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Max Linder, Max Linder. Dix courts métrages (1910-1915)

Christophe Premat

Texte intégral

1Un ensemble de courts-métrages représentant des scènes comiques de la vie bourgeoise, telle pourrait être la première impression du spectateur. Ces dix courts-métrages entre 1910 et 1915 constituent un témoignage précieux de la carrière d´une des premières grandes vedettes internationales du cinéma, Max Linder. Malheureusement, une grande partie des films tournés par Max Linder n´a pu être retrouvée mis à part ces dix courts-métrages comiques. Jean-Marie Sénia les a mis en musique, ce qui fait ressortir leur profonde originalité.

2Tous les courts-métrages mettent en scène le personnage de Max avec des effets de mise en abyme autobiographique (Les Débuts de Max au cinéma, Max et Jane veulent faire du théâtre). Max est un séducteur astucieux tentant d´arriver à ses fins et d´approcher sa bien-aimée malgré les obstacles (beau-père, belle-mère, etc.). Le registre de la farce et du grotesque se retrouve dans les déclarations d´amour manquées (Max en convalescence), l´image de la belle-mère trop présente (Max et sa belle-mère), le beau-père jaloux et difficile à convaincre (Max pédicure), les essais désespérés de prouver sa valeur par le sport (Max a peur de l´eau). Paradoxalement, le grotesque est traité de manière très légère tant le mouvement de ces courts-métrages surprend. Le mouvement est omniprésent même à des moments inattendus. Ainsi, dans Max prend un bain, Max achète une baignoire à des fins thérapeutiques pour soigner ses tics, mais dans sa chambre, il n´y a pas de robinet. Il pose ainsi sa baignoire dans un hall fréquenté ce qui nuit à l´ordre public. Les policiers transportent cette baignoire avant que Max ne les arrose et ne s´enfuie avec sa baignoire. Les plans deviennent précis et en même temps irréalistes, puisque Max escalade un mur avec sa baignoire pour atteindre une fenêtre ouverte. La paroi est ramenée à une vue de dessus, les policiers s´entassant comme des fourmis pour poursuivre Max. Le mouvement se retrouve dans d´autres courts-métrages lorsqu´il fait du patin à glaces avec son épouse à Chamonix (Max et sa belle-mère).

3Il y a une accélération intéressante dans ces courts-métrages, la vitesse étant un élément constitutif du personnage de Max. Le train apparaît à plusieurs reprises (Les vacances de Max, Max et sa belle-mère) tout comme les chevaux ainsi que d´autres métaphores du transport (Entente cordiale). Tout se passe comme si la technique présente dans ces transports participait à la conception même du court-métrage. On se transporte d´un endroit à un autre, d´une scène à une autre grâce à la vitesse qui par le même coup rend la farce plus légère. Le medium cinématographique devient ainsi encore plus réel puisque la farce révèle un microcosme social. Selon Siegfried Kracauer, « comme la photographie, le film tend à rendre compte de tous les phénomènes matériels qui sont à portée de l’objectif. En d’autres termes, c’est comme si ce medium était mu par le désir chimérique de manifester l’existant matériel dans son continuum »1. La bourgeoisie est ainsi perçue dans ses habitus profonds, avec le mariage comme investissement social et économique. Max vante ses mérites et se présente comme étant un bon parti à prendre, mais il ne correspond pas aux canons du milieu, d´où les résistances de la belle-famille. Les loisirs sont également traités de manière récurrente avec les vacances d´hiver (Chamonix), les hôtels, les restaurants, la natation et le tennis. La classe bourgeoise est présentée à travers ses loisirs et ses rituels (galanterie, compagnie, politesse, pédicure).

4La force du comique tient à la manière dont les symboles forts de cette bourgeoisie sont détournés. La bien-aimée, choyée et surprotégée par ses parents est recluse dans un appartement où il faut essayer de l´approcher. Max se retrouve à jouer les pédicures pour glisser un mot à sa dulcinée et échapper à l´emprise du beau-père inflexible. Il devient malgré lui le pédicure du beau-père et les relations difficiles sont concentrées autour de ce pied masculin torturé par Max.

5Les scènes intimes de baignoire sont très vite détournées de leur fonctionnalité. La baignoire n´est plus le lieu où l´on prend soin de soi, elle constitue une cachette idéale comme dans Les vacances de Max lorsque Max éprouve des difficultés à annoncer son mariage à son oncle. Son oncle lui avait proposé des vacances de célibataire car il ne savait pas que Max s´était marié. Dans le même temps, la femme de Max est extrêmement maltraitée puisque pour échapper aux aveux de Max à son oncle, elle est enfermée dans la valise (motif irréaliste et comique), puis dans la cheminée avant d´atterrir dans la baignoire de l´oncle. Les relations familiales du microcosme bourgeois sont perverties, d´où la maltraitance de la mariée et la belle-mère ridiculisée. Le mariage a une visée familiale et même lorsqu´il est concrétisé (l´alliance de Max), il faut pouvoir se débarrasser des autres membres familiaux (venue de la belle-mère, invitation de l´oncle de Max à des vacances de célibataire). La scène qui va le plus loin dans le détournement du mariage et de l´amour est certainement Max a peur de l´eau. Max n´arrive pas à nager et celle qu´il désire lui pose un défi : elle jette une bague dans l´eau profonde et ne se mariera que s´il lui ramène cette bague. Max est désespéré, il se sent perdu. Dans le même temps, un pêcheur attrape un poisson ayant avalé la bague. Le poisson arrive au restaurant dans le plat de Max qui devient fou de joie car il peut ainsi reconquérir sa bien-aimée. Le motif de cette bague presque avalée est symptomatique : Max a failli manger symboliquement sa bien-aimée, le poisson sorti de la pêche miraculeuse (avec des motifs bibliques évidents) devenant synonyme de libération.

6Ces courts-métrages, au-delà de l´intérêt historique d´une époque (débuts de la cinématographie), mettent en évidence tous les obstacles dressés entre Max et ses amours. Max nous fait d´ailleurs penser au valet de Jacques le Fataliste de Diderot, celui qui raconte ses amours tout au long de l´œuvre et révèle ses ruses pour conquérir les femmes.

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Notes

1  Siegfried Kracauer, Théorie du film, la rédemption de la réalité matérielle, Paris : Éditions Flammarion, 2010, p. 113.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Premat, « Max Linder, Max Linder. Dix courts métrages (1910-1915) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 17 janvier 2013, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/10399 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.10399

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Rédacteur

Christophe Premat

Attaché de coopération éducative et linguistique á l´Institut francais de Suède

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