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Laurent Mucchielli, Xavier Crettiez, Les violences politiques en Europe. Un état des lieux

Elodie Wahl
Les violences politiques en Europe
Laurent Mucchielli, Xavier Crettiez (dir.), Les violences politiques en Europe. Un état des lieux, La Découverte, coll. « recherches », 2010, 336 p., EAN : 9782707164582.
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Texte intégral

1L'ouvrage Les violences politiques en Europe. Un état des lieux est le fruit d'un colloque sur la violence politique, lequel s'est déroulé à Nice en 2008. Il se compose de cinq parties. La première partie est consacrée aux « violences et extrémisme idéologique », la deuxième aborde les violences nationalistes, la troisième traite la question des violences émeutières, la quatrième concerne les violences d'État, enfin la dernière partie, qui comprend une article sur les violences au cours des manifestations, et un autre sur la sortie du communisme dans pays d'Europe de l'Est, s'intitule « réflexions méthodologiques sur la violence » car les deux articles mettent l'accent sur la nécessité, ou la difficulté, de définir la violence politique, et les implications qu'engendre le flou qui peut entourer cette notion dans son usage courant. L'ensemble est précédé d'une approche synthétique des types de violences, par Xavier Crettiez.

2Les limites de ce compte-rendu rendant impossible une critique analytique de tous les articles, nous nous contenterons de signaler quelques points saillants. Dans la première partie, l'approche d'Amel Boubekeur de la violence islamiste à partir d'une revue de littérature semble tout à fait pertinente au vu des possibilités limitées d'une enquête de terrain. Dès lors comment une aussi vaste littérature a-t-elle pu malgré tout être produite ? Ce que souligne l'auteure, c'est l'effet agissant de cette littérature, car si le « fait terroriste réel » est assez rare en Europe, si les motivations des acteurs impliqués dans les actes terroristes sont « rarement documentées », en revanche la littérature sur « les nouveaux outils nécessaires pour répondre à ce nouveau terrorisme » abonde, et a des effets biens réels en termes de politiques publiques de prévention (« En Europe, des personnes suspectées de terrorisme sans inculpation ni procès sont retenues en prison, les mosquées sont fouillées, les organisations islamistes interdites et une surveillance accrue est exercée afin d'identifier la présence de « réseaux terroristes dormants » »). Si bien qu'on peut légitimement se demander d'où vient la violence que génère la notion d' « islamisme ».

3Les réflexions d'Isabelle Sommier (l'auteure de référence concernant la recherche sur la violence politique d'extrême gauche d'après mai 68) sur la « menace » ultra-gauche en France, traitent de l'hystérie politico-judiciaire accompagnée d'une intense émotion populaire, survenues au moment de l'affaire de Tarnac. L'auteure met l'affaire en perspective avec des phénomènes similaires qui se sont produits en Italie, et elle propose quelques pistes pour mieux comprendre aussi bien la mouvance elle-même que la répression dont elle est l'objet. Wilhelm Heitmeyer ne se contente pas d'aborder les violences d'extrême droite en les mettant en relation avec les succès ou insuccès des partis politiques représentant cette idéologie. Il souligne que ces violences, surgissant dans l'espace public, ayant des effets très réels en termes de confiscation de celui-ci pour certaines populations, sont toujours liées à une désintégration sociale qui va, d'une part générer l'activisme, et lui permettre d'autre part de s'exercer. Concernant les violences nationalistes, si Elise Féron évoque les formes et les logiques d'une violence résiduelle et persistante en Ulster, A.P. Agote et X. Crettiez utilisent une approche à la fois généalogique et compréhensive pour rendre compte des conflits et radicalisations basque et corse. La violence basque serait la résultante d'un deuil non résolu de l'époque franquiste qui réprimait violemment la résistance basque ; la violence corse est plutôt liée à une rivalité au sein du nationalisme corse dans l'accès à la négociation avec l'État.

4Dans la troisième partie, l'analyse de Laurent Mucchieilli concernant les émeutes de 2005 est complétée par une approche comparée de Dave Waddington. Dans le cas français comme dans le cas britannique, les émeutes semblent d'abord liées à une conjoncture économique défavorable pour les populations qui deviennent émeutières, ensuite à une ségrégation ethnico-géographique. Si ce sont en France des enfants d'immigrés qui se sont révoltés contre des bavures policières - dans un climat de crise économique accompagné de la rhétorique que l'on connaît sur la « tolérance zéro » - en Grande-Bretagne ce sont les populations d'origine Indo-Pakistanaises qui ont été la cible des émeutes en 2001. D.Waddington comme L. Mucchielli retracent également les histoires émeutières française et britannique depuis les années 80. L'article collectif sur les supporters de football propose lui aussi une approche historique de cette violence. Il rappelle les conditions dans lesquelles est né le mouvement skinhead en Grande-Bretagne. La version française de cette violence « importée » d'outre-manche est traitée à partir de l'exemple de la tribune de Boulogne. L'article propose enfin une analyse du phénomène en Hongrie, à travers l'exemple des supporters du Ferencvàros (club de Budapest). Selon les auteurs, « le football est instrumentalisé figurant l'errance socio-économique des jeunes exclus de la société » (alors même qu'en France par exemple, « les skinheads sont originaires des classes supérieures »). Le sport pourrait donc être un « laboratoire social » dans le sens où il n'est peut-être « qu'un reflet de la vie sociale au point que la connaissance du sport puisse être « la clef de la connaissance de la société » ».

5Dans « La police des foules », Olivier Fillieule aborde la question de la gestion policière des manifestations. Il en montre l'évolution en Europe depuis les années soixante-dix et pointe une certaine uniformisation de pratiques autrefois différentes entre la France et les autres pays Européens. Cette uniformisation n'est pas seulement liée à la plus grande coopération des polices, elle s'explique aussi par une uniformisation des styles de manifestations et par la professionnalisation de la formation policière. Ce processus d'uniformisation s'explique davantage par l'emprise des savoirs d'expertises que par les idéologies gouvernementales. Si la tendance est à la pacification, elle est aussi à l'intolérance populaire envers les violences dans les manifestations. Celles-ci sont très sévèrement réprimées, mais émergent peut-être, selon l'auteur, de « la perte d'efficacité politique de la manifestation ».

6Pierre Piazza (« Violence symbolique et dispositifs étatiques d'identification ») propose une approche généalogique des « actes officiels de nomination » (Bourdieu). Comment et pourquoi est apparu ce qu'on peut appeler le « fichage » en Europe, depuis l'apparition de la carte d'identité jusqu'aux passeports biométriques qui permettent un suivi très « personnalisé » des individus mais qui réduisent ceux-ci au biologique au détriment de l'idée d'un « devenir » identitaire. Dans une première partie, l'article montre que le fichage ou « encartement » vise aussi bien à inclure qu'à exclure des individus. Une deuxième partie insiste sur les moyens modernes d'identification (passeport biométrique...) qui, par exemple, mettent en cause l'idée d'un espace public anonyme. Salvatore Palidda (« Analyse critique des violences policières et politiques en Italie ») montre comment l'Italie néo-libérale impose une gestion du désordre permanent par la force. Ce type de gestion aboutit aussi bien à la criminalisation de franges de population (les napolitains protestants contre les décharges de déchets toxiques, les tziganes, les immigrés, les supporters de football, les manifestants...), qu'à la criminalisation de la police elle-même (impunité des actes de tortures, création de bandes armées persécutrices composées de fonctionnaires, multiplication des délits de policiers...).

7Enfin dans la dernière partie, Donattella della Porta montre comment la violence manifestante est la résultante d'une interaction entre manifestants et forces de l'ordre. Ces dernières peuvent contribuer à l'accroissement de la violence ou à sa diminution en fonction de différents paramètres : la représentation qu'elles ont des manifestants et de leur cause, leur formation, la connaissance des publics manifestants. Mais la manière dont les forces de l'ordre vont réprimer ou non les manifestants dépend également de la tendance du gouvernement en place ainsi que de la plus ou moins grande vulnérabilité du régime politique installé. L'approche que livre Jérôme Heurtaux des changements de régime en Europe centrale vise à montrer comment la « Roumanie a ... gagné à travers la littérature spécialisée, son titre d'exception violente, confirmant la règle d'un changement de régime partout ailleurs non-violent ». En examinant les faits de près, on peut constater que les preuves sur lesquelles s'appuie cette thèse sont assez fragiles et dépendent d'une absence de définition de la violence politique. Néanmoins, souligne l'auteur, le caractère violent de la transition roumaine « loin de n'être qu'une catégorie descriptive, est devenu un label interprétatif enfermant durablement la Roumanie dans une logique de classement qui la stigmatise, parfois au mépris des faits les plus évidents ».

8On tire un grand profit de la lecture de cet ouvrage, car d'une part chaque article prend le temps de développer avec précision son sujet, d'autre part, les comparaisons européennes permettent de se faire une idée assez précise de différentes situations qui sont chacune un exemple d'exercice d'une violence qui prend des formes cependant très diverses. Le devenir de la violence politique apparaît donc comme un angle d'approche très pertinent pour comprendre la ou les société(s) européenne(s) contemporaine(s).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Elodie Wahl, « Laurent Mucchielli, Xavier Crettiez, Les violences politiques en Europe. Un état des lieux », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 02 juillet 2010, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/1068 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.1068

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