- 1 Selon des documents d’archives, AD64, E Dépôt Bayonne DD109, (pièce 3) par exemple.
1Il existe en Pays Basque depuis le XVIe siècle1, et peut-être avant, un jeu athlétique et culturel voire identitaire, au moins par la suite (Mourguy, 2017) nommé paume en français et luzea en basque (Bidassouet, 1825). À la fin du XIXe siècle, il se transforme à la fois en sport et en spectacle organisé autour de paris. Quelles furent les étapes de sa métamorphose première ? Comment a-t-il évolué depuis ? En quoi est-il un sport désigné comme « la pelote basque » ? Est-elle unique comme l’article singulier invite à le penser et identique du Nord au Sud du Pays basque, selon l’adjectif utilisé ? Voici les questions auxquelles cet article veut apporter quelques réponses.
2Tout d’abord, le jeu athlétique et ses mutations seront examinés. Puis les pratiques du Nord au Sud interrogeront l’hétérogénéité synchronique et les singularités de la pelote basque. Enfin l’étude diachronique du vocabulaire pour la nommer et de ses caractéristiques, du culturel enraciné à la mondialisation, mobiliseront la réflexion.
3A propos de jeu de balle et de ballon, il en est un qui fait l’unanimité en Europe où il prolifère avec un apogée au XVIe siècle, le jeu de paume. Il a la faveur du peuple autant que des rois. S’il va déclinant par la suite, probablement pour des questions d’évolution de la société, notamment dans ses plaisirs et jeux, il perdure dans quelques endroits de l’Europe et du monde, plus ou moins modifié, jusqu’à nos jours. On distingue deux variantes, la longue paume, jouée en plein air sur un long terrain et la courte paume jouée dans un bâtiment propre au jeu.
- 2 Envoyer la pelote qui initie le jeu.
- 3 Endroit où la pelote, manquée par l’adversaire, fait un deuxième bond dans le jeu.
4Dès l’origine, chaque pays, voire chaque région, a sa propre version du jeu, variant les instruments, le matériel pour engager2, ainsi que la confection des balles ou pelotes (Mourguy, 2017). La façon de compter par « quinze » et non par unité, quatre « quinze » donnant le gain d’un jeu, la nécessité pour obtenir un jeu, d’avoir deux « quinze » de différence avec son adversaire sont communes à toutes ces déclinaisons, où les adversaires se font face pour s’envoyer tour à tour la balle, chacun disposant d’un camp de même longueur en général. Un système de chasses3 permet de modifier la taille des camps pour jouer un « quinze ». En conséquence, dans le jeu de paume, le « point », ici nommé « quinze », se gagne souvent en deux étapes. On marque d’abord une chasse, la meilleure possible, c’est-à-dire avec le terrain le plus petit à défendre pour son équipe, quand elle changera de côté, puis on joue une fois avec ces nouvelles longueurs de camps pour marquer un « quinze ». On gagne donc le terrain puis le « quinze » et on reste de ce côté du jeu jusqu’à la prochaine chasse. Il faut noter que les chasses sont possibles dans les deux camps et qu’au bout de deux chasses, au plus, les équipes changent de côté, ce qui permet une certaine équité au regard des différences de conditions (soleil, vent etc.).
- 4 Pierre Force (Columbia University) a écrit Quelques éléments sur l’histoire du trinquet de La Basti (...)
5Le jeu de paume y est connu au moins depuis le XVIe siècle selon des documents d’archives (Mourguy, 2017), une expertise dendrochronologique et un article4. La longue paume, nommée en basque luzea ‘la longue’ ou laxo, du nom castillan largo ‘large’ du même jeu, se joue d’abord à main nue dans les montagnes (Casaubon, 2003) ou dans les villes. A partir de 1800, la main sera protégée par un gant, plus ou moins élastique, selon les témoins oculaires Humboldt en 1801 et Iztueta (1824). Ailleurs, en France, Espagne ou Italie, c’est la raquette, le battoir et la pala qui sont privilégiés dès le XVIe siècle. Notons que la frappe à main nue perdure au Pays basque et à Valencia, notamment, du XVIe siècle (Vivés, 1573) jusqu’à nos jours, selon les contemporains des pratiques.
- 5 Cf. État des services de sa déclaration de 1817.
6Le premier témoignage précis sur ce jeu de paume basque est de la plume du Colonel Amoros. Dans son Manuel d’éducation physique gymnastique et morale, il décrit avec précision un jeu qu’il a vraisemblablement connu en 1809, seule année où il vécut en Pays basque, selon l’état de ses services militaires5, et avant son exil en France et sa demande de naturalisation en 1814 (Arnal, 2009). Bien qu’il nomme ce jeu de paume « espagnol », Amoros ne cite que des places du Gipuzkoa alors qu’il se dit familier du jeu de paume de Valencia, sa ville natale.
- 6 Le joueur marque « avantage ». S’il confirme en gagnant le point suivant il remporte le jeu, sinon, (...)
7Il donne les principales règles, qui sont celles du jeu de paume - et du laxoa actuel -, explique la fabrication des pelotes et des gants de cuir, semblable à l’actuelle, précise le matériel utile : drapeaux blanc et rouge fixés à un bâton, marqueurs de chasses, butoir -qu’il nomme banquette-, où doit bondir la balle pour engager le point. Il mentionne un usage basque, différent de la paume6 et qui date donc au moins du début du XIXe siècle :
- 7 Le « 45 » était devenu « 40 » au jeu de paume, par commodité de langage.
8Quand un des côtés ou groupe de joueurs a quarante7 et l’autre trente, si celui-ci gagne le coup, l’autre perd un point et redescend à trente. Le crieur qui a soin des chasses est obligé de prononcer à haute voix tous ces événements de la partie. (Amoros, 1839, t1 : 48)
9Ce témoignage d’Amoros est le premier écrit technique sur le jeu de longue paume basque, qui permet de le définir comme tel. Ce jeu se nomme botaluze (but long), car on engage depuis le fond du terrain, pour le distinguer d’une autre spécialité, le rebot, où le but sera court : on engage depuis la ligne de séparation entre les camps.
10En Pays basque, c’est au XVIIIe siècle que « la longue » prend une forme originale, l’éloignant du jeu initial au point d’être un jeu à part entière, création nommée rebot, mais aussi luzea, du nom de l’ancien jeu qu’il a supplanté dans le cœur des joueurs et des parieurs au cours des années 1850.
11Ce qui distingue le rebot du jeu de paume, c’est la présence nécessaire d’un mur que la pelote doit frapper à l’engagement, à main nue et une ligne séparant les camps, plus proche du mur, donc des camps inégaux. De plus, au rebot, les chasses se marquent uniquement dans le camp le plus petit. Une seule équipe cherche à en marquer, dans le but d’obtenir le camp le plus petit au moment où la chasse sera jouée et jusqu’à ce que l’autre équipe l’en chasse. Les transformations citées et d’autres encore, modifient la logique interne du jeu, au sens de Parlebas (1990). Il s’agit bien d’un jeu original. Les actuels joueurs de rebot qui veulent essayer le laxoa en témoignent. Ils mettent du temps à intégrer la logique du jeu de paume.
12C’est à partir des documents d’archives (AD 64, E Dépôts des villes) que se révèle quels éléments ou règles sont venus modifier les usages du laxo, et tout d’abord l’existence d’un mur, dont la plus ancienne trace dans les documents d’archives concerne celui de Saint-Jean-deLuz où, en 1747, sur la Place Neuve, et non en cœur de village, un mur dit « de rebot » en pierres de taille, est construit par le maçon Garat et financé par la Ville et les amateurs du jeu de paume. Son affectation est claire, exclusive du jeu.
13Malesherbes confirme l’existence de ce mur pour jouer. Dans le récit de son séjour en Pays basque en 1767, il écrit à propos des jeux de « paulme » à Saint-Sébastien, « C’est à ce jeu qu’on perd beaucoup d’argent, au point que pour celuy qui baste ou celuy qui rebote. Ce jeu est aussy en vogue à Saint-Jean-de-Luz (f°213) » (Tucoo-Chala, 1990 : 106-107). L’auteur reprend le terme issu du basque errebot, arrabot, désignant tantôt le mur, tantôt le retour de la pelote après un bond au sol puis sur le mur (par métonymie). Malesherbes reprend le vocabulaire d’un jeu qui n’a pas d’équivalent. Il appert qu’au XVIIIe siècle, ce jeu pratiqué en Labourd et Gipuzkoa, nécessite un mur.
- 8 Cf. Registre des Délibérations n° 4 1755-1764, au 11 juillet 1762, en mairie de Hasparren.
14En témoignent plus tard les délibérations de la communauté de Hasparren, où il est précisé en 1760, que l’engagement pour le « rabot » se fait contre le mur et en 1762 qu’il est envisagé de construire « un mur propre à recevoir les coups de paulme que la dite maison de Magnarena recevoit avant et de tout le temps8 ». Une délibération de 1840 à Bardos expose un conflit entre les habitants qui jouent contre le mur du château de Salha et le nouveau propriétaire dudit mur. Les écrivains admiratifs du jeu décrivent précisément ce mur, Ader (1826) le premier.
15Il ressort des documents d’archives, que le jeu de rabot (rebot) existe, parallèlement au laxo/luzia, en Labourd et en Gipuzkoa au XVIIIe siècle. Mais les règles n’en sont pas données, outre le fait de frapper ce mur avec la pelote à l’engagement, et l’existence d’un espace nommé « enceinte du rabot » désignant l’actuel barne, élément clef du jeu.
- 9 Ce que montrent l’étude de la correspondance d’A. d’Abbadie à propos de l’organisation des Fêtes ba (...)
16Avec Ader, l’inégalité des camps apparaît (Mourguy, 2017). Dans les années 1850, d’autres règles apparaissent à propos du matériau constitutif des pelotes et de l’engagement. Il est clair que les règles sont différentes en Gipuzkoa, où l’élastique est autorisé bien plus tôt dans les pelotes, et en Labourd, où la pelote lancée par le joueur à l’engagement doit frapper le mur avant de pouvoir être reprise par le joueur adverse alors que les Gipuzkoans peuvent la saisir avant qu’elle touche le mur. Il y a des ententes préalables pour les parties internationales, ententes mentionnées par écrit9.
17Néanmoins, le jeu appartient encore, et pour plus d’un siècle, à la grande catégorie des jeux de paume européens dans les écrits des témoins oculaires. Il n’y a pas d’incompatibilité pour les contemporains habitués à diverses formes prises par le jeu de paume selon les régions, tous ces jeux divers étant regroupés sous le terme générique « paume », auquel s’ajoute de plus en plus le terme « pelote », en Pays basque.
18En Pays basque, selon la lecture suivie des articles du Courrier de Bayonne (Mourguy, 2017), quelques parties à la longue, préférée en Soule et Navarre, se jouent encore au XIXe siècle, alors que le rebot devient le jeu le plus prisé, avant d’être lui-même détrôné par le blaid, en 1891 au Nord, et plus tôt au Sud. En effet, des usages de plus en plus différents entre Nord et Sud vont amener des transformations d’aires de jeu, des techniques propres, une exploitation du jeu distincte.
- 10 Mémoire de Master2 recherche, disponible à Iker et à la médiathèque de Bayonne.
19Le fait que la pelote contienne ou non de la gomme élastique distingue les joueurs des deux côtés de la frontière. Réputé pour rendre les pelotes plus vives mais également plus difficiles à maîtriser, cet élastique sera d’abord refusé au Nord, comme le montre une dispute via la presse en 1869 (Mourguy, 201110). Néanmoins, les usages transfrontaliers et les parties dites internationales amèneront à l’y adopter.
20Suivant les provinces (Gipuzkoa-Labourd), le rebot obéit à des règles différentes dans les années 1850. Il y a des préférences pour telle pelote, tel gant de cuir, telle façon d’engager ou de prendre la pelote engagée, qui n’empêchent pas les rencontres inter provinces, voire les parties jouées avec des équipes multiprovinciales et même multinationales, selon les annonces du Courrier de Bayonne, (Mourguy, 2017).
21Le vocabulaire de Salaberry (1856) et le dictionnaire manuscrit de Hiribarren (avant 1862) montrent des différences entre Basse Navarre et Labourd. Le jeu de Salaberry est visiblement la longue paume, tandis que Hiribarren donne un large vocabulaire du rebot, en l’explicitant. Il mentionne l’errebot. Il cite aussi un jeu qui commence à avoir du succès, le « ble, bled, blaid ». Il le définit comme une « espèce de jeu de paume qui se fait contre un mur ». Ici le mur est utilisé comme « médiateur » de l’échange (Bouet, 1995). Les joueurs des deux équipes, côte à côte, se renvoient la pelote en la lançant contre le mur, chacune son tour. Des règles précises, comme l’aire de jeu en forme de bouteille tracée au sol, la ligne à dépasser par la pelote d’engagement, la ligne tracée au mur, au-dessus de laquelle toute pelote doit frapper, l’avance de marque par unité, le nombre de coéquipiers suivant le vecteur de frappe, la façon de définir qui engage chaque point sont spécifiques du blaid. Voici donc le second jeu original, dont la logique interne est propre au jeu de pelote basque.
22Selon les articles de presse, la Soule, qui préférait la longue paume, se convertit rapidement au blaid moins prisé en Labourd, tant que le rebot y prospère.
23Hiribarren nomme aussi le trinquet et le joueur de trinquet, sans précision sur le type de jeu de paume qui s’y déroule.
24Dictionnaires et articles de presse régionale montrent la diversification, déjà opérée en 1860, qui ne cesse de s’amplifier depuis. La pelote basque est protéiforme. Le terme générique couvre aujourd’hui une trentaine de spécialités, la plupart de blaid, lequel a propagé la pelote basque dans le monde par la discipline cesta punta.
25A la fin du XIXe siècle, l’évolution des aires de jeu est différente au Nord et au Sud, dans une interdépendance avec les pratiques. Puis, des installations spécifiques vont se créer, différenciant nettement Nord et Sud.
26A partir de 1880, alors que les murs de frappe appelés rebot, gardent au Nord leurs murs de côté destinés à rabattre les pelotes fausses dans l’aire de jeu, au Sud, les murs de frappe ou frontons sont amputés de leur mur côté droit, tandis que le mur de gauche est allongé. En attestent les plans des places de Durango et Zumarraga (1881), Renteria (1883), Azpeitia (1885), Tolosa (1889), selon des documents d’archives (Bazterretxea, 2009). Des trinquets peuvent même être détruits, comme à Azpeitia, au profit de ces frontons avec mur à gauche, nommés parfois, Jai Alai, ‘fête joyeuse’. Le Jai Alai n’est pas d’abord une installation couverte, non plus que les premiers jeux de courte paume.
27Les mêmes jeux qu’en place dite libre au Nord y perdurent un temps, avec une préférence pour le blaid à xistera. Le blaid à main nue pouvait être un spectacle des fêtes de village, comme à Urrugne dès 1851, mais passait après le jeu le plus noble, le rebot. Avec l’introduction d’élastique dans les pelotes et du xistera, qui remplace le gant de cuir en 1870 en partie de fête, le blaid s’impose partout à côté du rebot, soit à main nue comme avant, soit avec xistera.
- 11 Déjà le rebot avait pris le nom de la longue paume en prenant sa place, ce qui crée, pour les histo (...)
28En Gipuzkoa-Bizkaia, ce dernier prime. En 1884, les premiers contrats pour Buenos Ayres emmènent les meilleurs joueurs du Sud pour l’été austral. C’est un tournant dans l’histoire de la pelote. Ils sont professionnels, mais a priori pas sportifs professionnels, puisqu’ils sont employés par des entrepreneurs de spectacles avec paris. En Gipuzkoa et Bizkaia, de tels empresas construisent des Jai Alai couverts, vastes espaces fermés, pouvant accueillir de très nombreux spectateurs, des lieux somptueux parfois (Euskalduna à Bilbo). On y joue sur trois murs, mur de frappe (fronton), mur de gauche et mur de fond, nommé rebot, comme autrefois le mur de face11. Dans ces aires un type de jeu spectaculaire se développe. Le public accourt, les paris abondent, c’est un succès. S’y utilise le jeu de revers, dont Etxepare (1901) étudie les effets dans sa thèse de médecine. Il remarque, p. 27, la différence de technique suivant les provinces :
29En résumé, nous voyons que Basques-Français et Basques-Espagnols apportent dans le jeu de pelote, outre leurs qualités propres de force et d’adresse, une méthode et une esthétique sensiblement différentes, qui se concrétisent et se synthétisent dans les deux attitudes de la volée et du revers … .
- 12 ce qui était une faute et le reste, dans le jeu prisé au Nord, joko garbi, littéralement, « jeu pro (...)
30Le xistera évolue également. La poche qui reçoit la pelote devient plus profonde. Le grand xistera, conçu en 1888 (Blazy, 1929), permet de garder la pelote avant de la renvoyer12 d’une frappe puissante, d’où un rehaussement du mur de frappe et l’allongement de la place. L’imbrication parfaite entre évolutions des instruments, aires ou techniques de jeu, est claire.
- 13 Alexandrie en 1923, Le Caire 1925, Shanghai 1930, Tsin Tsin 1934, Tanger 1935, Manille 1941 etc.
- 14 Il a pris position dans le Bulletin du Musée Basque 1969 (2), avant d’inciter à ces constructions, (...)
31Ces transformations font naître des spécialités différentes, ici la cesta punta. Elle est jouée en Gipuzkoa-Bizkaia, en Argentine, et sera introduite en Floride, à Cuba, ainsi que sur d’autres continents13, par des organisateurs de spectacles avec paris. Les professionnels engagés seront pour la plupart issus du Sud mais aussi du Nord, à moindre échelle, notamment à partir de 1980 grâce aux formateurs et instruments offerts par la World Jai Alai. Cette société met en effet sur pied des écoles de pelote en Pays basque, puis recrute les meilleurs joueurs pour les Jai Alai des USA. Le jeu du Sud est donc adopté par le Nord. Échanges transfrontaliers et rencontres internationales étant fréquents, des frontons avec mur à gauche sont construits au Nord, au XXe siècle, avec une accélération dans les années 1970, due à l’action du président Abeberry14 de la Fédération Française de Pelote Basque (FFPB).
32Au jeu professionnel, spectaculaire du Sud, s’opposent les jeux traditionnels du Nord en place libre, le rebot résistant, le blaid à main nue, le joko garbi, auxquels s’est ajouté le grand xistera. Un autre lieu de jeu distingue les us du Nord et du Sud.
33Au moment où naît le mur à gauche du Sud, les jeux de paume peints en blanc et appelés trinquet/trinket comme en Espagne, se transforment au Nord. Ils sont moins nombreux au Sud, parfois détruits, néanmoins certains sont actifs, plutôt près de la frontière, comme si cette proximité incitait à des pratiques communes.
- 15 Cf. Le Courrier de Bayonne, (1870-05-08) et (1870-05-11).
- 16 Œuvre de M. Laborde, conducteur des Ponts et Chaussées et doté d’une charpente métallique de style (...)
- 17 Il est publié par le Journal de Saint-Palais (1892-04-17).
34On y jouait à une forme de jeu de courte paume en utilisant les gants de cuir mais les meilleurs ne paraissaient pas à ce jeu, ni au blaid, selon un rédacteur du Courrier de Bayonne le 9 août 1863. A partir de 1870, au moins, selon le même Courrier, on joue au blaid à xistera15 au trinquet de Bayonne, où une galerie est abattue, celle du mur de frappe, pour permettre la pleine expression du blaid, en gardant les autres péripéties du jeu de courte paume. En 1892 est inauguré à Saint-Palais le premier trinquet dit Moderne, car il est construit pour le blaid. C’est un tournant dans l’histoire. Ce bâtiment16 est dû à F. de Saint Jayme. Si son règlement17 tient du cercle de Paume, avec ses abonnés, c’est un trinquet basque, dont le succès est assuré par les meilleurs joueurs basques et argentins, selon la presse. Aussi d’autres trinquets modernes, plus modestes la plupart, sont-ils construits, dès 1896 à Saint-Jean-deLuz (le Gélos), à Sare en 1898, et sans cesse depuis. Le jeu à main nue y devient la coqueluche des Basques et des parieurs. Mais au Nord, les joueurs ne vivent pas de la pelote. Il n’existe pas d’entreprise comparable à celles du Sud. Des propriétaires de trinquet, puis des clubs de pelote, organisent des tournois avec les meilleurs, dits professionnels, indépendants puis Elite Pro, car ils gagnent par, exemple, un pourcentage de la recette et ne peuvent donc être considérés comme des amateurs.
- 18 Lors de sa conférence sur le jeu de xare, le 27-10- 2016 au Musée basque et de l’histoire de Bayonn (...)
- 19 Souvent issus de l’émigration basque.
- 20 Industrialisé en 1915.
35Un autre Sud amène de nouveaux jeux. Par l’action de religieux du Nord (Belloc et Bétharram), le xare naît en Argentine et en Uruguay, dit Pablo Ubierna18. Des trinquets sont construits, peut-être à l’économie. Ils ne possèdent que la galerie longue. La règle de paume considérant les ouverts comme des cibles n’y est pas connue : ils sont hors-jeu (perte de point). Puis les Argentins19 créent un instrument, le paleton20 et la pelote balin. Venus au Nord rencontrer les meilleurs à main nue, ils défient aussi ces joueurs avec leur « palette » au trinquet Gélos en 1897, au xare plus tard.
36En résumé, dès les années 1880, les pratiques se diversifient. Des installations et une organisation du jeu différentes au Nord et au Sud, se construisent sans empêcher les rencontres transfrontalières et la pelote est déjà internationale. L’esprit de clocher, dont parlaient presse ou écrivains du XIXe siècle exigent-elles de battre l’adversaire sur son terrain avec ses armes ou l’attrait du défi, l’espoir d’avenir professionnel permettent-ils d’adopter de nouveaux jeux ?
- 21 Cf. « Le concours du jeu de pelote », La vie au grand air, N° 94, 1900-07-01 : 544-545.
37Une autre dimension s’ajoute à ces jeux/spectacles. Alors que le sport se développe en France, que le baron de Coubertin recréé des jeux olympiques (JO), la pelote des Basques entre dans l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques USFSA. Ce changement de paradigme intervient à l’initiative de Charles Béguin, jeune Parisien enthousiasmé par le jeu basque au point de bâtir à Neuilly, en 1898, un mur pour jouer et d’obtenir que « le jeu de pelote » figure parmi les concours sportifs dans le cadre de l’Exposition de 190021.
38Avant d’aborder le tournant sportif et institutionnel pris par le jeu, ainsi que le rêve d’internationalisation et la volonté de s’inscrire dans le sport de haut niveau, la diversification du vocabulaire sera exposée. L’actualité de la tradition, du professionnalisme et du développement sportif termineront l’étude.
- 22 Syntagme d’abord utilisé par Ader, qui trouve un écho favorable auprès des rédacteurs de presse, de (...)
- 23 Cf. Le Courrier de Bayonne, 1896-03-29.
- 24 Cf. Le Courrier de Bayonne n° 7850, 1895-07-05, à propos d’une partie à Saint Jean-Pied-dePort.
39Dans la presse du XIXe siècle, les termes employés n’aident pas à distinguer paume et pelote. Mais le jeu est omni présent, très souvent qualifié de « jeu national »22, avant que certains utilisent le vocable sport, ou encore match23, à la place de partie. La variabilité du vocabulaire épouse imparfaitement celle du jeu. Le nom « paume » cohabite dès 1845 avec le terme « pelote ». La partie de paume au rebot, ou au blaid se nomme aussi partie de pelote au rebot, au blaid. L’expression « partie de paume au rebot », relevée dans les articles, disparaît logiquement au cours de l’année 1890, quand le blaid devient prépondérant, mais le syntagme « partie de paume au blaid » disparaît aussi. C’est de pelote qu’il sera question après, même pour annoncer une partie de rebot, comme dans cet article de 1895 : « que les amateurs du noble et antique jeu de la pelote se réjouissent24 ». Néanmoins « paume » est parfois mentionné jusqu’en 1900 et le lieu du jeu reste souvent désigné par le syntagme « j eu de paume ». Du reste, rues et places du jeu de paume existent encore.
- 25 Le nom est utilisé pour le règlement du sport publié par la FFPB et présent sur une affiche annonça (...)
- 26 Lacombe, lettré parisien, est membre de sociétés savantes, de la R.I.E.V et d’Euskaltzaindia.
40En 1921, « paume » est tombé dans l’oubli, tandis que « blaid » reste courant25, au point que la filiation entre jeu basque et jeu de paume, affirmée par Christian d’Elbée (Gure Herria 1921), provoque des lettres d’indignation. D’Elbée déduit cette filiation d’une série d’articles de Georges Lacombe26, à propos de la paume, mais Lacombe lui manifeste son désaccord. Il écrit aussi à propos du rebot :
[…] il ne s’agit pas ici d’un amusement mais d’un sport magnifique qui est une manifestation distinctive de la seule race euskarienne. Les basques seuls sont capables de briller à ce jeu admiré par tous les étrangers. (Eskualduna, 1904-09-23)
41La présence juxtaposée des substantifs « jeu » et « sport » est à remarquer.
42Blazy, un des fondateurs de la FFPB, reprend l’affirmation contestable de d’Elbée. Son ouvrage devient la référence pour l’histoire de la pelote basque, alors que ses sources sont oubliées. À son tour, le substantif « blaid » tombe en désuétude. Peu de joueurs le connaissent après 1950. Ainsi, des deux jeux propres aux Basques, un seul survit dans son nom originel, le rebot. La frontière entre paume et pelote doit, elle, se vulgariser.
- 27 Il créé à Neuilly la Société du Jeu de Pelote (vingt membres dont trois Basques en 1899).
43Le blaid devient officiellement sport, en tant que « jeu de pelote », selon son inscription à l’USFSA par Charles Béguin27. Pour les compétitions de 1900 et dans l’annuaire de l’USFSA, le « code du jeu de pelote » définit l’aire de jeu.
44ARTICLE PREMIER. - Le jeu se compose d’un mur de face en pierre de taille ayant 11 mètres sur 11 mètres ; d’un mur latéral de 11 mètres de hauteur formant angle droit avec le mur de face et s’étendant sur toute la longueur de la piste ; d’un mur de rebot formant angle droit avec le mur latéral et ayant une largeur de 11 mètres et une hauteur de 7mètres ; d’une piste en ciment ou en pierre dont la longueur varie entre 65 et 80 mètres et qui présente la même largeur que le mur de face .
45Pas de terre battue ni de bouteille tracée, au sol, comme limites du jeu, mais un mur à gauche et un rebot au fond. L’aire de jeu du Sud est donc officiellement l’aire de la pelote du Nord, dans sa première accession à ce titre de sport français, ironie de l’histoire. Béguin connaît cependant le trinquet :
46Aurons-nous un trinquet à Paris ? […] Je le désire bien vivement […] je livre ce problème aux méditations des Basques qui ont fait fortune « aux Amériques » ou même simplement en France […]je me permets de vous demander s’il ne serait pas possible de constituer un comité composé des députés, des conseillers généraux et des personnes notables du Pays Basque sans distinction d’opinion, en vue d’obtenir une place pour le jeu de pelote à l’Exposition de 1900. Ch. Béguin. Lettre du 12 janvier 1899 au Journal de Saint-Palais.
47Les championnats de 1904 ne concernent que des équipes parisiennes et le fronton du Sud. En 1906, elles rencontrent des équipes du Pays basque. Voici les premiers championnats de France de « pelote basque », nouvelle dénomination au sein de l’USFSA.
48L’appel de Béguin a-t-il été entendu ? C’est bien le député des Basses Pyrénées, Jean Ibarnegaray, entouré de notables et de prêtres, qui réfléchit à la création d’une association, projet arrêté par la guerre. Enfin, en décembre 1921, la FFPB se constitue non sans ambiguïtés. Le siège n’est pas à Paris comme pour la plupart des fédérations, mais à Bayonne. La fédération est nationale, mais son nom comporte le qualificatif « basque ». L’un des buts avoués de la FFPB est de sauver le rebot et d’autres spécialités traditionnelles.
- 28 C’est ce que relève le Boletin n° 7 de la FIPV, en compte rendu des IIIe championnats du monde de p (...)
49La Fédération Internationale de Pelote Basque (FIPV) est créée en 1929 à l’initiative d’Ibarnegaray28. Tous les présidents successifs veulent ce développement, avec des visées olympiques. La FFPB fait partie du Comité Olympique Français et la pelote basque est sport de démonstration aux JO de Paris (1924), de Mexico (1968), de Barcelone (1992) et aux Jeux des jeunes des Iles de l’Océan Indien (1987). Elle n’obtient pas de figurer aux JO 2024 malgré, d’une part, le projet « Fronton 2020 » du président FIPV Boutineau proposant une seule aire de jeu et des spécialités nouvelles jugées propres à obtenir le label olympique et, d’autre part, le frontball nouveauté sur laquelle mise l’actuel président Cazaubon pour gagner le quota de pays nécessaire à la reconnaissance olympique.
50Certains attribuent au qualificatif « basque » ce déficit de pays pratiquants ou de développement en France. Cependant 19 pays, dont l’Espagne, sur 33 affiliés présents sur le site de la FIPV, dans les cinq continents, ne présentent pas cet adjectif dans leur nom.
- 29 Il l’écrit dans la revue fédérale Pilota n° 63 en 1981, où il manifeste également son « ambition de (...)
51D’autres pensent que ce qualificatif est sujet à exclusion, ce qui s’accorde aux propos cités de Lacombe, mais pas à l’affirmation du président Abeberry « la pelote sport d’un peuple pour tous les peuples »29.
- 30 Un maniste est un joueur qui frappe la pelote en utilisant sa main nue (protégée par un pansement) (...)
52Il faut préciser que les spécialités traditionnelles du Nord ne font plus partie de la FIPV depuis 1962, à l’exception de la main nue, avec une réserve. En effet, le trinquet officiel est de type argentin, alors que les manistes30 du Nord jouent en trinquet traditionnel. De plus, des spécialités nées dans d’autres pays comme l’Argentine sont jouées en compétitions FIPV. Le sport mondial n’est pas le jeu ancestral défendu au Nord.
53Néanmoins, ces spécialités traditionnelles font partie des compétitions de la FFPB.
54Ainsi, la FFPB reste fidèle à son but premier, sauver rebot et autres jeux traditionnels du Nord. Cependant, ses moyens ne lui permettent pas d’être à la fois sur ce front et celui des spécialités FIPV, du sport de haut niveau, statut obtenu en 1993.
- 31 Initiées par le président Echeverria au Centre N. Pailloux de Pau.
55Aux Assises de la pelote basque de 201331, le choix de garder les spécialités traditionnelles qu’il était envisagé de confier à la Ligue du Pays basque, maintient la FFPB dans ce rôle ambivalent où le jeu du Nord, devenu sport national, reste enraciné dans la culture basque et au Nord car peu d’équipes non basques pratiquent ces spécialités de tradition, alors que la FFPB est engagée dans des domaines d’action fixés au niveau national ministériel.
56Pour le sport de haut niveau, il existe un suivi médical des athlètes, avec un budget dédié. Ces exigences et la tournure professionnelle prise au XXe siècle par la main nue au Sud, ont des conséquences sur la préparation physique, voire mentale et le suivi médical des Elite pro. Le jeu traditionnel suit les exigences sportives du temps. En se référant à l’histoire (Mourguy 2017), il est clair que sa vitalité et sa pérennité tiennent à sa capacité de transformation dans l’adaptation au plaisir des joueurs et à l’évolution de la société. Or la performance sportive fait partie des canons du XXIe siècle.
57De plus, des joueurs du Sud adhèrent à des clubs du Nord pour disputer les championnats du Comité Pays Basque et de France. Vice versa, des jeunes du Nord visent la voie professionnelle du Sud. Les puntistes, au sein d’organisations comme Xistera et Jai Alai League, ont de constants échanges transfrontaliers.
58Le rebot, dont la mort était annoncée en 1899 par Béguin notamment, oscille entre maigres effectifs et succès auprès des foules au long du XXe siècle. Le président Garayar du Comité Territorial Pays Basque mène, depuis 2019, des actions auprès des jeunes pour la pratique des jeux traditionnels, la FFPB se concentrant sur d’autres axes.
59La pelote est pratiquée comme loisir par des personnes sans licence sportive, en nombre quasi égal aux licenciés, selon enquête FFPB. De nombreux tournois sont organisés par des clubs, des propriétaires de trinquets ou des associations qui fonctionnent aussi sur des installations communales avec des règles de jeu ou des modalités qui sont parfois différentes des fédérales. La pelote reste donc aussi jeu, qui échappe au domaine fédéral.
60La frontière se franchit donc sans cesse physiquement et entre sport et jeu.
61Pour conclure, si la paume se joue en Pays basque comme en Europe, à partir du XVIIIe siècle, deux jeux propres à ce pays, le rebot et le blaid, sont inventés par les joueurs de paume, leurs règles s’affinant au XIXe siècle. Dans les années 1880, le blaid évolue très différemment au Nord et au Sud, tant dans la technique et l’aire de jeu que dans son organisation. Spectacle et profession d’un côté, sport pour tous et international de l’autre, la pelote basque du XXIe siècle réunit toutes les dimensions, jusqu’à la tradition du jeu et transgresse les frontières.