1Le mouvement breton, dans sa diversité, a depuis ses origines au XIXe siècle, toujours recherché des modèles dont l’étude pourrait l’aider à trouver des voies d’émancipation pour la Bretagne et son peuple. Il se tourne dans un premier temps vers les autres pays celtiques et plus particulièrement vers l’Irlande catholique, alors que le Pays de Galles, plus proche linguistiquement, suscite quelques réserves en raison de son protestantisme. Dans la deuxième partie du XXe siècle, il apparaît évident que les Bretons ne sont pas disposés à libérer leur pays par les armes comme l’ont fait les Irlandais, et les Gallois apparaissent plus comme l’exemple à suivre. En effet, sans faire sécession et de manière pragmatique, ils réussissent à relever leur langue beaucoup mieux que les Irlandais pourtant devenus indépendants. Ce que les Gallois parviennent à faire dans le domaine d’enseignement, est souvent cité en exemple. Cependant, tous les autres pays de langue celtique ont un point en commun que ne partage pas la Bretagne : ils sont, qu’ils le veuillent ou non, anglophones. De plus, le cadre institutionnel de leurs luttes rend souvent leurs enseignements difficilement applicables en Bretagne. Les militants bretons vont donc chercher à s’inspirer aussi de ce que font ceux des autres langues minoritaires de France. Or, la minorité linguistique de France qui montre la plus belle vitalité est le Pays basque.
2Qui lit la presse militante bretonne se rend rapidement compte de l’influence basque sur la militance en faveur de la langue bretonne. La chose n’est pas nouvelle, mais cette influence a changé de nature depuis le début du XXIe siècle et surtout depuis l’abandon de la lutte armée. C’est ce que nous nous proposons de commencer à étudier ici.
3À défaut de pouvoir mener pour l’heure une étude exhaustive du sujet, nous nous appuierons sur un corpus composé en grande partie des articles de trois publications militantes et dans lesquelles apparaît cette influence basque depuis une dizaine d’années. Il s’agit du Peuple breton, d’Al Lanv et de l’hebdomadaire en breton Ya !.
4Le Peuple breton est publié par l’Union démocratique bretonne (UDB), parti autonomiste de gauche fondé en 1964.1 C’est aujourd’hui un mensuel d’une quarantaine de pages dont huit en breton. Son influence dépasse assez largement les militants de ce parti. Al Lanv est un trimestriel entièrement en breton fondé en 1980 et se voulait alors la revue du socialiste breton (plutôt tendance PSU). Comme l’indique son sous-titre actuel, Al Lanv traite d’international, de société, de langue et de littérature. Sans être élitiste, Al Lanv s’adresse à un public brittophone intellectuel. Ya ! est un hebdomadaire généraliste entièrement en breton fondé en 2005.2 Au format tabloïd, Ya ! est aussi désormais disponible sous forme numérique. Ce corpus de base sera complété par quelques sites internet, des entretiens et des observations personnelles.
5Dans une première partie, nous reviendrons sur la connexion profonde établie à partir des années 1980 par l’accueil des réfugiés politiques basques en Bretagne et que l’abandon de la lutte armée n’a pas affaiblie, bien au contraire. En effet, nous verrons combien le Pays basque Nord inspire le mouvement breton, aujourd’hui peut-être plus qu’hier.
6Dans une seconde partie, nous traiterons de l’origine basque des principales actions collectives en faveur de la langue bretonne et verrons comment elles rapprochent les militants des deux pays.
7Dans une troisième partie nous nous verrons comment l’exemple basque est omniprésent en matière d’éducation de la maternelle à l’université.
8Dans cette partie, nous allons voir comment les liens tissés du temps de la lutte armée clandestine ont fait de la Bretagne une terre d’accueil pour les réfugiés basques et ont habitué les militants bretons à s’intéresser à ce qui se passait du côté des Pyrénées. La lutte armée devenant obsolète, les initiatives de la société civile basque ont alors servi de modèle à la militance bretonne.
9Si la lutte armée menée par ETA et Iparretarrak dans l’ère précédente est sans commune mesure avec celle menée en Bretagne par le FLB-ARB (Front de Libération de la Bretagne – Armée Révolutionnaire Bretonne), des liens forts ont été tissés entre les acteurs de ces différentes organisations clandestines. À peine un mois après l’annonce par ETA de son autodissolution, Charlie Grall explique, dans Al Lanv, les raisons et les conséquences de celleci. À la fin de son article, il revient sur les liens entre ETA et la Bretagne :
- 3 Nom que se donne le mouvement breton en général, par-delà les époques et les clivages.
- 4 Al Lanv 144, (06/2018). Toutes les traductions contenues dans cet article sont de Cédric Choplin.
« La longue et dure lutte de ETA n’a pas été sans influence en Bretagne. Il y a toujours eu des relations entre les militants Euskal Herria et ceux de l’Emsav3 en Bretagne, même avant la dernière guerre mondiale. Dans les années 1970 et jusqu’il y a peu, il y avait des relations régulières entre la gauche indépendantiste du Pays basque et de la Bretagne. Il est donc pas étonnant qu’il y ait eu des liens entre le FLB d’autrefois et l’ETA puis, quelques années après, avec l’ARB. Tout le monde se souvient de l’affaire de Plévin, quand une tonne d’explosifs avaient été dérobée par des Basques et les Bretons. Il faut aussi se souvenir de l’affaire des réfugiés du pays basque qui avaient trouvé refuge en Bretagne. Plus de 200 bretons avaient alors été arrêtés par la police, certains emprisonnés pour avoir accueilli chez eux des militants plus ou moins proches de ETA.4 »
- 5 Gael Roblin l’évoque aussi dans Ya ! N° 892 (15/07/2022).
10Pour résumer la fin de cet article, Charlie Grall rappelle l’émotion et les manifestations qu’avaient provoquées ces rafles, parfois musclées, contre les personnes accusées d’avoir accueilli des exilés. Il revient notamment sur le suicide de Jean Groix après que la police et certains media aient délibérément sali sa réputation. Il a aujourd’hui un arbre dans le jardin de la mémoire d’Oiartzun.5
- 6 Son nom apparaît 26 fois (index) dans le livre d’Erwan Chartier et Alain Cabon : Le dossier FLB.
- 7 7 Al Lanv 160 (03/2022).
11Depuis le numéro 160 (mars 2022), Charlie Grall, qui fut lui-même un acteur majeur de la lutte clandestine puis de ces réseaux de solidarité,6 donne une série d’articles intitulés « dielloù evit an istor » / documents pour l’histoire. Il y narre l’histoire de cette solidarité bretonne en faveur des réfugiés basques en butte à la répression des autorités espagnoles et des GAL. Dans le premier article, il revient sur la personnalité de Txillardegi, qu’il qualifie de Roparz Hemon euskarat7 puis, par la suite, il nous fait suivre les « liaisons dangereuses » (pour reprendre le titre de son deuxième article), entre militants bretons et basques. La série continue dans le dernier numéro d’Al Lanv (n° 164 de mars 2023) qui porte sur la résistance bretonne, le courage ou la veulerie de certains politiciens bretons face à la répression à l’encontre de ceux qui avaient accueilli des réfugiés basques au début des années 90. L’article se termine par « da genderc’hel » (à suivre).
12Dans le numéro 146 (décembre 2018), Padrig an Habask, directeur de la publication, retrace, dans un long article, l’histoire d’ETA. La passion de Padrig an Habask pour le Pays basque est loin d’être nouvelle puisque dans le numéro 121 (mars 2010), il débute une série d’article sur la pensée d’Arizmendiarrieta en notant qu’il en a déjà traité dans douze précédents articles dont le premier se trouve dans le numéro 69 (04/1994) d’Al Lanv. Padrig an Habask suit de près ce qui se passe au-delà des Pyrénées et particulièrement en Catalogne et au Pays basque : procès et élections sont non seulement analysés et commentés mais font mêmes parfois la couverture. Notons que l’intérêt de Padrig an Habask pour le Pays basque dépasse la politique puisqu’il a rédigé un dictionnaire breton/basque8 et qu’en tant qu’enseignant et directeur du collège Diwan de Quimper entre 1999 et 2016, il s’est beaucoup investit dans les échanges scolaires entre les deux pays depuis sa création.9
13Le Peuple breton et Ya ! ne traitent que de loin en loin d’ETA et du soutien aux réfugiés qui semblent déjà de l’histoire ancienne. Nous ne mentionnerons ici que la critique bien informée et pertinente que Gégé Gwenn fait de la série documentaire Patria de Fernando Aramburu (Ya ! 810 - 18/12/2020). Ce qui les intéresse en revanche, ce sont les talents d’organisation, la ténacité et inventivité des Basques – d’Iparralde surtout – dans la lutte contre le nationalisme français autrement appelé jacobinisme.
- 10 En Bretagne, on écrit OPLB ; cependant pour éviter ici toute confusion avec son homologue basque qu (...)
- 11 Visant ROUE, « Langues, l’exemple du Pays Basque », Le Peuple Breton, n° 695 (12/2021).
14Comme l’écrit Visant Roue de l’OPLBzh10 dans le Peuple breton : « Lorsqu’on cherche à améliorer ce qui existe en matière de politique linguistique en Bretagne, les regards se tournent souvent vers le pays de Galles ou les commu nautés autonomes d’Espagne. Pourtant, l’environnement juridique et politique est très différent du nôtre et, bien souvent, les « bonnes idées » sont difficilement applicables à la Bretagne. Bien plus éclairantes, les politiques menées au Pays basque nord nous donnent des clés, à environnement juridico-politique constant.11 »
15Partant interroger Olier ar Mogn de l’Office public de la langue bretonne (OPLBzh)
- 12 Rencontre avec Olier ar Mogn réalisé le 30/06/2022. Échanges par téléphone ou par e-mail avec Visan (...)
- 13 « Informazio Orria », Bai Euskarari, Juillet 2000.
16sur la genèse de la charte Ya d’ar brezhoneg12 (YAB), nous pensions qu’il nous parlerait, dès le départ, des travaux de sociolinguistes comme Joshua Fishman (1926 – 2015) qui étaient déjà bien connus outre Atlantique. Il nous a tout de suite détrompé en expliquant que Ya d’ar brezhoneg était au départ un presque copier-coller de l’accord Bai Euskarari, signé par 200 acteurs sociaux le 25 février 2000 à Biarritz13 On remarquera jusqu’à la similarité des logos, affiches et autocollants dont seuls les textes ont été traduits. Les animateurs du tout nouvel Office de la Langue bretonne (1999) étaient enthousiasmés par ce succès de leurs homologues basques et ne pouvaient que s’en inspirer pour donner un cap à leur action.
17Cette présentation de Bai euskarari s’était faite lors des rencontres interrégionales organisées par les associations des différentes régions françaises où se parlent des langues minoritaires (Pays-Basque, Catalogne, Alsace, Occitanie et quelques territoires ultramarins). En 1999, Olier ar Mogn est alors directeur du tout nouvel Office de la langue bretonne et fait partie des organisateurs. Pour lui, c’est évident : ce que les Basques vont réaliser avec Bai Euskarari constitue la voie à suivre. Il raconte avoir entendu, lors de ces rencontres, des mots tout nouveaux à l’époque : politique linguistique, planification linguistique, normalisation, etc. Ces mots, que nous utilisons aujourd’hui au quotidien dans notre activité universitaire ou dans notre apostolat, avaient alors une valeur de défi quasi insurmontable pour nos langues condamnées au dépérissement dans la France jacobine. Mais l’exemple basque montrait aux militants bretons présents à ces rencontres une voie de salut certes audacieuse mais aussi porteuse d’espoir puisque les Basques étaient en passe de réussir avec leur dossier bien construit.
- 14 L’Office de la langue bretonne prend du galon. Ouest-France. 18 octobre 2010.
18La charte Ya d’ar brezhoneg ! a permis, en plus de ses objectifs propres, de faire de l’Office un acteur si incontournable effectuant une réelle mission de service public qu’il est passé en 2010 d’un statut associatif à celui d’un établissement public de coopération culturelle (EPCC).14 Notons que l’OPLBzh est la première administration publique dédiée à la langue bretonne de toute sa longue histoire.
19L’influence basque a donc bien été capitale dans la mise en place de l’OPLBzh qui a permis la mise en place d’une encore timide mais réelle politique linguistique en Bretagne. Notre revue de presse met en évidence l’admiration des Bretons pour les Basques et le chemin – plein d’ornières – qui leur reste à parcourir dans le domaine institutionnel. C’est une des raisons pour lesquelles les rencontres entre les différents offices des langues minoritaires de l’hexagone trouvent toujours un écho dans nos trois publications. Citons à nouveau Visant
- 15 Visant ROUE, « Langues, l’exemple du Pays Basque », Le Peuple Breton, n° 695 (12/2021).
- 16 Et encore, nous laissons ici délibérément de côté les mentions que nous jugeons anecdotiques du pay (...)
20Roue : « Le colloque organisé le 22 octobre dernier [2021] par l’Académie de la langue basque et Euskal Konfederazioa, avec le soutien de la Ville de Bayonne, a montré des voies intéressantes pour la politique linguistique en Bretagne.15 » Comme on le voit, ces rencontres mobilisent, au-delà des offices, un grand nombre d’associations. Au moins 30 % des 192 derniers numéros de Ya ! contiennent a-minima un article dans lequel l’exemple basque apparaît16.
- 17 Le Centre d’Étude et Liaison des Intérêts Bretons était dans les années 50 un mouvement inédit rass (...)
21La capacité des Basques d’Iparralde à bâtir une politique linguistique sans avoir ni région ni département propre suscite l’admiration des Bretons. Arnaud Mahé, dans le numéro 533 du Peuple Breton (06/2013) écrit dans un article enthousiaste et intitulé « La stratégie basque, un exemple pour la Bretagne » : « La quasi-totalité des mouvements politiques, des élus, des membres du monde éco nomique, social et culturel réunis dans une même pièce pour un projet commun, ce n’est pas courant. Encore moins quand ils sont 500 et que leur projet est la reconnaissance institutionnelle d’une collectivité n’existant pas (encore) officiellement. » Précisant que deux militants de l’UDB, dont lui-même, étaient invités à l’événement, il détaille comment « au cours des états généraux de la collectivité basque, qui ont montré avec force la conver gence de la société civile, politique et économique vers la reconnaissance ins titutionnelle de ce territoire. L’unité politique, allant de l’UMP à l’extrême gauche et permettant d’interpeller le gouvernement sur la création d’une collectivité à statut particulier, comme le permet l’article 72 de la Constitution, a de quoi rendre envieux dans d’autres régions. Notamment en Bretagne, où cette revendication est portée depuis des décennies sans jamais réussir à émerger. » Insistant sur le fait que cette belle unanimité est le fruit de décennies d’analyses et de travail de la société civile basque il critique la « Bretagne post CELIB17 d aujourd’hui, dont la vision du territoire passe quasi uniquement par le travail des institutions. » Son article se conclut ainsi : « La société civile bretonne dispose d’un créneau qu’elle n’aurait rien à perdre à occuper en s’inspirant de la stratégie utilisée au Pays basque. En impulsant un travail collectif associant des acteurs économiques, sociaux, culturels et uni versitaires, c’est non seulement la démo cratie qui en ressortirait renforcée, mais aussi l’idée d’une autre Bretagne, qui a tant de mal à s’imposer aujourd’hui. » On ne s’étonnera pas outre mesure que les partis politiques n’apparaissent pas dans sa liste des acteurs, le Peuple Breton étant la publication de l’UDB.
22La France refusant obstinément de ratifier et surtout d’appliquer la Charte européenne des langues régionales et minoritaires (1992) et l’article 2 de la constitution étant un verrou bloquant toute avancée, il semble difficile d’attendre quoi que ce soit de positif venant de Paris. Qu’à cela ne tiennent, les Basques montrent que l’on peut agir ici et maintenant.
- 18 Suite à la réforme Blanquer lit-on dans l’article.
- 19 Lecuyer Fabien, Ipparalde, Ur garta lec’hel d’ar yezhoù minorelaet. Ya ! N° 825. 02/04/2021.
23« La charte européenne pour les langues régionales n’a pas été ratifiée par l’État français ? En Iparralde (sic), on va mettre en œuvre une charte locale pour le basque et le gascon. Les villes d’Itxassou et d’Hendaye sont les premières à l’avoir signée. Et c’est une bonne chose pour la langue car, dans le secondaire, le nombre des lycéens apprenant le basque est en déclin.18,19 »
24Nous l’aurons compris, toutes ces « bonnes idées » venues d’Iparralde participent d’une stratégie d’ensemble au cœur de laquelle se situe la promotion langue. Padrig an Habask, rédacteur en chef d’Al Lanv, en a parfaitement conscience et publie donc en 2011 Arnod an euskareg (Euskararen berreskuratzea / L’expérience basque) afin de faire profiter les Bretons de l’expertise développée par les Basques en général et de « GARABIDE20 (voie de développement) [qui] est une association de langue basque spécialiste de socio-linguistique qui a analysé l’expérience de la récupération de la langue basque. […] Ce livre se révélera très utile à quiconque veut comprendre en quelle situation se trouve véritablement la langue bretonne et à tous ceux qui sont prêts à retrousser leurs manches pour sauver notre langue. Trop souvent le combat pour la langue bretonne reste partiel et inefficace, plus symbolique que pratique... Voici maintenant un outil pour comprendre, analyser et construire une stratégie efficace pour remettre debout notre langue.21 »
25Moins romantique et spectaculaire que la lutte armée, moins dangereuse aussi, la planification linguistique apparaît aujourd’hui, en Iparralde comme en Bretagne, plus à même de revitaliser la langue.
26Mises à part les politiques de planification coercitives menées par les États contre leurs minorités, aucune planification linguistique ne peut être efficace si elle ne reçoit pas l’adhésion de la population concernée. Ceci est d’autant plus vrai quand la langue est devenue minoritaire sur son territoire et dans la population qui la parlait traditionnellement. Comment donc embarquer la population dans la revitalisation d’une langue minorée ?
27Si les sempiternelles lamentations sur le déclin de la langue peuvent attirer la commisération, elles n’incitent pas à l’action. Les associations ont donc cherché des moyens plus festifs pour entraîner la plus grande partie du peuple breton dans la promotion de sa langue. Là encore, des modèles basques ont été adoptés et adaptés avec succès.
28Depuis 2008, La Redadeg (course collective en breton) est l’adaptation la plus connue et la plus populaire d’un modèle basque : la Korrika. La Redadeg trouve un large écho dans les media bretons en général et particulièrement dans la presse militante. Dans Ya ! notamment, le lecteur peut suivre tout au long de l’année les préparatifs de la prochaine édition, comment y participer, les projets à financer, le déroulement, les résultats, etc.
29L’origine basque de la Redadeg est clairement revendiquée comme le montrent le site de l’association22 et cet article du Peuple breton :
- 23 Solidarité bretonne pour la Korrika 2019, Le Peuple breton, n° 664 (05A/2019).
« Devenue très populaire, la Redadeg a su agréger des militants, mais aussi des personnes simplement conquises par la forme ludique qu’a prise cet événement. La Redadeg est la petite sœur de la Korrika (qui veut dit « en courant » en basque). Née en 1980, la Korrika est une course organisée par l’association d’en seignement du basque AEK et qui rassemble tous les deux ans des centaines de milliers de personnes sur plus de deux mille kilomètres.23 »
30Jean-Michel Sanner, cofondateur de la Redadeg, expliquait dans un autre article de ce même numéro comment l’idée d’organiser une Korrika bretonne lui paraissait l’évidence même :
« Comme la Redadeg s’est large ment inspirée de la Korrika au Pays basque, je peux raconter cette anecdote : à l’époque où je passais pas mal de temps au Pays basque et où j’apprenais le basque, j’ai pris le bus et j’ai pu échanger quelques mots en euskara avec le chauffeur, âgé d’une cinquantaine d’années. Il m’a alors dit en souriant : « Ah ! Euskalduna zara ! » Il me disait ainsi en basque : « Tu parles basque ! » et en même temps « Tu es basque ! » Euskalduna, lit téralement, c’est celui qui parle basque et c’est en même temps celui qui réside au Pays basque.
31Au-delà de ce très émouvant souvenir, j’ai vécu ce moment-là comme l’illustration concrète qu’identité et territoire sont avant tout associés à la langue. C’est ainsi qu’arrivé beaucoup plus tard en Bretagne je ne pouvais pas concevoir l’idée de m’y installer sans apprendre le breton. Je suis persuadé que chacun qui fait un petit ou un grand effort vers la langue bretonne se sent ainsi un peu plus breton.
- 24 Sans langue bretonne, pas de Bretagne !
32Attention, je ne suis pas en train de vou loir exclure qui que ce soit en disant que ne pas parler breton ce n’est pas être breton ! Je veux simplement dire que parler sa langue, la langue de son peuple, c’est essentiel. Comment concevoir un peuple avec sa culture et son territoire sans sa langue ? « Hep brezhoneg Breizh ebet24 » me semble une évidence, qu’il faut si besoin rappeler tous les jours.
- 25 Le Peuple Breton, niv. 627, Avril 2016.
33En cherchant à sortir des discours misérabilistes, la Redadeg cherche aussi à montrer l’exemple du développement d’une langue vivante en encourageant le plus possible à parler breton et à créer en breton. Par exemple, dans les statuts de l’association, il a été décidé que le breton en est la langue privilégiée.25 »
34Jean-Michel Sanner ne dément pas quand on lui dit que participer à la Redadeg est aussi une manière de faire de la politique et on retrouve dans ses propos cette volonté de dépasser les clivages politiques habituels pour la promotion de la langue :
- 26 La Redadeg verse une partie de ses gains à des projets en gallo, langue romane de la HauteBretagne. (...)
« Être un peuple, c’est faire partie d’un groupe humain et c’est éprouver à certains moments le sentiment d’être ensemble. C’est ce lien que la Redadeg contribue à construire un petit peu quand nous nous passons le témoin de main en main jusqu’à l’arrivée. Cela se passe aussi au moment de l’arrivée, justement, pendant ce moment de communion que constitue la lecture du message. […] Pour conclure, la vie politique « normale » est difficile, les partis en Bretagne se créent et s’opposent et n’arrivent pas toujours à s’accorder quand il le faudrait car ils sont piégés par les clivages traditionnels. La Redadeg cherche à nous réunir un moment au moins au-delà des clivages, des couleurs politiques, pour la Bretagne et ses langues.26 »
- 27 Nous aurions aussi pu citer plusieurs articles en breton dans Ya !.
35Loin d’être gommée, l’inspiration basque de la Redadeg est revendiquée. À chaque Korrika, des organisateurs se rendent au Pays basque et, chaque fois, ils communiquent avec enthousiasme sur la fraternité entre Bretons et Basques. Dans un article publié dans le Peuple breton, par exemple,27 Lucile Ollo raconte comment deux minibus sont partis de Bretagne (l’un de Nantes et l’autre de Carhaix) pour participer à la Korrika et ont vécu « une expérience extraordinaire. Que de monde réuni pour une langue ! ». Elle conclut son article ainsi :
- 28 « Solidarité bretonne pour la Korrika 2019 », Le Peuple Breton, niv 664, 05/2019.
« Nous retenons de ce séjour un très bon accueil et une bonne ambiance de groupe. Nous attendons désormais avec impatience la Redadeg de 2020 pour accueillir les Basques avec la même énergie et la même sympathie dont ils ont fait preuve. Nous tenons également à remercier l’équipe de la Redadeg et surtout Gwendoline Jezé quel, qui a organisé ce voyage.28 »
36Nous le constatons, les liens d’amitié entre militants bretons et basques sont vrais tant ils sont nourris par le don et contre-don chers à Marcel Mauss et la décence ordinaire chère à Georges Orwell. Ils s’opposent ainsi au stato-nationalisme.
- 29 Front de Libération de la Bretagne – Armée Révolutionnaire Bretonne.
- 30 Laurence Turbec meurt dans le plasticage du Mac Do de Quévert où elle travaillait. Cet attentat n’a (...)
37En 2005, une nouvelle génération de militants apparaît dans le paysage breton avec la conjonction de deux éléments. Premièrement, le FLB-ARB29 a renoncé à la lutte armée après le drame de Quévert30 ; deuxièmement, les premières cohortes numériquement conséquentes issues des classes immersives et bilingues franchissent l’âge adulte. Elle s’exprime dans le groupe Ai’ta dont le nom pourrait se traduire par « allons-y ! ». Rien que par son nom, le groupe pousse à l’action.
38En 2015, le Peuple breton – publication de l’UDB qui a invariablement refusé de cautionner la lutte armée – interroge Dewi Siberil à l’occasion des dix ans du mouvement. Le plan est classique : origine, bilan et perspectives. Le chapeau de l’article expose la raison d’Ai ’ta :
- 31 « Les 10 ans d’Ai’ta ! », Le Peuple breton, n° 616, Mai 2015.
« Créé en 2005, le collectif Ai’ta ! vise la défense et la promotion de la langue bretonne dans l’espace public avec des actions specta culaires, souvent humoristiques, et toujours non violentes. Chaises musicales géantes, démontage de panneaux routiers, tramway du père Noël, négociations avec La Poste et la SNCF... et quelques procès aussi, quand certains élus ne goûtent pas leur humour.31 »
39Notons que si les actions d’Ai’ta ! sont non-violentes, elles s’appuient parfois sur des références décalées à la lutte armée comme, par exemple, une fausse conférence de presse clandestine avec cagoules et fusils de paint-ball ou encore l’organisation d’une « boum » au pied de la même antenne de télévision qui avait autrefois été plastiquée pour exiger plus de breton dans l’audiovisuel public.
40À la question sur la genèse du mouvement, Dewi Siberil assume complètement l’inspiration basque et on y retrouve clairement les réflexions développées dans Arnod an euskareg (Euskararen berreskuratzea / L’expérience basque) :
« Ai’ta ! est né au printemps 2005 dans le Trégor, à partir du constat suivant :
l’apprentissage du breton se développe de plus en plus, mais son usage dans la société reste extrêmement minoritaire. La réappro priation du breton en tant que langue sociale passe donc aussi par la reconquête de l’espace public... Vaste pro gramme ! C’est ainsi qu’une quinzaine de jeunes, brittophones pour la plupart, se sont réunis pour créer un collectif dont le fonctionnement novateur per mettrait de renouveler le combat pour la langue bretonne.
En ce sens, l’exemple de Demokrazia Euskal Herriarentzat (Démocratie pour le Pays basque), qui menait à l’époque de nombreuses actions de désobéissance civile en faveur de l’euskara no tamment, a été fondamental. »
41Une équipe jeune regroupée dans l’association Mignoned ar Brezhoneg (les amis du breton), proche d’Ai’ta et de la Redadeg, relance Gouel Broadel ar Brezhoneg (Fête Nationale de la langue Bretonne) en 201532. Très vite, ils vont chercher des idées au Pays de Galles et au Pays basque. Ya !, dans un article de pleine page, raconte comment 19 organisateurs de Gouel Broadel ar Brezhoneg se sont rendus au festival Euskal Herria Zuzenean (EHZ) entre le 30 juin et le 4 juillet 202233. Les communiqués de Mignoned ar brezhoneg et les articles à leur sujet sont nombreux et il est rare qu’ils ne fassent pas mention de leur jumelage avec EHZ. Dans le numéro suivant par exemple, l’association invite les jeunes brittophones à s’inscrire pour participer à Higa !, la quatrième rencontre internationale des jeunes locuteurs de langues minorées et qui se déroulera en juillet 2023… en Euskal Herria.34
- 35 35 Ya ! n° 766, 14/02/2020.
42L’école étant la pièce maîtresse de toute politique de revitalisation linguistique et la moitié des élèves du Pays basque nord étant scolarisés en basque alors qu’ils ne sont que 3 % en Bretagne, on ne s’étonnera pas que les regards se soient là aussi tournés vers les Pyrénées et que les citoyens demandent à la Région de faire aussi bien qu’au Pays basque35.
43Le titre de cette sous partie est emprunté à celui d’un film réalisé par les élèves du lycée Diwan de Carhaix lors de leur voyage scolaire au lycée de Seaska, Bernat-Etxepare à Bayonne.36 Les lycéennes et lycéens de Diwan y ont posé des questions à leurs homologues basques : « Quelle place pour le basque dans leur vie personnelle ? Est-ce une langue de l’école uniquement ? Est-elle utilisée en famille ? Avec qui échangent-ils en basque ? Au lycée ? En dehors de l’école ? Quelles difficultés ? Petit à petit émerge le désir de chacun-e de parler ou non une langue minoritaire dans un pays francophone.37 »
44Dans une interview en breton à la radio,38 Gildas Grimault leur professeur de sciences économiques et sociales explique que les lycéennes ont montré une grande autonomie et que les professeurs n’étant pas présents lors des entretiens, ce film contient de réelles discussions entre jeunes. Les enseignants et pour les jeunes bretons ont été surpris par la plus grande présence du basque dans la vie en dehors du lycée qu’en Bretagne.
45La qualité matérielle du film, surtout le son, et les enseignements qu’il contient pour les jeunes brittophones en fait un excellent support pédagogique. C’est la raison pour laquelle Gildas Grimault (aujourd’hui doctorant au CREAD Université Rennes 2) a invité ses anciennes lycéennes à en faire une présentation lors d’un séminaire du projet de recherches universitaires Divyezh (deux langues).39
46La relation entre les deux pays est en effet aussi très étroite dans le domaine de la recherche universitaire. Appartenant à la même section du Conseil National des Universités, la 73e – cultures et langues régionales. Universitaires basques et bretons ont tissé au fil des années de solides liens de travail et d’amitié. Les jurys de doctorat, les comités de sélection et de recrutement des enseignants-chercheurs imposant la participation de membres extérieurs, Bretons et Basques, Catalans, Occitans s’y invitent mutuellement. Ils apprivoisent ainsi les problématiques particulières à chaque langue et dégagent des problématiques communes qui permettent à chacun ensuite de réinterroger son domaine propre. Tous les ans, depuis 8 ans, Eguzki Urteaga est invité à Rennes 2 par le sociolinguiste Philippe Blanchet (qui appartient désormais au même laboratoire que les enseignants-chercheurs de breton, Celtic-Blm).40 Ses conférences sur la revitalisation du basque ont toujours un franc succès auprès des enseignants et des étudiants
47L’audace, la persévérance et l’organisation des Basques dans leurs demandes en matière d’enseignement bilingue et surtout immersif sont invariablement loués dans les publications bretonnes.
- 41 Lécuyer Fabien. Arnodenn dre gomz en Euskareg : diviz d’an 30 pe 31 mai. Ya !. n° 886, 03/06/2022.
« Les Basques sont têtus ! Ils demandent depuis des années que les terminales des écoles bilingues et immersives puissent passer le bac dans leur langue. Jusqu’à présent, ils pouvaient seulement passer l’histoire-géo et les mathématiques. Ils veulent maintenant passer aussi l’examen oral.41 »
48L’idée est toujours que si les Basques l’emportent, les Bretons et les autres pourront faire de même :
« Cette décision [du tribunal administratif] sera suivie de près par les autres réseaux d’écoles immersives, car si les Basques peuvent passer l’examen oral dans leur langue, qu’estce qui empêcherait les Bretons, les Catalans, les Occitans et les Alsaciens de demander la même chose. »
49Le moins que l’on puisse dire est que les années Blanquer n’ont pas été fastes pour nos langues. La réforme du lycée a été désastreuse en faisant fondre les effectifs, la crispation nationaliste du ministère qui a suivi le vote de la loi Molac et la décision du conseil constitutionnel ont provoqué une incertitude légale très préjudiciable pour les filières.
50Les lecteurs de Ya ! ont pu suivre la mise en œuvre de la politique linguistique de J-M Blanquer :
- 42 Taget ar c’helenn en Euskareg. Ya ! n° 789, 24/07/2020.
« L’enseignement en basque attaqué
Voici un cadeau de départ en vacances pour les Basques de la part du rectorat de Bordeaux : C’en sera fini des deux classes à l’école publique de Saint-Pierre d’Irube à la rentrée scolaire. Le refus prétexte que de telles classes sont anticonstitutionnelles ! Et des enseignants bascophones vont être envoyés faire leur métier dans le Béarn. On voit bien comment le nouveau gouvernement s’occupe des « territoires ».42 »
- 43 Lécuyer Fabien. Soubidigezh e Saint-Pierre d’Irube, Ya ! n° 802, 23/10/2020.
51La réaction unanime de la classe politique basque est saluée un peu plus loin dans l’article et les lecteurs apprennent, trois mois plus tard, que le ministère a cédé sous la pression des élus et des manifestations. Dans le même coup, ils ont sécurisé l’Office de la langue basque.43
- 44 « Ra vevo hor Yezhoù », Ya ! n° 756, 06/12/2019.
52Ce succès est d’autant plus admirable vu de Bretagne que J-M Blanquer semblait inflexible sur le sujet comme le montre l’article de Ya ! racontant la manifestation inaugurale de Pour que vivent nos langues. L’appel lancé par François Alfonsi, Paul Molac et des associations de toutes les régions concernées avait tout de même rassemblé 500 personnes, mais les cinq députés n’avaient été reçus que par un directeur de cabinet qui les avait à peine écoutés.44
- 45 Ya ! n° 757, 13/12/2019.
53Il n’empêche, la lutte contre de destruction de l’enseignement immersif menée par J-M Blanquer a soudé plus que jamais les défenseurs des langues minoritaires de France. Ya ! illustre alors par son « proverbe du mois » la nécessité pour eux de travailler ensemble : « Un neudenn a dorr krenn, kant ha mil a ra kordenn / un fil casse net, cent et mille font une corde.45 »
54La politique inventive et rigoureuse de revitalisation linguistique menée en Iparralde est bel et bien une source vive d’inspiration pour les promoteurs du breton. Cette influence basque est nourrie par les multiples échanges entre les deux OPLB, les universités, les écoles associatives et une foule d’associations militantes.
55Les limites de cet article sont évidentes. Avec seulement trois publications, nous avons déjà construit un corpus si conséquent qu’il a fallu faire des choix. Renoncer à traiter certains aspects du sujet. De plus, l’étude d’autres publication, comme la Presse quotidienne régionale et surtout le mensuel Bremañ, aurait été indispensable pour embrasser pleinement le phénomène.
56Un autre défaut immédiatement perceptible et que nous avons mené une étude monodirectionnelle en ne traitant pas du tout de la façon dont la Bretagne est perçue en Iparralde voire en Euskal Herria.
57À suivre...
Tous les articles cités ont leur source précise en note.