Jean Luc Meulemeester, Tafelen in een bad… en ietsje meer. Brugse stoven tijdens de late middeleeuwen, Bruges, 2022, 128 p., 170 ill., D.2022/0355/1
Jean Luc Meulemeester, Tafelen in een bad… en ietsje meer. Brugse stoven tijdens de late middeleeuwen, Bruges, 2022, 128 p., 170 ill., D.2022/0355/1
Texte intégral
1D’emblée, Jean Luc Meulemeester le précise : ce livre, édition revue, corrigée et augmentée d’un ouvrage rapidement épuisé en 2018, n’a pas l’ambition de présenter une vision nouvelle sur le monde interlope des étuves médiévales. Il offre plutôt une synthèse de l’abondante littérature consacrée au sujet, à laquelle viennent s’ajouter quelques mentions inédites tirées des archives de Bruges. L’auteur s’est aussi efforcé de rassembler le matériel iconographique le plus vaste possible, selon lui « aussi intéressant que le texte ». Et, effectivement, on lui sait gré d’avoir réuni et commenté dans ce volume compact une collection unique de reproductions d’enluminures, de peintures et de gravures, ainsi que l’illustration de realia et de bâtiments anciens attestant la vitalité d’un secteur économique un peu particulier, opérant à la frontière de l’hygiène et de l’érotisme.
2En fin connaisseur, Jean Luc Meulemeester nous entraîne dans les ruelles, passages, venelles, impasses, traverses où sont souvent installées des étuves ayant pignon sur rue. Certaines enseignes sont suggestives : Le Dieu d’Amours, Le Paradis, Le Diable… Dans les représentations d’époque, chez Bosch par exemple, Le Cygne Blanc indique des institutions où se pratiquent les jeux de l’amour : les plumes blanches de l’oiseau cachent mal sa chair noire, belle image de l’attitude ambiguë de l’Église vis-à-vis de ces maisons qu’elle tolère pour prévenir des délits sexuels plus graves et préserver une certaine stabilité sociale, tout en rappelant aux tenanciers, souteneurs et prostituées qu’ils vivent en état de péché. Pareillement, les autorités communales règlementent l’activité sans pour autant l’interdire. Des « amendes » étant perçues sur l’exploitation des bains, on ferme les yeux.
3Emboîtant le pas à notre guide, nous franchissons le seuil d’une étuve pour visiter le bâtiment de l’intérieur. Les salles de bains sont impressionnantes, mais d’autres locaux, plus discrets, abritent des vestiaires, plusieurs chambres à coucher, une chaufferie, voire une cuisine. Les lieux sont entièrement équipés : dans les salles de bains, de grandes cuves en bois, en cuivre ou en plomb reposent sur une estrade ou à même le sol, sur des roulettes. Parfois molletonnées, elles accueillent un ou plusieurs clients qui peuvent vaquer tranquillement à leurs ébats en tirant sur eux des courtines. Certains établissements sont munis de machines à vapeur offrant à la clientèle des saunas avant la lettre. Des servantes alimentent les bassins d’eau chaude et, dans ces lieux de détente, il est possible de prendre un repas et de caresser la dive bouteille tout en faisant trempette. Les plats servis sont parfois chargés d’un symbolisme sensuel : cuisses de poulet, grenades, cerises, poires et autres fruits défendus. Des musiciens agrémentent les rencontres galantes au son du luth, instrument à la forme suggestive, associé à l’indolence, la vanité, la paresse et manié par un tentateur diabolique qui incite le baigneur au péché et à la luxure. Certaines étuves séparent hommes et femmes, d’autres sont mixtes et permettent ainsi des formes de socialisation coquine. Un long encadré est consacré au symbolisme de la « bourse à monnaie » (stokbeurs), fréquemment représentée par les peintres flamands dans un contexte érotique. Il s’agit de bourses accrochées à un bâton, qui permettaient à ceux qui s’en allaient au loin d’emporter différents types de devises, à une époque où l’euro ou le dollar n’existaient pas. Symboles de richesse et de vanitas dans les natures mortes et memento mori, leur forme à elle seule suffit à les charger de connotations sexuelles dans d’autres contextes, les représentations de couples mal assortis, par exemple.
4Bruges, tout comme Bruxelles, était réputée pour ses bains. La première mention d’une étuve brugeoise apparaît dès le début du xive siècle. Vers 1500, la ville compte une quarantaine d’exploitations. Le Castillan Pero Tafur, de passage à Bruges en 1438, observe avec étonnement les bains mixtes et leur fréquentation par la bourgeoisie aisée. Il s’agit, selon lui, d’une occupation « tout aussi honorable que l’est pour [un Espagnol] visiter un sanctuaire » (traduction de Jacques Paviot). Les étuves sont établies en périphérie, près de l’enceinte urbaine. Grandes consommatrices d’eau, elles s’installent à proximité de sources, de fontaines ou de ruisseaux. Le quartier Saint-Gilles, celui du port de Bruges, abrite des maisons closes. Impossible de résumer ici les mille et une anecdotes que Jean Luc Meulemeester rapporte avec gourmandise. Son texte, écrit de façon très accessible, manie abondamment l’incise. Au passage, il attire notre attention sur des détails souvent croustillants, qui seraient passés inaperçus si, en bon guide, il ne les avait pas pointés du doigt. L’auteur a eu la bonne idée de rédiger de longues légendes de photos, très fournies en explications, qui permettent une lecture parallèle par le biais des images. On ne louera pas assez l’abondance de l’illustration, véritable immersion dans l’univers des bains médiévaux. Un tel livre, qui en appelle à tous nos sens, est une aubaine pour toute personne souhaitant se plonger dans l’atmosphère d’un certain Moyen Âge. Et qui voudrait écrire un roman historique situé dans la Bruges du xve siècle y trouverait un matériau de choix. Entre les lignes, il y puiserait même quelque intrigue de polar.
5Je terminerai par un plaidoyer pro domo : la grande majorité des scènes de bain et d’étuves reproduites dans l’ouvrage de Jean Luc Meulemeester proviennent de manuscrits enluminés. Cette riche iconographie confirme ainsi, s’il le fallait encore, la valeur exceptionnelle des « scènes historiées », sources historiques de première importance pour appréhender la vie quotidienne des femmes et hommes de la fin du Moyen Âge. Ce ne sont bien entendu pas des instantanés et ces images ne peuvent être prises pour argent comptant. Fort heureusement, on peut compter sur l’auteur pour nous aider à les décoder avec toute la distance critique requise.
6Une conférence retraçant les grandes lignes de cette monographie est disponible sur la chaîne YouTube de l’Académie royale d’Histoire de l’Art et d’Archéologie de Belgique à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch ?v =z-3ryyGQ05w.
Table des illustrations
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URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kikirpa/docannexe/image/502/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 312k |
Pour citer cet article
Référence papier
Dominique Vanwijnsberghe, « Jean Luc Meulemeester, Tafelen in een bad… en ietsje meer. Brugse stoven tijdens de late middeleeuwen, Bruges, 2022, 128 p., 170 ill., D.2022/0355/1 », Bulletin de l’Institut royal du Patrimoine artistique / Bulletin van het Koninklijk Instituut voor het Kunstpatrimonium, 38 | 2023, 82-83.
Référence électronique
Dominique Vanwijnsberghe, « Jean Luc Meulemeester, Tafelen in een bad… en ietsje meer. Brugse stoven tijdens de late middeleeuwen, Bruges, 2022, 128 p., 170 ill., D.2022/0355/1 », Bulletin de l’Institut royal du Patrimoine artistique / Bulletin van het Koninklijk Instituut voor het Kunstpatrimonium [En ligne], 38 | 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kikirpa/502 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kikirpa.502
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