1Autrefois en latin Bayonne se disait “Lapurdum”, dit-on traditionnellement. Cette forme latine fut usitée dans les documents depuis le 5ème siècle après J.C. jusqu’au XIIe siècle (Bériac, 1991), époque où la forme “Baiona” finit par la supplanter définitivement. Mais d’où proviennent ces toponymes, pourquoi cette curieuse dualité de dénomination, puis cette substitution d’un premier nom ayant près de mille ans d’ancienneté par un nouveau nom semblant dépourvu de toute antiquité ? C’est ce à quoi nous allons tenter ici de répondre.
2Le nom latin Lapurdum, pour ce qui le concerne, est à mettre en relation, bien entendu, avec le nom français du Pays de Labourd ainsi qu’avec la forme basque de celui-ci : lapurdi ou Laphurdi (l’aspiration après consonne occlusive en basque semble se répandre vers le XIVème siècle ; cf. Gonzalez-Eppherre & Oihartzabal 2018). Mais, ce faisant, un problème de phonétique historique se pose : si la forme française Labourd peut théoriquement provenir aussi bien du nom latin Lapurdum que du nom basque Lapurdi, ces deux derniers noms, en revanche, ne peuvent pas être reliés directement l’un à l’autre. En effet, si le nom d’origine était du type latin Lapurdum, il devrait avoir pour équivalent basque *Lapurdu avec un -u final ; et si le nom d’origine était du type basque Lapurdi, il devrait avoir pour équivalent latin *Lapurdis avec un i dans la syllabe finale (troisième déclinaison parisyllabique), de même que le nom basque de l’Adour Aturri a donné le latin Aturris et les nombreux Iliberri antiques (« ville neuve ») la forme latine Iliberris. D’où vient donc alors cette discordance entre les voyelles finales des noms Lapurdum et Lapurdi et que peut-elle nous apprendre ?
3Pour répondre à cette question il faut d’abord observer qu’en lexique et toponymie basques le suffixe locatif -di (-ti après sifflante), qui s’attache communément à des noms d’arbres ou autres végétaux ainsi qu’à certains types de terrain et minéraux, est en double distribution régionale avec le suffixe locatif -doi (-toi après sifflante), à l’exemple de sagardi/ sagardoi (pommeraie), (h)arizti/hariztoi (chênaie), amezti/ameztoi (bosquet de tauzins), lizardi/ lexardoi (frênaie), pagadi/pagadoi (hêtraie) etc… La forme -di/-ti est en usage dans la partie ouest du Pays-Basque, de la Biscaye jusqu’au Labourd, tandis que la forme -doi/-toi concerne l’est du pays à partir de la Basse-Navarre. Il s’agit donc bien d’un même suffixe revêtant deux formes distinctes suivant les régions. Mais il faut, en outre, relever une nette différence d’accentuation : les formes en -di/-ti portent l’accent tonique sur la syllabe précédant le suffixe (sagárdi, lizárdi…), tandis que les formes en -doi/-toi portent l’accent tonique sur le suffixe luimême (sagardói, lexardói…) Ceci est remarquablement évident dans la prononciation castillane de ces mots où l’accentuation est particulièrement marquée.
4Or il convient aussi de relever, d’autre part, l’existence d’une troisième forme en -dui/tui dans les confins romanisés du Pays-Basque comme les noms Sagardúi ou Aiastúi ou encore Otadúi en Alava et Haristouy en territoire béarnais jouxtant la Soule. On peut logiquement inférer de ces données une hypothèse selon laquelle la forme originelle du suffixe, intermédiaire entre -di/-ti atone et -dói/-tói tonique actuels, était d’un type -dui/-tui atone : restant en position atone, donc phonétiquement faible, elle s’est par la suite simplifiée en “-di/-ti” dans la partie occidentale du pays, tandis que, au contraire, dans une petite partie orientale, l’accent s’est déplacé à la finale sur le suffixe lui-même, qui, ainsi renforcé, aura régulièrement évolué par la suite de -dúi/-túi à -dói/-tói. Les formes actuelles Sagardúi d’Alava et Haristouy de Béarn représentent, quant à elles, un état figé de la prononciation en langue romane après disparition de la langue d’origine.
5Sur ces bases de phonétique historique il est permis de supputer que lorsque les Romains arrivèrent du côté de la future Bayonne, le nom du lieu où ils décidèrent de faire halte devait être lapúrdui en langue locale et qu’ils l’ont intégré normalement en déclinaison latine sous la forme lapúrdum, tandis que la forme autochtone aura de son côté évolué régulièrement en basque pour donner lapúrdi.
- 1 Dans l’original en basque: “belearen elhea, eta funtsikgabeko atso kontua” (Etcheberri 1718: § 9). (...)
6Quant à savoir ce que signifiait le toponyme autochtone *Lapurdui, cela reste mystérieux. En basque classique et moderne lapur signifie ‘voleur professionnel’, ‘pirate’ (en contexte maritime), ce qui permet des plaisanteries peu charitables envers les Labourdins ( = Lapurtarrak), et qui déjà provoqua une vive réaction d’Etcheberri de Sare (1718) en réponse à l’étymologie allant en ce sens défendue par Oihenart et qu’il qualifia de « propos de corbeau, et d’histoires de vieille bonne femme sans fondements ».1 En basque antique la base lapur du toponyme Lapurdui renvoie probablement à une espèce végétale abondante sur le site ou bien à la nature du sol, mais dont la dénomination n’a pas eu de descendance dans le vocabulaire actuel. Serait-ce une variante de l’actuel mot lapar/lahar ‘ronce’ dont les dérivés lapardi, lahardi, naardui ‘ronceraie’ ? sont par ailleurs attestés (cf. 0EH, entrées lapardi et lahardi) Ou faut-il y voir une forme composée avec un groupe *lap- précédant à l’initiale le nom hur qui signifie ‘noisette’ ou ‘noisetier’ ? Le sujet reste à explorer.
7Mais, d’autre part et surtout, comment se fait-il que le nom Lapurdum d’usage millénaire, ait fini par être abandonné au Moyen-Âge au profit de Baiona ? Pour envisager cette question, il faut partir d’une constatation absolument fondamentale et de tout temps négligée : en parler gascon de Bayonne le nom « Labourd » est employé dans l’expression désignant la rive droite de l’Adour, du côté de l’actuel quartier Saint-Esprit, soit « Arribe-Labourd » ou « Arriba-Labort » en orthographe normalisée, qui signifie « la rive de Labourd ». Quant à la ville de Bayonne, en sens contraire, elle se trouve sur la rive gauche du fleuve. Et le village qui s’est développé autrefois sur la rive droite s’est appelé Saint-Etienne d’Arribe-Labourd autour de l’ancienne église paroissiale, laquelle porte toujours ce nom aujourd’hui.
8On peut donc en déduire qu’aux temps anciens la rive droite avait pour nom rive de Labourd, tandis que la rive gauche devait se dénommer, selon toute vraisemblance, rive de Bayonne.
9Très curieusement si l’on transpose le gascon « Arribe-Labourd » en basque, cela donne “Lapurdi-Ibarra” ; or ce nom existe bien dans la région comme patronyme sous la forme francisée « Labourt-Ibarre ».
10Ce point crucial de localisation étant ainsi éclairci, pourquoi l’usage du premier millénaire a-t-il d’abord privilégié le nom de la rive droite “Lapurdum” au lieu de celui de la rive gauche “Baiona” ? On peut relever en premier lieu que cet usage fut d’abord celui des Romains eux-mêmes pendant l’Antiquité. Mais à quoi se référait-il initialement ?
11Il convient de rappeler que Jules César avait conquis les Gaules entre l’an 58 et l’an 50 avant J.C. et que le camp militaire de Dax fut fondé en l’an 15 avant J.C. Quant au site romain de la Bayonne actuelle sur la rive gauche de l’Adour, il ne fut édifié que près de quatre siècles plus tard, entre l’an 350 et l’an 400. J.C. Jean-Luc Tobie dans son article sur de l’antiquité de Bayonne (in Josette Pontet 1991) estime, comme beaucoup d’autres, que ce site fut fondé “ex nihilo” au IVe siècle car il n’existe aucune trace ni vestige de construction antérieure. En sens contraire François Réchin dans son article de l’Atlas historique de Bayonne (Boutoulle & al (Dir) ; 2019) intitulé « Bayonne antique : de la petite agglomération alto-impériale au castrum tardo-antique » estime que la cité de Bayonne fut fondée dès le Haut-Empire romain sans enceinte fortifiée et ne reçut ses murailles que tardivement, entre le 4° et le 5° siècle. Mais si, en effet, des vestiges de présence humaine antérieurs au 4° siècle ont pu être mis au jour sur le site du Vieux-Bayonne, ce qui est naturel en bordure de deux cours d’eau poissonneux, ils ne témoignent pas d’un peuplement significatif ni d’un habitat identifiable et encore moins d’une urbanisation.
12Or il est certain que le site de Bayonne au confluent de la Nive et de l’Adour, ce dernier fleuve formant une importante frontière naturelle, avait un caractère militairement stratégique et que les Romains installés à Dax en l’an 15 avant J.C. ne pouvaient pas le laisser hors de contrôle. De fait, le site de la future citadelle de Vauban, surplombant le confluent sur la rive droite à une altitude de 50 mètres et qui était bordé par l’Adour à la fois sur le côté sud, comme aujourd’hui, et sur le côté ouest car le fleuve le contournait pour aller déboucher dans l’océan à Capbreton, pouvait fournir un excellent poste d’observation et de repli. Il y a donc lieu de supposer que pendant les trois ou quatre siècles précédant la fondation de Bayonne sur la rive gauche, les militaires romains venus de Dax en descendant l’Adour s’étaient installés dans un fortin sur la hauteur stratégique surplombant la rive droite, actuel site de la citadelle, en un “castrum” appelé par eux Lapurdum, lequel laissera plus tard son nom à la rive du fleuve le longeant, soit Arribe-Labourd ( = *Ripa Lapurdi) . Des fouilles et sondages sous l’actuel site de la citadelle seraient fort utiles pour tenter de vérifier cette hypothèse bien plausible.
13On peut, d’autre part, supposer que le détachement romain de Lapurdum aura conservé son nom séculaire dans la nomenclature militaire lors de son transfert sur la rive gauche au quatrième siècle, transportant ainsi ce nom avec lui.
14Cette installation des soldats romains sur la rive gauche semble correspondre à l’organisation du détachement en “cohorte de Novempopulanie”. Selon les indications de la « Notice des dignités » (autour de 400 après J.C.) citée par Jean-Luc Tobie dans l’article précité : “in provincia Novempopulana, Tribunus cohortis Novempopulanae, Lapurdo”. Or une cohorte était une formation militaire de 500 hommes commandée par un tribun qui ne pouvait loger dans un simple “castrum” au sommet d’une colline. C’est ainsi que sur la rive gauche de l’Adour et de la Nive fut édifié un vaste “castra” de dix hectares de superficie entouré d’une muraille de 1125 mètres de périmètre, dont les vestiges sont toujours visibles aujourd’hui. Le terme “castra”, pluriel de “castrum”, a en latin une valeur augmentative et désigne un camp militaire permanent de grandes dimensions.
15Plus tard, sur le modèle de la “cohors lapurdensis” et du “tribunus lapurdensis”, le vicomte de Labourd, tout en résidant à “Baiona”, s’appellera également “vicecomes lapurdensis” de même que l’évêque du lieu “episcopus lapurdensis” dans le langage administratif latin.
16Mais puisque le nouveau site militaire de la rive gauche ne se dénommait pas proprement “Lapurdum”, un autre nom de lieu devait nécessairement pré-exister, ce qui conduit à s’interroger sur le nom “Baiona”, qui devait être logiquement celui de la rive gauche. Dans tous les cas, en se référant aux deux lieux, il fallait bien faire la différence entre le modeste “castrum lapurdum” du premier siècle et le grand “castra” de la future Baiona du quatrième.
17Quant à l’origine du nom Baiona, elle n’est pas établie : une explication traditionnelle y voit un étymon basque ibai ona signifiant « la bonne rivière », qui pourrait se référer à la Nive, et dont la voyelle initiale “i” se serait régulièrement perdue en basque, dans un mot composé, par le déplacement normal de l’accent sur la première syllabe du deuxième élément de composition, soit sur le “o” de “ona”. C’est de la même manière, par exemple, que le toponyme “Baigorri”, après la perte du “i” initial, semble provenir d’un étymon ibai gorri signifiant « rivière rouge » (à mettre sans doute en relation avec les gisements de fer de la vallée de Banca). J.B. Orpustan (1996), de son côté, suggérait aussi pour Baiona un éventuel “ibai mun” ou “ibai bun” pouvant signifier « hauteur des cours d’eau », ce qui demeure du domaine spéculatif.
18Cependant en phonétique gasconne comme basque le nom Baiona pose problème du fait de l’existence de son -n- lenis intervocalique. Pour un nom aussi ancien, remontant à plus de mille ans, un -n- intervocalique ne saurait se maintenir ni en gascon ni en basque mais serait voué à la disparition, puisqu’aussi bien il s’agit là d’un trait caractéristique commun aux deux langues : comme il est connu (Rohlfs 1977 : § 468), la poule latine “gallina” donne le gascon “garia” de même que le canard latin anate(m) donne le basque ahate. Si donc on avait prononcé /*baiona/ en latin des Romains le résultat gascon eût été “*Baioa/*Bayoue” et le résultat basque “*Maioa/*Maiñoa”. Mais tel n’est pas le cas.
19Le nom basco-gascon Baiona ne peut donc aucunement représenter la forme latine d’origine et constitue nécessairement l’évolution d’une forme antérieure distincte, qui a pu permettre le maintien du “-n-”. Il y a deux possibilités phonétiques : soit le “n” de l’étymon était fortis (-N-), ou géminé, dans une forme telle que BaioNa ou Baionna, soit le n n’était pas intervocalique mais adossé à une consonne comme “d”, qui l’a protégé avant de s’effacer régulièrement en gascon, dans une forme primitive pouvant être *Baionda. Celle-ci aurait évolué ensuite normalement en une forme Baiona par chute du d, de même que, par exemple, en gascon, la base landa donne lana (lanne) ou la base verbale andar ‘aller’ (retenue en espagnol) donne anar ainsi que le verbe latin péndere ‘pendre’ donne la forme péner.
20En l’état actuel des données l’hypothèse à “N” “fortis” d’une forme pouvant être graphiée “Baionna”, qui n’apparaît jamais dans les documents en latin, ne semble pas utilement exploitable, tandis que l’hypothèse d’une évolution phonétique gasconne /nd/ donnant /n/ (de Baionda à Baiona), qui est parfaitement régulière, ouvre, quant à elle, une nouvelle perspective de réflexion.
21Or donc, si le latin des Romains disait Baionda avant que la prononciation gasconne n’en fasse Baiona, il reste à expliquer cette forme primitive. On peut proposer l’hypothèse que, de même que le toponyme basque “*lapurdui” avait fourni son épithète caractérisante au premier “castrum lapurdum”, un autre toponyme basque comme “baiondo” a pu servir à identifier le nouveau “castra” de la rive gauche sous la forme “castra *baionda”. cf. Epherre & Oihartzabal 2018. Quant à cette base basque “*baiondo, elle proviendrait régulièrement du syntagme “ibai ondo” signifiant « bord de fleuve » ou plus exactement, sur ce site, « bord des fleuves » (Nive et Adour), et présentant la chute en composition de la voyelle “i” initiale atone.
22Il faut relever, à cet égard, que dans les toponymes latins, un traitement comme adjectif épithète masculin, féminin ou neutre intégré à la déclinaison latine des noms locaux, autochtones ou pas, terminés, par exemple, par “o” est chose courante : le nom *Subelo (Zuberoa) de la vallée de Soule a été adapté au féminin latin dans le syntagme “vallis Subola” ; de même le nom “Nabarro (Nafarroa)” du futur royaume de Navarre l’a également été dans le syntagme “terra Navarra”. Un nom local comme “Baiondo” pouvait donc régulièrement être accordé au neutre pluriel dans un syntagme “castra *Baionda”. Un tel accord en genre se faisait déjà communément avec les noms latins eux-mêmes puisqu’en l’honneur de Caesar Augustus la future Saragosse fut dénommée colonia Caesar Augusta.
23Sur ces bases et pour poursuivre la réflexion, si l’on examine sous l’angle de la phonétique basque l’hypothèse d’un toponyme antique de forme “Baiondo”, son évolution régulière, selon les règles connues, aboutirait à une forme dérivée du type “*Maiñondo” ; en effet, le “b” initial en position atone se nasaliserait en “m” du fait de la présence d’un “n” dans la syllabe tonique ; et pour cette même raison le “i” consonne palatal intervocalique se nasaliserait en “ĩ” en provoquant l’apparition subséquente d’un “ñ” palatal, le tout suivant le schéma “baiondo > maĩondo > maĩñondo”. Or, bien opportunément, un indice toponymique dans la proximité labourdine de Bayonne semble concorder avec cette thèse : il s’agit du nom du carrefour de Maignon au sud de la ville. Ce toponyme, qui est d’allure phonétique gasconne, pourrait parfaitement représenter l’évolution en prononciation gasconne d’une forme basque “Maiñondo” par chute régulière en gascon de la syllabe finale basque avec “o” atone. Du point de vue topographique, du reste, il y a lieu de relever que le nom “Maignon” a historiquement désigné un carrefour et non pas un quartier, et un carrefour très important où les routes venant d’Ustaritz, de Saint-Pée, de Bassussarry et d’autres localités se rejoignaient pour converger sur Bayonne. Dans cette perspective le nom du carrefour de Maignon aurait, à l’origine, signifié “carrefour de (pour) Bayonne” dans une forme initiale basque *Maiñondo’ko kurutxea. Il en résulterait que, alors que la forme *Baionda évoluait régulièrement en Baiona à l’intérieur de la cité romanisée, à l’extérieur des murailles la forme basque primitive *Baiondo continuait à être utilisée par les autochtones tout en évoluant vers la forme *Maiñondo, avant d’être à son tour romanisée sous la forme Maignon. Très curieusement le toponyme autochtone *Baiondo aurait donc été romanisé à deux époques différentes et sous deux formes différentes : tout d’abord par la transformation de *Baiondo en *Baionda/Baiona dans les murs de la ville, et plus tard par la transformation de *Maiñondo en Maignon hors les murs.
24Quant au destin historique des noms Lapurdum et Baiona, il est peu éclairé durant l’époque pré-médiévale, puisque ceux-ci disparaissent complètement de l’histoire documentaire pendant plus de cinq cents années mystérieuses allant du V° siècle au XI° siècle.
25Au début de cette période, moins d’un siècle après la fondation de Baiona/*Baionda au tournant de l’an 400, la chute de l’Empire romain d’Occident survenait, selon les historiens, en l’an 476.
26Auparavant déjà, en l’an, 418 les Wisigoths fondaient l’éphémère royaume de Toulouse, vassal de l’Empire, qui allait durer jusqu’en 507, date où ce peuple germanique passait les Pyrénées pour aller chercher fortune en Hispanie.
27Les Francs apparaissaient ensuite du côté de Bordeaux vers l’an 567 et l’un de leurs célèbres chroniqueurs, Grégoire de Tours, désignait déjà en 587 le territoire situé au sud de la Garonne sous le nom de Wasconia sans faire aucune référence à l’ancienne Novempopulanie. On peut en déduire que les Vascons du sud de l’Adour, qui étaient probablement un peuple semi-nomade, avaient franchi le fleuve vers le nord dès la chute de l’administration romaine pour récupérer leurs antiques espaces de transhumance entre Ebre et Garonne par-dessus les Pyrénées. De ce fait, les peuples germaniques de passage, en concurrence avec de redoutables autochtones, ne se sont jamais durablement installés dans la future Gascogne.
28C’est durant ces siècles obscurs que la cité de Lapurdum/*Baionda est devenue progressivement le chef-lieu d’un vaste pagus ou territoire administré, au sud de l’Adour, le long du littoral atlantique. Car en effet, la dénomination traditionnelle de Pays de Labourd ou de Lapurdum n’a pas d’autre sens, à l’origine, que celui de Pays de Bayonne.
29L’historienne Françoise Bériac, dans un article consacré à Bayonne au Moyen-Âge (in J. Pontet 1991), estime que : « l’évêché (de Bayonne) a pu apparaître au plus tard vers 830 ». Il résulte de cette installation que la juridiction territoriale de l’évêque de Labourd (episcopus lapurdensis) permet de se faire une idée de la véritable étendue du pays de Labourd à cette époque : outre la province actuelle de Labourd, l’évêché incluait, en effet, la vallée de BaztanBidasoa et les territoires adjacents allant jusqu’à Hernani et Saint-Sébastien. Françoise Bériac, à cet égard, précise : « En 1106 Hernani et Saint-Sébastien faisaient partie de l’évêché de Bayonne » et elle ajoute : « jusqu’en 1566 encore quatre archiprêtrés (d’outre-Bidassoa) : Vera, Baztan, Irun-Fontarabie et Pasajes ».
30Il y a lieu, sur ce point particulier, de relever une forte empreinte gasconne (ou bascoromane), en provenance de Bayonne, au sud-ouest de la Bidassoa : les noms des localités de Pasajes et Renteria sont gascons, de même que ceux des villages de Sumbilla et VillabonaAmasa, sans oublier les faubourgs de Saint-Sébastien “Miramon” (Miramont) et Aiete (Hayet), le nom du mont Urgull ainsi que celui du “Cabo Higuer” ou Cap du Figuier à Fontarabie, ni celui de la ville de Tolosa, entre autres multiples exemples.
31L’influence basco-romane de Lapurdum-Baiona sur son arrière-pays dans l’actuel Gipuzkoa du nord-est fut si importante durant le Moyen-Âge que le nom même de la ville de Hernani, si étrange en phonétique basque, représente certainement une forme gasconnisée : cette ville fut fondée en 938 par le fameux comte castillan Hernando ou Fernán González ; à supposer, de manière fort vraisemblable, que son premier nom en basque fût “*Hernánd’iri”, soit “ville de Hernando”, une évolution phonétique de ce nom en gascon aboutirait régulièrement à la forme actuelle “Hernani” en passant par une forme intermédiaire “*Hernánir”.
32Dans un autre ordre d’idée, si l’on compare l’étendue de l’ancien pays épiscopal - et probablement vicomtal - de Labourd et celle de l’actuelle « province », on peut en déduire que lorsque le duc de Gascogne imposa sa suzeraineté sur Bayonne et son arrière-pays au début du XII° siècle, au détriment du roi de Navarre et du vicomte de Labourd, il ne conquit pas, en réalité, la totalité du pays de Labourd mais seulement la partie située au nord de la Bidassoa, laissant le côté sud au pouvoir du roi de Navarre.
33C’est à cette époque que dut se produire une clarification dans l’usage officiel des toponymes. En effet la cité de “Lapurdum/Baiona” avait progressivement développé une activité marchande gérée par une population urbaine dont les intérêts juridiques et fiscaux étaient différents de ceux des populations rurales avoisinantes. C’est pourquoi la ville, dans le cadre du mouvement général des chartes de franchises urbaines du Moyen-Âge, a cherché et obtenu sa propre charte d’autonomie par rapport au régime juridique de son arrière-pays rural. Après les étapes intermédiaires de 1122 (duc Guillaume) et 1172 (roi Richard Coeur de Lion), puis l’élimination du pouvoir vicomtal en 1177, la ville obtenait son autogestion administrative par « Les Etablissements » de 1215 accordés par le duc de Gascogne et roi d’Angleterre Jean Sans-Terre.
34A partir de ce moment la cité de Lapurdum/Baiona et le pays de Lapurdum devenaient des entités juridiques et administratives bien distinctes et séparées, dont les dénominations allaient également se distinguer. Puisque la cité de la rive gauche avait pour nom d’usage immémorial “Baiona”, tandis que l’usage de “Lapurdum” s’était élargi pour s’appliquer à la juridiction territoriale, d’abord du tribun militaire, puis de l’évêque et du vicomte, la ville allait consacrer définitivement sa dénomination traditionnelle de Baiona, le vocable Labourd en venant à désigner exclusivement son arrière-pays rural et maritime, soit la partie de l’ancien “pagus” de “Lapurdum” conquise par le duc de Gascogne.
35Il faudra attendre presque six siècles avant que Bayonne ne redevienne le chef-lieu de son pays de Labourd, en tant que sous-préfecture d’un arrondissement départemental incluant le Labourd et la Basse-Navarre, et deux siècles de plus pour qu’elle s’affirme finalement comme la capitale du Pays-Basque nord à la faveur de la création de la récente Communauté d’agglomération du Pays-Basque qui réunit les trois territoires historiques de Basse-Navarre, Labourd et Soule.