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2. Tomoa / Tome 2
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Enseignement scientifique en classe de première utilisant la langue basque en L2 : un état des lieux

Marie-Gabrielle Saint-Jean
p. 297-307

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Thèmes :

multilinguisme
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Texte intégral

1L’enseignement bilingue scientifique en classe de première utilisant le basque en seconde langue (elle sera nommée L2 dans la suite de l’article) est une pratique qui a peu cours en raison de la rareté de l’offre bilingue au lycée en sciences. En effet, celle-ci se cantonne souvent à l’enseignement de la langue basque 3 h par semaine et de l’Histoire-Géographie utilisant le basque en L2. Pourtant, cet enseignement de 2 h par semaine mixant Sciences de la Vie et de la Terre, Physique-Chimie et Mathématiques pourrait constituer une offre intéressante. En effet, les objectifs, définis dans le programme officiel, sont de familiariser les élèves avec le monde scientifique en comprenant la construction du raisonnement scientifique et d’appréhender le monde qui les entoure, l’évolution des techniques afin de les rendre autonomes et curieux. Il est également conseillé de contextualiser cet enseignement afin de le rendre plus concret pour que l’élève se sente davantage concerné. L’introduction du basque en L2 présente une opportunité d’ouverture et la possibilité d’ancrer cet enseignement dans le territoire par le biais d’offres locales et par le biais de la culture.

2Actuellement, c’est un enseignement à expérimenter car tout est à définir aussi bien au niveau des enjeux pédagogiques que de la méthodologie. Dans ce premier état des lieux, quelques méthodes qui pourraient s’avérer efficaces seront présentées. Tout d’abord, le discours scientifique utilisé par les scientifiques sera étudié afin d’en dégager les caractéristiques pour aider les lycéens à le comprendre, l’analyser et le réinterpréter. Puis, nous verrons quels pourraient être les apports de la langue basque utilisée en L2 dans l’étude de ce discours. Dans un second temps quelques méthodes seront proposées afin de rendre cet enseignement concret, dynamique et efficace en impliquant les élèves pour former de futurs citoyens concernés et autonomes. Les points suivants seront abordés : caractéristiques des sciences en basque, méthodes d’enseignement choisies et importance d’utiliser une langue régionale minorée comme vecteur pour ce type d’apprentissage, moyens choisis pour y parvenir.

1. Analyse du discours scientifique

3Le discours du scientifique est, comme tout discours, constitué de caractéristiques qui lui sont propres. Au travers de l’analyse du discours produit par le scientifique il est possible d’accéder à la construction de certaines étapes du savoir scientifique. L’exemple ici choisi se rattache aux Sciences de la Vie et de la Terre mais cela est parfaitement transposable à l’analyse d’un discours relevant de la construction de savoirs en Physique-Chimie. Comme l’enseignement scientifique en première est constitué du rassemblement de plusieurs matières : Sciences de la Vie et de la Terre, Physique-Chimie et Mathématiques, les caractéristiques qui seront ici dégagées serviront de support pour tout type de textes scientifiques étudiés. L’objectif est de développer quelques outils utiles pour analyser le discours que l’on présente aux lycéens et le discours qu’eux-mêmes vont générer lorsqu’ils parlent de sciences en langue principale (ici le français qui sera nommé L1 par la suite) ou en L2. Enfin, nous verrons en quoi l’utilisation de la L2 peut aider les élèves à améliorer la compréhension et la construction du savoir scientifique.

1.1 Étude du discours scientifique

4De nombreux travaux de recherche ont analysé le discours du scientifique, l’objectif étant de démontrer en quoi l’analyse du discours scientifique permet de comprendre la démarche du scientifique (Rinck 2010). L’étude de cas choisie est la découverte de la fonction glycémique du foie réalisée par Claude Bernard en 1848. Ses écrits sont souvent étudiés car dans son ouvrage intitulé « L’introduction à la médecine expérimentale », il a laissé à la postérité ses notes de laboratoire. Ce scientifique voulait initialement montrer, grâce à ses expériences, que seuls les végétaux sont capables de synthétiser du sucre alors que les animaux en sont incapables ; il n’existait donc pas d’unité entre le monde végétal et animal, c’est du moins ce qui était admis par la communauté scientifique de l’époque. Or, ses expériences ont montré le contraire : il a démontré que le foie synthétisait du sucre. Ainsi, en mettant en évidence la fonction glycémique du foie, il a alors dû reconnaitre qu’il y avait une certaine unité entre monde végétal et animal. Claude Bernard avait démontré l’inverse de ce qu’il voulait prouver au départ. L’étude de ses cahiers de laboratoire permet d’avoir accès à la démarche non linéaire et contre-intuitive du scientifique. Différents indicateurs de discours ont été relevés et utilisés pour étudier ses écrits : temps des verbes, choix des pronoms personnels, connecteurs logiques, adverbes modélisateurs, ponctuation, temporalité du discours dans la linéarité des propos (Rinck 2010, Dhouibi & al 2015).

5Lors de l’analyse de ses cahiers, le fait que Claude Bernard présente une forte résistance au savoir qu’il est en train de créer est mis en évidence. Dans un premier temps, il adhère encore au savoir construit par sa propre communauté qui stipule le contraire de ce qu’il est en train de découvrir. Puis, il se crée une polyphonie puisque le scientifique reste attaché à ses représentations antérieures tout en acceptant le nouveau modèle possible. Le discours de Claude Bernard présente différentes instances énonciatives que le “je” multiplié occupe simultanément (Kristeva 1970 :13). Selon ce point de vue, c’est l’expression de cette multiplicité des “je” chez Claude Bernard qui représente une indécision épistémologique. La découverte divise le sujet. Le chercheur se dédouble dans son être, « il voudrait croire en ce qui ne lui inspire pas une foi véritable, […] il voudrait réfuter ce qui continue à l’assaillir de doutes. » (Bakhtine 1970 : 70).

6Il utilise également des phrases exclamatives pour exprimer sa surprise, des interrogatives pour exprimer ses doutes et se forcer à voir de nouvelles solutions. Les différentes étapes de son parcours correspondent à la construction du savoir scientifique décrite par Gaston Bachelard dans son livre, la formation de l’esprit scientifique publié en 1938 :

« Le scientifique adopte une attitude polémique en prenant simultanément deux positions : il pense le phénomène selon son nouveau point de vue innovateur, qu’il légitime en raisonnant contre ses adversaires, mais à partir de l’ancien point de vue. Dans le processus de création scientifique, le savant élabore et développe de nouvelles idées dont certaines s’avèrent révolutionnaires et aboutissent à un changement de paradigme. Dans ce parcours, le scientifique ne peut pas échapper aux obstacles puisqu’ils sont intrinsèques à son acte même de connaitre. Il est capable de les surmonter mais il est incapable de les écarter de son chemin. »

7On pourrait résumer le travail du scientifique de la manière suivante : « Pour inventer, le scientifique mène un double combat contre sa propre conviction et contre tous » : Grmek, 1991 : 91. La compréhension de la nature dialogique et polyphonique du discours scientifique constitue une condition de possibilité dans la mise en œuvre des séquences d’apprentissage ; sa prise en compte posséderait différents avantages dans la construction par l’élève du concept scientifique (Jaubert & Rebière 2000). Cette approche, basée sur l’analyse du discours scientifique produit par les savants, développerait chez l’élève l’appropriations de nouvelles stratégies cognitivo-langagières efficaces dans la construction du savoir scientifique. Cela est parfaitement en accord avec les objectifs à développer actuellement en enseignement scientifique. En effet, l’un des objectifs est « de comprendre la nature du savoir scientifique et de ses méthodes d’élaboration, l’élève doit prendre conscience que le savoir scientifique est une construction collective et dynamique qui a une histoire. Il est fondé sur le raisonnement rationnel et la recherche de causes matérielles ; il se développe parfois en réfutation des intuitions premières au-delà desquelles le scientifique doit s’aventurer. » (MEN 2019).

8La science des scientifiques, leurs activités ainsi que leurs pratiques constituent une référence pour l’enseignement scolaire (Fuchs & al. 2010). L’objectif n’est plus désormais de transmettre seulement un savoir scientifique mais aussi d’étudier la démarche et les pratiques qui caractérisent le parcours du scientifique. L’élève sera amené à étudier des écrits de scientifiques, au travers de textes adaptés à son niveau, pour comprendre l’émergence de nouvelles théories : controverse géocentrique, compréhension du fonctionnement de la cellule… Ainsi, il pourra utiliser les outils précédemment développés pour comprendre la démarche du scientifique au travers de ses écrits.

9Par ailleurs, à un niveau moindre, l’élève rencontre des obstacles qui l’empêchent d’avancer de manière linéaire. En prenant conscience que la présence d’obstacles épistémologiques est intrinsèque à la démarche des scientifiques de métier, cela peut les aider à avancer dans la construction de leur propre savoir. L’analyse des textes ou la production de textes par les élèves pourra être menée en ayant recours aux marqueurs utilisés lors de l’étude de cas de Claude Bernard, cela pourra les aider à révéler leurs blocages, à les reformuler et à avancer dans la compréhension et la construction de leur savoir.

1.2 Apport de la L2 en Sciences

10Différents leviers peuvent servir dans l’enseignement des sciences. Un des premiers leviers est le rôle fondamental de l’erreur abordé dans le paragraphe précédent, le savoir scientifique se construit souvent en opposition, en double opposition : opposition à la communauté scientifique à laquelle le scientifique appartient et combat interne, opposition à son propre mode de pensée. Souvent, face à l’évidence il faut réussir à surmonter ses convictions antérieures et admettre que ce que l’on avait admis comme vrai devient faux ou partiellement faux. Cette lutte interne est souvent la plus difficile. A un degré moindre, les élèves sont confrontés à la même situation, il faut alors utiliser leurs erreurs pour réussir à construire un savoir durable et non les effacer pour leur asséner des nouvelles vérités qu’il faut admettre. Comme l’illustre la célèbre formule d’Einstein : « Je n’ai pas échoué, j’ai trouvé 10000 moyens qui ne marchent pas ». L’erreur est révélatrice d’une incompréhension, d’une stratégie erronée et doit constituer un des éléments dynamiques de la situation pédagogique (Grandserre & Lescouarch 2009 : 60-62).

11Afin de détecter les erreurs dans un raisonnement scientifique, l’analyse discursive peut être une méthode révélant certains mécanismes d’apprentissage chez l’élève. Elle constitue un outil lui permettant d’analyser les textes scientifiques ou ses propres productions, d’identifier les étapes du raisonnement scientifique, de détecter les problèmes rencontrés qu’il pourra ensuite expliciter et essayer de dépasser.

12La reformulation en L2 peut être un autre outil permettant de surmonter les obstacles épistémologiques. En effet, selon Jean Duverger, il serait plus facile de surmonter certaines difficultés dans une langue qui n’est pas la langue d’usage quotidien. La L2 étant souvent une langue secondaire plus abstraite pour l’élève, il aurait peut-être moins de prérequis ou d’idées préconçues dans cette langue. Ainsi aborder de nouveaux principes dans cette langue faciliterait leur compréhension. Il faudrait progressivement introduire les deux langues dans la construction des concepts scientifiques, soit en reformulant en L2, soit en découvrant le concept en L2. Cela peut aider à surmonter certains blocages trop présents en L1. Alterner de manière consciente L1 et L2, didactiser l’alternance des langues pendant les séquences de cours, créer des zones de contact entre les deux langues, peut aider à lever certaines zones d’ombres sur un problème scientifique ou à créer de nouveaux champs. De tout temps, la science est un domaine dans lequel on utilise différentes langues, une L1 qui permet les échanges au niveau mondial et une multitude de L2 qui permettent d’élaborer des théories localement et d’amener la diversité des découvertes que portent la communauté scientifique. La langue basque étant une langue régionale minorée, elle a son rôle à jouer, elle peut être un atout pour présenter les découvertes scientifiques différemment et essayer d’ancrer l’apprentissage de manière plus durable en contextualisant les savoirs chez les élèves. Jean Claude Ameisen lors du congrès « Pour des sciences en français et en d’autres langues » organisé par l’Institut de France en 2019 a caractérisé la présence de différentes langues dans le domaine scientifique de la manière suivante : « Frotter les langues nous permet de restituer une part d’étrangeté à ce qui nous est devenu familier, à ce que nous croyons définir parfaitement. »

13Ainsi, le contact des langues peut éclaircir un problème ou dégager de nouvelles perspectives. Dans une langue moins familière, les obstacles habituels peuvent être abordés différemment ce qui peut aider à les surmonter. Le va et vient entre deux langues peut rendre l’approche scientifique moins centrée sur le sujet qui bloque l’élève en l’aidant à prendre du recul, à regarder les choses sous un autre angle et à construire son savoir avec moins d’idées préconçues. Mener des analyses discursives, en L1 et en L2, peut faire émerger progressivement les obstacles rencontrés par les scientifiques et par les élèves. Pour les surmonter, on peut les reformuler à l’écrit comme à l’oral, initier des débats bilingues au cours desquels chacun peut exposer librement sa manière de voir les choses, cela peut permettre d’identifier les points sensibles du discours scientifique qui seront ensuite analyser et clarifier. Multiplier les approches en L1 et en L2 permet à l’élève de construire progressivement son savoir de manière plus durable, en comprenant ses blocages et en l’ancrant dans la langue et la culture de sa région.

2. L’enseignement scientifique en classe de première utilisant le basque en L2 : un enseignement ouvert sur le monde.

14Un deuxième objectif de l’enseignement scientifique est d’ouvrir les élèves sur les enjeux actuels (développement durable, enjeux énergétiques, matériaux et recyclage, …), de les rendre curieux et critiques par rapport au monde qui les entoure. Grâce à l’approche scientifique, l’être humain dispose des outils intellectuels nécessaires pour devenir un acteur conscient et responsable de la relation au monde et de la transformation des sociétés (MEN 2019). Nous allons proposer de développer des pratiques qui permettent d’atteindre ces objectifs tout en utilisant la L2 à bon escient.

2.1 Mettre en œuvre des pratiques scientifiques, les contextualiser

15En sciences, les connaissances ont été construites en utilisant des langues différentes. Même si actuellement l’anglais domine, localement, les scientifiques utilisent souvent leur langue, ainsi la construction du savoir scientifique a été et demeure plurilingue. Le fait d’associer une langue locale régionale à la construction de ce savoir semble logique. De plus, en pleine mondialisation, les langues régionales peuvent représenter une valeur refuge, un ilot de pensées différentes des cultures dominantes, une diversité rafraichissante qui permet de présenter les savoirs scientifiques sous un autre angle. Amener les langues minoritaires à être présentes dans tous les champs de la société permet de les ancrer dans une pratique moderne et vivante. Il est normal qu’une langue qui se déploie dans un présent constamment renouvelé envahisse tous les champs de la société, en particulier le champ scientifique dans une société qui est de plus en plus tournée vers les nouvelles technologies.

16Par conséquent, développer un lexique adapté pour aborder n’importe quel sujet scientifique en langue basque semble essentiel. Le fait d’utiliser la langue basque ou tout autre langue régionale dans les pratiques d’un monde moderne l’actualise et lui donne un rôle nouveau, cela permet de pérenniser sa pratique chez des adolescents dans des domaines qui les concernent. En effet, il faut que ces nouveaux locuteurs soient capables de parler de technologies, de développement durable ou de crise énergétique en langue basque. Il faut créer un vocabulaire adapté et habituer les élèves à débattre de sujets d’actualités scientifiques en basque comme en français ou en anglais. L’objectif prioritaire est de favoriser chez les apprenants la construction de nouveaux concepts disciplinaires par le biais des deux langues. Il s’agit de la forme d’intégration prônée par la méthodologie CLIL (Content and Language Integrated Learning) et par son homologue français EMILE (Enseignement d’une Matière par l’Intégration d’une Langue Etrangère).

17Ce type d’enseignement devrait rendre l’apprenant capable de parler de PhysiqueChimie en basque avec les moyens linguistiques dont il dispose et de produire un discours conforme à celui de la matière enseignée. Si l’on adhère au fondement de la didactique intégrée, l’enseignement bilingue devrait contribuer à la construction de compétences dans la discipline étudiée en L1 et en L2. Les contenus des classes bilingues sont cependant plus chargés étant donné que l’élève doit les apprendre en deux langues avec une double approche méthodologique : celle de la L2 et celle de la L1. Il est par conséquent impensable, voir néfaste de se limiter à la traduction littérale des textes de la L1 à la L2 (Causa 2017).

18Ainsi, lors du choix des documents et des traductions réalisées, il paraît primordial de choisir un lexique facile d’utilisation mais présentant des caractéristiques propres à la langue utilisée en L2. En effet, lors de la traduction du vocabulaire dédié aux sciences, pour certains termes, deux options peuvent être envisagées : choisir une traduction qui imite la L1 ou choisir la traduction la moins proche de la L1 utilisant des racines provenant de la L2. C’est le cas du mot générateur présenté dans l’exemple suivant :

19Générateur
Generadore ou sorgailu
Le premier terme, generadore est issu de l’Espagnol generador alors que le second terme sorgailu a été construit avec des racines basques. Ce terme se décompose de la manière suivante :
Sor : base verbale de sortu qui signifie créer, générer, produire
Gailu : suffixe qui signifie dispositif ou machine

20Ce terme signifie l’instrument qui crée, qui génère. Cela correspond à la fonction d’un générateur en électricité. Le fait d’utiliser le mot sorgailu permet de se connecter à l’étymologie basque, de créer un vocabulaire novateur qui s’inscrit dans la société technologique. De plus, cela peut éclairer les élèves quant au rôle de ce composant. Ainsi, le fait de jouer avec les mots, de co-construire avec les élèves un lexique adapté amène une diversion permettant de fixer le savoir différemment, parfois de manière plus durable. Utiliser la langue basque dans le domaine scientifique peut inciter les élèves à se sentir davantage impliqué dans sa diffusion hors du cadre scolaire. Le choix du lexique est un des critères permettant de construire des connaissances dans l’enseignement bilingue. Cependant, il en existe un certain nombre nécessaire pour réussir l’enseignement bilingue dont les étapes fondamentales sont résumées ci-après (Causa 2017, Duverger 2011).

21- Exposition à la variété des textes/discours dans la DNL enseignée, l’apprenant étant exposé aux deux langues, il s’agira de lui proposer des documents en L1 et L2 afin de le sensibiliser à la reformulation interlinguale (Jakobson 1963) et au rôle qu’elle joue dans la construction de nouveaux concepts, c’est ce qu’on entend par alternance séquentielle.
- Repérer des unités linguistico-discursives récurrentes, elles qui caractérisent les textes/ discours des disciplines dans un premier temps et les variations propres aux conditions de production réception dans un second temps. Ce travail d’analyse participe à l’appropriation de mise en texte en L2.
- Mise en place des stratégies de transfert entre L1 et L2 et inversement, pour dégager des différences, points communs et des spécificités propres à chaque langue.

22En suivant ces différentes étapes et en clarifiant les passages de la L2 à la L1, il semble que l’enseignement bilingue en sciences prendra tout son sens. De plus, on peut adapter certaines méthodes pédagogiques proposées par les précurseurs de l’enseignement bilingue en basque. En effet, parmi ces pionniers, Madeleine de Jauréguiberry (1874 – 1977) est une figure emblématique. Elle proposait d’utiliser des moyens modernes de l’époque, le disque, pour diffuser la langue basque et avait recours à l’apprentissage de chants pour transmettre de manière ludique une langue inscrite dans la culture locale (Olçomendi 2021).

23Ces deux idées peuvent être réinvesties dans l’enseignement scientifique en utilisant les moyens d’aujourd’hui : on peut utiliser des documentaires ou des vidéos produites en langue basque pour illustrer les cours de sciences, ou les faire produire par les élèves eux-mêmes. Pour ce qui est du chant basque ou de la musique en général, un des thèmes en classe de première est consacré à l’étude du son. C’est là un excellent exemple de contextualisation : utiliser des chants traditionnels, modernes ou l’étude d’instruments de musique typiques de la culture basque permet de rendre la thématique plus attractive en l’inscrivant dans le patrimoine ou la création artistique contemporaine. Les élèves découvrent et étudient la culture locale au travers d’un cours utilisant les technologies actuelles : utilisation de logiciel pour étudier le son, production d’un oral pour en parler. Ainsi, l’enseignement bilingue prend tout son sens car le patrimoine culturel participe à la construction d’un savoir scientifique.

2.2. La démarche de projet pour former des élèves autonomes

24Afin de rendre l’élève actif, de donner du sens à son apprentissage pour qu’il se sente impliqué et acteur de la construction de son savoir, la pratique de projet pédagogique semble être une solution idéale répondant parfaitement aux exigences de l’enseignement scientifique en classe de première. Elles sont décrites de la manière suivante par Jean Duverger (Duverger 2011 : partie 11) :

« La pédagogie de projet place les apprenants au centre des processus d’enseignement/ apprentissage, s’appuie sur la motivation, la participation, la très forte implication des apprenants : l’acte d’apprendre revient à celui qui apprend, l’enseignant est un guide attentif. Elle doit déboucher sur des productions originales, le plus souvent collectives ; il y a obligation pour tous de parvenir à des résultats identifiables et évaluables. C’est une pédagogie de la responsabilité, du contrat, de l’engagement. En classe c’est une pédagogie de la coopération, du travail en équipe, de la communication et de la solidarité, de l’interdisciplinarité. Elle génère créativité et imagination, inventivité et surprise, on ne prévoit jamais totalement le résultat final.
C’est la pédagogie de la découverte, du plaisir, de l’envie d’apprendre, elle doit permettre de développer la confiance en soi, c’est une pédagogie constructive, une pédagogie de la situation qui se concrétise par une production identifiable réalisée selon un calendrier fixé au préalable. C’est une pédagogie du développement personnel, cognitif et affectif, le projet se fait en groupe ce qui apporte une dimension éthique au travail produit. »

25Lors du Déroulement d’une pédagogie de projet, le projet est tout d’abord formulé, une réflexion commune permet de donner un nom et de bien définir le sujet. Puis, les taches sont réparties et un calendrier est établi : échéancier, rôle de chacun, liste des tâches à accomplir. Une mise en commun régulière des résultats est nécessaire pour redynamiser le projet, redonner du sens. Enfin, les élèves aboutissent à une synthèse de leur production ; ce produit sera alors mis en commun de diverses manières (inauguration et visite, copies pour chacun) et deviendra la propriété de tous. Le projet est travaillé, organisé et rédigé dans les deux langues. La production finale est bilingue, les documents sont écrits dans les deux langues, en essayant de ne pas avoir recours systématiquement à la traduction trop littérale. Les participants se répartissent les tâches et définissent si elles sont en L1 ou L2, afin de construire leur savoir simultanément dans les deux langues. Durant l’exécution, on peut solliciter indistinctement les deux langues mais pour l’oral il faut bien définir l’alternance qui sera naturelle en fonction des documents travaillés.

26Au cours de la mise en forme de la production finale, l’alternance L1-L2 permet de développer une éducation linguistique naturelle et de mettre en relief les dimensions culturelles exprimées par chacune des deux langues. Les passages didactisés d’une langue à l’autre, nommés alternance séquentielle ou méso-alternance, recouvre plusieurs fonctions : médiation, réactivation, stabilisation des connaissances, enrichissement réciproque entre les concepts en L2 et en L1, facilitation des transferts linguistico-conceptuels. Les frontières entre les niveaux discursifs sont étanches. La compétence discursive va se construire dans l’articulation entre les documents utilisés et les échanges produits in vivo en interaction, les deux éléments étant constitutifs de la transmission des contenus disciplinaires dans les deux langues (Duverger, 2012).

27La pédagogie de projet semble donc être l’alliée idéale pour faire des sciences en classe de première de manière constructive. Les élèves deviennent acteurs et sont amenés à utiliser les deux langues pour construire leur savoir. Dans le contexte bilingue, cette pédagogie est pertinente car, quel que soit le thème du projet, il permet de faire fonctionner les langues concernées dans des conditions naturelles, opérationnelles et souvent paritaires.

28Par ailleurs, il est également possible d’ouvrir l’enseignement scientifique sur le monde extérieur avec des initiatives concrètes tout en utilisant la langue basque. Souvent, les objectifs fixés par le bulletin officiel qui fournit les outils à utiliser, et les démarches à adopter, représentent une forme de culture qui ne s’acquiert qu’à l’école (Casenave 2010, Chervel 1988). Or, les objectifs du nouveau programme incitent à contextualiser l’enseignement scientifique en créant des opportunités de rencontre avec les acteurs locaux qui ont développé des interventions adaptées aux élèves. Ainsi, la culture acquise par l’élève sort du cadre scolaire, elle est directement liée à son environnement. Dans le cadre des projets, il est désormais fortement conseillé de faire intervenir des acteurs extérieurs.

29Localement, des associations ou entreprise proposent une offre intéressante et variée, en français et en basque, pour sensibiliser les nouvelles générations aux enjeux contemporains, à la culture ou à la conservation du patrimoine : recyclage et traitement des déchets avec des visite de site, éducation à l’environnement, étude des océans et collecte de déchets sur les plages, possibilités de faire intervenir des conférenciers sur la mythologie basque (en lien avec l’étude de la Terre) ou en musicologie. La diversité de l’offre locale est un atout dont il faut profiter pour ouvrir les élèves au monde qui les entoure, faire sortir les savoirs du cadre scolaire, lui donner une nouvelle dimension en l’ancrant dans des questionnements actuels et dans le patrimoine culturel en utilisant la L1 et la L2. Le savoir scientifique ainsi contextualisé dans les deux langues peut devenir plus durable et peut être utilisé par les élèves hors de l’école.

Conclusion

30Toute activité d’apprentissage s’accompagne de la création d’un discours qui lui est propre. Dans le cadre de l’enseignement scientifique bilingue en classe de première, l’analyse discursive a un double atout : elle permet d’étudier le discours du scientifique avec des outils efficaces qui peuvent également servir à l’étude des productions des élèves en L1 et en L2. Ce type d’étude amène à la compréhension de la construction du savoir scientifique, l’élève peut alors détecter certains obstacles qu’il rencontre ou que les scientifiques ont rencontrés. Il s’aperçoit que ces obstacles sont intrinsèques à la construction des connaissances en science. Par la suite la reformulation, en alternant les deux langues, peut les clarifier et aider l’élève à les surmonter. Par ailleurs, étudier les sciences peut apporter à la L2 une nouvelle légitimité en l’inscrivant dans la société contemporaine. Le choix du lexique co-construit avec les élèves permet d’actualiser la langue afin qu’elle soit présente dans le monde technologique de son époque. Elle nourrit l’apprentissage de l’élève en le rendant tour à tour plus accessible, plus créatif, ancré dans la culture locale ou vecteur de lien et de communication au travers de projets divers et variés. En effet, dans sa version actuelle, l’enseignement scientifique semble bien conditionné pour permettre l’utilisation d’une L2 comme le basque en offrant un terrain de jeu assez varié : possibilité de créer un lexique novateur intéressant, travailler la pédagogie de projet, définir une approche bilingue alternée et bien codifiée pour surmonter certains obstacles ou du moins apporter un éclairage différent aux élèves.

31Au travers de l’enseignement scientifique, il semblerait que les savoirs et les compétences à acquérir seraient plus ouvertes sur le monde. La volonté de former des individus acteurs autonomes et capables de comprendre l’évolution du monde qui les entoure fait partie des objectifs à atteindre. En ancrant les savoirs dans le territoire et en les fixant grâce à l’emploi simultané du français et de la langue basque, on donne l’opportunité aux élèves de pouvoir aborder les sujets de demain en deux langues avec des approches qui peuvent être différentes et complémentaires. L’enseignement scientifique devient ainsi plus attractif et peut donner envie aux élèves de poursuivre des projets en basque en dehors du lycée. L’intervention d’acteurs locaux porteurs d’initiatives intéressantes peut également renforcer l’implication des élèves.

32Enfin, il faudrait une formation intégrée pour les enseignants qui travaillent dans les filières bilingues utilisant la langue basque. En effet, un enseignant est confronté à une préparation demandant une implication énorme : il doit définir les différents types de discours à utiliser, définir l’utilisation alternée de la L1 et de la L2, rechercher des documents typiques pour agrémenter le cours sans sombrer dans la traduction littérale, développer des méthodes d’évaluations viables, planifier l’alternance codique afin que cela aide les élèves à acquérir les nouvelles notions scientifiques sans les alourdir. Au cours d’une formation, la multitude des tâches à accomplir pourrait être partagée et mutualisée. Dans un même temps, des échanges pourraient permettre de développer des projets communs et porteurs de sens entre les différents établissements concernés. Les pionniers de l’enseignement bilingue en basque avaient compris l’intérêt de se rassembler pour définir la place de la langue basque dans l’enseignement et les moyens à utiliser ; ils avaient organisé des journées du bilinguisme au Musée basque à Bayonne le 28 et 29 aout 1959. Une initiative à raviver ?

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Bibliographie

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie-Gabrielle Saint-Jean, « Enseignement scientifique en classe de première utilisant la langue basque en L2 : un état des lieux »Lapurdum, 24 | 2023, 297-307.

Référence électronique

Marie-Gabrielle Saint-Jean, « Enseignement scientifique en classe de première utilisant la langue basque en L2 : un état des lieux »Lapurdum [En ligne], 24 | 2023, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lapurdum/4575 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127u7

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Auteur

Marie-Gabrielle Saint-Jean

Université Bordeaux Montaigne – IKER UMR 7458

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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