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Jules Naudet, Entrer dans l'élite. Parcours de réussite en France, aux Etats-Unis et en Inde

Fabrice Hourlier
Entrer dans l'élite
Jules Naudet, Entrer dans l'élite. Parcours de réussite en France, aux Etats-Unis et en Inde, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2012, 315 p., ISBN : 978-2-13-060656-7.
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Texte intégral

1Si la mobilité sociale est une thématique récurrente en sociologie, Jules Naudet propose d’y entrer en parlant avant tout de promotion sociale. Plus précisément, il cherche à montrer comment les individus vivent leur parcours de réussite sociale. « Entrer dans l’élite » n’est pas évident pour les individus, ils ont toujours à composer avec une tension entre leur milieu d’origine et leur milieu d’arrivée. C’est cette expérience et le récit de celle-ci qui est le cœur de son enquête.

2Le livre est le fruit d’un long travail de recherche. L’auteur a réalisé des entretiens en France, mais aussi aux Etats-Unis et en Inde. On aura compris que sa démarche est comparatiste : y a-t-il des différences dans la façon d’assumer et de raconter sa mobilité ascendante selon les pays ?

3La méthode est rigoureuse et les catégories de « milieu d’origine » comme « d’arrivée » sont discutées pour rendre compte des limites du comparatisme : l’auteur rappelle que les classes populaires n’équivalent pas aux basses castes, qu’aux Etats-Unis l’origine raciale pèse plus lourd que l’origine sociale. Entrer dans « l’élite » se décline également sous des formes différentes : cela peut se faire par l’intégration de la haute fonction publique, l’accès à des postes d’encadrement du secteur privé ou d’enseignants à l’Université.

4Son approche l’a amené à mobiliser de la littérature sociologique qui concerne aussi bien les thèmes de la mobilité sociale, des différents types de hiérarchie dans la société (classes, castes et statut) que des idéologies mobilisées dans les discours de réussite sociale. Ces mises au point sur ces différents thèmes sont l’occasion de commentaires stimulants.

5S’il se risque à avancer des concepts, avec au premier chef celui « d’idéologie instituée », c’est avec beaucoup de précautions et de façon réussie puisqu’ils permettent en effet de bien comprendre comment les individus peuvent plus ou moins bien vivre leur trajectoire sociale ascendante.

6On peut présenter très schématiquement ce que l’auteur avance de façon beaucoup plus rigoureuse et nuancée. Dans les trois pays (peut-être moins aux Etats-Unis), l’école et l’enseignement supérieur jouent un rôle majeur dans la promotion sociale des individus d’origine modeste. Lorsque les parents tenaient un discours de promotion (réussite ou revanche sociale, sacrifice) face à leur enfant, cela a constitué un soutien notamment pour son parcours scolaire.

7Par contre, il existe des différences notables dans le rapport au milieu d’origine.

8En Inde, la politisation de plusieurs Dalits (issus de basses castes) leur permet de prendre conscience et d’assumer leur identité de caste. Elle n’est plus alors un stigmate honteux au milieu d’une élite composée avant tout d’individus issus des hautes castes, mais un lien fort conservé avec la communauté d’origine. Ce lien se traduit d’ailleurs par des dons financiers et la création d’institutions à destination de la promotion des Dalits. Ils se perçoivent comme les agents, aux postes avancés, d’une communauté en lutte. L’usage de son pouvoir peut se faire au nom de la cause dalit. Notamment avec la pensée politique de Kanshi Ram, plusieurs des enquêtés disposent alors d’un kit idéologique qui leur permet de dépasser leur conflit d’identité suite à leur mobilité. Cette fidélité au milieu d’origine n’est toutefois pas univoque et Jules Naudet cite plusieurs exemples notamment chez des cadres dirigeants d’entreprise.

9Aux Etats-Unis, l’accès à l’élite est plutôt banalisé dans les discours. L’élite serait composée de gens ordinaires, sélectionnés selon leur mérite. Les enquêtés font régulièrement référence au « self made man » et à la récompense d’une ascèse ou d’une fidélité aux valeurs familiales. S’ils ont été victorieux dans la compétition, ils ne sont pas devenus pour autant différents : ce sont les mêmes valeurs qui régissent selon eux le milieu d’origine et d’arrivée. La promotion ne crée donc pas chez eux un conflit identitaire ni le sentiment d’avoir eu à se transformer. Toutefois, chez les Afro-Américains, l’ascension sociale est perçue comme plus fragile avec un stigmate racial qui peut être constamment réactivé. Cela les rend plus sensible à une vision de la société en classes peu perméables entre elles.

10En France, l’accès à l’élite est vécu comme une rupture. Le passage par les grandes écoles ou l’Université amène à une découverte de sa différence et des différences de classes : les expériences de honte, de maladresses et de décalage sont systématiquement évoquées. Mais le succès scolaire amène en même à une confirmation de son appartenance à l’élite. Au fur et à mesure de leur promotion sociale, les enquêtés estiment qu’ils sont passés d’une classe à l’autre, classes qui ne sont pas conciliables entre elles parce qu’elles s’appuient chacune sur des référents culturels et idéologiques très différents. Une transformation de soi est alors nécessaire qui amène souvent à une rupture avec le milieu d’origine. On lira également avec intérêt toujours à propos du cas français, les nuances du ressenti selon qu’on passe par l’Université ou par différentes grandes écoles (avec un passage sur l’ENA en particulier), le positionnement des enquêtés par rapport à l’idéologie républicaine ou encore le vécu spécifique des individus ressortissants des anciennes colonies françaises.

11En somme, ce que Jules Naudet montre avec beaucoup de rigueur, c’est que, selon des contextes culturels, politiques et sociaux différents, on ne retrouve pas le même ressenti et le même récit d’une mobilité ascendante. On ne se raconte pas avec les mêmes référents ou selon la même idéologie. Cette idéologie instituée, qui imprègne l’ensemble des couches sociales, amène à penser différemment selon les pays la position sociale (dominante) qu’on occupe.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabrice Hourlier, « Jules Naudet, Entrer dans l'élite. Parcours de réussite en France, aux Etats-Unis et en Inde », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 14 février 2013, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/10692 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.10692

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Rédacteur

Fabrice Hourlier

Professeur de sciences économiques et sociales au lycée français de Varsovie, doctorant au centre de sociologie européenne (CSE)

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