- 1 Angoisse me tient, Mort me porte : Malmanche, Tangi. Gurvan ar marc’heg estrañjour. 1975. Al Liamm. (...)
« L’Ankou est l’ouvrier de la Mort (oberour ar maro). » Anatole Le Braz
- 2 Tous ces témoignages ont été recueillis en breton, langue première des personnes interrogées : cell (...)
1Généralement représenté sous l’aspect d’un squelette drapé d’un linceul, l’Ankou est armé d’une longue faux à la lame inversée afin de faucher les âmes. Il sillonne les chemins sur une charrette (Karrig an Ankou) tirée par deux chevaux attelés en flèche, sur laquelle il recueille les défunts. Anatole Le Braz, éminent collecteur des traditions populaires liées à la mort en Bretagne, précise : « Il est escorté de deux compagnons, qui tous deux cheminent à pied. L’un conduit par la bride le cheval de tête. L’autre a pour fonction d’ouvrir les barrières des champs et des cours et les portes des maisons. C’est lui aussi qui empile dans la charrette les morts que l’Ankou a fauchés. » Ce personnage, très présent dans la tradition orale et le légendaire bretons, l’est également sur les édifices religieux : peintures murales et vitraux, statues sur des calvaires, sculptures sur des murs d’églises, ossuaires... Le Braz est celui qui, à la fin du 19ème siècle, a recueilli auprès des conteurs et conteuses des populations locales, une masse de témoignages publiés pour la première fois en 1893, sous le titre La Légende de la Mort en Basse-Bretagne, une œuvre essentielle pour quiconque s’intéresse à ce domaine de recherche. Je me propose de revisiter les expériences et les vécus relatés par Le Braz, et d’autres écrivains, en les confrontant à des témoignages enregistrés2 à Douarnenez à la fin des années 1970, éléments qui permettent de conforter la conviction exprimée par l’historien Alain Croix qu’il existe bien « une vision bas-bretonne de la Mort, ancienne et largement originale » (Croix 1981) et qu’elle a perduré au 20ème siècle.
Au voyageur qui passe, curieux de voir, heureux de vivre, les ossuaires avec leurs niches étagées donnent vite un froid.
Alexandre Nicolaï
- 3 Dit Yan’ Dargent (Saint-Servais 1824 - Paris 1899), peintre dont l’œuvre est essentiellement consac (...)
- 4 Voir : Ouest-Éclair, 10 novembre 1907 et 27 juin 1908 ; La Dépêche de Brest, 27 juin 1908.
- 5 L’article 360 du code pénal en vigueur (1810) punit de trois mois à un an de prison et de seize fra (...)
2Le mardi 8 octobre 1907 au matin, à l’heure où s’ombrent les tombes, Ernest Dargent et son épouse, accompagnés de l’abbé Guivarc’h, recteur de la paroisse, du maréchal-ferrant Le Hir, du menuisier Coliou, du fossoyeur communal Le Bihan et de Thomas, zingueur à Landivisiau, entrent dans le cimetière de Saint-Servais (Finistère) et se rendent jusqu’à la sépulture de Jean-Édouard Dargent3, père d’Ernest, afin d’exhumer le cercueil et procéder à la décapitaion du défunt qui y repose depuis huit ans. Deux heures durant le fossoyeur creuse et « lorsque les trois couvercles fermant le cercueil furent soulevés, le corps apparut encore intact dans sa rigidité cadavérique. Il fallait séparer la tête du tronc. Les assistants refusèrent d’accomplir cette macabre besogne. C’est alors que le recteur Guivarc’h, empruntant le couteau de Le Hir, descendit dans la fosse et plongea la lame d’acier dans les chairs du cadavre4. » Ce couteau ne coupant pas assez bien, il en demanda un autre à Coliou, et parvint ainsi à sectionner la tête maculée de boue. Après l’avoir lavée, il la donna à Thomas qui la mit dans une petite boîte en zinc conçue à cet effet, qu’il scella. Cette boîte fut ensuite placée dans la chapelle en attendant la cérémonie funéraire qui se déroula dans l’après-midi. En présence de la « presque totalité des habitants de la commune », dont M. Kerdiles, le maire, après un Libera et une absoute solennelle, la « boîte à chef » a retrouvé son emplacement initial, enchâssée dans le mur auprès des reliques de Madame Dargent mère, selon la volonté du défunt. Toutefois, son frère ayant déposé plainte en s’appuyant sur l’article 360 du code pénal5, le tribunal de Morlaix juge l’affaire le 26 juin 1908 et au terme des débats, la justice reconnaît « la légitimité des usages bretons imposés par une tradition respectable », le respect de la promesse faite au mort et du délai des cinq ans écoulés, ainsi que « l’intention pieuse des prévenus »...Cette hallucinante expédition symbolise l’attitude particulière des Bretons devant la mort, et les relations souvent extraordinaires qu’ils entretenaient avec elle. Néanmoins, certains témoignages imposent de s’interroger sur la réelle piété qu’incarnait cette « tradition respectable » en Bretagne malgré sa récupération par l’Église. Ainsi, Prosper Mérimée qui visite l’église de Saint-Herbot en 1835, rapporte : « Une pratique fort étrange règne dans cette province. Les parens [sic] d’un mort le font exhumer au bout de quelques années, lorsqu’ils croient que la terre a absorbé ses chairs décomposées. Les os recueillis sont alors rejetés dans un petit bâtiment construit ad hoc auprès de l’église ; c’est le reliquaire. Quelquefois on réserve la tête du mort pour la mettre dans une boîte, et la placer dans un lieu apparent de l’église avec cette inscription : « Ci-gît le chef de N. » Il est impossible d’imaginer quelque chose de plus repoussant que ce monceau d’ossements blanchis, jetés pêle-mêle au milieu des orties qui poussent toujours en abondance dans les reliquaires. Bien souvent, un zèle empressé n’attend pas l’entier dépouillement du squelette, et des lambeaux de chair puante attirent les chiens que personne ne prend soin de chasser. D’ailleurs ces ossuaires n’inspirent aux paysans ni dégoût ni respect. J’en ai vu plusieurs s’y abriter de la pluie, d’autres y manger ; quelques uns attendaient que j’eusse passé pour y faire l’amour avec leurs maîtresses. » (Mérimée 1836)
3Ces Notes que l’Inspecteur-général des monuments historiques Mérimée a transmises à Adolphe Thiers, l’intermittent du ministère de l’Intérieur, en se déclarant, formule de politesse oblige, être son « très humble et très obéissant serviteur », ne semblent avoir ému ni le ministre ni ses services. Car douze ans plus tard, Flaubert, vadrouillant dans le cimetière de Quiberon, confirme le caractère peu emprunt de ferveur religieuse du rituel :
« Au milieu, un grand ossuaire tout ouvert reçoit les squelettes de ceux que l’on désensevelit pour faire place aux autres. [...] Autour cet ossuaire, où cet amas d’ossements ressemble à un fouillis de bourrées, est rangée, à hauteur d’homme, une série de petites boîtes noires, de six pouces carrés chacune, recouvertes d’un toit, surmontées d’une croix, et percées sur la face extérieure d’un cœur à jour qui laisse voir dedans une tête de mort. Au-dessus du cœur, on lit en lettres peintes : « Ceci est la tête de ***, décédé tel an, tel jour. » Ces têtes n’ont appartenu qu’à des gens d’un certain rang, et l’on passerait pour mauvais fils, si au bout de sept ans on ne donnait au crâne de ses parents le luxe de ce petit coffre. Quant au reste du corps, on le rejette dans l’ossuaire ; vingt-cinq ans après, on y jette aussi la tête. » (Flaubert 1886).
4Le culte des crânes se pratique sous toutes latitudes selon des rituels différents aux finalités variables. Si la tradition des « boîtes à chef » en Bretagne revêtait par phases éphémères un aspect religieux formel, les témoignages de Mérimée et Flaubert ne laissent pas transparaître une profonde spiritualité. Au Cameroun, chez les Bamiléké où, « après les petites funérailles [...], la tête est détachée du squelette et est déposée dans un pot de terre cuite » (Kuipou 2015) ce culte permet au défunt d’acquérir le statut d’ancêtre et d’avoir ainsi sa place parmi les vivants. À Marau, aux Îles Salomon, « le crâne est transporté dans une primitive maisonnette en bois » (Paravicini 1931) qui est ensuite placée en un lieu isolé particulièrement recherché par les îliens pour y faire leurs besoins, pensant ainsi éviter que les excréments ne soient utilisés à la confection de piros [« agents magiques homicides »]. À Naples se pratique le culte des « Âmes du Purgatoire » dans le sous-sol de la Chiesa di Santa Maria delle Anime del Purgatorio ad Arco qui contient un grand nombre de crânes, dont certains auraient de potentielles facultés miraculeuses : les rituels qui l’accompagnent créent « les conditions traditionnelles d’une forme sociale à travers laquelle [les] femmes ont pu se solidariser. » (Villain-Carapella 2017)
5L’être Humain, imprégné de l’idée de sa finitude, reste néanmoins, selon Sigmund Freud, inconsciemment persuadé de son immortalité : « Au fond, personne ne croit à sa propre mort, et dans son inconscient chacun est persuadé d’être immortel » (Freud 1927), postulat que l’historien Jean Delumeau a affiné en proposant les concepts de « double survivance » et d’« amortalité ». On peut donc imaginer que l’Humain trouve à travers ces rituels post-mortem, aussi variés et hétérogènes que surprenants, un chemin vers cette double survivance qui fait écho à une conception de la mort propre aux sociétés archaïques. « Dans ces sociétés, les défunts sont des vivants d’un genre particulier avec qui il faut compter et composer et, si possible, avoir des relations de bon voisinage. Ils ne sont pas immortels, mais plutôt amortels pendant un certain temps. Cette amortalité est la prolongation de la vie pour une période indéfinie, mais pas nécessairement éternelle. En d’autres termes, la mort n’est pas identifiée comme ponctuelle, mais comme progressive. » (Delumeau 1978)
- 6 Red e d’ann holl mervel ter gwes / Kent evid arzao enn-divez. Diougan Gwenc’hlan. Barzaz Breiz.
Tous doivent mourir trois fois / Avant de trouver le repos6
La prophétie de Gwenc’hlan
La Villemarqué
6Les « vivants particuliers » évoqués par Delumeau peuvent être classés en deux catégories : les passants aux apparitions spectrales, et les persévérants, hôtes importuns. Autant les premiers sont furtifs et éphémères, autant les seconds sont tenaces et entêtés. Sont-ils bienfaisants lorsqu’ils sont nocturnes, malfaisants lors de leurs apparitions diurnes s’interroge Hervé Martin après avoir analysé l’apparition, au Moyen Âge d’un défunt boulanger qui revient nuitamment pétrir et mener la vie dure aux vivants.
« II advint en bretaigne une telle vision. Ungs qui estoit boulengier va trespasser de cest siècle en l’autre. Et laissa sa femme et ses enfans de ce mesme mestier. Or advint quand le corps fut mis en terre ung peu de temps après, que ainsi comme ilz avoient de coustume se levoient de nuit pour pétrir et pour faire le pain. Et ainsi comme ilz petrissoient, veez ceci que cellui qui estoit mort soudenement apparut entre eulx. Et commença a rebracier (retrousser) ses menches et ses bras jusques aux queudes (cou- des ?) et pétrir avec eulx, et les aguillonnoit souvent à haulte voix que ilz feissent appertement (habilement) et viguereusement ce qu’ilz aîvoient commencie, mais ceulx, de la grant paour que il eurent, s’enfouirent ung ça et l’autre la. Et ainsi que ilz fuioient, tous les voisins se rassemblèrent pour veoir la merveille. » (Martin 1979).
7Le Braz rapporte ainsi une douzaine d’apparitions de revenants, souvent malfaisants.
8Voici un témoignage analogue à cette apparition médiévale où le défunt, hôte importun, revient sur son lieu de travail et se rend également chez l’ouvier.
« C’était avant la guerre 14. J’avais un cousin qui travaillait à Pouldavid, à l’usine qui traitait les déchets de poisson, les têtes, les boyaux, les invendus, dont on faisait de l’huile et de l’engrais. Cette usine se trouvait sur le chemin de Kerru, dès la sortie de Pouldavid, de ce côté-ci de la mer. Mon cousin y travaillait, avec deux autres ouvriers dont l’un remplissait la fonction de contremaître. Et voilà qu’un dimanche matin on l’a trouvé mort, sur le chemin qui longe la grève : il avait été assassiné en rentrant, disait-on, d’un repas chez sa sœur qui habitait à Douarnenez... Il rentrait seul et il avait été assassiné. Les policiers venus de Quimper avaient longuement interrogé mon cousin, car c’est lui qui était devenu contremaître : cherchez à qui profite le crime !.. Mais, assez rapidement on avait arrêté un garçon de Pouldavid. Pourquoi l’avait-il tué ? C’est difficile à dire... Pour rien. On l’avait donc envoyé en prison. Huit ans ou quelque chose comme ça. Ensuite, il est revenu au pays et il s’est même marié. Le travail avait repris son cours à l’usine bien sûr, et ça tournait bien. Mais la nuit, le mort revenait sur son lieu de travail. Mon cousin le voyait... Et pas qu’une fois : ça a duré des semaines et des semaines. L’usine tournait de nuit comme s’ils avaient été tous les trois à travailler pendant la journée. Exactement pareil ! Toujours les mêmes bruits, et il y avait de la lumière...quand venait l’Ankou - il faut bien l’appeler par son nom ! Les gens voyaient cela, et ils disaient à mon cousin : « Dis donc ! Tu as travaillé bien tard hier soir...En passant sur la route, j’ai vu l’usine éclairée... ». « Oui, oui... ». Il ne voulait rien révéler, il pensait que ça allait s’apaiser. Mais ça continuait. Et les passants voyaient de la lumière et entendaient le bruit et ils croyaient que les ouvriers étaient au travail. La jeune femme de mon cousin était enceinte, et elle n’a jamais rien vu ni rien entendu. Il n’y avait que lui qui voyait le mort travailler. Et il venait chez lui aussi, au coin de l’âtre, allumer sa pipe. Alors un jour, Lan ar Brun, mon cousin, qui était un homme sans peur, se décida à lui demander ce qu’il voulait, ce qu’il recherchait. Arrivé à deux pas, deux ou trois pas de lui, il n’avait pas eu le temps de poser sa question, pfft !.. plus personne ! Il avait disparu. Au bout d’un moment, il en avait parlé à sa femme : « Son âme n’est certainement pas en paix, car il revient travailler ». On disait qu’il était mort avant son heure. Finalement, puisque ça durait et que la rumeur courait qu’il y avait un revenant, on avait prévenu le recteur de Pouldavid. « Il faut prier pour le repos de son âme. Il lui faut gagner le repos de son âme » avait-il ordonné. Certains n’y croyaient pas : « Ce n’est pas vrai » disaient-ils. Alors mon cousin leur disait : « Venez avec moi et vous verrez et vous entendrez aussi ». Mais personne n’a jamais été assez courageux pour aller chez lui. Et puis, ça s’est terminé... Mais ça a duré longtemps, oui bien longtemps... » (Anna G. 1902. PD/GD)
9Ce meurtre gratuit commis en octobre 1910 a fait l’objet d’articles de presse, mais l’âge de notre informatrice au moment des faits permet d’avancer qu’elle n’en avait pas eu connaissance. Par contre, la violence subie par la victime, trouvée à terre le crâne fracassé, les yeux arrachés, les oreilles coupées, ajoutée à l’incompréhension d’un verdict jugé trop indulgent et à l’implication d’un proche peuvent expliquer la précision de son témoignage qui offre des éléments intéressants. Ainsi, l’épouse enceinte semble protégée des extravagances et des menaces potentielles du revenant. L’explication se trouve sans doute dans le lexique breton qui a deux mots pour « enfant » : krouadur, qui signifie création, jusqu’à sept ans, et bugel ensuite. Or, krouadur s’utilise aussi pour désigner l’Enfant Jésus (Krouadur Jezuz) et l’Enfant Dieu (Krouadur Doue). L’enfant à naître est donc lui aussi « création divine » ce qui laisse à penser que la grossesse confère une protection du même ordre. L’appel au prêtre, en tout dernier recours, venant en sage pacificateur proposer la prière comme unique moyen de délivrance confirme l’immixtion de la religion dans les phénomènes spectraux. Toutefois, la version sacerdotale selon laquelle le revenant est une âme en peine que seule la prière peut sauver, est mise à mal par Anna G. car, en évoquant un décès « avant l’heure », elle se réfère à la tradition populaire qui veut que « quiconque meurt de mort violente doit rester entre la vie et la mort le temps qu’il avait naturellement à vivre. » Quant aux prières...
10Anna G. rapporte aussi le cas d’un fils adoptif tué à la Grande Guerre et « revenu » annoncer sa mort à sa mère :
« Pendant la guerre, j’ai entendu des gens dire qu’ils voyaient leurs proches au moment de leur mort. La grand-mère de Jeanne K. (vous connaissez bien Jeanne K., la tante de Marie U. qui tenait une auberge)... elle n’avait qu’un fils unique, mais avait aussi élevé un neveu orphelin qui était venu chez eux tout petit... Ce que je vais vous raconter se dit disluiallet [vision annonçant une mort]. Cette vieille femme, donc, revenait un dimanche de la grand-messe, et après avoir passé le coin de la rue, elle a vu un soldat qui marchait devant elle : « Oh, mais c’est René. Il doit être en permission », se dit-elle. Et ce soldat était entré chez elle, elle l’avait vu entrer dans le couloir. « Eh bien, il sera à la maison avant moi ! Heureusement que j’arrive car il n’aurait trouvé personne... » Entrée à son tour dans la maison, elle pensait trouver René à l’étage : pas de René ! Et elle l’avait bien vu entrer. Elle demande donc aux voisins : « J’ai aperçu René entrer chez moi comme je revenais de la grand-messe. Je l’ai bien reconnu de dos. Vous ne l’avez pas vu ? » Non, rien vu, rien entendu. C’est quand-même bizarre pensait-elle. On avait cherché René dans sa chambre, dans le petit jardin à l’arrière de la maison, à l’étage, dans le grenier, et on ne l’a jamais trouvé. Mais le lendemain, ou le jour suivant, la nouvelle que René avait été tué à la guerre précisément à ce moment-là lui est parvenue. Et sans doute, avant de mourir sa dernière pensée avait-elle été pour ses proches, pour chez lui. C’est surprenant, vous savez, mais c’est ainsi. On dit : « Oh, mais les vieux radotent ! » Non, ce ne sont pas des sornettes. Ce ne sont pas des histoires... Par contre, maintenant les relations entre les vivants et les morts ne sont plus comme avant. » (Anna G. 1902. GD).
11Mathilde C.L. décrit l’apparition vécue par sa mère qui a « vu » son beau-frère au moment où il se noyait.
« Ma mère, qui travaillait à la conserverie, dormait chez sa sœur quand elle finissait tard. Ce soir là, elle est rentrée à onze heures et en montant les escaliers, elle remarqua que son beau-frère la précédait de quelques marches. Elle ne voyait pas son visage, juste son dos. Après l’avoir vu entrer dans le grenier, elle l’a entendu prendre quelque chose et faire du bruit comme s’il s’y roulait pour dormir. Elle était un peu surprise car il devait partir le matin-même faire la pêche dans les parages d’Audierne. « Bon, Gustave est sans doute rentré au port » se dit-elle, et elle est allée se coucher avec sa sœur, sans rien dire. Le lendemain, elle avait été informée de manière brutale, car vous savez il y a vraiment de méchantes gens ! La femme de N., la voilà qui entre dans la maison et qui lui demande : « Nastig, c’est vrai ce qu’on raconte ? » « Que dit-on ? » « Que Gustave s’est noyé ! ». Comme ça !.. Il faisait route pêche et en passant le Raz de Sein, la voile avait masqué et il était tombé à la mer. Il n’avait pas pu être sauvé. Mais ma mère savait : elle l’avait vu dans l’escalier alors qu’il devait être en pêche. Et à chaque fois qu’un proche mourait, ma mère le savait à l’avance. Toujours... Je vais vous dire, mon garçon : la mère de ma mère m’a raconté, comme-ci : ma mère a été baptisée à Ploaré - il n’y avait pas encore d’église à Douarnenez. Ma mère était dans l’église avec toute la famille quand arriva un enterrement. Alors, ils sont sortis et sont revenus plus tard pour le baptême. Et ma grandmère me disait que les enfants comme ma mère qui sont entrés dans une église et qui en sont ressortis sans avoir reçu les sacrements, ceux-là « voient » et « entendent ». Ainsi, ma mère savait tout : quand quelqu’un de la famille mourait, elle le « voyait ». (Mathilde C.L.1905. GD)
12Le Braz a recueilli auprès du conteur Goanvic, cantonnier à Paimpol, un récit comparable (Le Berceau) dans lequel l’époux de Marie Gouriou, terre-neuvas, « revient » rendre une dernière visite à son fils endormi dans son berceau auprès du lit de sa mère. Subitement réveillée par les pleurs de son enfant dans la chambre en pleine lumière, elle reconnaît son mari berçant son fils. Elle relève que ses habits ruisselaient et sentaient très fort l’eau de mer. Puis la lumière « s’évanouit » et le revenant s’éclipsa. Marie Gouriou devait apprendre, quelque jours plus tard, que le terre-neuvier de son mari avait sombré corps et biens la nuit même où il s’était penché sur le berceau de son fils.
13Ces apparitions fugaces, bien documentées, concernent surtout des êtres chers qui meurent loin de chez eux, tués à la guerre ou perdus en mer, et contrairement aux revenants tenaces, ils ne font que très rarement l’objet d’une intervention cléricale. Il n’en reste pas moins que les récits sont liés aux faits religieux : dans le premier témoignage, Jeanne K. revient de la grand-messe (pas d’une promenade ou d’une emplette en ville...) quand elle aperçoit la silhouette de son fils entrer dans la maison. D’autres témoignages vont dans le même sens : ci-après deux récits mettant en scène des jeunes filles qui viennent de faire leur communion.
« La sœur de mon arrière-grand-mère qui venait de faire sa première communion était sortie dans le petit jardin derrière la maison et, rentrée effrayée, elle avait dit avoir vu un grand drap blanc sur le sol avec comme des médailles jaunes éparpillées dessus... Et quelques semaines plus tard c’est cette même couverture qui servait de drap mortuaire à son petit frère. » (Alice C. 1908. PD).
14Ou encore, cet épisode, collecté par Pierre-Yves Kersulec à Sein, qui décrit la rencontre d’une jeune fille avec une sirène. (Kersulec, 2022).
- 7 Ahez : utilisé localement pour sirène ; Morganez est d’un usage plus courant.
- 8 Traduction de Pierre-Yves Kersulec.
« Elle était allée se promener au Guéveur le jour de sa communion, et elle avait vu une Ahez7...elle l’a raconté à ma grand-mère, et Nenn Marie me l’a répété, ma grand-tante. « C’est vrai, disait-elle, c’est indéniable. C’était l’Ahez avec sa chevelure blonde ». Cette jeune fille, quand elle avait raconté cette histoire...oh, plein de gens y avaient cru, hein, à l’époque les gens croyaient aux miracles, vous savez bien, les défunts revenaient après être décédés, les défunts revenaient et on les entendait descendre du grenier ou se plaindre, vous étiez dans votre lit alors, sur le point de dormir, et quelqu’un se plaignait près de la porte, et c’étaient les défunts qui revenaient. Moi j’ai été...traumatisée par ça8 ! » (Anonyme.1925. PYK)
15Ces évocations codifiées des rites chrétiens, prière ou pénitence, ces rappels insistants à une pureté d’âme indiscutable (les adolescentes viennent de recevoir l’hostie dans l’état de grâce, la mère du soldat « revenant » vient d’assister à la messe) attestent du syncrétisme culturel, l’Église ayant procédé à l’habillage chrétien de certains cultes ou rites anciens : culte de l’eau, par exemple, très répandu en Bretagne aux innombrables fontaines ou encore la célèbre Troménie de Locronan. Les phénomènes fantastiques, apparitions spectrales, visions prémonitoires, intersignes, qui ne relèvent en rien du dogme vaticanesque (sauf quand ils surviennent dans une grotte de Lourdes ou à Fatima...), sont ainsi validées et donc dédiabolisées. Le don même de voir et d’entendre répond à des circonstances précises, souvent décrites dans diverses publications. Mathilde C.L. détaille l’engrenage fortuit qui le caractérise : c’est le hasard d’être passé en terre bénite et d’en être sorti sans avoir été baptisé qui donne « le don de voir » : le hasard donc, pas une intervention du Saint-Esprit...
16Mais il existe de surprenantes apparitions très éloignées de l’habillage chrétien qui les parent habituellement. Recueilli à Sein par P.Y. Kersulec, ce récit d’une rencontre qui survient en mer : (Kersulec 2022)
- 9 Traduction de Pierre-Yves Kersaulec.
« Ah oui, le Bateau de la Sorcière [...] Si on voyait le Bateau de la Sorcière, ça n’était pas bon signe. Ça voulait dire qu’il y avait un bateau de l’île qui allait faire naufrage. [...] On disait autrefois qu’il y avait un Bateau-Sorcière, on voyait un bateau dans lequel il y avait une sorcière. Si c’était une sorcière, je ne sais pas ce qu’elle ensorcelait. C’était le signe que quelqu’un avait péri en mer.[...] La première veuve qui était par là, on la voyait dans le Bateau-Sorcière... Ah oui, on voyait son tablier, le châle qu’elle avait, qui lui servait de voile. J’ai entendu les anciens raconter ça, le Bateau-Sorcière, quand il y avait du mauvais temps, et tout. Et c’était deux ou trois jours après qu’il y avait un noyé. Et c’était le mari de celle qu’on aurait vue dans le Bateau-Sorcière9. » (Anonyme. 1935. PYK)
17On doit aussi évoquer les cortèges funèbres, souvent nocturnes, que Le Braz classe sous l’appellation « enterrements », bien que l’on ne procède à aucune mise en terre. La déambulation dévoile l’identité de la victime à qui l’Ankou s’apprête à rendre visite... Toutefois, le témoignage suivant offre une interprétation plus matérialiste :
« Autrefois, de nuit, quand les ouvrières, ma mère et d’autres, revenaient de l’usine, il leur arrivait de croiser un enterrement avec des personnes qui portaient des mantelets de deuil. On voyait cela autrefois... Moi, je n’ai jamais vu ça, mais j’ai entendu ma mère le raconter. Oui, en revenant de l’usine elles voyaient un enterrement et parfois reconnaissaient certaines personnes... Cela se passait, oui... La nuit... Karrig an Ankou, c’est comme ça qu’on disait. Oui, on voyait un prêtre, on voyait un enterrement. Je ne vous dis pas que je l’ai vu, mais j’ai entendu les anciens le raconter. Les prêtres faisaient cela sans doute pour gagner de l’argent... Il se disait beaucoup de choses, vous savez... Mais écoutez donc, il paraît qu’autrefois on faisait danser mari et femmes [décédés] dans les maisons, cela aussi on le voyait. J’ai entendu dire : « Untel et une telle passent la nuit à danser chez eux... » (Marie H.S. 1895. GD)
« Les intersignes sont comme l’ombre, projetée en avant, de ce qui doit arriver » Anatole Le Braz
- 10 La chaloupe Notre-Dame de Bonne Nouvelle, construite en 1896, immatriculée DZ85, patron Constant Pe (...)
« J’avais neuf ans quand j’ai perdu mon père. Il s’est perdu en mer en faisant la pêche au maquereau de dérive, en 1896, et j’avais appris la nouvelle à l’école dans la cour, pendant la récréation. Les enfants venaient me dire que le bateau10 de Constant Pendezec sur lequel était mon père avait coulé [...] Alors, à la sonnerie de quatre heures ma sœur, qui était de quatre ans mon aînée, et moi, nous étions rentrées en courant à la maison...et ma sœur me répétait : « Mais peut-être que c’est pas vrai... c’est peut-être pas vrai... » Et nous voilà entrant dans le couloir...il y a avait un grand silence... pas un mot...pas un bruit. Et quand on a ouvert la porte de la chambre, notre mère était sur le lit, perdue, comme folle : « Oh mes pauvres enfants, vous n’avez plus de père ! » Elle pleurait... Puis la maison s’est remplie, il y avait du monde partout, des parents, des voisins et tout le monde criait... Et puis, c’est passé... Ça a été le premier chagrin de ma vie... Que voulez-vous que je vous dise encore ?.. Ma mère était une femme sage, qui travaillait dur, elle allait à l’usine, et ma sœur aînée aussi. Et mon autre sœur y est allée aussi tout de suite après le naufrage...il fallait bien vivre ! C’était à la pointe du Raz. Une tempête les a emportés... Ils étaient onze à bord. Tous perdus.... Mon pauvre père était le plus âgé... Ça a été le premier grand chagrin de ma vie... » (Mathilde C.L. 1905. GD).
18Ce témoignage extrêmement poignant dit la détresse d’une fillette qui apprend, de manière fortuite, et comme une information somme toute banale, le naufrage de la chaloupe sur laquelle pêchait son père. Mais il ne dit rien du trauma collectif qui envahissait la communauté à l’annonce de ces drames dont peu de familles étaient exemptes. Il ne se passait pas une année sans pertes humaines, souvent très lourdes comme l’attestent ces quelques exemples pris au hasard dans la longue liste des naufrages : 17 mai 1934, Sainte-Anne, 13 disparus, 10 veuves, 17 orphelins ; 23 avril 1936, Marinette et Margot, 17 disparus, 11 veuves, 14 orphelins ; 26 avril 1941, Regina Pacis, coulé par les Allemands, 18 disparus, 11 veuves, 16 orphelins ; 23 avril 1947, Michel Nobletz, 18 disparus, 9 veuves, 16 orphelins ; 7 août 1948, Tin-Gall, 10 disparus, 7 veuves, 10 orphelins... L’historien Jean-Michel Le Boulanger, dans Les Drames de la Mer, rapporte la noyade lointaine d’un pêcheur vécue tragiquement par sa sœur :
- 11 L’Almajo, malamok de 22 mètres immatriculé DZ 395, a été perdu corps et biens au sud-ouest du Fastn (...)
« Nous sommes alors au début du mois de février et l’Almajo11, commandé par Théodore Doaré, un sacré personnage, est en mer, avec un équipage essentiellement concarnois. La mer est forte, très forte. Une nuit, la sœur d’un matelot est réveillée par un cauchemar terrible : son frère, qui tombe, s’accroche à elle de toutes ses forces, et elle, elle tire sur ce frère autant qu’il soit possible de le faire. Au matin, et pendant quelques jours, cette jeune femme sent même une vraie douleur à son poignet endolori. Elle apprendra vite que son frère, cette nuit-là, a été englouti par les flots... » (Le Boulanger 1999).
19L’appel d’un proche en perdition peut aussi se manifester par diverses poussées sonores : Le Braz, dans L’intersigne des rames fait référence à leur bruit répété frappant la mer accompagné de conversations en langues incompréhensibles. Et plusieurs nuits durant « le plic-ploc continuait de résonner » jusqu’au moment où la mère de famille fut informée du décès de son fils aîné à « Karikal des Indes ». Les deux témoignages suivants relatent également des disparitions en mer annoncées par des bruits oppressants :
- 12 Le navire Fontainebleau, qui assurait la liaison Marseille-Saïgon, a pris feu lors de son escale à (...)
« Quand Tienno, le frère d’Edith s’est noyé, et ça c’est vrai hein, trop vrai...Chez moi, j’ai entendu des bruits terribles. Un soir, c’était comme si des chaînes étaient tombées dans la cour. Je dis à René [son mari] : « qu’est-ce qui vient de tomber, là, dans la cour ? » René va voir : rien du tout ! Et une autre fois, tout avait basculé comme si les filets et les chaînes étaient tombés. Et cela avait fait tel un bruit que je pensais que la maison allait s’écrouler ! J’ai compris alors que le bateau sombrait à ce moment et que Tienno se noyait... Tout ça c’est vrai, hein... Comme le naufrage du Fontainebleau12, quand Émile était en route pour la Chine. Maman avait dit qu’elle avait entendu Émile l’appeler. Et elle nous avait dit : « Quelque chose est sûrement arrivé à Émile, car il m’a appelé cette nuit, plusieurs fois « Maman, maman... » . Et on avait appris le lendemain que le navire avait brûlé à Djibouti. Ce sont des choses qui arrivent... La dernière pensée va toujours vers les êtres chers. » (Alice C. 1908. PD)
« Vous savez, j’allais dormir chez grand-père : il y avait deux lits avec des rideaux et j’entendais tout ce qui se racontait... Mon père faisait le tour de la pièce en racontant les problèmes de la pêche, et d’un bateau qu’un ami faisait construire et que pendant toute la période de la construction du bateau au chantier, un berceau à l’étage n’arrêtait pas de bercer. Alors, le grand-père, Per Gloaguen qui était un homme très fort, montait au grenier voir ce qu’il se passait, et quand il arrivait à la porte, la main posée sur la poignée, le bruit cessait. Dès qu’il revenait, le bruit du berceau reprenait. Et ça a duré comme ça tout le temps de la construction. Et dès sa première sortie en pêche, le bateau a coulé, avec le père et les deux fils à bord. » (Marcelle S. 1918. GD)
20Le trauma est d’autant plus prégnant qu’il est accru par l’absence des corps, engloutis à jamais. Certes, la communauté est solidaire comme l’atteste l’emploi d’un lexique de parentèle tels c’hoar (soeur), breur (frère), frei (frère /ami), merc’h (fille), mab (fils), moereb (tante), nenn (grand-mère), ou encore « tonton » et « tante » sans aucun lien de réelle parenté. Mais le défaut de sépulture individuelle qu’implique l’absence des corps anime la crainte de l’oubli des disparus. On peut imaginer que l’intersigne partagé et transmis oralement de génération à génération aide à conserver leur souvenir, et celui du drame, dans la mémoire collective. Cette absence peut être couplée aux affres de l’errance des âmes défuntes qu’à Ouessant on rompt par le rituel du broella que Joseph Cuillandre traduit par rapatriement. Il explique :
« Le broella, une fois célébré suivant le rite traditionnel, l’âme du marin disparu, qui errait en peine, peut enfin entrer dans son repos. Alors, mais alors seulement, elle fait la grande navigation dans l’autre monde. Sur cette navigation merveilleuse des marins après leur mort, j’ai entendu faire bien des récits dans mon jeune âge à Molènes même, qui est mon île natale [...] Pour le marin, l’autre monde a autant de certitude, sinon plus de réalité que ce monde-ci. » (Cuillandre 1924)
Des thrésors sont gardés par des géans et des fées : chaque pays a sa folie ; notre Bretagne les a toutes.
Jacques Cambry
21À travers ces témoignages, uniquement féminins, recueillis vers la fin du siècle dernier, se signalent des croyances relatives à la mort profondément ancrées chez les Bretons, dont porte témoignage la langue qui dispose de plusieurs mots pour la dire : ankou donc, attesté dès le 9è siècle, et aussi marv décrivant l’état, tremenvan se référant au moment du passage, anaon évoquant l’ensemble des âmes des défunts, auxquels s’ajoutent des expressions locales, tels roeñviñ / mont da gornog (ramer / aller vers l’ouest) ou roeñviñ d’ar maez (ramer vers le large) renvoyant à la mythologie celtique qui situe l’Autre Monde sur des îles. C’est ce voyage vers les îles que relate Pierre-Jakez Helias dans Légendes de Bretagne :
« Depuis que le monde est monde, le Vaisseau des Défunts apparaît, certaines nuits dans la Baie des Trépassés. Une voix puissante s’élève de la Pointe du Van ou de la Pointe du Raz, nommant un pêcheur. Celui-ci n’est pas surpris. Il sait comment ses ancêtres ont fait traverser les morts et cette action les déchargeait de tout devoir envers les hommes d’ici-bas. [...] À celui qui demandera si le Vaisseau des Défunts vient encore dans la Baie des Trépassés, aucune voix n’osera répondre. Jamais aucun pêcheur n’a avoué avoir été passeur. Quiconque est choisi pour cette mission vit ensuite en étranger parmi ses frères, en attendant de devenir l’Ankou de la Mer. » (Hélias 1959)
22À travers ces témoignages se dévoile également la fragilité du syncrétisme culturel appliqué par l’Église, incapable de refouler la puissance de la transmission orale. Les personnes interrogées installent un sage recul par rapport aux expériences vécues usant des artifices des conteuses (détails des lieux, des moments, des personnages, etc.) qui aident à crédibiliser le récit tout en transmettant l’idée que le lien entre vivants et défunts ne se rompt pas avec la mort. Mais, comme l’avait exprimé Anna G. « les relations entre les vivants et les morts ne sont plus comme avant ». En effet, les profondes fractures de la société traditionnelle, le rapide effondrement de l’oralité, les migrations, l’urbanisation, ont sonné le tocsin des croyances et des rites d’antan. L’amitié virtuelle a remplacé la solidarité fraternelle des anciens et façonné la multitude des solitudes anonymes. Pourtant, la féconde littérature sur le thème de la mort en Bretagne offre encore matière à ouvrir des axes de recherche, en y revenant. Trois fois, au moins, afin d’entériner la prophétie du vieux barde aveugle Gwenc’hlan...