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Laura Maxim, Gérard Arnold (dir.), « Les chercheurs au coeur de l'expertise », Hermès, n°64, 2012

Emilien Schultz
Les chercheurs au coeur de l'expertise
Laura Maxim, Gérard Arnold (dir.), « Les chercheurs au coeur de l'expertise », Hermès, n°64, 2012, 244 p., CNRS, ISBN : 978-2-271-07558-1.
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Texte intégral

1La science, et par là les chercheurs, possèdent dans nos sociétés une légitimité historiquement constituée à dire le vrai sur le monde. Dans une actualité qui ne cesse de voir se constituer des sources d’incertitude ou de controverse, la science académique est convoquée pour son expertise. Ce numéro de l’Institut des sciences de la communication du CNRS coordonné par Laura Maxim et Gérard Arnold se consacre à démêler et illustrer les relations entre l’univers de la recherche académique et celui de l’expertise scientifique. « Inévitablement, les contextes et les usages différents de la connaissance influencent son processus de production et son impact dans la société » (4e de couverture). En fait, nous y reviendrons en conclusion après avoir présenté le numéro, la diversité de ces contributions dépasse et ouvre la question de la relation entre science et expertise pour interroger ce que « l’expertise veut dire » aux différents niveaux des acteurs concernés, et ceci à travers le prisme de différents points d’entrée.

2L’expertise scientifique, définie comme « la production de connaissances intégrées à des processus de prise de décision de différentes natures (politique, économique, judiciaire » (p. 5) par des chercheurs, est abordée à travers 28 textes distribués sur trois thématiques : les critères de choix des experts et les enjeux financiers, l’expertise institutionnalisée et l’expertise dans l’arène du jeu démocratique. Mais il est aussi possible, et plus heuristique, de saisir les différentes contributions autour de trois questions transversales qui en émergent : Comment les producteurs de connaissances scientifiques s’adaptent à la demande croissante de l’expertise ? De quelle manière l’expertise, entendue comme un  processus, peut-elle être organisée pour être efficace? Quelles sont les conditions permettant ou limitant le fonctionnement démocratique de l’expertise ? La revue étant pluridisciplinaire et ouverte sur la société, des éléments de réponse à ces interrogations sont apportés par des auteurs d’origines diverses : chercheurs académiques issus des sciences sociales bien entendu, mais aussi représentants d’organismes de recherche, juriste, apiculteur ou journaliste … Et ceci dans  une diversité de formats, du simple encadré d’information sur les processus de sélection d’experts au témoignage d’engagement personnel en passant par l’article de revue.

3« Petit voyage au pays de l’expertise, où il sera question d’abeilles et de toxicologie, mais aussi d’institutions privées et publiques, de délégation de missions et de la légitimité de chacun » (Kievitz, p.127)… Traversant les différentes contributions du numéro, l’aspect processuel, et par cela construit, de l’expertise est mis en avant. Cette dimension déplace donc la question de la compétence détenue par les scientifiques pour poser celle de la manière dont l’expertise est le résultat des mécanismes qui la produisent. Cette approche s’inscrit dans une conception pragmatique de la production des savoirs, en l’identifiant à la « coordination d’acteurs sociaux aux logiques et aux représentations hétérogènes » autour d’une co-définition des problèmes (Bouillon, p.20). Pierre-Benoît Joly replace cette approche dans la lecture plus générale opérée par des travaux des STS sur l’expertise qui oppose la naturalisation de l’expertise à sa conception comme co-construction contextualisée, cette dernière approche proposant d’ « accepter que l’expertise soit un processus dans lequel les connaissances gagnent en robustesse lorsqu’elles sont mises à l’épreuve » (Jolly, p.22). Cette mise en forme de processus est illustrée tout au long du numéro à travers des exemples variés, témoignant à chaque fois d’une recherche de compromis entre les situations particulières dans lesquelles se constituent les problématiques (l’expert au tribunal, à l’OMC, à l’INSERM, Anses, CNES, IRD ou au CNRS, dans le domaine de la toxicologie ou de l’apiculture …) et l’apport de réponse. Chaque contexte d’expertise apporte ses contraintes. Ainsi, « le postulat de l’OMC est que le libre-échange étant universellement positif, aucun produit ne saurait être exclu de la libre circulation à moins que sa dangerosité ne soit prouvée par une évaluation des risques s’appuyant sur des preuves scientifiques » (Bonneuil, Levidow, p.37). Et au final, le processus d’expertise retenu détermine dans une certaine mesure les jugements produits. Le lecteur pourra entre autre suivre et comparer le déroulement d’une expertise à l’OMC ou à l’INRA (Dessaux).

4Organiser de manière efficace l’expertise se pose pour les opérateurs de recherche, qui ont vu l’inscription de cette mission dans leur feuille de route durant la dernière décennie. Des chartes d’expertise et des descriptions de formalisation possibles, présentées dans diverses contributions, ont en commun de mettre en avant des valeurs similaires qui dessinent le périmètre de la « bonne expertise » : la transparence, la régulation des conflits d’intérêts, l’aspect collectif et contradictoire. Elles introduisent aussi pour la plupart la question de la qualité, et proposent de la formaliser : « En réponse à des besoins émergents, plusieurs institutions situées à l’interface entre communauté scientifique et monde politique ont adopté des approches d’évaluation de la qualité de la connaissance intégrant des méthodes à la fois formelles et réflexives » (Van der Sluijs, Petersen, Janssen, Risbey, Ravetz, p. 166). Cette tendance semble s’inscrire dans une rationalisation de l’expertise. En contrepoint avec ces bonnes pratiques, Laura Maxim et Gérard Arnold font une intéressante synthèse des facteurs liés aux conflits d’intérêts pouvant modifier la production de l’expertise. Les dépendances financière des recherches ou des stratégies d’acteurs pour occuper le terrain en finançant des recherches orientées contribuent ainsi produire des biais dans l’expertise.

5La spécificité de l’expertise scientifique étant justement de traduire des connaissances produites selon la logique de la recherche académique vers la sphère de l’action publique, la question se pose donc en dernier recours de la place qu’elle occupe dans le fonctionnement du jeu démocratique. Le récit que donne Janine Kievitz, apicultrice, de la bataille menée par les apiculteurs pour faire reconnaitre leur expertise au sein des instances européennes réglementant les pesticides fait apparaître les frottements qui préviennent l’exercice d’une expertise scientifique libre et sereine. Incertitudes et limites des connaissances scientifiques, asymétrie financière entre les acteurs (ici les multinationales et les apiculteurs), manque de légitimité des compétences non-scientifiques détenus par les praticiens, complexité des rouages administratifs (abordé aussi par Mélanie Dulong de Rosnay et Laura Maxim dans un autre article) et jeux de pouvoirs participent à l’aspect ambigu et multidimensionnel de l’expertise tout en posant la question des formes de régulation nécessaires pour son exercice. De la même manière que la connaissance ne s’impose pas d’elle-même, l’expertise scientifique se déploie péniblement pour permettre la construction d’une arène démocratique, ce qu’illustre le récit de l’établissement d’un réseau d’experts-militants de la biodiversité œuvrant pour la diffusion des informations (Foyer).

  • 1  Technology, Enterntainment, Design

6En introduction, j’ai suggéré que les contributions de ce numéro participent plus à constituer un paysage des représentations sur l’association entre expertise et science qu’à saisir les relations entre recherche académique et expertise scientifique. L’analyse de Peppino Ortoleva sur l’appellation de « gouvernement d’experts » donné au rassemblement de Mario Monti en Italie, ou les brèves contributions sur la conférence TED1, l’éthique du journaliste confronté à un rapport d’expert ou encore sur l’association d’une connotation spectaculaire à la notion d’expertise, comme en témoigne les séries télévisées autour des « Experts », traduisent la polysémie de cette expertise scientifique dans l’espace social. Au côté des déclarations de principe par les organismes de recherche – voire incantatoires et iréniques -  sur la bonne manière d’organiser l’expertise  collective, l’aspect résolument tourné vers des considérations économiques de la définition de l’expertise au CEA, les rapports de pouvoirs et économiques sur la question de la réglementation des polluants, les différents niveaux de légitimité des acteurs en lien avec leur mandats institutionnellement établis, et les engagements citoyens pour faire entendre leur voie, jusqu’à la qualification  « Les Experts » accordée à l’équipe française de handball ou aux détectives de séries policières, c’est l’image de l’expertise scientifique qui est interrogée sous ses divers aspects, et par différentes entrées.

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Notes

1  Technology, Enterntainment, Design

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Pour citer cet article

Référence électronique

Emilien Schultz, « Laura Maxim, Gérard Arnold (dir.), « Les chercheurs au coeur de l'expertise », Hermès, n°64, 2012 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 décembre 2012, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/10224 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.10224

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