1Le corpus des toponymes et noms de maisons dans les divers espaces dialectaux de langue basque est suffisamment étendu dans l’histoire, du Xème siècle pour les plus anciens documents jusqu’au XXème pour les plus récents, et leur analyse suffisamment avancée pour pouvoir dégager assez nettement quelques-uns des traits qui font l’originalité et la spécificité dialectales des noms de Sainte-Engrâce recueillis au début du XVIIIème siècle (1736) et au milieu du XIXème (principalement 1851). Les anciens noms de maisons de Ste-Engrâce comme ceux de quelques autres communes de Soule (Pagolle, Roquiague…) étant à très peu près et pour des raisons historiques connues absents des listes médiévales, essentiellement les assemblées de 1337-38 et le « Censier gothique » pour la Soule, ceux dont on traite ici sont extraits de listes des XVIIIe et XIXe siècles notées par Abbadie d’Arrast et communiquées par J.-M. Fawzi étudiant à l’UCLA (Université de Los Angeles, USA).
2Même si l’écrit ne reproduit que très imparfaitement la prononciation réelle, ces listes révèlent d’abord quelques traits phonétiques propres au dialecte souletin, le plus oriental du domaine basque aquitain actuel, et par là en contact étroit et permanent avec le roman béarnais depuis qu’il s’est constitué, comme l’ensemble du domaine linguistique occitan, à partir du bas-latin et la fin de l’Antiquité romaine. Le plus connu de ces traits dialectaux, différant à très peu près de tout le reste du domaine basque historique aquitain et totalement du domaine hispanique, est la prononciation de la voyelle « u » dans certains positions comme devant vibrante à la manière de « u » français et gascon, écrit alors « ü » en souletin moderne seulement, alors que dans les autres positions du souletin et dans les autres dialectes basques elle s’articule comme en latin, espagnol, italien etc. à la manière de « ou » en français. Ce fait est signalé par Oyhénart au XVIIe siècle, et on peut le déduire de l’observation de certains noms du Censier gothique à la fin du moyen âge, lorsqu’une voyelle voisine -i- est écrite « u » pour « ü » par fait d’assimilation pour « ithurri : source, fontaine » et ses composés « Ithurralde, Ithurburu » etc. A côté des formes sans altération apparente encore comme Ithurriague, et « -itchurie » par ailleurs romanisées (-a final basque > -e roman), le Censier écrit aussi « uthurriague, utchuria » qui signalent l’articulation du souletin moderne « üthürri ».Les listes de Ste-Engrâce, bien plus tardives que le Censier « gothique » rédigé vers la fin du moyen âge et vidimé en 1690, signalent ce fait bien établi en 1736, comme dans « Unguraturu » pour Üngüratürü : « le mot commun « inguru : tour, détour » pris sous la forme du radical verbal « ingura : tourner » (participe « inguratu : entouré ») absolument inédit par ailleurs en toponymie ancienne basque et nom de maison, désignant ici les lacets de la route conduisant aux maisons, est passé à « üngüra » comme « ithurri « à » üthürri », dans « Üthürraltia, Üthürrüria ». Le mot est suffixé en -turu pour le commun -duru équivalent de -dun (valant « qui a … »). Les deux listes de 1736 et 1851 mettent « ou » comme en français quand il s’agit du « u » latin ou basque : ainsi « Jounet, Chouhourtia, Etchettoua, Mouchorrenia » etc. en 1736, et moins régulièrement (par exemple « Junet ») en 1851 : « Chouhour, Aracouex, Berrouet, Bassahoun » etc. Inversement tous les « u » sont comme en français pour « ü » souletin : en 1736 “Ibarburu, Unguraturu, Curutchaga, Puntenia” etc. et en 1851 “Egurbide, Unguraturu, Luro” etc. Dans cette liste « o » est écrit pour « ou » dans « Mohorade » en 1736 « Mouhouradia » ; et inversement « Aracouex » contre « Aracoxia » en 1736, ce dernier étant amplifié ou explicité dans la restitution actuelle « Arrakoetchia » en forme orale locale pour « Arrakoetxea : la maison Arrako », si toutefois le mot « Arrako » avait une vibrante forte non écrite (ce qui est courant pour les mots basques écrits en français) et n’était pas un génitif en -ko sur une base « arra » à identifier.
- 1 Ce bizarre toponyme béarnais pourrait être une déformation à moitié francisée de « Beighau » en pri (...)
3A propos du nom basque « Boursabal » (composé normal de « buru-zabal : tête plate ») probablement oublié du col béarnais de « Benho »1 dans une liste de toponymes datés de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe réunis et commentés par le chevalier de Béla au XVIIIe, Tx. Peillen note que par sa forme et sa graphie ce nom se signale comme « antérieur au passage à ü de bürü » (Peillen 1999 : 197 note 54). On peut supposer en effet que l’influence de la langue béarnaise administrative et notariale jusqu’au XVIIe siècle a pu contribuer à imposer progressivement ce changement dont les premiers signes écrits sont dans le Censier dit « gothique » non sans quelque intervention possible même involontaire des usages oraux du copiste contemporain. L. Michelena, qui ne connaissait pas le texte du Censier, dit le changement dans des conditions phonétiques environnantes bien précises « antérieur aux premiers textes » (Michelena 1961 : 52). Cette voyelle vélaire arrondie écrite u en français et ü en souletin actuel avait remplacé le u latin dans le domaine des anciennes langues celtiques, Gaule et Italie du nord principalement : « On a supposé, non sans apparence de raison, qu’elle était due à une influence celtique » écrit E. Bourciez, qui ajoute : « d’autre part, vers le VIIIe siècle, le nouveau son ne devait pas être répandu dans tout le midi de la France, puisque c’est l’époque où s’est détaché du provençal le catalan qui a conservé ou rétabli l’u… » (Bourciez 1955 : 111-112). Le gascon béarnais compte parmi les dialectes de l’occitan, ou « provençal » selon le mot de Bourciez.
4Cette palatalisation, valant souvent diminutif, très étendue en basque surtout dans le parler familier et familial, est nettement plus marquée dans ces noms souletins de maisons que dans les listes anciennes des régions basques voisines. Elle est surtout répandue et la plus clairement perceptible dans la graphie du temps pour la sifflante dorso-alvéolaire fricative écrite z en basque normalisé (pour s, ss ou ç en français), qui passe à la « chuintante » écrite ch dans la graphie romane des textes, et x en graphie basque normalisée. On a ainsi en 1736 à l’initiale « Chabalcoizce », et pour « Zuhurte » des autres lieux (Macaye 1245 sururt, actuel « Zuhurtia ») « Chouhourtia » réduit à « Chouhour » en 1851. Le nom « Chuburu » du cadastre de 1830 absent en 1736 est relevé sans palatalisation dans « Marie de Suburu » en 1699 qui fait mieux entendre la réduction par haplologie de l’original « zubiburu : bout du pont ». « Chubucot » de 1851 réduit encore le nom à « Chubu- », mais y ajoute un suffixe apparemment diminutif -kot plus gascon que basque comme on le verra. « Chokho » de 1851 au sens « petit coin » porte la palatale habituelle xoko mais à Ciboure en Labourd on a « Sokoa » en basque zokoa. Le nom « Chutta » de 1736 (« Pierre de Chuta » est relevé en 1711), nomme trois maisons en 1851 : « Chuta gagné » (« en haut » palatalisation souletine de gain(e) avec -e paragogique), « Chutapé » (« en bas ») et « Chuta-costère » (mot béarnais pour « à côté »). Le mot communément palatalisé xut pour « élevé, droit » issu de zut « debout, dressé » peut nommer ici à la rigueur une montée « raide », à moins que ce ne soit le romanisme « chute » (d’eau) pris tel quel. Une autre possibilité est que « Chuta » soit la réduction d’un ancien « Churruta/Xurruta » (à Hosta en 1378 churrute etc.) en toponymie ancienne « écoulement, jet d’eau ». A l’initiale encore le nom « Chillanco » de 1736, « Chilhanco » en 1851 peut être issu de zilo « trou, cavité » avec un suffixe diminutif archaïque en séquence phonétique souletine -nk- pour le basque plus commun -ango.
5En second terme de composé le même mot est resté sans palatalisation dans le très répandu azkonzilo « trou/tanière de blaireau », avec en 1690 « Asconcello » (erreur de lecture ou cacographie), et en 1830 « Asconcilo » (voir plus loin). C’est en effet en position interne des mots que cette palatalisation est la plus développée. Elle affecte le mot eliza « église » dans « Elichaet » répété en 1736 pour « Elichalt » (1830, 1851), « Elichagaraya » (« Elichagaray » 1830, 1851), et 1830, 1851 « Elichabe » ; le dérivé eihartzeta « lieu de bois sec » dans 1830 « Eyharchet », 1851 « Eyhartchet » : le même nom doit être cacographié mais en doublant la palatale en 1736 « Acharchetta » ; le mot kurutze « croix » parfois « croisement » dans 1736 « Curutchaga », 1764 « Curuchiague », 1830, 1851 « Curutchelhar » probablement cacographié en 1736 dans « Curchetarria », 1851 « Curutchague, Curutchet » ; haritz « chêne pédonculé » dans 1736 « Haricheta », 1851 » Haritchet », mais 1851 « Harispé » sans palatale comme ailleurs (à Ascarat 1350 Harizpe etc.) ; arrotz » étranger, inconnu » en 1736 « Arrozcharenia » avec une graphie complexe ; et sur le paronyme arotz « forgeron » 1851 « Arotcharen, Arotcheix », resté sans palatale dans le très commun « Arosteguia » (Aroztegia en graphie normalisée), 1851 « Arosteguy ».
6Peut-être Harbelxia 1736 « la pierre noire » sur beltz « noir » écrit « Harbelx » sans suffixe en 1851 (-tx- peut représenter anciennement une affriquée non palatale ici -tz-), et sûrement en 1851 Etchechoury « maison blanche » sur zuri « blanc » ont aussi la palatalisation hypocoristique devenue partout habituelle sinon généralisée pour ces couleurs. Il en est de même pour zaharr « vieux », souvent réduit et palatalisé xar/char pouvant prendre le sens défavorable de « piètre, faible » etc. avec borda « borde » et othe « ajonc » dans 1736 Bordacharia et Otecharia, en 1851 Bordachar, Othéchar (1830 cacographie Othécart). Plus surprenante est la palatalisation familière de zabal « plat, vaste », en général non palatalisé dans les toponymes anciens et noms d’état civil, dans les 3 composés de 1736 « Chabalcoizce, Oyharchabalpia » (voir ci-dessus) et « Oyharchabalgain », rétablis sans palatale dans les listes plus officielles peut-être de 1851 : « Çabaloch » cacographié (absent au cadastre de 1830) et les deux « Oyharçabal ». La patalisation touche aussi le nom de 1736 « Gacherioa », répété tel quel mais sans détermination -a en 1851 « Gacherio » (absent en 1830), qui doit être l’emprunt local, inconnu ailleurs dans les noms de maisons d’Aquitaine, de l’espagnol « caserío : maison rurale », mais adapté au basque ancien par la sonorisation initiale « c- > g- ».
7En dehors des sifflantes, il est difficile de préciser quelles graphies de 1736 représentent une palatalisation pour la latérale l, la nasale n et l’occlusive t. Le double -ll- est visiblement copié de la graphie romane usuelle de « Salle » pour « Salla, Sallaber » contre « Salaber ». La graphie gasconne « lh » pour la latérale « mouillée » se lit dans « Guilhennenia », probablement dans « Ilheroa », et en 1851 « Chilhanco » pour « Chillancoua » de 1736. Mais c’est très certainement la latérale aspirée basque que la même graphie représente pour « ilharr : bruyère » dans « Ilharrescapia » etc. Elle est probablement représentée parfois par -ll- comme dans « Bagolla », le mot « olha : cabane » étant toujours prononcé avec aspirée localement (et écrite ainsi partout dès le XIe siècle) : ici dans « Olhatzeberdia » qui doit être « la borderie verte ». Après e- (qui n’est jamais « e » dit « muet » du français en basque) le double -ll- s’utilise comme en français sans impliquer aucune palatalisation : « Arbellena, Espellia ». Mais après -i- le « mouillement » est probable dans une série de noms : les composés de xilo pour zilo 1736 « Chillancoua, Azconçillo », 1856 « Asconcillo » (voir ci-dessus), 1736 et 1851 « Luchillo » avec lur « terre », la latérale étant curieusement dépalatalisée au cadastre de 1830 « Luchulo » sur zulo variante des dialectes hispaniques mais qui apparaît aussi pour « Zulhaitz » en Cize (1307 sulhaiz) ; « Harriguillia » qu’on pourrait supposer altéré de quelque « harrigibel : arrière de pierre », à finale romanisée en 1851 « Harriguillie », mais que le cadastre de 1830 dépalatalise en « Harigile » qui s’expliquerait alors sur hari « fil » comme nom de métier « fileur », littéralement « faiseur de fil ». Azcarateilla, en 1851 Ascarateil, et Angueilla absent en 1851 ont une finale -eill(a) manifestement palatalisée qui peut être le suffixe diminutif d’origine latine de « abeille, bouteille » etc. introduit sans doute par le gascon béarnais : le premier sur le composé connu « Azkarate » (commune en Baïgorry, maison médiévale à Iholdy etc.), le second plus problé-matique (nom disparu ou changé en 1830 et 1851) et difficile à rapporter à des formes altérées de « ange, anguille », ou basque “angel” pour des fruits à coque vides ou véreux. « Itzaillia » de 1736 disparu ou changé aussi en 1830 et 1851 admet plusieurs explications : d’abord une réduction orale palatalisée de itzegile ou mieux en forme ancienne itzagile « faiseur de clous, cloutier » qui le fait entrer dans la série des noms de métier donnés à la maison (comme “Harigile”), sans exclure quelque dérivé de itzal « ombre » ou de ihitze « jonchaie » sources d’assez nombreux toponymes anciens. En 1851 dans « Itçainheguille » (absent en 1736 et 1830) le composé « itzainhegi » serait « sommet du bouvier » pouvant faire allusion à quelque incident d’élevage ou de transport en montagne fixé dans le nom de lieu, la finale palatalisée -(i)lle semble encore un suffixe diminutif roman du langage familier ; si ce n’est un simple mode de prononciation locale maladroitement transcrit.
8Il n’y a pas de palatalisation obligée du double -ll- en français ou gascon, sauf en graphie espagnole, après -o- dans les deux « Queholla » de 1736 (« grand » et « petit ») écrits « Quehola » sans redoublement en 1851, forme romanisée unique « Queholle » au cadastre de 1830. Ce nom ainsi répété semble s’être transmis à partir d’une mauvaise lecture (ou prononciation contaminée par l’omniprésent olha « cabane » ?) du mot kehell « claie, clôture » mot palatalisé dans toutes les citations et au dictionnaire de Lhande, qui nommait des maisons médiévales en plusieurs communes de Soule (Gestas, Espès, Chéraute, Garindein, Assurucq, Alos) mais inusité ailleurs : il sort directement du vieux français « claiel » relevé au XIIIe siècle et qui devait avoir son correspondant gascon de forme proche, à partir du mot gaulois cleta « claie, treillis » passé au latin vulgaire. Le basque souletin a réduit le groupe cl- inconnu de la phonétique basque ancienne par l’élimination surprenante de la latérale (normalement c’est l’occlusive qui disparaît : ecclesia > eliza, pluma > luma etc.), introduit une aspiration intervocalique et palatalisé la latérale notée en double -ll- à l’écrit.
9Le basque moderne écrit aussi par le double -tt- la dentale sourde palatalisée, graphie que présentent quatre noms de 1736 : « Echettoa, Laxetta, Alcattia, Ayttaberroua », écrits « Etchetto », « Laxette » à finale romanisée, « Alcat » sans suffixe en 1851, et « Aytaberro » au cadastre de 1830 (non cité en 1851). Dans « Laxetta » romanisé au XIXe siècle selon l’habitude en « Laxette », maintenant le signe -x- pour l’affriquée basque écrite -ts-, latseta « lieu de cours d’eau », la graphie -ette signale une prononciation française sans palataliser la dentale. A « Etchetto », avec le suffixe diminutif basque -to pour « petite maison, maisonnette », la palatalisation phonétique s’ajoute assez couramment dans l’usage oral au diminutif morphologique -to. « Alcattia » ne répond à aucune des conditions précédentes : ni suffixe diminutif, ni séquence romane « -ette ». Mais on peut penser encore ici que le double -tt- représente la palatalisation familière de l’oral, même si elle disparaît forcément avec la suppression du suffixe dans « Alcat »’ en 1851 (resté tel quel en nom d’état civil) et moins probablement la consonne aspirée -th- inhabituelle dans cet emprunt. C’est possible aussi dans « Ayttaberroua », partiellement normalisé en quelque sorte au cadastre « Aytaberro » sans le suffixe déterminant -a et la séquence orale altérée -oa > -ua effacée « broussaille du (ou « de ») père ». Le mot aita « père » prend souvent à l’oral la palatalisation familière en particulier dans des dialectes d’Espagne.
10Quelles qu’en soient la raison et la signification précise, ce type de nom est attesté ailleurs, par exemple pour « Aphezberro : broussaille de l’abbé », maison médiévale de Chéraute source de noms d’état civil (Grosclaude 1992 : 41).
11Hors palatalisations deux autres altérations phonétiques des mots basques anciens se lisent dans les noms de Ste-Engrâce : le passage de « Echecaparia » de 1736 à « Etchécopar » en 1830 et 1851, et l’altération de bertze « autre » en beste. Pour l’Etxegapare médiéval basnavarrais (1294 etchegapare, 1307 echagapare), pratiquement inconnu dans la documentation médiévale du Labourd, réduit généralement à « Etxepare » moderne, au sens « maison principale » documenté ailleurs aussi bien en traduction latine (1294 domus maiorie) que romane (1350 casamayor), le Censier souletin rédigé en gascon donnait des formes médiévales en général romanisées en « Casemayor », mais parfois en basque, ainsi echecappare à Oyhercq, Gotein, Musculdy, echecapare à Viodos, echecapphare à Mendibieu, Aussurucq, echecappare à Gotein, etchecapphare à Alos. Elles ont en commun d’avoir conservé sans sonorisation basque et sans exception l’occlusive initiale sourde du bas latin ou pré-roman capale réduit du classique capitale, comme dans le mot kapare donné et défini tardivement par Oyhénart (1657). Comme c’est arrivé parfois ailleurs (arestian > oixtion « tout à l’heure » etc.) la 1ère voyelle -a- s’est fermée et palatalisée en -o- sans doute ici par effet de dissimilation avec le second -a- pour faire le nom de maison et de là d’état civil exclusif à la Soule « Etchecopar ». Sauf erreurs de copie, la liste de 1736 porte encore les deux formes : « Echecaparia » au quartier Alças-Urrutia et encore « Pierre d’Etchecapar » en 1764, mais « Etchecoparia » au quartier Hiria. En 1851 c’est « Etchécopar » au Bourg (deux fois) et à Alças-Urrutia, le changement étant donc fixé au plus tard au cours du XVIIIe siècle. On peut douter que le nom « Chaparria » de 1736 à Athoro (nom de quartier qui s’explique « atha-oro : tous passages » toponyme unique en son genre dans les listes anciennes) ait à voir avec le précédent, plutôt qu’avec le mot saparr « buisson », ou « Caparr » de 1851 au quartier Alzazartea qui s’y apparente mieux, puisque le paronyme khaparr s’emploie en Soule au même sens de « hallier, buisson épineux ».
12Le changement dialectal de ber(t)ze « autre » à beste est au contraire déjà établi en Soule, ou du moins à Ste-Engrâce en 1736 : « Etchebestia » à Hiria, « Etchevestia » (-v- pour -b- entre dans les marques de graphie romane de cette liste) au quartier Dolainti-Urrutia, raccourci à « Etchebest » en 1851 qui est passé en nom d’état civil. A l’époque de la rédaction du « Censier gothique » qu’on fait remonter à la fin du XIVe siècle, le changement n’était pas fait : echeversea à Charritte-de-Bas, Viodos, echeversé à Mendibieu, Barcus, echeverse à Libarrenx, Gotein, Lacarry, Montory, echeversse à Aussuruc. Mais le même Censier qui citait le nom « Larzabal » d’Ordiarp romanisé en phonétique gasconne « Larçabau » (nom officiel mal francisé « Larceveau » pour la commune d’Ostabarès), l’écrivait une seule fois « lastabau » avec la même altération que dans beste de l’ancien ber(t)ze où la sifflante semble avoir été le plus souvent fricative. Comme le Censier rédigé dans la langue officielle du temps, le gascon béarnais, a été réécrit en 1690 et « vidimé » c›est-à-dire « certifié conforme à l›original » par les notaires Gastellu et Casenave, on ne sait si c’est au premier rédacteur ou aux copistes qu’on doit cette altération ponctuelle qu’annonçait le changement dès le XIe siècle du prénom local « Garzia » en « Gassie » dans les textes gascons. Déjà adoptée dans les dialectes hispaniques au XVIe siècle, elle ne passe en Soule qu’au XVIIe au plus tôt, de là en Ostabarès avant l’an 1810 où elle est documentée, mais seulement à la fin du XXème dans la plus grande partie de la Basse-Navarre et en Labourd. Elle a le désavantage de faire oublier que le mot ber(t)ze « autre » est le dérivé et l’antonyme de berr « même ».
13A peine est-il besoin de signaler la place que tient l’aspiration réelle (et pas seulement graphique) notée dans un grand nombre de noms de ces listes, tant elle est un élément spécifique et caracté-ristique de l’ancienne phonétique basque, aussi bien en aspiration initiale (Harriguillia, Harbelxia, Haricheta, Halzare, Hazlepoa, Hustu etc.) ou intervocalique (Chouhourtia, Elgoihenia, Mouhouradia, Goihenechia, Eyherabarnia, Lohidoya, Uhaltia, Iraheguia etc.), qu’en consonne aspirée : latérale -lh- (Ailhorria, Ilharresca, Ilheroa, Olhatzeberdia) parfois notée -ll- (Bagolla), vibrante -rh- (Berhoueta, Arhondoua, Arhancet, Arhex, Barhenborde), nasale -nh- plus rare (Astarinharte), occlusives -ph- (Urruslepho, Harphassia) et -th- (Uthurraltia, Borthiri, Çalthun, Motholibar, Othéchar). Plusieurs de ces aspirations ne sont pas étymologiques mais propres à la prononciation basque : ainsi dans « Çalthun » qui est un dérivé de « zaldi : cheval » pour « cavalier » ou « chevalier » avec la suite romane -lt- adoptée par le souletin au lieu du commun -ld- pour zaldun comme en 1125 ssalduna « le chevalier » en Mixe réduction par haplologie de zaldidun, plutôt que de saltu latin « terre inculte, boisée » ; et dans « Borthiri » qui dérive de borta pour « porte » si c’est un nom récent, ou du latin curte « cour, aire, ferme » adapté au basque en gorte et altéré par analogie si c’est un nom resté de l’époque médiévale comme en Basse-Navarre. La marque du dialecte local est aussi d’introduire des aspirations inconnues ou très rares dans les provinces basques voisines : ainsi pour « Barhenborde » et « Elgoihenia » où ces anciens superlatifs, barren « le plus intérieur » évolué en barne et goien « le plus haut », sont généralement dépourvus d’aspiration interne.
14Dans cette nomenclature des maisons et quartiers de Ste-Engrâce entre le XVIIIème et le XIXème siècle (1736-1851), avec très peu de documentation antérieure des XVIème et XVIIème siècles aujourd’hui accessible, la toponomastique d’habitat dans sa plus grande partie reproduit les traits linguistiques généraux de lexique et morphologie des provinces basques voisines, y compris une majorité de noms identiques. Aux spécificités phonétiques dialectales ou locales précédemment signalées s’ajoutent pourtant des éléments lexicaux qui contribuent à y apporter une certaine originalité. Une part en revient certainement à la période relativement tardive de la documentation, autant qu’à la proximité immédiate du gascon béarnais à la frontière des deux vicomtés territoriales de l’ancien duché gascon héritier de l’antique « pays des neuf peuples » tôt romanisé dans sa plus grande partie d’une part, et aussi de la Navarre de langue officielle castillane de l’autre : non seulement la Basse-Navarre voisine, mais aussi au-delà des « ports » la vallée de Roncal et plus loin les liens premiers avec l’abbaye de Leyre.
15On doit à cette situation dans l’espace et le temps d’abord un ensemble de noms romans pour la plupart reportables au gascon béarnais : si les prébendes et les « prébendiers » existent anciennement partout, certains cités avec les « caperans » (« chapelains » ou curés) au fouage bas-navarrais de 1366, c’est seulement ici que le mot passe et se répète en nom de maison, basquisé dans 1736 « Prebenda » et « Sintaco prebenda » (« La prébende de Sainte ») qui contient le nom gascon de la « sainte » de la collégiale déformé du nom du quartier « Senta » à « sinta ». Du gascon béarnais sont de même « Agaras(ia) », « Poucheu » de 1830 rectifiant l’erreur « Pacheu » de 1736 plus couramment « Pucheu »’ (M. Groclaude, op. cit. p. 215 et 218), probablement Solan de 1851, Loga correspondant à « Lauga » (ibid. p. 51 et 170). Le suffixe -cot qui intégre peut-être le basque diminutif -ko au roman -ot issu du latin -ottu est ajouté à des radicaux basques dans « Chubucot » 1851, « Ihiscot » 1736 en quelque sorte francisé au cadastre officiel de 1830 en « Ihiscotte », comme le composé « Bordalecu » (« lieu de borde ») de 1851 l’est au même cadastre en « Bordalèque » (sic). « Chambre » de 1851 traduit peut être aussi en français un plus ancien « Gambara » adapté au basque du roman et bien attesté ailleurs en nom médiéval de maison (1366 guambara à St.-Michel-le-Vieux) ou postérieur (1832 Ganbaraberry à Ossès).
16Des noms de personnes donnés à la maison entrent aussi dans les mots d’origine romane, avec parfois des marques dues au gascon béarnais : ainsi la suppression de la nasale finale étymologique à « Constanti » en 1736 est formellement un trait de phonétique gasconne redevable peut-être à la langue du copiste, rétabli « Constantin » en 1830 et 1851, nom français par ailleurs resté dans la littérature de dialecte souletin. Le suffixe diminutif -et du prénom écrit « Joanet, Junet, Jounet » pris pour nom de maison a la même origine. Pleinement gasconne est la base de « Mossenpesenia » de 1736 qui vaut en français « monsieur Pierre », suffixée en basque pour dire « qui est à … ». De même la forme « Guilhem-/Guillen- » du prénom « Guillaume » très « aquitaine », même si le nom est d’origine germanique et franque, est gasconne pour les deux maisons qui le portent en 1851, « du haut » et « du bas » comme très souvent. La prothèse a- donnée au prénom « Robert » prononcé apparemment « Rubert » (écrit robert dans d’autres textes du temps) dans « Arrubertenia » pour adapter au basque qui l’ignorait la vibrante initiale est aussi plus gasconne que basque. Le basque, sauf cas d’harmonie vocalique (« rire » et « irri » en basque etc.), préférait e- comme dans « Rome > Erroma », « arrec » gascon » et « erreka » basque etc. C’est là un fait de substrat basque dans le gascon, et non, comme on l’a parfois prétendu, un trait propre au gascon passé au basque. On doit encore au roman le nom « Vicent » pour « Vincent » dans « Vicentenia » 1736, francisé « Vincent » en 1851. On peut hésiter pour « Duranenia » pris ou au français « Durand » où le -d final n’est pas entendu, ou peut-être a une forme espagnole « Duran » qui existe aussi. Le nom « Puntenia » de 1736 réduit à « Punt » en 1851 indique aussi un nom de personne et non un lieu (« pointe, bout » passé au basque punta) même si les deux sont de même étymologie : quoique ce mot ne soit pas cité par M. Grosclaude en nom de famille gascon, il n’est pas exclu comme surnom local, ni même à la rigueur au sens du béarnais punté « aiguillée, longueur de fil » qui le ferait entrer dans la série des surnoms de métier. Le nom « Accoze » peut bien être un nom d’origine venu de la voisine vallée d’Aspe et reproduisant une forme ancienne du nom « Accous « (1164 Achose, 1247 Acos, 1385 Aquos) : même si la vallée d’Aspe et son nom même ont été anciennement de langue basque, le nom reste inexpliqué et inexplicable par le vocabulaire basque connu. Le nom du « Médoc » bordelais resté à SteEngrâce en surnom d’origine passé à la maison était le résultat roman surprenant mais régulier du latin « Metullium ».
17Les échanges anciens avec la Navarre d’outremonts par le monastère de Leyre du moins avant la guerre de Navarre (1512-1530) et ses conséquences et les relations longtemps maintenues avec le versant navarrais du Roncal voisin dont le dialecte basque avait bien des traits du souletin ont donné aussi à Ste-Engrâce quelques noms hispaniques comme « Gacherioa », ou « Alcatia » et sa borde « Alcat borde » de 1736 : sous la forme « Alcaterena » encore très régulière le nom se retrouve pour les mêmes raisons dans les maisons de St-JeanPied-de-Port listées en 1664, où c’était de plus un titre porté au moyen âge par le gouverneur de la châtellenie. « Ilheroa » au quartier Athoro (« Ilhéro » au cadastre de 1830) malgré la mouillure gasconne signalée a l’apparence d’un mot espagnol, mais le plus proche « hilero : courant secondaire » ne convient guère. Un nom comme « Arraco » typique de Ste-Engrâce (en 1694 il est écrit « arroco » sans doute par erreur) quoique basque de forme mais peu clair (base arrai comme les médiévaux « Arraidu, Arraioz, Bidarrai ? ») qui a des répondants au versant espagnol, est totalement inconnu dans les listes anciennes des autres provinces aquitaines. La vibrante faible dans « Aracoxia » de 1736, « Aracouex » en 1851 et « Aracouets » au cadastre de 1830 exclut en principe que ce nom soit fait sur la même base, et le segment écrit avec « ou » sans -a article « -coxi/-couex/-couets » suggère un ancien « goitz/koitz » pouvant indiquer une position au levant ou du moins en hauteur, peut-être sur « aran : vallée » (ailleurs on a « Arangoitz » bien connu). On retrouve ce composant dans « Halçaran » 1851, pourtant écrit « Halzarenia » en 1736 et « Halçaren » au cadastre, comme si « halza : l’aulne » était là un surnom de personne suivi d’un suffixe de génitif, ce qui est très improbable.
18Toute une série de noms basques reste typique du lieu, et ils sont absents ou très rares ailleurs : on l’a vu pour « Unguraturu ». Comme l’emprunt « bago » pour « hêtre » spécifique du souletin au lieu de « phago/hago/fago » ailleurs, le dialectisme oriental borma « mur » (orma dans les dialectes hispaniques) issu du latin forma fait le nom « Bormapia » de 1736 qui vaut « Bormapea » littéralement « le bas de muraille », quel que soit le mur en question, construction peut-être liée au « gaztelu zahar » signalé ou même forme rocheuse naturelle. On ne peut exclure que ce soit à ces hauteurs montagneuses au sens du horma navarro-labourdin « gel, eau glacée », même si le souletin moderne utilise seulement karroin en ce sens.
19Le mot elge au sens « champ, terre cultivée » a fourni de nombreux noms bas-navarrais de maisons documentés depuis au moins le XIIIe siècle (Armendaritz, Ossès, Baïgorry, Aïncille, Ahaxe, Buçunaritz, Lacarre, Jaxu, Bustince, Iriberry, Ispoure), mais le Censier médiéval ne le cite en Soule qu’à Ithorrots (« Elgarte », le plus répandu de ses dérivés « entre cultures », à Ste-Engrâce « Elgart » en 1851), à Abense-de-Bas (« Harrielge » forme rare « culture pierreuse »), et à Licq (« Elgueaitzine » qui est « devant de culture »). On ne sait si la forme alga- dans « Algalarrondo » à Arrast en est une variante, ou si elle correspond au latin alga « marécage » à l’origine du gascon « ’Lauga ». A Ste-Engrâce le mot elge a nommé, avec « Elgart » de 1851, au moins cinq maisons : en 1736 « Elgoihenia » répété aux quartiers du Bourg et d’ AlçasUrrutia, où la syllabe -ge- est tombée par haplologie devant -go- de -goi(h)en « le plus haut » ; « Elguebarnia » (en 1698 « Elguebarne ») repété de même qui peut se comprendre « l’elge plus intérieur » (barne est l’altération de l’ancien superlatif barren « le plus intérieur » : forme ancienne restée à Ste-Engrâce dans « Eiherabarren » et « Barhenborde »), ou « l’intérieur de l’elge » indiquant une maison dans le champ même. Ces deux noms se répètent aux mêmes lieux en 1851. La particularité de la Soule c’est que les terres de culture nommées par elge forment dans chaque village un ensemble collectif et clôturé où chaque maison ancienne a sa part fixée. On ne sait rien sur l’origine de cette situation dans le temps et si elle a pu aussi exister ailleurs.
20Quelques autres noms entrent dans le cadre de ces curiosités locales. « Sabuquy » cité en 1694, 1830, 1851 est le souletinisme sabuki pour le latinisme commun sabuka « sureau », tous deux absents des listes médiévales. Moutelybure » de 1736 à Athoro semble se retrouver en 1830 et 1851 sous la forme « Motholibar » mais au quartier Mukhumurrutia, ce qui peut indiquer une réorganisation des quartiers. Le nom est difficile à comprendre : le premier élément semble être motho, souletinisme au sens de « touffe de verdure » etc. (au sens général c’est « chignon »), qui doit être le même que le français « motte » pour « levée de terre ». L’élément -bure est en général la romanisation de buru « tête », mais la liste de 1736 met « Ibarburu, Espondaburia » ; le segment -ibar « vallée » de 1830 est tout autre et la latérale -l- qui lie ces éléments n’est pas identifiable comme élément lexical, sinon à l’extrême rigueur en résidu de quelque olha « cabane » très présent dans ces listes.
21On ne connaît le latinisme hodi « canal, conduit » hérité de « fodea » en nom de maison qu’à Mendionde (Labourd), et à Ste-Engrâce dans le composé de 1851 « Aguerrody » (absent en 1736) qui indique un « canal ou conduit visible », en 1830 « Aguérodi ». Il complète les nombreux noms du lieu qui font allusion aux eaux en 1736 : directement sur ithurri ici üthürri « source, fontaine » (« Uthurraltia » deux fois, « Uthurruria »), sur l’ancien bai « rivière » (« Baygorria »), sur ur « eau » (« Uhaltia », et en 1851 « Uhart »), sur lats « ruisseau » (« Laxetta »), sur erreka « ravin » et « cours d’eau » (« Errecaltia » et en 1851 « Errecondo ») ; indirectement sur eihera « moulin » (« Eyhera-barnia, Eihera, Eyheramendia » et en 1851 « Eyheralt »), sur zaldain « passerelle » (« Çaldainburia »), sur ibi « gué » (« Ourdaibie »), sur lohi « alluvion, boue » (« Lohidoya), sur le gascon auga « marécage » peut-être aussi « Loga » et en 1851 « Logibar ». En 1699 était cité « Suburu » réduction de zubiburu « bout du pont » sur zubi « pont », en 1851 « Chuburu » au quartier Dolaïnty-Urrutia, et le même au « Bourg » réduit et suffixé en « Chubucot ». S’y ajoutent aussi en 1851 « Moulin d’Arhancet, Moulin d’Elichabe ». On pourrait y joindre les noms des plantes propres aux lieux humides et d’abord haltz « aulne » ou « verne » qui prend là pour les noms de quartiers et maisons, une place inattendue au moins par les formes et le nombre des noms de 1736 : « Alzacia, Alzace, Altzacebe, Halzarenia, Halzare » ; et en 1851 « Halçaran » et les quartiers « Alçasso, Alças-Artia, Alças-Urrutia », accumulation très exception-nelle et inconnue ailleurs. Rare est au contraire ihi « jonc » ou ihitze « jonchaie » plante des lieux humides, probable en 1851 dans « Ihiscot », si ce n’est le panonyme ihitz « rosée » moins attendu (on trouve surtout en toponymie ancienne izotz « gelée blanche »).