme empruntée par l'auteur pour son propos est celle du panorama, abordant successivement différents thèmes. Les dix-huit chapitres de l'ouvrage se regroupent en trois parties. Les huit premiers forment une longue introduction consacrée à une synthèse élégante et précise de l'histoire de la biologie au travers de cinq révolutions retenues par l'auteur (le microscope, la classification des espèces, la théorie de l'évolution, le concept de gène, la découverte de l'ADN), les deux derniers prennent une coloration plus engagée quand l'auteur tente de définir le vivant, tandis que ceux qui restent constituent pour chacun une économie propre autour d'un concept central. Cependant, prévenant une dispersion des thèmes abordés, l'auteur travaille à établir inlassablement des liens entre les concepts, les chapitres, et sa philosophie des modèles mathématiques.
3Les mathématiques ne se résument pas aux nombres, ou à la géométrie. Elles se déclinent en réseaux, en nœuds, s'étalent sur des dimensions multiples, deviennent non-linéaires pour expliquer les rayures ou modélisent les motifs que l'on peut voir sous l'emprise d'un psychotrope. Tous les chapitres sont construits sur le modèle du récit érudit, et aucun ne laisse le lecteur, quel que soit son niveau, sans un élément neuf qui retient son attention. Si l'habitué des ouvrages sur les sciences actuelles reconnaîtra ses petits dans certains sujets abordés, il aura plaisir à lire dans une note de bas de page les résultats d'études récentes sur le repliement des protéines. À l'inverse, le non-initié saura apprécier la pédagogie stimulante de l'auteur qui maîtrise l'art de la communication scientifique. Notons que les thèmes abordés sont réunis par une même philosophie qui pourrait résumer le message du livre : « un modèle ne doit pas nécessairement représenter la réalité dans tous ses détails pour être utile » (p. 439). De même, le lecteur pourrait ne pas retenir l'ensemble du livre tout en le quittant enrichi.
4Pour en avoir un aperçu, retenons un chapitre parmi d'autres, qui présente l'application directe de la géométrie quadridimensionnelle à la forme des virus. Après une introduction historique sur les virus qui aborde la controverse sur l'applicabilité du qualificatif de « vivant » ‑ les virus n’étant pas actuellement considérés comme des êtres vivants, Ian Stewart s'intéresse à la notion de symétrie et sa traduction mathématique pour envisager son application à l'analyse de la forme des capsides de virus. Et nous voilà plongés dans le domaine de la topologie, qui, d'Euler aux travaux actuels, s'intéresse à la forme des solides. Car il se trouve que si la forme d'un virus n'est pas symétrique dans l'espace à trois dimensions auquel nous sommes habitués, où elle est plutôt complexe, elle le devient quand on la considère comme un morceau extrait d'un espace à six dimensions. L'explication donnée par l'auteur est limpide, rend accessible les notions principales, et escamote les aspects techniques pour garder l'essentiel. « Les détails importent peu ; l'avantage, du point de vue mathématique, c'est qu'il est possible de comprendre des structures compliquées grâce à des structures plus simples » (p. 216). Et au final, quel est l’intérêt de modéliser la surface du virus ? « Une façon de lutter contre un virus consiste à interférer avec son processus d'assemblage, et la géométrie du virus complètement assemblé donne des indices sur les points de faiblesse potentiels de ce processus » (p. 218).
5D'une manière similaire, chaque chapitre se développe autour d'un thème principal (rayures des animaux, régularité du nombre de pétales, définition de la notion d'espèce etc.), qui se ramifie et se prolonge en digressions actuelles ou historique ayant trait, de manière plus ou moins direct, aux mathématiques. Les deux derniers chapitres sortent quant à eux un peu de ce schéma en abordant la question de la définition du vivant et de l'existence de la vie extraterrestre dans une démarche d’aspiration scientifique. Leur conclusion serait un esprit d'ouverture : ne soyons pas trop hâté de conclure à quoi devrait ressembler la vie, ou de conclure trop rapidement qu'elle n'existe que sur Terre.
6Si le propos est accessible sans bagage scientifique, le lecteur doit s'attendre à être promené de la neurobiologie à la microbiologie en passant par la botanique et les déserts de sables. Un minimum de courage est nécessaire pour s'atteler à cette lecture, car on en ressort un peu sonné par la variété des concepts abordés. Au final, les mathématiques présentées en tant que telles sont moins intéressantes pour elles-mêmes que pour les études qu'elles permettent de découvrir. La topologie, les systèmes complexes, la théorie des nœuds, la théorie des réseaux ou la théorie des jeux donnent surtout l'occasion d'en découvrir plus sur les virus, le repliement de l'ADN, la simulation analogique, la vie sexuelle des lézards ou encore revisiter la controverse sur la définition des espèces à travers l'utilisation de critères statistiques. Peut-être qu'une approche un peu plus systématique dans la présentation soulagerait le lecteur, qui peut toutefois se référer à l'index pour aborder le livre d'une manière moins linéaire. Une lecture rafraîchissante qui invite à la réflexion sur de nombreux sujets, sur la recherche actuelle, les apports croisés entre les disciplines et sur la notion de modèle mathématique.
Pour citer cet article
Référence électronique
Emilien Schultz, « Ian Stewart, Les mathématiques du vivant, ou la clef des mystères de l'existence », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 février 2012, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/10785 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.10785
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page