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2. Tomoa / Tome 2
Articles / Artikuluak

Enseigner l’occitan, langue-culture en lycée : des textes et une expérience professionnelle

Marie-Jeanne Verny
p. 359-368

Entrées d’index

Thèmes :

didactique
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Texte intégral

1Une des convictions que, je crois, nous partageons, Jon Casenave et moi, c’est qu’on n’enseigne pas une langue sans enseigner conjointement la culture qu’elle porte. Et pour tous les deux qui nous sommes découvert un même itinéraire de formation et d’exercice (agrégation de lettres modernes et formation en langue régionale, enseignement en lycée puis à l’université), nos littératures – basque et occitane – sont un des éléments fondamentaux qui ont fait partie de nos enseignements. J’espère avoir un jour l’occasion de lire une compilation des travaux de Jon sur cette question et peut-être une synthèse de la réflexion qui était la sienne – nous en avons plusieurs fois parlé – concernant les implications pédagogiques et didactiques de son analyse.

2En hommage à Jon, je voudrais proposer ici quelques éléments de ma propre réflexion sur le cas occitan et aussi quelques exemples éprouvés de mes pratiques en matière d’enseignement associé de langue et de littérature. Ces choix pédagogiques sont en grande partie inspirés de mon vécu : j’ai découvert par le hasard d’un cours d’occitan au lycée que la langue qu’on allait m’enseigner était le « patois » de la maison, que nos parents s’étaient bien gardés de nous parler : ils ne voulaient pas que nous subissions, à l’école, les humiliations qu’ils avaient eux-mêmes subies. La prise de conscience, en classe de seconde, qu’il y avait dans cette langue une riche littérature m’a ouvert une nouvelle porte vers un autre imaginaire. Dès que les hasards de ma carrière de professeure du second degré m’ont ramenée en pays d’oc, après quatre ans d’exil lorrain, j’ai aussitôt enseigné l’occitan et je n’ai cessé de le faire depuis, dans un cadre scolaire, universitaire ou associatif. Et je pense pratiquer un enseignement de langue vivante, et même en faire une langue de communication, une langue pour agir. Mais j’affirme qu’une grande partie des supports que j’emploie, de nature littéraire, non seulement ne sont pas un obstacle à la communication mais encore qu’ils l’enrichissent.

1. L’appauvrissement des contenus culturels enseignés et de la curiosité littéraire des enseignants

3Je vais commencer par un constat : je suis bien souvent étonnée, voire irritée, par les tendances à enseigner les langues en partant essentiellement de leur intérêt communicationnel, et, plus récemment, dans une perspective dite « actionnelle ». Non que je ne comprenne, pour l’avoir pratiquée moi-même, l’intérêt d’une pédagogie de projet, qui consiste à rendre les élèves ou étudiants acteurs de leurs apprentissages linguistiques. Ni, bien évidemment, que je conteste l’intérêt d’apprendre pour faire. Cependant je réfute le fait qu’une solide culture littéraire aurait automatiquement pour corollaire la conception d’un enseignement coupé de la vie. Je prétends que la plupart des élèves ne trouveront pas ailleurs qu’à l’école la révélation de la richesse des productions en langues régionales et que, faute de cette révélation, et en l’absence d’une normalisation de leur usage en société, qu’on peut bien entendu souhaiter et que l’on ne cesse de revendiquer, il serait criminel de les priver de la rencontre avec l’expression littéraire portée par ces langues.

4Certes, nos collègues enseignants sont nombreux à construire des projets dont le contenu a été pensé, pour lequel les « apprenants » (j’utilise ce mot que je n’aime pas pour désigner élèves et étudiants) sont destinataires d’éléments culturels émanant de la langueculture qu’ils apprennent, porteurs de réflexion, de poésie, stimulant l’imagination. Dans le site de la FELCO, j’en ai moi-même compilé et mis en ligne un certain nombre1. Mais cette exigence de contenu culturel des enseignements de langue régionale me semble encore insuffisamment présente. Combien d’enseignants, par exemple, lisent les dernières parutions littéraires pour y pêcher des textes modernes, contemporains, qui feraient parler les élèves ? Combien sont abonnés aux revues de littérature ? Combien fréquentent les événements organisés autour de la littérature (rencontres avec les auteurs, représentations théâtrales…) ? Hélas, les nouvelles définitions des concours n’incitent pas particulièrement les candidats à se construire une solide culture littéraire…

2. Le rôle de l’institution – programmes et concours

5Les programmes des langues régionales ont été alignés sur ceux des langues vivantes étrangères. Il y a là une vraie bonne idée, qui place ces langues régionales dans les mêmes cadres que les autres langues vivantes. Ces programmes reposent sur de grandes notions de civilisation dont le développement est riche de suggestions d’applications pédagogiques.

6On pourrait cependant faire une objection à cet alignement mécanique des langues dites « régionales » sur les langues étrangères qui disposent d’un statut officiel : il suppose une vision idéalisée de la situation sociolinguistique des langues régionales, qui ignore que ces langues sont en situation de minoration. Le fait que les programmes des langues régionales ne comportent aucune réflexion de type sociolinguistique révèle une ignorance nocive des recherches scientifiques de la fin du XXe siècle. Certes, bon nombre de textes littéraires emploient l’occitan de façon totalement fictive dans des situations de communication qui ne se trouvent pas dans la réalité, mais la critique – et les auteurs eux-mêmes qui sont souvent aussi des critiques – savent fort bien qu’il s’agit là d’un artifice, lequel est même parfois dévoilé au cœur même de la fiction : les considérations métalinguistiques abondent dans notre littérature, alors même qu’elles sont rares dans les littératures en langues dominantes. Qu’on me comprenne bien : je ne prétends pas que le cours d’occitan doive être un cours de sociolinguistique ni – horresco referens – l’antichambre de protestations revendicatives. Je prétends seulement que l’enseignant devrait être formé à la réflexion sociolinguistique.

  • 2 Ce qui figure sur le site du Ministère est hélas trop souvent lapidaire…

7D’une manière générale, les programmes scolaires guident la définition des épreuves des CAPES et certaines de l’agrégation. Or, s’il est aisé de trouver sur des sites institutionnels les programmes des enseignements de spécialité, il est en revanche difficile de trouver les programmes – ou documents d’accompagnement spécifiques – pour les autres formes d’enseignements… On peut le regretter parce que, sur la base des généralités figurant dans les programmes des EDS et une fois complétées les références bibliographiques des ouvrages conseillés2, on aurait pu concevoir des programmes allégés prenant appui sur les notions présentées dans les programmes de toutes les langues vivantes et intégrant la référence à des œuvres littéraires, comme c’est le cas pour des langues vivantes étrangères

8Cela étant, il est possible de réfléchir à partir des programmes « de langues vivantes de seconde générale et technologique, enseignements commun et optionnel » tels qu’ils sont définis sur le site du Ministère3 puisqu’ils constituent la base de toutes les langues vivantes4, même s’il est souvent nécessaire de rappeler que le syntagme « langue vivante » peut se décliner en « étrangère » ou « régionale », comme on aimerait le voir systématiquement rappelé dans les textes officiels. L’essentiel de ces programmes officiels consiste en le rappel de ce qui les sous-tend, à savoir le CECRL (Cadre européen commun de référence pour les langues) et ses différents niveaux de compétences dans les diverses activités travaillées (écouter et comprendre, parler en continu, réagir et dialoguer, lire et comprendre, écrire). Comme il se doit, le texte décline les apprentissages devant être travaillés dans un cours de langue vivante, au niveau linguistique (vocabulaire, grammaire, phonologie, écriture), avant de décrire, toujours en référence au CECRL « Les activités langagières et leur évaluation » : réception, production, interaction, médiation. Est ensuite abordée la « formation culturelle et interculturelle ». C’est dans ce cadre que sont énumérées les notions au programme, appelées « Axes ». Il y en a 8 : Vivre entre générations, Les univers professionnels, Le monde du travail, Le village, le quartier, la ville, Représentation de soi et rapport à autrui, Sports et société, La création et le rapport aux arts, Sauver la planète, Penser les futurs possibles, Le passé dans le présent. Pour chacun de ces axes, des suggestions de développement très pertinentes sont faites.

9Enfin, le texte propose des suggestions sur l’organisation de l’enseignement. Significativement, après un préambule que je qualifierais d’ouvert et dynamique, cette partie du document s’ouvre sur le numérique, ce qu’on peut comprendre, étant donné la place qu’il tient pour un élève du XXIe siècle. C’est dans le cadre des supports de l’enseignement qu’on voit apparaître la littérature dans une perspective comparatiste qui est aussi celle de nombreuses épreuves des concours (CAPES ou agrégation) : « Au quotidien, l’enseignant sélectionne des documents authentiques de toute nature (textuels, iconographiques, audio, vidéo...) qui peuvent s’inscrire dans des champs disciplinaires variés (littérature, art, histoire, géographie, politique, sociologie, économie, sciences...). La mise en regard de ces supports permet à l’élève d’appréhender un sujet de manière de plus en plus complexe et nuancée. Une peinture peut éclairer un texte, un article de presse peut expliciter un texte littéraire, une photographie peut entrer en résonance avec un poème, un texte littéraire peut être comparé à son adaptation filmée… ».

10Il faut consulter les programmes particuliers de telle ou telle langue pour y découvrir – ou pas – quelques suggestions de lectures associées aux axes. C’est le cas par exemple en espagnol5, en italien6 ou en portugais7.

11Les programmes des CAPES de langues sont parfois assortis de conseils de lectures avec indication d’une bibliographie d’œuvres supports. Or, force est de constater que la quantité d’œuvres indiquées varie énormément d’une langue – étrangère ou régionale – à l’autre, allant d’une absence totale à une longue liste. L’occitan-langue d’oc se situant dans une certaine moyenne avec une œuvre pour chacune de ses grandes périodes littéraires – Moyen-âge, époque baroque, renaissance du XIXe siècle, époque contemporaine –. Bien entendu, les œuvres sont mises au service des notions au programme et pas l’inverse… Or, pour la littéraire que je suis, l’œuvre est première, elle est originale et complexe et il est dommage de la corseter dans ces rapports avec telle ou telle notion. En revanche, la perspective comparatiste sur laquelle reposent les programmes entre documents de nature différente me semble très riche et aussi très exigeante. Pour avoir préparé des candidats aux concours du CAPES ou de l’agrégation qui devaient composer sur des épreuves de ce type, j’ai pu éprouver la difficulté de l’exercice qui suppose la maîtrise d’outils et compétences de natures très variées. Même s’il ne s’agit pas de s’attarder, dans ce cadre, sur l’analyse de tel ou tel document prenant en compte le fond et la forme, une compréhension minimale des documents proposés me semble un préalable à leur mise en relation. Or, j’ai vu des prestations qui révélaient un manque évident de pratique de l’analyse, qu’il s’agisse de textes littéraires, d’œuvres d’art ou d’extraits de films. Même l’image publicitaire, apparemment transparente, repose sur un travail complexe, comme en témoignent les études des sémiologues. J’ai donc été amenée à me demander si, sous l’apparence de pratiques pédagogiques plus attractives, ce dont je conviens bien volontiers, on n’avait pas, en réalité, compliqué la tâche des enseignants sans que la formation initiale et continue soit ou puisse être à la hauteur.

3. La littérature dans les outils des enseignants d’occitan en lycée

  • 8 Òc-ben ! première année d’occitan, 2003 et Òc-ben ! deuxième année d’occitan, 2004, sous la directi (...)
  • 9 C’est le terme employé par les auteurs du manuel.

12Le dernier manuel en date, Òc-Ben8, date de 2005. Il est composé de deux volumes correspondant à deux années d’apprentissage, et volontairement construit dans le respect de quatre des grandes variétés de l’occitan, tout en ménageant des « travèrsas »9 qui montrent l’unité de la langue au-delà des variantes dialectales. Les deux volumes font une grande place à la littérature. Je tiens à saluer ici l’équipe de collègues qui ont fait un travail remarquable, non seulement en matière de réflexion pédagogique et didactique, mais aussi, pour ce qui m’intéresse ici, en matière de mise à disposition des enseignants d’une riche matière littéraire : Gilles Arbousset, Éric Astié, Dominique Decomps, Philippe Gardy, Patric Guilhemjoan, JeanMarie Sarpoulet, Miquèla Stenta, et Claire Torreilles.

13Les textes réunis sont nombreux, de genres et d’époques très variés, et ils couvrent les grandes zones de l’espace d’oc. La progression a été construite essentiellement à partir des apprentissages linguistiques, même si celle-ci est complétée, comme l’indique, par exemple, le tableau de la « progression pedagogica » du deuxième volume par l’inventaire des fonctions langagières, des thèmes (documents et textes supports) et des points de civilisation occitane.

14Hélas, rien ne se profile à l’horizon en matière de constitution d’équipes destinées à concevoir un nouveau manuel qui concilierait la richesse de la matière collectée et les nouveaux programmes. Sachant l’investissement intellectuel et matériel qui a permis l’édition des deux volumes d’Òc-ben !, ne pourrait-on pas songer, dans un premier temps, à un inventaire des documents réunis et à des fiches d’accompagnement permettant d’insérer cette riche matière dans le cadre des nouveaux programmes ?

15Quoi qu’il en soit, faute de documents disponibles « didactisés » selon la formule en vigueur, et organisés à l’intérieur d’une méthode pensée pour sa cohérence, les enseignants expriment très souvent leur désarroi devant l’absence d’outils pédagogiques.

4. La littérature occitane au centre d’une pédagogie du projet

  • 10 Mais cette situation est celle de tous les enseignements optionnels, à commencer par les langues de (...)

16Certes, mon expérience d’enseignante de lycée est singulière mais je sais qu’elles le sont toutes, tant nous sommes loin d’une normalisation de notre enseignement, en termes de respect des horaires réglementaires comme en termes d’offre optionnelle dans tous les bassins de formation… Hélas, au moment où j’écris ces lignes, jamais les effectifs n’ont été aussi faibles10. C’est n’est pas la quelque quinzaine d’élèves qui suivent l’enseignement de spécialité au niveau de nos huit académies – lequel dispose de programmes – qui peut servir, hélas, de norme.

  • 11 Devenues entre-temps « sciences et technologies du management et de la gestion » (STMG).

17Je livre ici ces quelques souvenirs. J’ai donc enseigné l’occitan dans un lycée nîmois où j’occupais une fonction principale de professeure de lettres, – de 1985 à 1998 – à une époque où la grande majorité des cours ouverts consistait en la préparation d’une épreuve facultative du baccalauréat. Je précise qu’il s’agissait d’un lycée général et technologique avec des sections très variées, et que mon enseignement d’occitan et de lettres s’adressait à la fois à des sections très sélectives, comme les Arts Appliqués, à des sections bien moins élitistes comme les sections G de l’époque11 en passant par des sections littéraires. Les effectifs d’occitan étaient d’une centaine d’élèves.

18Mes enseignements optionnels d’occitan étaient donnés en dehors de tout programme de référence. L’objectif était la préparation d’une épreuve qui consistait en la présentation à l’oral d’un texte choisi dans une liste de quinze à vingt. L’heure hebdomadaire que durait le cours était essentiellement fondée sur des échanges oraux, l’écrit se résumant à la compréhension des textes donnés aux élèves accompagnés d’un ensemble d’exercices à leur sujet. Il s’agissait alors de les faire parler sur les textes lus, à l’aide d’exercices de compréhension-reformulation, puis de susciter des échanges sur les contenus des textes. Dans ce cadre d’une heure hebdomadaire il est évident que l’analyse littéraire était inenvisageable, l’objectif « bac » étant premier, comme le savent tous les enseignants qui ont préparé les anciennes « options facultatives » permettant de gagner des points au bac.

  • 12 Le Tour de la France par deux enfants, Augustine Fouillée-Tuillerie, publié sous le pseudonyme de G (...)
  • 13 À propos de Roland Pécout, dont une partie de l’œuvre a fait l’objet de ma thèse de doctorat, on po (...)

19Cependant, à cet enseignement « utilitaire » j’ai toujours associé la construction de projets pédagogiques au centre desquels j’ai placé l’œuvre littéraire et les échanges avec des écrivains vivants. Ainsi, le roman de Roland Pécout, L’Envòl de la Tartana, publié par le CRDP de Montpellier en 1986, m’a-t-il longtemps servi de support principal. Écrit sur commande de Philémon Pouget, animateur pédagogique en occitan, ce roman avait été pensé dans l’esprit du Tour de France par deux enfants12, dont on sait la fortune pédagogique. Le personnage principal, était un tout récent bachelier, Pèire-Joan, que des aventures entre roman policier et sciencefiction amenaient dans diverses régions du pays d’oc et en Catalogne. Ce récit initiatique, comme l’imposait le cahier des charges, présente des lieux de l’espace occitan, revisités à travers le regard poétique de l’écrivain et dont la plupart éveillent des échos avec d’autres œuvres. Citons pêle-mêle le Larzac, le plateau de Gordes dans le Vaucluse, les châteaux cathares, les villes de Toulouse ou de Marseille.13 Ma liste de bac a comporté, plusieurs années durant, une partie importante de textes issus de cette œuvre, qui était découverte en cours à la manière d’un feuilleton. L’intérêt des élèves était notamment suscité par la facilité avec laquelle ils s’identifiaient avec le personnage principal. Après quelques semaines d’imprégnation, des rencontres avec l’écrivain étaient organisées, soigneusement préparées par des questions que les élèves devaient élaborer.

  • 14 Je n’ai pas attendu, pas plus que de nombreux collègues, que les instructions officielles théorisen (...)

20Mon service principal étant, à l’époque, essentiellement un service de lettres, il m’a semblé indispensable de faire entrer la littérature occitane dans mes programmes de français. Rien ne s’y opposait, ni dans les programmes, ni dans les épreuves du bac de première. Certes la place de notre littérature dans les manuels se résumait aux Troubadours – dont il n’était pas toujours dit qu’ils avaient écrit en occitan –, mais rien n’empêchait, dans les groupements de textes que les élèves devaient présenter à l’examen, d’en construire un autour d’un écrivain, ce que j’ai fait avec Max Rouquette, ou de glisser à l’intérieur d’un groupement thématique des textes de littérature occitane vivante, occasion, là encore, d’inviter les écrivains dans les classes – d’occitan et de français. C’est dans ce cadre que pouvaient se construire des projets interdisciplinaires14.

21J’en donnerai à présent quelques exemples. Plusieurs récits de Max Rouquette ayant pour cadre un mas furent l’occasion d’un travail en histoire-géographie sur la structure agricole d’un mas languedocien et de l’architecture de celui-ci. Travaillant dans un lycée avec des sections d’arts appliqués auxquelles j’enseignais le français, les élèves furent sollicités pour illustrer les textes de Max Rouquette, ce qui donna lieu à une exposition et à l’édition d’un ouvrage où les textes illustrés par les élèves étaient accompagnés des travaux organisés en cours d’histoiregéographie. Tout cela fut guidé par une journée sur les lieux qui avaient inspiré Max Rouquette, au cours de laquelle les élèves furent accueillis par l’écrivain lui-même. Celui-ci se réclamant souvent de l’inspiration de Faulkner, les élèves avaient étudié l’écrivain américain en cours d’anglais. Ainsi la littérature occitane s’inscrivait-elle dans un espace concret et prenait-elle sa place dans le concert des littératures mondiales. Bien entendu, des textes de Max Rouquette étaient aussi étudiés en cours d’occitan.

22Après Max Rouquette, ce fut Georges Gros, magnifique écrivain nîmois que sa trop grande modestie a laissé injustement méconnu. Écrivain de Nîmes et de ses garrigues, c’est l’aspect urbain que nous avons retenu, avec la reprise de l’idée d’exposition – édition. Le thème était trouvé, ce serait « Paraulas per una ciutat » [Paroles pour une ville]. L’idée était aussi de sortir l’occitan de l’enfermement dans la ruralité que certains voudraient lui assigner. Nouvel ouvrage publié, nouveaux travaux interdisciplinaires avec, cette fois, en plus du travail d’illustration, des exercices d’écriture créative, avec la participation active de Georges Gros lui-même, ancien pratiquant de la pédagogie Freinet. Des textes furent donc créés en occitan, français, anglais et les meilleurs – choisis par un jury indépendant – édités dans le même ouvrage que les textes de Georges Gros. Un spectacle fut organisé avec des comédiens professionnels qui interprétèrent les textes de l’auteur et ceux des élèves.

23Les deux années suivantes, dans le cadre d’une petite équipe interdisciplinaire qui participait à ces projets dont la littérature occitane vivante était le centre, nous avons opté pour des projets thématiques. Deux sujets ont été choisis pour deux années successives : Enfanças et Colors. Dans les deux cas, la littérature occitane était au centre des projets, y compris en cours de français où les élèves recevaient les textes en version originale et en traduction. Ce n’était plus un seul écrivain qui était le centre des projets, mais plusieurs d’entre eux, sept pour Enfanças (Joan-Pau Creissac, Joan-Claudi Forêt, Jòrgi Gròs, Jòrgi Peladan, Roland Pécout, Rosalina Ròcha et Max Roqueta), onze pour Colors (Joan-Maria Auzias, Michel Cals, JoanPau Creissac, Joan-Claudi Forêt, Jòrgi Gròs, Felip Gardy, Jaume Landièr, Jòrgi Peladan, Roland Pécout, Max Roqueta et Florian Vernet). La plupart d’entre eux sont venus au lycée rencontrer les élèves, les rencontres ayant été préparées auparavant et les élèves devant me proposer en amont les questions qu’ils avaient élaborées.

24La parution de chacun de ces quatre ouvrages donnait lieu à une grande fête à laquelle participaient toutes les classes engagées dans le projet, les familles étaient invitées, des séances de signatures permettaient aux élèves de voir ou revoir les écrivains. Le coût matériel de fabrication des ouvrages avait été assuré par les subventions aux projets mais aussi par des campagnes de souscription préalables à l’édition.

25Je voudrais ajouter quelques mots sur les pratiques d’écriture mise en œuvre grâce aux compétences en matière de pédagogie Freinet de Georges Gros et à mes propres recherches dans divers outils disponibles. Il s’agissait de lever les blocages des élèves quant à l’écriture d’imagination.

26En ce qui concerne le contenu, Georges Gros leur a livré une « recette » utilisée par lui-même : observer le monde autour d’eux et noter tout ce qu’ils pouvaient trouver insolite, émouvant, choquant… Il appelait ceci « un quasèrn de traucs » [un cahier de trous]. Ainsi par exemple leur fut-il demandé de constituer des équipes, chacune d’entre elles ayant un objectif : noter les paroles entendues ou les paroles lues, noter tout ce qui était de telle ou telle couleur, noter les bruits, noter tout ce qui était en rapport avec le végétal ou le minéral… Pour chaque notation, il était souhaitable de chercher une formulation originale ou imagée. L’ensemble était noté sur de grandes affiches thématiques lesquelles servaient, une fois en classe, à susciter des textes. Ainsi était levé le principal handicap du « je ne sais pas quoi dire ».

27En ce qui concerne la forme, des jeux ont été proposés aux élèves pour exprimer leurs idées de façon imagée : il s’agissait d’écrire des phrases à partir d’une structure syntaxique fixe, par exemple, pour le thème de l’enfance : L’enfança es + adjectif + coma + groupe nominal ».

28Pendant ces exercices préparatoires, les élèves avaient à leur disposition des dictionnaires et grammaires. Ils pouvaient écrire seuls ou composer des textes collectifs. La première solution fut la plus largement suivie, ces adolescents trouvant là l’occasion d’exprimer pudiquement une part d’intime.

5. Vingt-cinq ans après, quel bilan tirer de ces projets pédagogiques ?

29Même s’ils s’inscrivaient en dehors de tout cadre de programme, je pense qu’ils correspondaient tout à fait aux objectifs revendiqués par ceux-ci. Remarque pragmatique : il m’arrive de me demander comment j’aurais pu, en plus du travail de montage et de mise en œuvre des projets, vérifier le respect du cadre extrêmement précis – voire pointilleux – dicté par le CECRL. Si les objectifs assignés par celui-ci ont le mérite de faire prendre conscience à l’enseignant des multiples compétences en jeu dans l’apprentissage d’une langue, toute la difficulté est de rester ouvert à la part d’imprévu que contient tout acte de communication, ce que doit être d’abord le cours de langue. Il me semble que si j’avais eu à travailler dans ce cadre, c’est par un jeu régulier de planification des compétences attendues et de vérification des compétences acquises que j’aurais pu relier les contenus culturels assignés à mes cours avec les préconisations du CECRL.

  • 15 Mais aussi dans la presse nationale : un des ouvrages a été présenté dans Le Monde des livres par P (...)

30Je pense cependant que mes élèves ont beaucoup appris de ce travail sur une littérature vivante : ils ont rencontré des écrivains qui ne sont pas restés des noms dans un manuel scolaire, ils ont lu de nombreux textes à propos desquels ils ont pu échanger avec leurs auteurs, ils en ont écrit eux-mêmes, dont certains n’étaient pas dépourvus de qualités littéraires. Ils ont su que la langue dont des bribes leur étaient connues grâce au francitan encore très vivant à Nîmes et dans ses environs était écrite et parlée par des écrivains. Ils ont eu la fierté d’un large relais dans la presse locale15 de leur travail. L’implication des familles dans le projet par le biais de la fête annuelle a aussi été un grand moment de socialisation de la langue.

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Document annexe

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Notes

1 En ligne à l’adresse : http://www.felco-creo.org/11-01-20-65-projets-pedagogiques-autour-deloccitan-langue-doc/. Anecdote : j’ai fait ce travail d’enquête, en trois semaines, par défi, en revenant d’une délégation de la FELCO au Ministère où un nème chargé de mission ne trouvait rien de mieux à répondre à nos revendications associatives : « si vous voulez que cela aille mieux, construisez des projets pour intéresser les élèves ». Cette remarque était une des nombreuses preuves recueillies dans ce même lieu d’une ignorance totale de la réalité des enseignements de langues régionales.

2 Ce qui figure sur le site du Ministère est hélas trop souvent lapidaire…

3 https://eduscol.education.fr/document/24676/download. Voici le sommaire de ce document : Préambule, L’étude de la langue, Formation culturelle et interculturelle, L’organisation de l’enseignement, Tableaux des descripteurs des activités langagières.

4 À une nuance près, les langues régionales peuvent être langue vivante 2 (désormais LVB) et 3 (désormais LVC) mais pas langue première (LVA).

5 https://eduscol.education.fr/document/24706/download.

6 https://eduscol.education.fr/document/24712/download.

7 https://eduscol.education.fr/document/24736/download.

8 Òc-ben ! première année d’occitan, 2003 et Òc-ben ! deuxième année d’occitan, 2004, sous la direction de Jean Salles-Loustau, SCEREN-CRDP Aquitaine. Voir la présentation qui en est faite par Miquèla Stenta : « Òc-Ben ! L’aventure et l’élaboration d’un manuel scolaire occitan », in Lengas, 83 |, « Manuels scolaires et langues régionales », Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2018, en ligne à l’adresse : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lengas/1494.

9 C’est le terme employé par les auteurs du manuel.

10 Mais cette situation est celle de tous les enseignements optionnels, à commencer par les langues de l’Antiquité, pourtant soutenues par un courant d’opinion influent et un cadre administratif privilégié.

11 Devenues entre-temps « sciences et technologies du management et de la gestion » (STMG).

12 Le Tour de la France par deux enfants, Augustine Fouillée-Tuillerie, publié sous le pseudonyme de G. Bruno, Belin, 1877.

13 À propos de Roland Pécout, dont une partie de l’œuvre a fait l’objet de ma thèse de doctorat, on pourra consulter le site que j’ai construit dans le cadre de l’Université ouverte des Humanités : http://www.univ-montp3.fr/uoh/pecout/index.php.

14 Je n’ai pas attendu, pas plus que de nombreux collègues, que les instructions officielles théorisent la notion de pédagogie actionnelle pour pratiquer ce qui, au début de ma carrière dans les années 1980, s’appelait PAE – projet d’action éducative…

15 Mais aussi dans la presse nationale : un des ouvrages a été présenté dans Le Monde des livres par Philippe-Jean Catinchi dans le cadre d’une page consacrée à la littérature occitane.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie-Jeanne Verny, « Enseigner l’occitan, langue-culture en lycée : des textes et une expérience professionnelle »Lapurdum, 24 | 2023, 359-368.

Référence électronique

Marie-Jeanne Verny, « Enseigner l’occitan, langue-culture en lycée : des textes et une expérience professionnelle »Lapurdum [En ligne], 24 | 2023, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lapurdum/4610 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127ub

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Auteur

Marie-Jeanne Verny

Université Paul-Valéry, Montpellier

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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