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Hervé Marchal, Jean-Marc Stébé, Les Lieux des banlieues. De Paris à Nancy, de Mumbaï à Los Angeles

Lionel Francou
Les Lieux des banlieues
Hervé Marchal, Jean-Marc Stébé, Les Lieux des banlieues. De Paris à Nancy, de Mumbaï à Los Angeles, Éditions Le Cavalier bleu, coll. « Lieux de... », 2012, 154 p., ISBN : 978-2-84670-440-3.
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Texte intégral

  • 1  Y. Vamur, « Maylis de Kérangal : « Les banlieues peuvent devenir de véritables lieux de désir » », (...)
  • 2  Dont voici les ouvrages communs les plus récents : Mythologie des cités-ghettos, Paris, Le Cavalie (...)
  • 3  « On confond souvent ceinture périphérique et quartiers sensibles. Tous les quartiers sensibles ne (...)

1Comme le souligne la romancière Maylis de Kérangal, « la banlieue est un concept qui nous échappe beaucoup. C’est un espace extrêmement vaste, fuyant. Il n’y a d’ailleurs pas qu’une banlieue, mais des banlieues. Il ne faut pas oublier que Neuilly, c’est aussi la banlieue »1. C’est justement cela que les auteurs, binôme prolifique de sociologues de l’urbain2, souhaitent mettre en évidence ou, plutôt, rappeler, dans ce texte de vulgarisation scientifique caractérisé par une écriture à la fois plaisante et pédagogique. En France, où le mot banlieue est souvent mobilisé négativement pour désigner les quartiers faits de tours et de barres HLM3, un tel ouvrage a pour vocation de rappeler la réalité polymorphe des banlieues, aussi bien en France qu’à l’autre bout du monde.

2L’étalement urbain est le dénominateur commun de toutes ces installations humaines périurbaines qui prennent de multiples formes et accueillent des populations et activités de toutes sortes. Le terme banlieue renvoie à la périphérie, à toutes ces zones qui se situent à une certaine distance de la ville-centre. Les auteurs considèrent sept différents types de banlieues et les illustrent en présentant, en autant de chapitres, des lieux exemplatifs. Ils en retracent les étapes de développement, les spécificités, les représentations qu’elles véhiculent, etc. Parmi ces sept récits, trois prennent pour décor les alentours de Nancy, deux concernent la périphérie de Paris et les deux derniers sont consacrés à des banlieues de Los Angeles et Mumbaï. En ce sens, le sous-titre du livre De Paris à Nancy, de Mumbaï à Los Angeles est correct mais laisse imaginer un ouvrage plus cosmopolite, moins centré sur les réalités des banlieues françaises. Néanmoins, des encadrés fournissent un complément d’informations sur d’autres situations, tels que les favelas de Rio de Janeiro, les bidonvilles du Caire ou le gigantisme de Dubaï. Cet ouvrage donne une série de clés qui peuvent permettre de questionner les représentations des banlieues diffusées par les œuvres de fiction (Desperate Housewives pour la banlieue pavillonnaire américaine, Slumdog Millionaire pour le bidonville, etc.).

3Les auteurs distinguent les banlieues industrielles (où une multitude d’usines et d’entrepôts dessinent les traits du paysage), mixtes et résidentielles (autant de déclinaisons possibles que de types de constructions, de populations, d’environnements, etc.). Cet ouvrage est principalement dédié aux formes périurbaines d’habitat, mais des chapitres sont également consacrés à un centre commercial et à une megachurch. La voiture individuelle est un outil indispensable pour se mouvoir dans ces espaces clairsemés, à distance des centralités urbaines. L’insoutenabilité écologique de cette expansion horizontale de l’urbain est également soulignée par les auteurs. Elle concerne aussi bien les banlieues américaines qui s’étendent à perte de vue, où l’idéal de la maison individuelle est répandu, que les bidonvilles où se massent, dans une pauvreté endémique, des millions de ruraux venus dans l’espoir déçu de goûter au rêve urbain.

  • 4  Quartier « en voie de ghettoïsation, dans le sens où on observe une forte homogénéité des locatair (...)
  • 5  Voir à ce propos J. Donzelot, « La ville à trois vitesses : relégation, périurbanisation, gentrifi (...)

4Les banlieues résidentielles sont approchées sous cinq formes différentes : un ensemble de pavillons standardisés avec jardin, une commune ouvrière en cours de gentrification, une gated community américaine, un bidonville indien et une « cité HLM ghettoïsée4 ». Les raisons qui ont présidé à l’installation de personnes dans ces espaces et leurs vécus sont fort dissemblables. Alors que certains se servent de leur logement comme d’un « support d’affirmation de soi et de distinction sociale », d’autres subissent leur relégation dans des quartiers déshérités qu’il leur est impossible de quitter, faute de moyens. La nature de l’entre-soi influencera l’expérience que les habitants feront de leur lieu de vie5. Dans les pavillons avec jardins, on se distinguera de ceux qui ne peuvent pas se permettre ce statut de propriétaire, en valorisant un cadre verdoyant et convivial, dans un « climat de sécurité et de confiance », dans un entre-soi protecteur à distance des grands ensembles. Dans les gated communities américaines, dont le modèle se diffuse à travers le monde, avec certaines adaptations, la « volonté d’éviter l’autre » amène à un « repli sur un entre-soi sécuritaire », dans une « ville hypersécurisée » dont témoignent les gardes privés, les caméras, murs, etc. Cette « quête de sécurité » poussée à son paroxysme conduit certains ensembles urbains à faire sécession afin de jouir d’une relative indépendance politique et administrative. Néanmoins, les attentes des habitants relatives à leur sécurité et à la valorisation de leurs capitaux les obligent à respecter des systèmes de règles extrêmement contraignants. Pour vivre dans un cadre sécurisant, apaisant et verdoyant, où les enfants peuvent jouer en toute confiance avec les voisins, ils sont prêts à s’enfermer loin de tout. Dans les cités HLM composées de grands ensembles, les constructions standardisées et massives sont en rupture avec le paysage. Ces espaces relégués, caractérisés par un entre-soi contraint de leurs habitants, créent un environnement où « chacun tente de sauver la face, et de s’inventer une identité personnelle la plus favorable et valorisante possible en se comparant à plus « pauvre », plus « paumé » que soi. » (p. 105). Tandis que certains ont fui la ville, d’autres la réinvestissent, participant à des processus de gentrification d’espaces à l’importante charge mémorielle, tel que Levallois-Perret en banlieue parisienne. Alors que l’activité industrielle « a durablement marqué la ville, déterminé sa spécialité, organisé son territoire et défini son identité. » (p. 46), les remplacements successifs de la population s’accompagnent d’« un processus de tertiarisation, mais également de quaternisation » (p. 50) qui rend la ville inaccessible et étrangère à ses anciens habitants.

5Les bidonvilles, dont Dharavi (présenté dans ce livre) en constitue une forme parmi d’autres, sont les produits d’une importante « urbanisation informelle » où l’entassement et la précarité des conditions de vie sont redoublés du risque de voir ce que l’on a construit disparaître à tout moment, balayé d’un revers de la main par les autorités au gré des opérations de « réhabilitation » et de la hausse des prix du foncier. Les mégalopoles des pays en voie de développement s’étendent au gré des arrivées de ruraux, leurs banlieues concentrant la pauvreté. Les pouvoirs publics qui s’en étaient désintéressés voient désormais l’opportunité d’utiliser ces espaces pour continuer l’intégration de leurs villes dans « le réseau mégalopolitain mondial », ce qui demande de « libérer » ces espaces. À différents niveaux, les autorités jouent toujours un rôle, que ce soit par leurs actions ou leur inaction intéressée. C’est le cas en France lorsque l’Etat décide de bâtir des quartiers standardisés à grande échelle, mais également dans les politiques de « rénovation urbaine » qui débouchent sur des quartiers en cours de gentrification qui permettent d’augmenter les recettes fiscales. Cet enjeu des recettes fiscales a aussi permis la sécession d’ensembles urbains aux Etats-Unis.

6Ensuite, le centre commercial et la megachurch « à la française » présentés dans les deux dernières parties de l’ouvrage témoignent de la logistique qui s’est développée autour de la vie en banlieue ; répondant aux attentes d’une civilisation de la voiture vivant dans le confort d’une « bulle aseptisée ». Ces installations émanent de l’étalement urbain et y participent également. Les centres commerciaux ne sont qu’une « pâle copie de la réalité » (p. 118), édifiés pour répondre aux besoins, d’accès notamment, d’un nombre grandissant de banlieusards. Les megachurches offrent, « à l’image des centres commerciaux implantés dans les périphéries des villes, tout un ensemble de commodités et de services annexes au culte. » (p. 134). Elles garantissent un entre-soi protecteur, rappelant en partie, selon les auteurs, les gated communities, en ce sens qu’elles sont des « enclaves sécurisées visant à protéger leurs membres d’un monde jugé dangereux et peu vertueux » (p. 139). Il s’agit d’un espace fermé, où l’on se sent bien, un abri où se retrouver en quête d’identité. Reflet de leur époque, « les megachurches sont aux villes globales d’aujourd’hui ce que les cathédrales étaient dans les métropoles régionales d’hier. » (p. 145).

  • 6  L. Francou, « Elisabeth Pélegrin-Genel, Une autre ville sinon rien », Lectures [En ligne], Les com (...)
  • 7  « Vers la ville insulaire ? », Espaces et Sociétés, n° 150, 2012, Erès.
  • 8  L. Francou, « « Vers la ville insulaire ? », Espaces et Sociétés, n° 150, 2012 », Lectures [En lig (...)
  • 9  R. Dodier (dir.), Habiter les espaces périurbains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
  • 10  M. Berger, « Entre mobilités et ancrages : faire territoire dans le périurbain », Métropolitiques, (...)

7Pour finir, on peut regretter que les auteurs n’explicitent pas plus leur méthodologie ; notamment en n’indiquant pas à partir de quels matériaux ils ont construit ces sept récits. Alors que « nous entrons probablement dans l’ère des banlieues, pour le meilleur et pour le pire… » (p. 17), les auteurs posent la question du modèle de ville à promouvoir désormais : continuer cet élargissement de l’urbain ou, au contraire, en revenir à l’idée d’une ville horizontale et dense comme y invite E. Pélegrin-Genel6. Il serait intéressant de prolonger ce livre par la lecture d’ouvrages plus spécifiques tels que le numéro 150 de la revue Espaces et Sociétés7 où différents auteurs s’interrogent sur l’ « insularisation » de la ville et la disparition progressive de pans entiers de l’espace public urbain ce qui produit « de nouveaux types de pratiques urbaines, l’expérience de la ville est transformée »8. Et aussi l’ouvrage Habiter les espaces périurbains9 qui tente de « déconstruire cette image d’homogénéité et de fermeture sur soi attribuée à tort par certains auteurs à l’ensemble des habitants des communes périurbaines »10.

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Notes

1  Y. Vamur, « Maylis de Kérangal : « Les banlieues peuvent devenir de véritables lieux de désir » », Liberation.fr, 08/12/2012, consulté le 17/01/2013. URL : http://www.liberation.fr/evenements-libe/2012/12/08/maylis-de-kerangal-les-banlieues-peuvent-devenir-de-veritables-lieux-de-desir_866146

2  Dont voici les ouvrages communs les plus récents : Mythologie des cités-ghettos, Paris, Le Cavalier Bleu, 2009 ; La Ville au risque du ghetto, Paris, Lavoisier, 2010 ; Sociologie urbaine, Paris, Armand Colin, 2010 ; Les Grandes Questions sur la ville et l’urbain, Paris, PUF, 2011.

3  « On confond souvent ceinture périphérique et quartiers sensibles. Tous les quartiers sensibles ne sont pas dans les banlieues. (…) À l’inverse, toutes les ceintures ne sont pas des quartiers sensibles. » [H. Vieillard-Baron lors du débat « les banlieues, lieux dépassés ou territoires d’avenir ? », Café Géographique du 01/04/2011, consulté le 17/01/2012. URL : http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2156]

4  Quartier « en voie de ghettoïsation, dans le sens où on observe une forte homogénéité des locataires quant à leur situation financière, sociale, psycho-affective somme toute peu enviable. » (p. 109).

5  Voir à ce propos J. Donzelot, « La ville à trois vitesses : relégation, périurbanisation, gentrification », Esprit, n° 303, 2004, pp. 14-39.

6  L. Francou, « Elisabeth Pélegrin-Genel, Une autre ville sinon rien », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 06/12/2012, consulté le 18/01/2013. URL : www.lectures.revues.org/10080

7  « Vers la ville insulaire ? », Espaces et Sociétés, n° 150, 2012, Erès.

8  L. Francou, « « Vers la ville insulaire ? », Espaces et Sociétés, n° 150, 2012 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 18/10/2012, consulté le 18/01/2013. URL : www.lectures.revues.org/9547

9  R. Dodier (dir.), Habiter les espaces périurbains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.

10  M. Berger, « Entre mobilités et ancrages : faire territoire dans le périurbain », Métropolitiques, 11/01/2013, consulté le 18/01/2013. URL : www.metropolitiques.eu/Entre-mobilites-et-ancrages-faire.html

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lionel Francou, « Hervé Marchal, Jean-Marc Stébé, Les Lieux des banlieues. De Paris à Nancy, de Mumbaï à Los Angeles », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 janvier 2013, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/10422 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.10422

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