- 1 Nous pensons en particulier à la « sociolinguistique du contact » (Simonin et Wharton 2013), ou à l (...)
1On a l’habitude de fréquenter les formulations « contact linguistique », « contact de langues », « langues en contact » (Weinreich 1953). Ces syntagmes reconduisent, peu ou prou, la tentation évolutionniste d’hypostasier les langues : on fait de celles-ci des sujets actifs, comparables à des acteurs sociaux, qui se transformeraient au contact les uns des autres – et indépendamment, dirait-on, des sociétés. Nous préférons parler de « contact sociolinguistique » : le contact des langues intervient là où des conditions de contact social le permettent. Contact linguistique, contact culturel et contact social ne font qu’un. Pourtant, cette formulation – du moins en contexte francophone – a encore l’air hétérodoxe, à quelques exceptions près1.
- 2 La direction est donnée depuis bien longtemps. Il est tout à fait pertinent de convoquer une « soci (...)
- 3 Nous faisons référence notamment au projet GramAdapt, porté par l’Université de Helsinki (P.I. Kaiu (...)
- 4 Nous tenons à remercier tout particulièrement les collègues Charles Videgain, Alain Viaut, Argia Ol (...)
2Si « contact sociolinguistique » est une formulation plus satisfaisante, elle peut intimider le chercheur, l’approche écologique préconisée convoquant une complexité multidimensionnelle difficilement saisissable : il est bien plus pratique d’isoler les langues en contact en faisant fi des contextes qui encadrent ces interactions au lieu d’embrasser, d’un regard unitaire, aussi bien les unes que les autres. Mais la direction est donnée2 : des recherches d’envergure se mettent en place qui tentent d’explorer précisément les connexions entre le niveau sociolinguistique et le niveau typologique3. Une modélisation du contact sociolinguistique (désormais : CS) pourrait dès lors être légitime et concevable. Dans le présent article nous proposons quelques considérations en ce sens à partir de l’observation d’un terrain multilingue : le Pays basque Nord (désormais : PBN) et ses alentours. Le répertoire y est principalement formé par le basque, le gascon, le français et l’espagnol. Tout en prenant en compte le caractère solidaire de n’importe quel répertoire multilingue, c’est notamment sur le CS basque-gascon que nous allons nous focaliser4.
- 5 De nos jours, la multiplication et diversification des supports de la communication complique la do (...)
- 6 Mariages mixtes, séjours linguistiques d’enfants (haur ordarika ikhastea) et marchés sont tradition (...)
- 7 Nous ne nous appesantirons pas sur la richesse des approches (étymologique, synchronique, diachroni (...)
3Tout d’abord, l’information topologique, lieu du contact. Cadre géographique5, au niveau micro il est également social, certains contextes étant spécialement propices aux échanges entre les deux communautés prises en compte6. Au carrefour d’espace, temps et société, la toponymie – trace visible et persistante7 de l’interaction entre les communautés linguistiques et l’environnement – peut fournir d’importantes informations quant à la configuration évolutive du CS. Nous nous bornons à prendre en compte deux items :
- 8 Sur la transition, en toponymie, de nom commun à nom propre, nous avons proposé un plan cartésien p (...)
- 9 Nous faisons référence à la théorie des schèmes ou racines consonantiques de l’indoeuropéen, portée (...)
41. le substantif protobasque haran (« vallée »), devenu toponyme (nom propre)8 en occitan évidemment par oubli du sens premier. Ainsi, le Val d’Aran (littéralement, selon l’étymologie, « val de vallée »), est une vallée occitanophone pyrénéenne en territoire espagnol, à l’est du PBN ; le Col d’Aran et le Rocher d’Aran sont des sommets pyrénéens en Béarn, etc. La preuve du caractère archaïque de ce praxème est qu’il a produit des toponymes sur une aire bien plus vaste : le Val d’Arano dans les Apennins abruzzais (Italie centrale), par exemple, et plusieurs hydronymes. Un cours d’eau coule toujours dans une vallée, et une vallée est géographiquement définie par des sommets et, très souvent, par une source, laquelle peut avoir le même nom qu’un sommet proche : Arno (hydronyme fréquent en Italie), sans doute aussi Garonne, et surtout Aran, affluent de l’Adour. Tous ces toponymes actualisent un même schème triconsonantique *H2R+N, qui laisse précisément imaginer un substrat linguistique commun9 ;
2. l’hydronyme Adour, dont le cours devait représenter par le passé une sorte de frontière séparant le PBN de la Gascogne, même si l’on peut douter de son herméticité. Or, le nom du fleuve viendrait de l’occitan gascon Ador [a’ðu], à son tour issu du mot latinisé ATURRUS, ATUR, qui n’est pas sans parenté avec le nom commun basque iturri (« source »).
- 10 Sur le Val d’Aran en tant que lieu du CS basque-gascon, la Chanson de Sainte Foi d’Agen (sans doute (...)
5Même s’il ne s’agit que de deux exemples, ces éclairages sur deux noms communs basques devenus toponymes gascons (l’Adour – la « source » – et le [Val d’]Aran – la « vallée »), laissent deviner des frontières linguistiques de la langue basque plus étendues, par le passé, aussi bien vers le Nord que vers l’Est, où le contact avec le gascon se serait soldé par une claire régression du basque10. Pour sa part, Coromines (1960) se focalise sur la période médiévale et sur le versant méridional des Pyrénées pour avancer l’hypothèse, preuves toponymiques à l’appui, que la substitution de langue n’aurait pas affecté de manière homogène l’ensemble de la société et qu’elle aurait duré un ou plusieurs siècles. Il est donc fort probable qu’il y eut beaucoup d’individus bilingues dans les vallées qui sont actuellement gasconnes, notamment dans les activités commerciales en contexte rural.
6Le processus d’avancée/régression des langues (et des communautés linguistiques) en contact convoque la question des substrats (et, conjointement, celle des adstrats et des superstrats), assez controversée.
- 11 Il faut également considérer la théorie du « substrat vasconique » de Theo Venneman, pour qui les l (...)
- 12 Cf. aussi Haase 1992 sur la langue gasconne parlée par les Basques. On ne passera pas sous silence (...)
7L’étude monumentale d’Ernest Nègre sur la Toponymie générale de France (1990) repose sur la théorie de la pré-existence, dans le sud-ouest de l’Aquitaine, du basque par rapport à l’arrivée du celtique et du latin. Cette théorie prolonge les travaux de l’historien et philologue Achille Luchaire (1877 : 71), ou d’autres spécialistes, dont Gerhard Rohlfs, qui use, lui aussi, de solides arguments toponymiques (Rohlfs 1977 : 24). Des travaux plus récents (d’auteurs comme Gorrotxategi, Michelena, Ravier, Allières, Rohlfs lui-même, etc.) penchent plutôt pour la pré-existence d’un même groupe linguistique aquitain dont on ne possède que quelques rares témoignages épigraphiques. Ce ou ces substrats aquitain, aquitano-pyrénéen, ou aquitano-euskarien11, justifierai(en)t la singularité typologique du gascon par rapport aux autres variétés d’oc, même si plusieurs hypothèses ont été formulées à cet égard, et celle du substrat se combine parfois à d’autres (Ravier 1991)12.
8En résumé, le contact basque-gascon pourrait s’enraciner dans un tissu conjonctif linguistico-culturel archaïque, un substrat pyrénéen commun précédant la colonisation romaine (preuves à l’appui : phonologiques et onomastiques, surtout ; mais aussi, sans doute, socio-culturelles). Tissu conjonctif qui pourrait à son tour faire référence à un substrat linguistico-culturel encore plus ancien, euro-méditerranéen, appelé parfois « la vieille Europe » (Villar 1996) au vu de l’ampleur de diffusion de certains toponymes issus de mêmes schèmes consonantiques bien au-delà de l’espace aquitain (v. supra). Cela implique que le CS entre basque et gascon est pluriséculaire. Même si on ignore le terme exact a quo, on peut considérer d’une manière très générale – et logiquement – qu’il y a eu CS des deux populations à partir du moment où le gascon a surgi du latin. Il faut à présent s’interroger quant à l’intensité de ce CS et à sa durée, à son évolution, à son institutionnalisation, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. À cette fin, la prise en compte des documents écrits peut être d’une grande utilité.
- 13 Les contingents de bilingues n’ont sans doute jamais été particulièrement élevés en PBN. Très rédui (...)
9Au cours du CS, la régression du basque laisse imaginer un plus important prestige du gascon, même si cette diglossie est destinée à évoluer vers une triglossie. En effet, le français, notamment à partir du XVIème siècle, et après la Seconde guerre mondiale aussi dans le cadre de la culture populaire et de l’oralité (sans négliger, en amont, la césure provoquée par la Grande Guerre et le rôle joué par la radio), s’imposera en tant que langue de l’espace public et du pouvoir constitué, relativisant la nécessité de relais bilingues gascon-basque13.
- 14 Cf. au moins Peyre (1933), Brun (1923), Nacq (1979), Goyhenetche (1985), Grosclaude (1993), Eygun ( (...)
- 15 D’après Courouau il faut « distinguer deux types de phénomènes distincts : l’apparition du français (...)
10L’avancée du français dans les provinces de France n’a pas fait l’objet d’une véritable étude d’ensemble. À en croire les corpus écrits, le tableau est loin d’être homogène. L’Ordonnance de Villers-Cotterêts, promulguée par François Ier en 1539 et imposant l’usage officiel du français en substitution non seulement du latin mais également de toute autre langue (art. 111), ne s’est pas appliquée dans le ressort du Parlement de Pau jusqu’au début du XVIIème siècle. Ce Parlement a continué à utiliser l’occitan jusqu’à la Révolution, au moins pour certaines délibérations et actes. Certains notaires dans le Grand Sud-Ouest ont utilisé le gascon au-delà de 1539, et en Béarn plus tard encore14. Les cartographies proposées par Jean-François Courouau (2009)15 concernant les aires proches, voire de frontière avec le PBN, permettent de préciser des dates : pour ne prendre que l’exemple de Bayonne, l’apparition du premier texte français y daterait de 1540 (1542 à l’est de la Soule), décennie du passage au français, alors que le dernier texte officiel en occitan daterait de 1555 (ibid : 343-344). Dans cette importante ville le remplacement du gascon par le français dans les textes écrits (officiels : l’écrit notarié et administratif au sens large) s’est donc produit rapidement.
- 16 Pour ce qui est du problème de la graphie de la langue en Béarn et au PBN aux XVIe et XVIIe siècles (...)
11Compte tenu des repères temporels que nous venons d’établir, la période de contact où le gascon serait langue de prestige ou « haute » et le basque langue « basse », en amont donc de la montée en puissance du français, va du bas Moyen Âge (période de l’émergence d’une scripta occitane) jusqu’à la première moitié du XVIème siècle. On a sans doute là l’intervalle temporel clôturant le CS basque-gascon « à plus haute intensité »16. La période de la Révolution française semble témoigner d’un état de forte minoration des langues régionales de France au vu de la relative rareté des textes écrits dans ces langues. Force est de constater que, même si la situation peut varier beaucoup d’une région et d’une langue à l’autre, globalement le texte de la période révolutionnaire est très largement rédigé en langue française.
12Cela dit, même dans cette période d’intéressantes différences, quantitatives et qualitatives, apparaissent entre basque et occitan : « La Bretagne et le Pays basque offrent surtout des traductions. Il s’agit de faire connaître aux locuteurs des langues parlées dans ces régions la teneur des lois et décrets venus de Paris, ou de l’administration révolutionnaire. [...] Le cas des parlers d’oïl est différent. Ici pas de traductions. […] Par contre, son créneau – que basque et breton ne connaissent guère – c’est le texte de propagande à l’état brut [...]. D’où la prééminence des chansons et des dialogues plaisants. [...] Le cas occitan se situe en quelque sorte à mi-chemin – même si c’est du cas d’oïl ou francoprovençal qu’il se rapproche le plus. » (Martel et al. : 222-223). Après la Révolution, vers le milieu du XIXème siècle, on peut observer l’essor de journaux locaux, qui sont très majoritairement rédigés en français.
- 17 À ce sujet, voir les travaux d’Aurélie Arcocha-Scarcia sur l’œuvre de Detchepare et plus en général (...)
13Au cours du CS basque-gascon à plus haute intensité, un indice intéressant est représenté par les attestations du basque écrit. Alors que les tout premiers documents remontent au Moyen Âge [on trouve en effet des traces de langue basque déjà au Xème siècle dans des textes administratifs (Michelena 1964)], pour ce qui est des textes littéraires, la première publication date de 1545. Même s’il faut tenir compte de la rareté des imprimeries de l’époque, de manière assez significative cette œuvre a été imprimée à Bordeaux, donc en terrain occitanophone gascon (à remarquer qu’en 1510 la Soule est rattachée à la couronne de France). Il s’agit d’un court recueil de poèmes intitulé en latin Linguae Vasconum Primitiae, dont l’auteur est Bernart Etxepare, un prêtre de la paroisse de Saint-Michel-le Vieux en Basse Navarre. Au sujet de ce livre Echenique Elizondo (1987 : 89) observe : « Cuando se acomete tal empresa, la lengua vasca carece de modelos culturales propios sobre los cuales forjarse […]. Ello explica que las manifestaciones orales sean tan ricas e importantes a lo largo de la historia cultural vasca […]. La lengua escrita, en cambio, tratará de constituirse mirando a modelos románicos […] Vasco y románico intentarán la difícil conjunción en la lengua escrita, cuyo resultado será lengua vasca sobre patrones románicos y/o la inversa. ». Cette position fait débat et mérite d’être nuancée17. Cela dit, elle permet d’intégrer la production littéraire (formes, styles et contenus) dans notre réflexion sur le CS en diachronie.
- 18 C’est surtout le cas du célèbre Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’u (...)
- 19 Bien plus tardive donc que les premières attestations d’une littérature en langue d’oc gasconne, an (...)
- 20 Dans sa thèse de 1981, publiée en 1999 (Conception du monde et culture basque), Txomin Peillen ouvr (...)
14Une considération s’impose : la progression fulgurante du français reconfigure le CS basque-gascon, cette fois-ci, on dirait, au profit du basque – qui, à quelques exceptions près18, et contrairement à l’occitan, ne sera jamais traité de patois, de par sa singularité typologique. La triglossie français-gascon-basque remplace donc la diglossie gascon-basque et semble favoriser par là l’émergence d’une culture écrite autonome en basque précisément après le XVIème siècle19. Cette scripta s’affirmera semble-t-il très progressivement entre la fin du XIXème et le XXème siècle. C’est à cette époque qu’apparaissent des ouvrages en basque (ou des traductions d’ouvrages en basque) relevant de la science et de la technique20.
15L’étude des scripta renvoie aux contextes officiels et, généralement, urbains. L’étude du CS basque-gascon doit être déclinée également sous l’angle de la dichotomie ville/campagne, qui recouvre, du moins en partie, celle entre écriture et oralité et qui permet de situer ces deux langues en fonction du critère du prestige.
- 21 Le rattachement du PBN au Béarn pour former le département des Basses-Pyrénées représente un tourna (...)
16Ce serait en Labourd, entre le XVIème et le XVIIème siècle, que « la langue [basque] atteint son degré de reconnaissance sociale le plus élevé » (Etchebarne 2012 : 39). On peut imaginer par là, notamment à partir de la création du département des Basses-Pyrénées (1790), que les villes, lieux de mixité et de mobilité sociale, deviennent le lieu par excellence du CS entre bascophones et occitanophones, avec cependant une montée en puissance de la langue française, notamment dans les registres formels, et tout particulièrement écrits21. Dans les villes du Pays basque, c’est la bourgeoisie qui est le « moteur du progrès ». Elle est composée d’« armateurs, [de] négociants et [d’]industriels » (Labat 2012 : 293), accueille au XVIIIème siècle les idées des Lumières, adhère et promeut les avancées de la science et de la technique et veut participer au pouvoir, jusque-là géré par des élites. Pour ce faire, l’ignorance de la langue française n’est plus admissible : « on remarque que le recul de la langue basque ne date pas de la politique scolaire de la 3ème République, [...] il est aussi le résultat d’une volonté des élites qui, surtout au 18ème siècle, n’acceptent que le modèle culturel dominant français » (ibid.).
- 22 Modèle définitivement révolu au cours des années 1970-1980 en raison de plusieurs phénomènes conjoi (...)
17Loin des villes, la société traditionnelle basque (et gasconne-occitane aussi, d’ailleurs) est relativement stable en raison de son ancrage dans le droit coutumier. Le noyau fondamental en est l’etxe (la maison qui inclut la famille, la lignée, les biens mobiles et immobiles, le cheptel, les terres) qui en assure la persistance22 par rapport à la dimension urbaine, davantage évolutive et individualiste. Entre l’espace urbain – projeté dans le progrès technoscientifique, les avancées sociales et économiques et la mobilité impulsées par la bourgeoisie –, et l’espace domestique clôturé – fondé sur la transmission et la conservation des biens et de la lignée –, il faut prendre en compte d’autres contextes et formes d’interaction.
18Les pâturages, notamment en altitude, sont un autre lieu du CS. Que l’on considère deux praxèmes largement utilisés en PBN mais d’origine gasconne : cayolar et borda. Le premier est un terme juridique « repris par la Coutume de Soule au 16ème siècle, pour désigner « le parcours », c’est-à-dire la zone de pâturage attribuée à un berger (ou un groupe de bergers) en montagne » (Labat 2012 : 158) ; le second est diffusé en territoire occitan (bòrda) [‘bɔrdo] à plusieurs endroits (on le trouve par exemple à Gramazie, dans l’Aude), où il indique la « ferme ». En PBN, borda est un praxème à haut rendement : à côté de formes basques, on a la borde (la métairie), la borda barruki (l’étable), la bordalde (la réserve de foin), et l’ardiborda en concurrence avec artegi et, en Soule, arres (la bergerie), à mi-chemin entre la zone de l’habitat permanent (en contre-bas) et celui de l’habitat temporaire (en altitude) (cf. ibid. : 197). On ajoutera bordari pour indiquer le fermier, distinct de etxetiar (métayer).
19La distribution de ces praxèmes suit la combinatoire des axes horizontal et vertical des vallées pyrénéennes. En 1998 Michel Duvert a enquêté auprès d’un vieux souletin, et ancien danseur, Jean Baratçabal, né en 1902, lequel, en mobilisant ses souvenirs d’enfance, a permis de reconstituer une véritable carte mentale de son pays juste à la veille de la Grande Guerre (Duvert et al. 1998). Cette carte permet de systématiser aussi les contacts entre la communauté locale – le village de Sunharette, en Basabürüa (Haute Soule) – et les communautés environnantes : « Les jeunes des villages de cette vallée se fréquentent peu, sauf en de rares occasions (fêtes, pastorales…). Quand [Jean Baratçabal] descend la vallée vers le nord, un autre monde commence à Tardets, c’est Pettara (la Basse Soule), avec Mauléon comme ville principale. À l’opposé, vers le sud, derrière la crête des Pyrénées, se trouvent les bergers navarrais avec lesquels il y avait jadis des contacts étroits (fêtes, contrebande, cures thermales…) et les Españulak, des bûcherons avec leurs costumes traditionnels, et ne parlant qu’espagnol » (Labat 2012 : 154).
20Comme le rappelle Charles Videgain (souvenir personnel), en 1980 de vieux bergers de Sainte-Engrâce (en basque Urdatx ou Santa-Grazi), commune de la Soule frontalière avec l’Espagne, savaient le souletin, le manex, le français (mal), le béarnais, le castillan peu ou prou voire l’aragonais. Voilà que le CS se complexifie. « À l’est, c’est le Béarn : les jeunes Béarnais viennent en Soule pour chercher des filles et se marier. À l’ouest, vivent les Manex, nom qui désigne tous les autres Basques. [...] Frantzia (la France) située au-delà de Pettara, est un nom attaché à l’idée de service militaire. Enfin, encore plus loin, pour beaucoup de Souletins, il y a Amerikarrak [sic] et l’émigration, principalement vers l’Amérique latine. [...] Cette « géographie mentale » partagée par tous s’explique par les modes de vie anciens. » (Ibid.).
21Le CS basque-gascon convoque le thème des mariages mixtes entre Gascons (le plus souvent des hommes) et Basques (le plus souvent des femmes). Coyos (2007 : 144) souligne que ces mariages étaient nombreux, non seulement en Soule mais également en Pays de Mixe. Les « intermariages » résultaient souvent de séjours linguistiques : beaucoup de jeunes Basques étaient envoyés en Gascogne pour qu’ils apprennent le gascon (Haase 1997 : 194). Par ailleurs, ces contacts doivent être inscrits dans un système plus général de conservation et transmission des biens, dont fait partie le système de l’etxe basque mais qui concerne plus en général le modèle dit de la « maison-souche pyrénéenne », exploré notamment en Bigorre par Fabrice Bernissan dans sa thèse (2009). L’auteur constate que les descriptions des domaines occitan, catalan, aragonais, basque ou asturien, convergent, les pratiques étant comparables d’un côté et de l’autre des Pyrénées (par-dessus, donc, les frontières linguistiques voire politicoadministratives actuelles). Il observe ensuite que le concept de « maison » est une organisation interne elle-même inscrite dans une macro-organisation : la communauté villageoise.
- 23 C’est pour cette raison que l’on a pu parler, notamment en contexte basque, de « symétrie des sexes (...)
22La maison-souche pyrénéenne est un type d’organisation familiale visant à la conservation du patrimoine. Au moment de la succession, les biens d’une maison sont légués à un héritier unique, normalement l’aîné (ou l’aînée)23, plus « perçu comme le maillon d’une chaîne ou mieux d’une lignée plutôt que comme un propriétaire omnipotent. Il n’est que le dépositaire du patrimoine matériel et immatériel : il aura la charge de les faire fructifier avant de les léguer à son tour. Il devra accueillir sous son toit les anciens et les cadets non mariés […] exclus de la succession. Par ailleurs, le conjoint ne peut avoir de droit sur les biens de la maison » (Bernissan 2009 : 49). La coutume de la maison-souche impose que « chacune des personnes vivant sous un même toit » se plie « au maintien de cette entité de vie. La maison abritera les générations successives et constituera la souche de celui qui partira s’installer ailleurs. Plusieurs éléments sont garants du caractère permanent de la maison : a) le nom de maison ; b) la place à l’église ; c) la place au cimetière ; d) parfois au conseil (notion de bonne maison). » (ibid.).
23Dans cette économie, les mariages répondent à des visées précises. Des récits oraux traditionnels repérés en PBN semblent déborder cet espace et concerner également le Béarn et au-delà. Charles Videgain a notamment étudié, grâce à l’apport d’informateurs bilingues (basque-gascon), le tópos de la menthe en tant qu’élément végétal révélateur de la qualité de la terre de la propriété du futur mari. Les « récits de la menthe » (Videgain 1995) illustrent la stratégie suivie, généralement par un père aveugle, pour savoir si sa fille peut bien être donnée en épouse au fils du propriétaire du terrain qu’il vient visiter : si la menthe ne pousse pas sur ce terrain, c’est que la terre n’est pas féconde, bonne, riche.
- 24 À tout le moins méditerranéenne : notons au passage que dans la casbah d’Alger, encore de nos jours (...)
- 25 On rappellera que, dans le cadre de l’etxe, était en vigueur le principe de la coseigneurie : dans (...)
24Au-delà de ces récits traditionnels et de la riche symbolique de la menthe24, au sujet du mariage, dans le modèle pyrénéen : a) « on recherche les bonnes maisons, la considération plus que la richesse » ; b) « chaque union permet de consolider la place d’une maison dans la communauté, les liens entre maisons, de faciliter les transactions, de faire entrer de nouvelles compétences, élargir le cercle des relations. » (Bernissan 2009 : 49). Dans le cadre des mariages mixtes entre Basques et Gascons, ce sont les cadet(te)s, exclu(e)s de l’héritage, qui ont facilité le contact entre les deux communautés25. Le cadet, donc notamment l’homme, a plusieurs choix : 1) se marier avec une héritière et nourrir une autre maison, tout en se pliant aux règles de la maison d’accueil. Il ne possède rien ; 2) rester célibataire dans la maison natale, et contribuer à sa permanence. Il obéit au chef de maison mais bénéficie de la considération ; 3) rester célibataire et entrer dans les ordres, contribuant au prestige de la maison et au maintien de la coutume ; 4) partir trouver meilleure fortune. Il sort du système ; 5) partir (aux Amériques, à l’armée, etc.) pour ensuite revenir au village fonder une nouvelle lignée. Il rentre dans le système et le perpétue (ibid. : 51).
25La persistance de ce modèle pyrénéen de la maison-souche nous oblige à distinguer entre transmission linguistique et transmission socio-culturelle. L’abandon progressif de la langue occitane et le passage à la langue française (à l’écrit, surtout dès le XVIème siècle ; après la Seconde guerre mondiale, aussi à l’oral) ont constitué une ouverture rapide aux changements sociaux ainsi qu’une rupture dans les mentalités. Ils ont par ailleurs entraîné la nontransmission de la mémoire dans une société de l’oralité. Mais la coutume a parfois perduré et assuré la permanence de populations rurales dans cette zone pyrénéenne en encourageant un usage mesuré des ressources de la communauté.
- 26 D’après Haase (2015 : 305), en PBN le gascon est traditionnellement la langue du commerce de bétail (...)
26Un indicateur de la diglossie est fourni classiquement par les emprunts : la langue qui exporte ses praxèmes jouit en principe de plus de prestige que la langue qui les intègre, même s’il faut toujours préciser dans quel(s) domaine(s) a lieu ce « commerce » D’autant plus que les emprunts vont dans les deux sens, et c’est à partir d’une analyse plus approfondie que l’on peut tirer des conclusions quant à la nature du CS26. Qui plus est, il faut distinguer entre sujets bilingues et pratiques bilingues, ou de médiation linguistique, et il est indispensable de tenter une mise en perspective diachronique de ces bilinguismes « de longue date, maintenant en voie de disparition » (Haase 1991 : 688), aussi pour remonter aux pratiques sociales qui ont caractérisé le CS entre Basques et Gascons.
27Jusqu’à présent on a surtout documenté les influences de substrat et d’adstrat que le basque a exercé sur le gascon (Rohlfs 1977). Pour en rester au domaine lexical, sans doute plus perméable que d’autres, la quantité d’emprunts du basque au gascon béarnais et inversement semblent confirmer un CS plutôt intense et inscrit dans la durée, un millénaire (« entre les langues du Béarn et de la Soule ») [Coyos (2007 : 142)]. Les rapports ne sont pourtant pas symétriques. Pour Michel Grosclaude (2000 : 6), « en dehors de la toponymie, le basque a donné très peu de termes au gascon, alors qu’à l’inverse le gascon en a donné beaucoup au basque ». On a tenté de chiffrer ces emprunts (du gascon vers le basque : Peillen 1998, Bonnemason 2006, Coyos 2007) ; ailleurs on a plutôt tenté des estimations concernant, plus largement, l’emprunt lexical et l’influence latino-romane en basque (entre autres : Trask 1997, Etchebarne 2006).
28Txomin Peillen a effectué des enquêtes de terrain sur le souletin et constate que « sur 5000 mots, 900 environ proviennent de l’occitan et 600 du castillan, ensuite beaucoup d’autres du latin, de l’aragonais, du français et je ne sais pas d’où encore » (Peillen 1992 : 270). Jan Bonnemason (2006) se focalise sur les interférences linguistiques entre basque et gascon, sans forcément tenter d’établir, du moins de manière systématique, des filiations. Coyos revient, quant à lui, sur ces listes de mots et les complète (Coyos 2007). Judicieusement, l’auteur est prudent, en raison notamment du rôle du latin, langue-mère du gascon et souvent, avant le gascon, langue source d’emprunts vers le basque. Le basque est en effet souvent plus conservateur que le gascon concernant les emprunts au latin (cf. errege < REGEM par rapport à rei en gascon, ou gaztelü < CASTELLUM, par rapport à castèth en gascon, etc.). Cela n’est pas toujours vrai, comme dans le cas de l’amuïssement de certaines consonnes intervocaliques, comme le /n/ dans CATENAM > cadena [ka’deno] en occitan et katea [’khatja] en basque, bien que certaines variétés de basque conservent la consonne nasale intervocalique, parfois palatalisée, et bien que, au bout du compte, cette tendance soit commune aux deux langues – cf. la variante cadea en gascon. Cela dit, on peut lister un nombre considérable d’emprunts évidents du souletin au gascon (ibid. : 150-153) : des mots composés comme mukanas et variantes (du syntagme gascon mocar + nas > mocanàs = « mouchoir »), ou alors des mots formés à partir de la métathèse de /r/ latine (prau(b)e, trende, des gascons praube, trende). Parmi les séries lexicales on mentionnera les noms de métiers se terminant par un suffixe typiquement gascon -èr, -èra (< -ARIUM, -ARIAM) : kauter [kaw’tɛr] [« chaudronnier (de carnaval) »], du gascon cautèr (« chaudron ») ; menüser [meny’že] (« menuisier »), de menusèr, ostaler [oşta’lɛr] (« hôtelier »), etc. Deux autres séries importantes sont représentées par les noms d’outils à suffixe gascon -der, -dera (<-TORIUM, -TORIAM), comme buhader [buha’de] (« soufflet, outil à souffler ») du gascon bohader, ainsi que par les adjectifs qualificatifs à suffixe gascon -ós (<-OSAM, -OSUM), comme lorius [lori’uş] / lorios (en manex) (« vaniteux »), serius / seius (en souletin) [şe’juş] (« sérieux »), etc. On remarquera que tous ces praxèmes empruntés au gascon sont oxytons, ce qui représente plutôt une exception par rapport à la paroxytonie typique du souletin.
29Coyos (2007 : 156-158) tente de chiffrer les emprunts au gascon en souletin et rassemble près de 1600 praxèmes, distribués en sept champs conceptuels [« L’espace, le temps, les éléments naturels » (33 praxèmes), « Les sentiments, les qualités, le point de vue de l’énonciateur » (387), « Les noms et les verbes d’action » (335), « L’homme : les besoins » (210), « L’homme : la vie sociale » (101), « La vie quotidienne » (323), « Les animaux, les plantes, les cultures » (205)]. Ces répertoires dessinent une sorte de géographie du CS entre Basques et Gascons, contact qui se serait déployé notamment dans l’espace public et dans la sphère du travail.
- 27 Voici le bilan proposé par Coyos (2007 : 158) : « le basque souletin a largement emprunté au gascon (...)
30Cela dit, il est assez difficile de faire parler ces chiffres27. La pertinence de l’analyse présuppose, d’une part, l’asymétrie entre les deux langues (c’est, par hypothèse, le basque qui emprunte au gascon et beaucoup moins l’inverse), et d’autre part une certaine confusion entre contextes d’usage, ayant trait notamment à la dichotomie campagne/ville. Par ailleurs, il nous échoit de signaler une progressive montée en puissance du basque en tant que languevecteur de connaissances scientifiques (et pseudoscientifiques) et techniques, croisant une pulvérisation et un affaiblissement du gascon face à la pleine officialisation du français, achevée au milieu du XXème siècle. Enfin, il n’est pas toujours aisé d’affirmer que tel praxème basque est bien un emprunt au gascon, et non pas, par exemple, au latin médiéval ; et il n’est pas non plus évident de savoir si tel emprunt est la seule forme utilisée au lieu d’être en concurrence avec d’autres formes davantage autochtones.
31Si aujourd’hui les relations entre Basques et Gascons semblent plutôt amicales, on peut se demander s’il en a toujours été ainsi par le passé.
- 28 Ce praxème connaît de nos jours une culturalisation positive, comme en témoigne le nom d’un groupe (...)
- 29 Pour tout approfondissement, cf. Monthélie (2001). L’espace d’emploi de ce praxème pourrait s’élarg (...)
32Le CS prolongé a produit des sujets bilingues, aussi bien dans le cadre d’enclaves linguistiques (basques en Gascogne ou gasconnes en Pays basque) que dans des villages situés près des frontières ou dans des lieux de passage. En s’appuyant aussi sur des enquêtes de terrain précédentes (Gómez-Piñeiro et al. 1980 : 293-297, Goyhenetche 1979 et Yrizar 1981 : I, 209), Haase (1991) a documenté ce bilinguisme en Basse-Navarre (Pays de Mixe) et Soule, en recensant respectivement dix-neuf et neuf communes où le taux de sujets bilingues était (au début des années 1980) généralement très élevé, du moins parmi les plus de quarante ans. Ces individus ont été identifiés par un ethnonyme à l’étymologie obscure ou incertaine [FEW (XXII : 21 ; XXII : 82 ; XXIII : 213)], charnegos en graphie française, auquel « quelques locuteurs [...] attribuent une connotation péjorative » (Haase 1991 : 688). Ce praxème produit des sens divers autour de l’idée soit de « mélange » soit d’« amoindrissement » et de « faiblesse » (même si l’on reproche parfois au charnego d’en savoir trop, comme s’il était une sorte de devin ou, si femme, de sorcière) et est répandu jusqu’en Médoc (sharnèc, -ga) ou en Provence. Dans le Trésor du Félibrige de Frédéric Mistral sont attestées charnigue et d’autres formes similaires, avec un sens fort péjoratif (méchanceté, bâtardise, libertinage…). Pour Xarnegu, Lhande (1926 : ad vocem) relève deux acceptions, « métis » et « fils de Basque et de Gasconne ou de Basquaise et de Gascon », en précisant que le terme vient du gascon charnegu, can-arneg ( ?) sans indiquer de connotation particulière. Palay (1932-34) présente ce praxème comme négatif mais ne fait pas mention précise de métissage basco-gascon : « charnègou,-gue ; s. – Métis ; prend souvent un sens méprisant ; désigne parfois un hors-venu, un étranger à la commune où il s’est marié, établi ; un non autochtone ; à Barèges, bâtard fils de bâtard et dont le grand’père était bâtard aussi ; c’est donc un bâtard au 3ème degré »28. On remarquera enfin que cet ethnonyme existe aussi en catalan (xarnego) et en français (charnaigre), qui l’aurait d’ailleurs emprunté à l’occitan29.
33Concernant les exonymes désignant les Gascons par les Basques on a : 1) kaskoin/ gaskoin, ethnonyme qui ne désigne pas que le Gascon, pouvant faire référence aussi à tout individu ne parlant pas ou parlant mal le basque (d’où l’expression « kiskun kaskun »). Ce praxème gaskoin est aussi un glossonyme et désigne simplement la langue gasconne occitane sans qu’il soit toujours péjoratif. 2) Eskalapoin ou espalakoin qui désigne le « sabot » (esclop en gascon), symbolisant une certaine rusticité à tout le moins. Il peut désigner tout individu maladroit (synonyme de malestruc) ou s’exprimant mal même en basque. Le mot ne désigne pas seulement le Gascon. 3) Biarnes. S’il existe des dictons se moquant des Béarnais, le mot en lui-même n’est pas péjoratif. 4) Xarnegu. Par définition le terme ne désigne pas que des Gascons mais aussi les Basques sachant le gascon comme langue héritée au même titre que le basque (voir supra). Enfin, chez Lhande (1926), on repère kaskoinkeria pour « tour de gascon ».
- 30 Pour ce qui est du regard « français » sur les Basques, cf. Allières (1992).
34Les Gascons utilisent d’autres ethnonymes pour désigner les Basques, dont baskoi. Il se peut qu’il soit surtout utilisé localement et assez récemment, par des individus n’étant pas nécessairement gascophones ni bascophones pour désigner une personne, basque/bascophone ou non, ayant des opinions culturelles et politiques favorables au mouvement basque au sens large de ces dernières décennies. Parmi les praxèmes gascons témoignant d’une certaine condescendance des Gascons à l’égard des Basques on trouve également bascorralha avec le suffixe collectif -alha à la valeur dépréciative que l’on entend encore. On ignore sa diffusion, alors que les constructions avec ce suffixe sont extrêmement fréquentes et productives. Dans son dictionnaire, Palay (1932) défini bascourralhe, bascourrilhe comme « terme méprisant pour désigner les Basques »30.
35À côté de ces ethnonymes, il faudrait considérer les glossonymes (endo- ou exo-), d’autant plus que dans certains cas les deux coïncident, afin de mieux cerner les représentations sociales de l’Autre, largement identifié par ses appartenances ou ses pratiques/compétences linguistico-culturelles (Videgain, Sous presse).
36Le contact linguistique entre Basques et Gascons a donné lieu à une littérature scientifique abondante. Sans nullement prétendre à en établir l’état des lieux – loin de nous ! –, à travers la convocation de plusieurs éléments, composantes, phénomènes, supports et témoignages linguistiques (emprunts, toponymes, ethnonymes, corpus écrits, écarts typologiques etc.) nous avons tâché de restituer ne serait-ce que la complexité du CS en PBN et autour d’une frontière basque-gascon traditionnellement poreuse et stratifiée (aussi bien en synchronie qu’en diachronie). Même si les exemples donnés et les angles visuels proposés sont partiels et forcément limités, ils soulignent la nécessité de mettre à contribution, en plus des sciences du langage, plusieurs disciplines : l’histoire, la géographie, l’anthropologie culturelle, le droit… C’est pourquoi le CS s’avère être une articulation de la sociolinguistique possédant un potentiel heuristique particulièrement élevé. Pourvu que, à la base, toute réflexion sur les faits de langue soit soumise à une approche dynamique, souple, de la linguistique elle-même, rendant notamment compte des processus de culturalisation des référents. Notre parti pris est, sur ce point, très clair : c’est la praxématique (Lafont 1978, 2004) qui a été choisie pour accompagner cette première, bien modeste ébauche de réflexion sur le CS basque-gascon, qui demande bien sûr à être approfondie et systématisée mais qui pourrait réellement déboucher, à terme, sur une sorte de modélisation du contact « écologique » des langues. En effet, s’il convient de toujours faire preuve de prudence en la matière – précisément au vu d’une complexité irréductible à toute schématisation –, on peut tout de même mettre en exergue certains nœuds, ou tournants, qui ont pu largement impacter la qualité et l’« histoire » du CS. C’est tout particulièrement le cas du passage d’un régime de diglossie à un régime de triglossie à partir de l’officialisation, au XVIème siècle, du français, qui semble avoir reconfiguré, si ce n’est pas bouleversé, le rapport de force, de prestige, entre le basque et le gascon. Ce phénomène présente en effet de lourdes conséquences en termes sociolinguistiques et, par ailleurs, invite et incite à valoriser la dimension diachronique du contact, qu’il faut soustraire à toute interprétation écrasée sur une coupe temporelle, faisant l’économie de la profondeur historique. C’est d’ailleurs la prise en compte de cette dimension, de cette profondeur, des causes qui ont produit telle ou telle configuration di- et pluriglossique, qui a historiquement caractérisé l’acception de la « diglossie » telle que véhiculée par la « sociolinguistique de la périphérie » occitano-catalane (Lafont 1997). Sociolinguistique dont nous nous réclamons également, et largement.