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2. Tomoa / Tome 2
Articles / Artikuluak

La didactique spécifique de la « langue régionale » et le bénéfice du bilinguisme français-basque

Pierre Escudé
p. 107-122

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Thèmes :

linguistique
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Texte intégral

Hizkuntzak gure nortasunen leku dira ; hizkuntzak gure ikaskuntzen leku dira.

  • 1 L’unique initiative nationale regroupant acteurs du bilinguisme français-langue de France (professe (...)

1Cher Jon, il y a très longtemps, tu me demandais de quelle manière développer mieux encore une formation en didactique du bilinguisme français-basque. Cela existe désormais à l’INSPE d’Aquitaine, et sur le site de Pau, formateurs du bilinguisme français-basque et français-occitan mêlent travaux et recherches auprès de leurs étudiants, futurs professeurs des écoles, et professeurs en poste. Une dynamique de la recherche et de la formation sur l’enseignement bilingue est née, elle n’est pas portée par l’Institution qui encadre ce bilinguisme1, mais émerge du terrain pour mieux développer les bénéfices de ce bilinguisme.

1. « Les bilans et évaluations réalisés… »

  • 2 « L’enseignement de la langue basque », in C. Clairis, D. Costaouec, J.-B. Coyos, Langues et cultur (...)

2D’où partons-nous ? Sans doute de ce tableau déjà ancien qu’Erramum Bachoc publia dans l’ouvrage traitant de Langues et cultures régionales, en 19992 :

Tests de CE2

Tests en français

Tests en mathématiques

Scores nationaux

Années

Bilingues

Unilingues

Bilingues

Unilingues

Test en français

Test en mathématiques

1989-1990

14,7

13,3

13,7

11,8

14

12,7

1990-1991

15,1

13,7

15

14,2

13,1

13

1991-1992

13,9

13,5

14,1

13,8

13

13

1992-1993

15,2

13,2

14,7

11,2

13,1

12,9

3Que pouvons-nous y lire ? Que des élèves de CE2 « bilingues » - ayant bénéficié de 5 à 6 années d’enseignement dans deux langues et dont les parents doivent relever des mêmes catégories socio-professionnelles que les élèves de même secteur bénéficiant d’un enseignement monolingue - ont des résultats souvent supérieurs aux élèves « monolingues » tant en mathématiques qu’en français pour des tests nationaux qui sont proposés et rédigés strictement en langue française. Or, les « bilingues » suivent deux fois moins d’enseignement de français que les monolingues, puisque le bilinguisme est paritaire ; et ils ont appris les mathématiques en basque, selon la répartition disciplinaire proposée par cet enseignement paritaire. Loin de toi et de moi de croire qu’il y aurait une race basque spécifique, supérieure, notamment dans les tests en mathématiques et en français de niveau CE2. Il n’y a pas de race supérieure, sans doute et tout simplement parce qu’il n’y a qu’une seule race humaine, universelle et indivisible à moins de vouloir la séparer en catégories supérieure et inférieure, mais factuellement répartie sur la planète avec un certain nombre de spécificités, de celles qui créent les nations, les communautés, les histoires, les langues, les cultures, les civilisations. Ce n’est donc pas sur l’anthropologie que l’on devrait se pencher, mais, comme le fait de manière imperturbable l’Institution scolaire, sur la didactique bilingue. Car l’Institution scolaire ne cesse de tresser des louanges au bénéfice du bilinguisme précoce paritaire ou immersif (depuis la circulaire du 14 décembre 2021) français-langue de France. Qu’on en juge :

Les bilans et évaluations réalisés dans les différentes régions concernées ont confirmé l’intérêt éducatif d’un bilinguisme français-langue régionale dont témoignent, d’une part, le développement des ouvertures de classes bilingues à l’école et, d’autre part, la consolidation et l’extension des sections existantes en collège. Depuis la parution des circulaires n° 82-261 du 21 juin 1982 et n° 95-086 du 7 avril 1995 relatives à l’enseignement des langues et cultures régionales, l’enseignement bilingue s’est donc progressivement développé. (C. n° 2001-167 du 5-9-2001)
Les bilans et évaluations réalisés dans les différentes régions concernées ont confirmé l’intérêt éducatif d’un bilinguisme français-langue régionale ; c’est pourquoi les ouvertures de classes bilingues à l’école ont été développées et les sections existantes en collège et lycée ont été consolidées et étendues. (C. n° 2017-072, BO n° 15 du 13 avril 2017)
Les bilans et évaluations réalisés dans les différentes régions concernées ont confirmé l’intérêt éducatif d’un bilinguisme français-langue régionale. (C. du 14-12-2021, BO n° 47 du 16 décembre 2021)

4Une telle unanimité sur vingt ans d’observation est à saluer. Certes on y retrouve le copier/coller propre à l’inventivité administrative. Et certes, rien n’est résolu pour expliquer ce qui est confirmé ici sur la foi des « bilans et évaluations réalisés dans les différentes régions », et dont l’exemple basque des années 1989-1993 est certainement le premier étymon institutionnel.

  • 3 Cf. P. Escudé, « Le senhal, signe d’un plus grand désastre. L’idéologie linguistique, du châtiment (...)
  • 4 « En 2018, 11,5 % des jeunes participant à la JDC rencontrent des difficultés dans le domaine de la (...)

5S’il n’y a pas d’explication par le sang, la terre, ou la baguette magique, alors c’est qu’il faut l’expliquer factuellement. Quelle est la différence entre le monolinguisme françaisfrançais et le bilinguisme français-langue de France ? Sa didactique : qui n’est pas celle du monolinguisme, ni celle de l’enseignement d’une langue étrangère. Elle repose sur le fait d’un contrat tacite, et tout autant conscientisé, entre parents, enfants, élèves, professeurs, directeurs, inspecteurs : le programme national sera enseigné par des professeurs en deux langues ; il sera appris par des élèves en deux langues. Or, ces deux langues ne sont pas maîtrisées à part égale par les élèves : souvent, les élèves apprennent le basque à l’école, à l’instar des élèves allophones qui y apprennent le français. La différence est que les élèves allophones ont été arrachés ou exilés de leur patrimoine culturel, et que les élèves apprenant une langue régionale réinvestissent sur le lieu où ils vivent un patrimoine immatériel qui a été invisibilisé – et souvent par l’Institution scolaire qui en a été l’efficace instrument3. Le contrat est simple : de même que l’on apprend la langue basque (ou occitane, etc., ou le français pour des petits allophones, et sans doute pour 10 % de la jeune population française estimée illettrée par l’Institution, tandis qu’elle a bénéficié d’une éducation monolingue en français jusqu’à 16 ans, lors de la Journée de la Citoyenneté4) en apprenant des contenus programmatiques (les disciplines scolaires comme les mathématiques, les sciences, etc.), c’est en langue que l’on apprend les contenus scolaires.

6Ce qui était relevé par la grammairienne Claire Benveniste en 1987, lors d’un colloque organisé sur le « handicap linguistique » (que l’on nomme désormais « illettrisme », les causes n’étant pas internes à la personne, mais avant tout sociales) peut nous éclairer ici :

  • 5 Claire Benveniste, « La question du handicap linguistique, une révision », Langue et enseignement, (...)

L’allusion aux enfants de migrants est fréquente : ces enfants ont en effet servi à montrer que les difficultés d’adaptation qu’ils rencontraient à l’école étaient au fond des difficultés rencontrées à de moindres degrés par tous les enfants, et que si l’école était mal adaptée aux enfants migrants, c’était peut-être qu’elle était mal adaptée à tous. (nous soulignons5)

2. De la littératie

  • 6 Programme de Recherche Internationale sur la Littératie Scolaire. Il s’agit d’analyser les compéten (...)
  • 7 maîtres interrogés et 4767 élèves français évalués ; dans le monde, PIRLS 2016 a interrogé 10 401 m (...)

7La didactique du bilinguisme français-langue de France serait donc finalement assez simple : il s’agit de didactiser l’intégration des contenus enseignés et des langues (à tout le moins les deux langues que sont le français et le basque, ou l’occitan, etc), et de donner du sens à cette intégration car les deux langues parlent aux élèves également en dehors de la classe. C’est cela – le sens - qui différencie la didactique d’une langue régionale de celle d’une langue étrangère : l’histoire, la géographie, les liens intergénérationnels, la toponymie, la culture (immatérielle et matérielle) du lieu où vivent les élèves et où ils développent en famille leur vie, peut entrer dans l’École, et l’École permet de décoder et d’encoder ces liaisons fondatrices. En terme didactique, cela a rapport avec ce que l’UNESCO depuis 1952 nomme littératie et qui est, depuis 2001 et tous les cinq ans, questionné et étalonné dans 24 pays de l’Union européenne par le programme PIRLS67 :

8L’aptitude à comprendre et à utiliser les formes du langage écrit que requiert la société ou qui sont importants pour l’individu. Les jeunes lecteurs peuvent construire du sens à partir de textes très variés. Ils lisent pour apprendre, pour s’intégrer dans une société où la lecture joue un rôle essentiel, et pour leur plaisir.

9On l’a compris, la littératie, c’est le contraire exact de l’illettrisme.

  • 8  % d’enseignement « de la langue » en France contre 28 % pour la moyenne de l’UE ; 19 % d’enseignem (...)

10L’antépénultième place dans l’évaluation PIRLS 2016 qu’occupe la France ne peut que questionner. Car les maîtres français (strictement monolingues) interrogés sur leur pratique7 disent donner jusqu’à 40 % du temps scolaire pour la langue – dont la moitié pour la « lecture compréhension »88. Ce temps important de l’ordre de 20 % du temps général – contre 10 % pour la moyenne des pays de l’UE – est ainsi dédié au code de la langue en dehors de toute actionnalité, de tout usage de la langue pour apprendre « quelque chose ». Il « mord » par ailleurs sur le temps de disciplines moins développées dans les cursus monolingues que sont la technologie, les sciences expérimentales, etc., disciplines où les élèves manipulent, expérimentent, décrivent, questionnent, échangent, développent une « compétence communicative » tout en développant ce que le jargon nomme « compétence cognitive ».

  • 9 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1985, p. 27 (édition Tullio De (...)

11Que désignent ces deux compétences de langue ? Le schéma basique de la communication9 présente un émetteur qui produit un message en direction du récepteur ; ce message est validé lorsque le récepteur à son tour renvoie un signal au premier émetteur bouclant ainsi ce que Saussure appelle le circuit de la parole :

  • 10 Message qui peut valider directement le message reçu, demander reformulation, interroger sur la for (...)

121) L’émetteur A produit un message
1bis) Le récepteur B produit en retour un message10 validant la boucle.

13Dans la réalité et à bien y penser, la véritable énigme du langage n’est pas tant la production (comment un élève qui ne sait pas le basque va-t-il parler en basque ?) que la compréhension : c’est-à-dire la capacité « autonome » de celui qui, de récepteur, devient émetteur actif d’un énoncé ayant une forme langagière précise (de langue basque) et un sens cohérent. Le circuit de la parole peut se complexifier de la sorte :

141)L’émetteur A produit un message.
1bis) Le récepteur B comprend le message.
2) Le récepteur B produit en retour un message.
2bis) L’émetteur A devient récepteur et comprend le message, qu’il valide ou complète ou retourne à son tour (par action ou acte de parole).

15La cellule [1+1bis] requiert : l’attention et la concentration de B (ou plutôt la « gestion de classe » de la part de A qui rendra B attentif et concentré). Mais de la même manière, et toujours de la part de A, une prononciation claire s’il s’agit de l’oral, une lisibilité de la langue employée dans la qualité formelle de ses éléments, et peut-être une aide contextuelle (on le verra bientôt).

16La cellule [1bis+2] demande de la part de B une activité qui, même aidée et guidée par A, n’en demeure pas moins une vraie activité d’autonomie : c’est ici que l’on passe du décodage de ce qui est entendu (ou lu) à l’encodage du sens, phase de littératie, de production de sens.

  • 11 Les six rétro-actions disponibles sont explicitées par les travaux du didacticien canadien Roy List (...)

17La cellule [2+2bis] est celle de la rétro-action11 : validation (ou invalidation) par A de la forme et du contenu de l’énoncé produit par B. Dans le cadre de l’enseignement bilingue, cette rétro-action doit identifier ce qui, dans l’objectif unique de « bifocalisation » - objectif unique qui vise tout à la fois à faire s’approprier la forme de la langue, le contenu que porte la langue (objectif langagier + objectif disciplinaire) – doit sur le moment d’abord corriger ou expliciter ce qui relève de la langue, ou ce qui relève du contenu disciplinaire, du sens.

18Dans ce circuit, et notoirement en milieu scolaire, deux facteurs contextualisent ce rapport : l’intentionnalité et l’aspect pragmatique de la parole. L’intentionnalité est ce que désormais l’Institution nomme approche ou perspective actionnelle, selon les termes du Cadre Européen Commun de Référence pour les langues (CECR12). Cette « actionnalité » s’illustre notamment par le fait d’apprendre en langue et de donner du sens à cet apprentissage par des tâches à un niveau où la classe et le monde extérieur sont intégrés dans d’authentiques pratiques communicatives […] de réception, de production, d’interaction et de médiation de concepts et/ou de communication, inspirées des descripteurs du CECR. La phase finale du scénario est la production collaborative d’un artefact ou d’une performance. Les apprenants décident de la manière d’accomplir la tâche/le projet ; les enseignants fournissent des apports linguistiques, des ressources et un soutien à la classe, au groupe ou aux individus selon les besoins. L’accent est mis sur l’autonomie et l’authenticité des ressources, des thèmes et des pratiques. Les apprenants peuvent utiliser des sources dans différentes langues et travailler de manière plurilingue.13 (nous soulignons)

19L’intentionnalité pourrait être caractérisée par trois paramètres didactiques principaux, les deux premiers ayant déjà été évoqués : a) l’intégration des langues et des disciplines ; b) l’accès à la littératie ; c) la capacité à prendre en compte la matière plurilingue, le fait d’enseigner « de manière plurilingue » ou en milieu multiculturel ou plurilingue. Or, l’Institution scolaire, par tradition, ne brille pas dans ces domaines.

20Concernant a) l’intégration des langues et des disciplines, on notera – fait révélateur au possible – que l’acronyme institutionnel français reste encore très souvent DNL (Discipline Non Linguistique) tandis que les trois acronymes européens qui désignent la méthodologie de l’intégration des langues et des disciplines ont toutes trois dans leur acronyme l’initiale du mot fondamental d’intégration (CLIL – EMILE – AICLE)14. Le champ disciplinaire est réputé par l’institution française « non linguistique » : ce serait oublier que pour y accéder, l’enseignant et l’élève sont obligés de passer par la langue qui le vectorise, et en un sens, en est le lieu même. Cet enseignement intégratif est tout au contraire hautement, notoirement15, linguistique !

21b) Les résultats de PIRLS 2016 montrent également de quelle façon l’Institution a formé les enseignants dans leur façon de mettre en activité leurs élèves. On va retrouver ici la notion de littératie qui est, comme citée plus haut, double : d’un côté aptitude à comprendre (et à formuler) tout texte écrit (le contraire de l’illettrisme, donc) ; de l’autre la littératie dépasse la seule « littérature » - littérature qui est sans doute la pointe la plus « belle » de l’iceberg de la littératie - étant l’ensemble des « formes du langage écrit que requiert la société ou qui sont importants pour l’individu » (nous soulignons). Or, lorsque l’on interroge les maîtres de CM1 français et leurs homologues des 21 pays ayant des résultats supérieurs à la France dans le domaine de la littératie, dans la première acception du terme, on est frappé par le décrochage net et visible sur l’une des neuf consignes proposées « au moins une par semaine » aux élèves français :

À quelle fréquence demandez-vous aux élèves de faire les choses suivantes pour les aider à développer leur aptitudes ou leurs stratégies de compréhension de l’écrit ? Modalité de reponsé : « au moins une fois par semaine »

France

Moyenne des 21 Pays de I’UE dont le score est supérieur à la France

Ecart

Retrouver des informations dans un texte

99 %

96 %

+3 %

Expliquer ou argumenter pour montrer ce qu’ils ont compris

91 %

94 %

-3 %

Dégager les idées principales du texte

89 %

93 %

-4 %

Généraliser ou élaborer des inférences à partir du texte

64 %

79 %

-15 %

Prévoir ce qui va se passer dans la suite du texte

59 %

72 %

-13 %

Comparer le texte à des lectures antérieures

50 %

69 %

-19 %

Comparer ce qu’ils ont lu à des faits qu’ils ont vécus

41 %

82 %

-41 %

Décrire le style ou la structure du texte

41 %

60 %

-19 %

Déterminer la perspective ou les intentions de l’auteur

36 %

56 %

-20 %

  • 16 P. Escudé, « Langues régionales, langues de France : la première allophonie dans le système scolair (...)

22Il s’agit de la « stratégie de compréhension de l’écrit » consistant à « comparer ce que [les élèves] ont lu [en classe] à des faits qu’ils ont vécus. » L’écart de moins 41 % est de loin le plus important et pourrait montrer la distance qui sépare le savoir scolaire d’un vécu social, environnemental, qui est le lieu de première identité de la personne. Une École étrangère à ce lieu, une École tournant le dos à la réalité historique et culturelle de ce lieu, risque de produire pour ses petits écoliers une sorte d’allophonie inversée16.

  • 17 OECD Teaching and Learning International Survey, Enquête internationale de l’OCDE sur l’enseignemen (...)

23b) Quant à la capacité à prendre en compte la matière plurilingue, elle semble là aussi en défaut depuis la formation initiale (École Normale d’Instituteurs, IUFM depuis 1991, ESPE depuis 2013, désormais INSPE depuis 2019) et de fait se répercutera dans les classes. C’est ici l’enquête TALIS 201817 qui permettra de visualiser parmi cinq thématiques pédagogiques transversales l’écart existant dans le positionnement de professeurs de collège français et leurs homologues de quelques pays de l’OCDE ayant participé à l’enquête :

Enseignement à des élèves de niveaux différents

Enseignement en milieu multiculturel ou plurilingue

Utilisation des TIC

Gestion de la classe et du comportement des élèves

Suivi de l’apprentissage et de la progression des élèves

France

25 %

8 %

29 %

22 %

26 %

Angleterre

69 %

43 %

51 %

68 %

57 %

Australie

38 %

27 %

39 %

45 %

42 %

Espagne

28 %

26 %

36 %

35 %

44 %

Finlande

35 %

14 %

21 %

29 %

32 %

Italie

37 %

19 %

36 %

48 %

51 %

Suède

61 %

32 %

37 %

55 %

57 %

Moyenne UE

42 %

24 %

39 %

47 %

47 %

Moyenne Talis

50 %

31 %

49 %

60 %

60 %

Tableau 1 : Pourcentage d’enseignants de collège s’estimant bien ou très préparés en formation initiale

24Si sur l’ensemble des cinq thématiques transversales, les professeurs de collège (où sont inscrits des élèves de 11 à 15 ans) s’estiment moins bien préparés à affronter les réalités de classe, c’est bien sur l’axe de « l’enseignement en milieu multiculturel et plurilingue » que le tableau présente pour la seule occurrence un nombre à un seul chiffre. 8 % seulement des professeurs français s’estiment préparés à travailler avec la réalité sociale et linguistique qui est celle, en France comme ailleurs, de la classe. La méconnaissance de la réalité existant en dehors de la classe fait de la classe un lieu où certains élèves pourraient se trouver totalement étrangers, car sans lien avec le tissus social, environnemental, culturel, historique qui par ailleurs les identifie en grande partie.

3. Référent et signe linguistique

25Le système induit que le professeur enseigne un contenu dans une langue, mais sans prendre (assez, ce que montrent les éléments précédents) en considération les capacités d’appropriation de ses élèves, comme le faisait remarquer en 1987 Claire Benveniste et avant elle Gaston Bachelard en 1938, dans La formation de l’esprit scientifique. Le professeur peut oublier quelque peu que son « enseignement » qui vise le savoir, le contenu, la notion à apprendre, ne tient pas assez compte des capacités « d’apprentissage » des élèves, qui eux se tiennent non pas déjà au sein du savoir, mais à la porte de la langue qui véhicule ce savoir :

  • 18 La Formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective(...)

J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l’erreur, de l’ignorance et de l’irréflexion. […] Les professeurs de sciences imaginent que l’esprit commence comme une leçon, qu’on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu’on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point par point. Ils n’ont pas réfléchi au fait que l’adolescent arrive dans la classe de Physique avec des connaissances empiriques déjà constituées.18

26L’opposition entre le mouvement de l’enseignement qui va de haut en bas, du professeursavant à l’élève-qui-doit-savoir (en argot : « top down »), et celui de l’apprentissage partant d’une expérience empirique dont le socle est (de moins en moins certes depuis certaines circulaires) invisibilisé par le système institutionnel (ce mouvement se dit « bottom up » en argot) ; l’opposition de la dynamique visant le savoir à celle tâchant de s’approprier - ou qui butte contre - « la langue » qui porte ce savoir, sont les verrous de la compréhension.

  • 19 Cf. Tullio De Mauro, L’Education linguistique démocratique, Limoges, Lambert-Lucas, 2022. Tullio De (...)
  • 20 T. De Mauro, Les Mots des jours lointains suivi de : Les Mots des jours un peu moins lointains, [Bo (...)

27Revenons, même mal, à Saussure pour lequel le « signe linguistique » est biface, composé d’un signal acoustique, ou d’une trace graphique – le signifiant – et du sens signifié par ces traces physiques – le signifié. Le signe linguistique - mot, énoncé, consigne, support, texte, langue, etc. – est écartelé ou aplati si le signifiant n’est pas discriminé (à l’oral) ou déchiffré (à l’écrit), ou si le signifié – la notion, le concept, le contenu disciplinaire visé par l’enseignant – n’est porté par aucune forme tangible que l’on puisse s’approprier. Pour le dire plus vite, et espérons-le pas trop caricaturalement, tandis que l’enseignement (et l’enseignant observé par G. Bachelard et C. Benveniste) vise « par en haut » le signifié, l’appropriation de ce signifié ne peut passer pour des « apprenants » que par un cheminement qui procède de « bas en haut », et questionne avant toute chose l’étrangeté de la forme – le signifiant – qui véhicule le savoir visé. Et comme l’exprime si bien Tullio De Mauro, éditeur moderne des Cours de Linguistique Générale, éphémère ministre de la Pubblica Istruzione d’avant la décennie berlusconnienne et qui tâcha d’implanter la réalité d’une « éducation linguistique démocratique » dans le système scolaire italien19 : « Les mots que j’emploie ne sont que des mots, mais ils n’ont de sens réel que si l’on saisit le référent concret qu’ils désignent. »20 (nous soulignons).

28C’est ici qu’apparaissent nos deux « compétences langagières ». La compétence communicative, c’est celle qui unit le signifiant à ce qu’il dit, à son sens direct, présent dans ce que Saussure nomme lui-même « référent ». Le référent, c’est ce qui est présent (Cicéron emploie le verbe latin fero-fers-ferre-tuli-latum dans le sens de porter, de comporter) ou s’il n’y a pas de présence manifeste de ce dont on parle, de ce qui est re-présenté, notamment en classe par des artefacts, ou des illustrations. La compétence communicative a pour objet de faire comprendre au mieux l’objet du message : et dans le cadre bilingue, outre l’usage du référent, de l’illustration (dans un album, ou au tableau), de la gestuelle, du para-verbal, cela peut également être ce que le jargon nomme « micro-alternance codique », c’est-à-dire reformulation dans une autre langue, ici la langue française. La compétence cognitive, c’est celle qui unit signifiant à signifié et produit un signe linguistique unifié, cohérent, si possible sans amphibologie, sans ambiguïté. Dans les premières classes d’apprentissage bilingue, la compétence communicative sera la plus vive possible : on désigne le référent, on le manipule, on le décrit, on le parle ; la chose, c’est le mot ; les phrases sont ritualisées. Peu à peu, on s’extraira de cette représentation, de ce qui rend présent ce que la langue abstrait, afin de n’échanger dans le circuit de la parole qu’avec des signes linguistiques. On peut dire en basque de dessiner un triangle de sommets ABC avec un segment [AB] de 4,5 cm, [BC] de 3,8 et [AC] de 7,2 ; les élèves, sans aide de référent dessineront ce triangle : le dessin, s’il est juste, validera la compétence cognitive et conscientisera ce qu’est un triangle. Ces deux premières compétences fonctionnent parfaitement dans le cadre de l’intentionnalité.

  • 21 Gilbert Dalgalian, Présent et avenir des langues. Une question de civilisation. Limoges, LambertLuc (...)

29Mais sans une troisième compétence, la langue (française, basque, occitane, etc.) risque d’être faible, trop faible pour porter l’ensemble des domaines que doit abstraire l’élève des usages « sociaux » (à commencer par la sociabilité scolaire) qu’implique une langue de communauté (qui est ici scolaire). Dans le cas du bilinguisme, cette demi-compétence, cette compétence inaboutie s’appellera semilinguisme : on comprend – car on est capable de répéter – mais on ne peut pas produire car on n’est pas entré dans la pragmatique de la langue (on n’a pas investi le sujet autonome qui peut parler, on n’a acquis que le palier du psittacisme), ni entré dans la compétence textuelle, compétence qui fait de la langue un domaine auto-référencé, délié du référent, et ne visant aucun signifié scolaire. Cette compétence textuelle, admirablement décrite par Gilbert Dalgalian21, est celle qui met en un bain linguistique les apprenants dans une langue « totale ». Cela pose à nouveau le problème de la compréhension, puisqu’ici la compétence textuelle ne se repose pas a priori sur le référent, ni non plus sur l’intentionnalité de « l’actionnalité », de l’intégration de l’emploi de la langue visant l’apprentissage d’un contenu scolaire disciplinaire. Et cette compétence textuelle, fondamentale pour entrer dans le mécanisme de la langue, pose aussi la question de … l’immersion en tant que telle.

4. De l’immersion, des immersions

  • 22 D’autres l’ont fait si bien, entre autres : Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une (...)
  • 23 Cf. P. Escudé, « Peut-on sauver les langues par la pédagogie ? », Actualité d’Andrée Tabouret-Kelle (...)

30La notion d’immersion est bien évidemment polémique, surtout quand il s’agit de langues régionales, c’est à dire d’infra-langues par rapport à l’étymon de la langue française, devenue en 1992 avec l’article 2 de la Constitution de la Veme République, l’unique langue de l’État-nation et marqueur de l’indivisibilité du peuple français. Nous n’allons pas développer ici ce qui ne nous intéresse pas22, mais allons juste traiter la question de l’immersion linguistique en milieu scolaire dans les deux domaines qui sont les siens : la linguistique, la didactique. En effet, si le Conseil Constitutionnel a cassé à l’heure où nous écrivons le projet de Loi dite « Molac » par sa décision du 21 mai 2021, une circulaire opportunément parue avant les élections législatives de 2022 permet par la petite porte pédagogique, le 14 décembre 2021, de concevoir que l’immersion est une modalité permettant d’arriver aux fins d’un bilinguisme équilibré23. Et à vrai dire, l’Institution scolaire connait l’immersion : c’est elle dont parle C. Benveniste, et qui touche plus de 99 % des 12 millions d’élèves du système d’Education Nationale depuis la maternelle jusqu’à la Terminale – avec ce que l’on en sait que nous en dit PIRLS 2016, et bientôt PIRLS 2021. C’est également ce qui se passe dans tout apprentissage scolaire d’une langue vivante, qu’elle soit étrangère ou régionale : pour apprendre une langue deux, il faut d’abord quitter la première langue.

  • 24 Laurent Gajo, « Intégrer et alterner : le plurilinguisme au service des savoirs », in L. Grivon (éd (...)

31Le didacticien genevois Laurent Gajo distingue quatre modalités d’immersion24 dans l’apprentissage bilingue, où par contractualisation deux langues sont en jeu, la L1 – ici le français – et la L1bis – le basque, l’occitan, etc. - :

  • 25 Cf. Pierre Boutan, « La « méthode Carré » et la politique linguistique à l’école prilaire de la III(...)

321) immersion submersive : le professeur enseigne en L1bis comme il le ferait en L1, c’est-à-dire sans se poser de question sur la compréhension de ses élèves, puisqu’ils partagent la même langue que lui, que la langue d’enseignement n’est pas un problème : c’est la situation immersive, depuis la tabula rasa d’Irénée Carré25 jusqu’à aujourd’hui, en passant par les remarques de G. Bachelard et C. Benveniste et les analyses de PIRLS 2016.
2) immersion communicative : le professeur enseigne en L1bis et s’attache à la compréhension de ce qui est dit. Contenu approprié, langue facilitée, emploi du référent, de para-verbal, de gestuelle, d’illustration, de traductions s’il le faut. C’est la méthode employée dans les enseignements de « Français Langue Étrangère », et dans un premier temps auprès d’élèves allophones – et des élèves primo-apprenants de langue basque, occitane, etc. dans le cadre du bilinguisme paritaire.
3) immersion centrée sur les signifiants (ou « problem solving » dans le jargon) : on utilise la réalité du bilinguisme, l’enjeu de deux langues construisant ensemble le bilinguisme, pour travailler en comparaison, en contrastivité ces deux langues. On comprend qu’au-delà de la distance linguistique existant entre basque et français, il y a des invariants (genre, nombre, passé, futur, distance, proximité, etc.) qui doivent s’encoder ; cette manière d’encoder ces invariants permet d’assumer une nouvelle compétence, la compétence métalinguistique.
4) immersion centrée sur les signifiés (ou « problem raising » dans le jargon) : le fait d’éclairer un phénomène, un fait, un objet, un savoir ou un contenu visé, par deux langues distinctes permet de passer d’un mode « monoplanaire » (pour employer une acception hjlemsevienne) qui est la vision donnée par une seule langue, et que l’on peut croire à bon droit ou naïvement, l’unique acception de sens du savoir visé, à une dimension plus complexe prenant en compte la pluralité des points de vue, l’interculturalité portée par la diversité des langues et des expériences.

33L’idée est bien de montrer que l’immersion n’est pas un bloc figé, mais bien une dynamique d’emploi : chacune des modalités ayant des aspects favorables à l’enseignement bilingue, et des aspects réducteurs. La didactique bilingue pourrait là aussi se définir par la compétence de savoir, par l’expérience et dans l’expérience pédagogique, quand il faut passer d’une modalité à l’autre et pour quels objectifs.

Modalité

Aspect négatif

Aspect positif

Submersion

Insécurité linguistique – illettrisme – décrochage – semilinguisme – non favorable pour des primo-débutants – absence d’accès au sens de ce qui est dit

Développement de la compétence textuelle : phonologie, accentuation, intonation, musicalité – fluidité syntaxique – favorable pour des apprenants motivés de bon niveau

Immersion communicative

Absence totale de compétence textuelle – langue artificielle ou uniquement de sociabilité restreinte (langue de la classe)

Sécurisation linguistique – appropriation du sens de manière aisée – première socialisation de la langue –

compétence communicative

Centration sur les signifiants

La centration sur les contenus (ce qui est l’objectif à partir du CP !) est freinée

Développement des compétences bilingues :

contrastivité, et construction

de compétence métalinguistique – développement d’une véritable didactique du contact des langues (traduction, intercompréhension, plurilinguisme, etc.)

Centration sur les signifiés

La centration sur la forme spécifique de la L1bis est freinée, mis à part son lexique : le lexique (porteur de sens) est isolé de la langue

Le bilinguisme joue ici à plein : on a pleine conscience que chaque langue développe et éclaire une vision du monde spécifique, et que le bi-plurilinguisme permet un accès moins idéologisé au monde et à ses représentations, car plus complexe – compétence interculturelle

  • 26 « Ce n’est qu’en quittant une chose que nous la nommons », écrit Walter Benjamin, cité par Antoine (...)

34On l’a compris en observant le tableau : les modalités fonctionnent deux par deux et en effet de miroir ; les aspects positifs de la modalité 1 (et 3) sont étayés par les aspects positifs de la modalité 2 (et 4) ; les aspects négatifs des modalités 1 et 2 (3 et 4) sont tempérés par les aspects positifs des modalités 2 et 1 (4 et 3). Si la modalité immersive est d’évidence la modalité principale (et très souvent la seule) de l’éducation monolingue, en revanche trop souvent elle ne peut développer de compétence textuelle chez les élèves, dans la mesure où la question du « bain immersif » n’est jamais posée ; de la même manière, comment l’immersion monolingue pourrait mener aux compétences métalinguistique et interculturelle dans la mesure où ces compétences ont pour être bâties, besoin de la conscience et de la compréhension d’une distance entre deux langues, deux cultures, deux modes d’encodage du monde26.

35La tradition bilingue scolaire, trop souvent, emploie la seconde modalité, et ne se donne pas le temps – fondamental – de bâtir au-delà d’une langue de communication et de cognition basique, scolaire, la compétence textuelle qui est celle d’une langue riche, car aimée, socialisée, échangée, partagée, inventée.

36Si le bilinguisme est cette opération mentale et humaine qui consiste à rappeler que l’on ne vit pas sans identité (connaissance de ce que l’on est par rapport à d’autres identités) ni sans savoir que le monde dans lequel nous vivons est le même pour tous, mais dit différemment par chacun, nous voyons tout ce qu’une didactique du bilinguisme réfléchie et sereine, déniaisée des lectures polémiques ou idéologiques notamment en ce qui concerne la notion d’immersion, peut porter à nos sociétés.

37Cher Jon, pardon pour ces mots qui j’espère n’ont pas été trop cuistres, et merci pour cette possibilité qui m’est offerte de répondre à ta sollicitation, vieille de quinze ans peut-être, mais qui ne m’a jamais quitté.

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Notes

1 L’unique initiative nationale regroupant acteurs du bilinguisme français-langue de France (professeurs, didacticiens, enseignants-chercheurs, inspecteurs, associations de parents, acteurs politiques nationaux ou académiques, etc.) s’est déroulée sur le site de l’IUFM de Guebwiller à l’automne 2002. Cette « université d’automne » a été ouverte à l’initiative du DGESCO JeanPaul de Gaudemar à qui l’on devait, dès 1994, les premières circulaires académiques encadrant le bilinguisme français-langue régionale (français-alsacien) qui sont le prototype de la première circulaire nationale encadrant le bilinguisme français-langue de France : circulaire n° 2001-167 du 5-9-2001 (cf. https://www.education.gouv.fr/botexte/bo010913/MENE0101626C.htm).

2 « L’enseignement de la langue basque », in C. Clairis, D. Costaouec, J.-B. Coyos, Langues et cultures régionales, Paris, l’Harmattan, 1999, p. 232.

3 Cf. P. Escudé, « Le senhal, signe d’un plus grand désastre. L’idéologie linguistique, du châtiment corporel à l’implosion silencieuse du système. » in « Lou coulas de la vergougno (le collier de la honte). Etudes sur le signal ou symbole employé à l’école française pour dénoncer et punir les enfants qui parlaient une langue locale », coordonné par Philippe Blanchet, Revue d’Etudes d’Oc, La France latine. PREFICS-CERESIF, Nouvelle série n° 171, 2020, 9-42.

4 « En 2018, 11,5 % des jeunes participant à la JDC rencontrent des difficultés dans le domaine de la lecture. La moitié d’entre eux peut être considérée en situation d’illettrisme. » Note d’information de la DEPP, 19-20, 2019.

5 Claire Benveniste, « La question du handicap linguistique, une révision », Langue et enseignement, une sélection de 22 manuscrits de Claire Blanche-Benveniste (de 1976 à 2008), TRANEL, université de Neufchâtel, 2013-58, 307-316.

6 Programme de Recherche Internationale sur la Littératie Scolaire. Il s’agit d’analyser les compétences en compréhension et production d’écrit d’élèves étant entré dans la lecture depuis 4 ans – soit en France, élèves de CM1. Les résultats de PIRLS 2016 classent les élèves français (seulement issus de classes monolingues, c’est-à-dire dont l’unique langue de scolarisation est le français) : 22e sur 24 pays européens.

7 maîtres interrogés et 4767 élèves français évalués ; dans le monde, PIRLS 2016 a interrogé 10 401 maîtres et évalué 317 194 élèves, source : « Jeudi de la DEPP, 25 janvier 2018, DEPP B2 ».

8  % d’enseignement « de la langue » en France contre 28 % pour la moyenne de l’UE ; 19 % d’enseignement de « lecture compréhension » en France contre 17 % pour la moyenne de l’UE.

9 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1985, p. 27 (édition Tullio De Mauro).

10 Message qui peut valider directement le message reçu, demander reformulation, interroger sur la forme ou le contenu du message reçu, s’y opposer, etc. mais en tout cas rester dans le fil de cohérence du « circuit de la parole ».

11 Les six rétro-actions disponibles sont explicitées par les travaux du didacticien canadien Roy Lister et efficacement glosées dans l’Abécédaire des notions et des gestes professionnels de l’enseignement bi-plurilingue par Stéphanie Vaissière, cf. http://www.adeb-asso.org/wp-content/uploads/2022/04/Corriger-la-langue-orale.pdf.

12 https://rm.coe.int/16802fc3a8 ; p. 15-19.

13 Site du Conseil de l’Europe. CECR › Les concepts clefs › L’approche actionnelle. https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages/the-action-oriented-approach.

14 Content and Language Integrated Learning – Enseignement d’une Matière Intégrant une Langue Etrangère – Aprentizaje Integrado de Contenidos y Lenguas Extranjeras. On peut certes différencier ces approches en fonction du fait qu’elles mettront en avant (ou comme objectif premier d’apprentissage) soit les langues, soit les disciplines. Les « nouveaux programmes » de 2015 pour leur part parlaient pour la première fois de « Discipline dite Non Linguistique ».

15 C’est ainsi que malicieusement est décodé l’acronyme, cf. http://www.adeb-asso.org/wpcontent/uploads/2014/02/ADEB_brochure_DNL_12_2011.pdf, note 1 page 7.

16 P. Escudé, « Langues régionales, langues de France : la première allophonie dans le système scolaire français. » in Allophonie. Inclusion et langues des enfants migrants à l’école, ss la direction de C. Mendonça-Dias, B. Azaoui, F. Chnane-Davin, Limoges, Lambert-Lucas, 2020, 259-274. Citons aussi : « A l’âge de cinq ans, j’ai été brusquement transplanté – huit heures par jour – dans une école […] en laquelle ma langue maternelle (la seule dont j’eusse l’usage) non seulement ne se parlait pas mais était interdite. […] L’école primaire se mit donc à produire en moi une structure mentale parallèle. Le cloisonnement était parfaitement étanche. […] Il est à peine besoin d’ajouter que le rejet du patois faisait partie d’un mépris d’ensemble. […] Le système français fonctionnait en autarcie, non seulement sans rien emprunter, mais en dévalorisant tout l’environnement.’, Yvon Bourdet, L’éloge du patois ou l’itinéraire d’un Occitan, Galilée, 1977, p. 13.

17 OECD Teaching and Learning International Survey, Enquête internationale de l’OCDE sur l’enseignement et l’apprentissage, cf. https://www.oecd.org/education/talis/TALIS2018_CN_FRA_fr.pdf.

18 La Formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Paris, Vrin, 1938, p. 13.

19 Cf. Tullio De Mauro, L’Education linguistique démocratique, Limoges, Lambert-Lucas, 2022. Tullio De Mauro est à l’origine également de la Charte européenne des langues minoritaires et régionales que porta dès la find es années 70 le député européen Gaetano Arfé - la Résolution du parlement européen en faveur de la tutelle des minorités ethniques et linguistiques, et qui porte son nom, est approuvée le 16 octobre 1981. A ce sujet, l’anecdote narrée par De Mauro qui traite de la mutilation que font les États-nations de leur patrimoine linguistique vaut d’être connue de ce côté-ci des Alpes : « Una volta venne da me lo storico Gaetano Arfè, che da poco era stato eletto parlamentare europeo. Si stava occupando di minoranze linguistiche, in vista di una normativa di indirizzo comunitaria che appunto le garantisse. E mi chiese suggerimenti. Ben volontieri lo aiutai, gli fornii materiale e, fra le varie lingue minoritarie europee, gli segnalai quelle che convivono in Francia : il basco, il bretone, quel che rimane dell’occitanico, l’alzaciano, ecc. Qualque tempo dopo Arfè partecipò a un convegno di storici francesi, storici di chiara fama, i quali a un certo punto, saputo a cosa stesse lavorando come parlementare, gli chiesero : « Ah, interessante, e in quali paesi sopravvivono minoranze ? ». Lui, un po’ stupito, rispose : « Ma anche in Francia ». Meraviglia di tutti i suoi interlocutori : « Dal Settecento non c’è più nessuno che in Francia parli lingue diverses dal francese ». Arfè si spaventò. Pensò che lo avessi ingannato. Dovetti faticare, dargli la documentazione analitica, metterlo in contatto con ricercat ori francesi che da anni studiavano la condizione delle lingue minoritarie en Francia, come Henri Giordan o Robert Lafont. », T. De Mauro, La Cultura degli Italiani, Bari-Roma, Laterza, 2004, 160. (nous soulignons - Les historiens français répondent à Arfé qui précise qu’il y a des minorités linguistiques en Europe, et aussi en France : Depuis le 18e siècle, en France tout le monde parle français.)

20 T. De Mauro, Les Mots des jours lointains suivi de : Les Mots des jours un peu moins lointains, [Bologna, Il Mulino, 2006 & 2012] Limoges, Lambert-Lucas, 2020, p. 112.

21 Gilbert Dalgalian, Présent et avenir des langues. Une question de civilisation. Limoges, LambertLucas, 2020.

22 D’autres l’ont fait si bien, entre autres : Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue. La révolution française et les patois : l’enquête de Grégoire, Paris, Gallimard, 2002 [édition de 1975 augmentée] ; Pierre Caussat, De l’identité culturelle, Paris, Desclée de Brouwer, 1989. Remarquons que la Constitution, remaniée lors de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 (l’article cité devient article 2) chasse celui qui deviendra alors article 1, lui-même effaçant le « premier » article 1 de la Constitution de 1958 et qui était : « La République et les peuples des territoires d’outre-mer qui, par un acte de libre détermination, adoptent la présente Constitution instituent une Communauté. La Communauté est fondée sur l’égalité et la solidarité des peuples qui la composent. » (nous soulignons). Les peuples disparaissent au profit de l’actuel article 1 qui fonde la République comme « démocratique, indivisible, laïque et sociale. » (nous soulignons – l’indivisibilité est présente depuis la 1ere Constitution de 1791). Cf. P. Escudé, « Ce que disent « les langues vivantes régionales » de France » in P. Escudé (éd.) « Langues et discriminations », Les Cahiers de la LCD, n° 7, 2018, Paris, L’Harmattan, 67-94, https://journals. openedition.org/lectures/32399.

23 Cf. P. Escudé, « Peut-on sauver les langues par la pédagogie ? », Actualité d’Andrée Tabouret-Keller (1929-2020), Lambert-Lucas, 2022, 291-306.

24 Laurent Gajo, « Intégrer et alterner : le plurilinguisme au service des savoirs », in L. Grivon (éd.) Éducation aux langues et par les langues : contextes, représentations, théories, modèles, Centre d’études Abbé Trèves, 2020, 115-127.

25 Cf. Pierre Boutan, « La « méthode Carré » et la politique linguistique à l’école prilaire de la IIIeme République vers la fin du XIXe siècle », Tréma, n° 14, 1998, p. 13-26 ; https://journals. openedition.org/trema/1797.

26 « Ce n’est qu’en quittant une chose que nous la nommons », écrit Walter Benjamin, cité par Antoine Berman, L’Épreuve de l’étranger. Culture et traduction dans l’Allemagne romantique : Herder, Goethe, Schlegel, Novalis, Humboldt, Schleiermacher, Hölderlin., Paris, Gallimard, Essais, 1984, p. 57. Pierre Caussat commente ainsi cette réalité : « La compréhension travaille sur la limite entre ce qu’elle quitte et ce qu’elle prépare à inventer ; elle opère un déplacement générateur d’une décision possible ; autrement dit, elle organise un jeu de traduction (versetzen, übertragen, übergehen, termes à peu près équivalents pour dire : transposer, déplacer, déporter.) […] Ce dont Humboldt formule l’expression paradoxale suprême : chaque individu parle sa langue et l’humanité parle une seule langue ; d’une limite à l’autre s’étend non l’unité du « même » mais l’alternance de différences indéfiniment reconduites et amplifiées. », De l’identité culturelle. Mythe ou réalité, Paris, Desclée de Brouwer, 1989, p. 223.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Escudé, « La didactique spécifique de la « langue régionale » et le bénéfice du bilinguisme français-basque »Lapurdum, 24 | 2023, 107-122.

Référence électronique

Pierre Escudé, « La didactique spécifique de la « langue régionale » et le bénéfice du bilinguisme français-basque »Lapurdum [En ligne], 24 | 2023, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lapurdum/4442 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127tv

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Auteur

Pierre Escudé

Université de Bordeaux, INSP Académie de Bordeaux

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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