Navigation – Plan du site

AccueilNuméros31Chronique des activités scientifi...Revue des LivresComptes rendus et notices bibliog...La Jeune Fille et la sphère. Étud...

Chronique des activités scientifiques
Revue des Livres
Comptes rendus et notices bibliographiques

La Jeune Fille et la sphère. Études sur Empédocle

André Motte
p. 328-329
Référence(s) :

Marwan Rashed, La Jeune Fille et la sphère. Études sur Empédocle, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 2018. 1 vol. 14,5 × 21 cm, 300 p. ISBN : 979–10–231–0571–1.

Texte intégral

1Cet ouvrage ravira les lecteurs qui, intéressés par la pensée du philosophe d’Agrigente, sont aussi friands des enquêtes philologiques grâce auxquelles la rectitude des textes fragmentaires dont nous disposons et leur interprétation peuvent être améliorées. Chacun des sept chapitres qui composent l’ouvrage développe patiemment, en effet, pareille enquête, non sans récolter souvent, pour le dire tout de go, de brillants résultats. L’A. est un habitué du genre et plusieurs chapitres reprennent du reste des études déjà parues en les prolongeant et, le cas échéant, en les actualisant. Car il entretient avec ses collègues spécialistes de ces questions un dialogue constant, attentif aux objections qui lui sont adressées et sachant au besoin reconnaître des erreurs ; et s’il lui arrive de croiser le fer avec eux, c’est toujours de la manière la plus paisible qui soit. S’agissant de la méthode, on est frappé par la qualité des démonstrations qu’il développe et leur inventivité : elles font certes appel à des arguments de type linguistique et philologique, mais elles misent beaucoup aussi sur la sémantique, en référence aux contextes immédiats, au système général d’Empédocle, aux passages parallèles de ses fragments et, souvent aussi, à d’autres auteurs parfois inattendus, sans parler d’arguments d’un autre type, archéologique par exemple, comme on en donnera un exemple. Si le titre choisi sied bien à un philosophe-poète, il ne laisse pas pour autant d’intriguer, mais ce n’est qu’à la mi-parcours que l’énigme se clarifie : derrière la kourè que mentionne le fragment 84 D‑K, c’est Nestis-Perséphone que M.R. propose habilement de reconnaître, elle dont les liens avec le Sphairos sont par ailleurs très étroits. À défaut de pouvoir entrer ici dans le vif des démonstrations mises en œuvre, on se bornera à donner un bref aperçu de l’objet des sept chapitres, répartis en trois parties ; la première en regroupe trois qui ont rapport au cycle cosmique et relèvent donc du poème Peri phuseôs, tandis que la dernière partie comprend deux chapitres traitant de fragments appartenant au poème des Katharmoi, les deux chapitres de la partie intermédiaire exploitant aussi des fragments (84 et 100 D‑K) du poème cosmique, mais étant centrés cette fois sur la récupération de la Haine par l’Amour, lors de la constitution des organismes vivants, sur le jeu sémantique du mot kourè, qui peut désigner à la fois la pupille de l’œil et la jeune fille, ou l’infante comme l’appelle encore M.R, et sur le rôle que joue Perséphone dans l’image de la clepsydre, convoquée pour éclairer le fonctionnement de l’œil .

2S’appuyant principalement sur une republication de scholies empédocléennes byzantines que M.R. a naguère découvertes, sur de nouveaux matériaux semblables qui permettent d’affiner ces dernières et sur le fragment 30, dans une interprétation qu’en a donné Olivier Primavesi, le premier chapitre propose une interprétation renouvelée du cycle cosmique, s’agissant de sa chronologie, du lieu qu’occupe la Haine et du rapport de celle-ci avec le cosmos. Il y est notamment question du serment cosmique et de la tétraktys, dont le modèle inspire cette chronologie et atteste une influence pythagoricienne. Le chapitre 2 est tout entier consacré à une relecture très technique, assortie de nouvelles conjectures textuelles, du fameux papyrus de Strasbourg découvert par Alain Martin et qui a permis de mieux saisir les grandes articulations du système physique d’Empédocle. Pour parler du Soleil et des ruses de l’Amour, le chapitre 3 propose une reconstitution philologique et doctrinale du fr. 98 D‑K et explique la genèse d’une erreur d’interprétation relative à cet astre. À noter que tous les textes grecs cités sont toujours soigneusement traduits, cette remarque valant pour tout l’ouvrage. Le voile recouvrant la deuxième partie de l’ouvrage ayant été en partie levé, on se contentera de noter que les deux chapitres qui la composent sont suivis de deux annexes, l’une commentant un texte parallèle d’Héraclite, l’autre un texte du Timée de Platon. Restent les deux derniers chapitres dont les conclusions sont peut-être les plus spectaculaires car le premier en arrive à reconstituer un proème des Katharmoi regroupant pas moins de six fragments (112, 113, 114, 115, 119 et 121 D‑K), pour un total de 33 vers divisés en trois parties de chacune 11 vers, et que, partant de cette constatation, le dernier chapitre explore remarquablement la symbolique régénérative du nombre 11 (= la renaissance qui suit le tétractys). Il souligne notamment les correspondances entre les errances d’Empédocle et celles d’Ulysse en ce qu’elles sont suivies d’une vie nouvelle, évoquant aussi la teneur eschatologique du livre 11 d’un ouvrage d’Apulée et l’âge d’or qu’à Rome Sylla epaphroditos prétendait inaugurer et que symbolisaient les onze arches du tabularium construit sur le Capitole par son protégé Catulus. L’ouvrage se termine ainsi, oserait-on dire, par une sorte d’apothéose !

3Au terme de cette lecture, on est cependant un peu surpris de ne pas trouver de conclusion d’ensemble. Mais on se souvient alors que, pour prévenir l’impression de dispersion que pourrait laisser la succession de sept études très ciblées et d’une grande technicité, l’A. a pris soin, dans une longue introduction, de situer son travail par rapport à ses devanciers et aux propres études qu’il a lui-même produites, et d’esquisser aussi, dans ses grandes lignes, sa manière de concevoir le système d’Empédocle et les questions qu’il continue de poser. Outre une bibliographie sélective, mais abondante (p. 273–289), l’ouvrage offre une quinzaine de dessins ou d’illustrations et comporte deux index, l’un concernant les auteurs et personnages anciens, l’autre les auteurs récents. Un index des passages d’Empédocle commentés eût été aussi le bienvenu, car il aurait permis de mesurer d’emblée l’ampleur et l’enjeu des enquêtes réalisées. Même si cet ouvrage ne réussit pas à convaincre, sur chacune des solutions proposées, tous les collègues rompus à ce genre d’exercices, on ne risque guère de se tromper en pressentant une reconnaissance unanime des précieuses avancées qu’il réalise au profit des études empédocléennes.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

André Motte, « La Jeune Fille et la sphère. Études sur Empédocle »Kernos, 31 | 2018, 328-329.

Référence électronique

André Motte, « La Jeune Fille et la sphère. Études sur Empédocle »Kernos [En ligne], 31 | 2018, mis en ligne le 01 octobre 2018, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kernos/2933 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kernos.2933

Haut de page

Auteur

André Motte

Université de Liège

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search