Richard Bouchon, Pascale Brillet-Dubois, Nadine Le Meur-Weissman (éd.), Hymnes de la Grèce antique
Richard Bouchon, Pascale Brillet-Dubois, Nadine Le Meur-Weissman (éd.), Hymnes de la Grèce antique. Approches littéraires et historiques. Actes du colloque international de Lyon, 19–21 juin 2008, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2012. 1 vol. 16 × 24 cm, 408 p. (Collection de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 50 ; Série littéraire et philosophique, 17). ISBN : 978–2–35668–031–0.
Texte intégral
1Ce volume rassemble les actes d’un colloque international tenu à Lyon en juin 2008. Le volume contient vingt-deux contributions organisées en trois sections : « Hymne et procédure hymnique », « Commenter un hymne homérique », et « Hymne, histoire religieuse et théologie ». Certains textes sont en français, les autres en anglais. Une copieuse bibliographie, une vingtaine d’images et figures, un index des auteurs et textes cités, un index des inscriptions, un index des noms propres, et un excellent index des notions complètent le tout. Exception faite de quelques inévitables coquilles et erreurs, le travail éditorial est impeccable. Le fait le plus important à noter est que le mariage des approches littéraires et historiques est largement réussi. La décision de mélanger les travaux consacrés aux hymnes du canon poétique avec ceux qui s’intéressent plus spécifiquement au matériel épigraphique permet d’encourager le dialogue entre des domaines qui restent encore trop souvent séparés dans la recherche. Plutôt que de viser un trop simple renversement de la situation en déconstruisant la traditionnelle opposition entre cultic hymns et literary hymns, les éditeurs du volume ont favorisé des travaux qui privilégient une remise en question raisonnée des limites souvent poreuses, mais tout aussi souvent justifiables qui séparent les hymnes du « culte » de leurs congénères moins intégrés à l’activité rituelle. Le résultat est une heureuse suite de raffinements apportés aux modèles en place. Ceci étant dit, la majorité des contributions s’attaque à des questions plus spécifiquement « littéraires » qu’historiques, et l’intérêt principal du volume est de proposer des lectures nouvelles de textes bien connus du canon poétique. Si certaines sources importantes, comme les hymnes isiaques ou le matériel de la tragédie, ne sont prises en charge par aucune contribution, c’est bien sûr qu’il aurait été impossible de tout couvrir dans un volume de cette taille. La part du lion revient aux Hymnes homériques, un choix qui se défend bien au vu de l’immense effort de recherche consacré à ce corpus dans les dernières années, et les pistes de la fine pointe du travail récent sont poursuivies dans le volume. La qualité des contributions est en général élevée. « Hymnes de la Grèce antique » n’est pas l’ouvrage d’une école ou d’un pays : la pluralité des points de vue représentés est étendue et rafraîchissante.
2La section « Hymne et procédure hymnique » contient huit chapitres. Les quatre premiers, tous dédiés à des textes des époques archaïque et classique, s’attachent à des questions d’ordre énonciatif et générique. Dans « Commencer à chanter », Françoise Létoublon analyse les formules d’ouverture et de clôture des Hymnes homériques. S’appuyant sur une classification commentée du matériel, elle cherche à démontrer que la formularité des Hymnes homériques « repose sur une tradition poétique proche de l’épopée plutôt que sur les conventions de la prière ». Dans « À qui l’aède raconte‑t-il l’histoire du dieu ? Figures du narrataire dans les hymnes homériques », Christine Hunzinger vise à éclaircir le rapport entre deux régimes discursifs différents dans le corpus des Hymnes homériques : les récits à la troisième personne et les passages où un rapport privilégié entre le locuteur et le dieu est établi par l’apostrophe. À travers une suite de lectures serrées, centrées sur l’Hymne homérique à Apollon et l’Hymne homérique à Pan, elle questionne l’effet poétique de chaque mode de régime discursif sur l’économie du texte hymnique, et la logique des changements souvent abrupts qu’on peut y trouver d’un mode à l’autre. Avec « Procédures hymniques dans les vers des sages cosmologues : pragmatique de la poésie didactique », Claude Calame s’intéresse à la dynamique performative des invocations hymniques chez Hésiode, Théognis, Empédocle et Parménide. Sous le signe des euphêmois muthois kai katharoisi logois de Xénophane, il analyse les rôles particuliers que les formes de l’hymne jouent à l’ouverture de chaque texte. « Les dithyrambes de Pindare et Bacchylide sont-ils des hymnes ? », de Nadine Le Meur-Weissman, propose en première partie un excellent survol des définitions et taxinomies antiques du dithyrambe, notamment de ses liens avec Dionysos. Le reste du chapitre étudie ce qui différencie les fragments dithyrambiques de Pindare et Bacchylide, et ce qui les rattache.
3Deux autres chapitres s’intéressent à diverses questions de réception et d’intertextualité. « Hermès : double divin du sophiste Protagoras ? Lecture intertextuelle de l’Hymne homérique à Hermès et de Protagoras de Platon », de Maria Vamvouri Ruffy, présente une lecture du dialogue qui lie le texte de Platon et l’hymne homérique. Cette contribution cherche à démontrer que la figure du jeune dieu de l’hymne peut être vue derrière le personnage de Protagoras dans le dialogue platonicien, et suggère un modèle de réception de l’hymne où le dieu peut être perçu comme un sophiste. Dans « Callimaque face aux Hymnes homériques », Benjamin Acosta-Hughes analyse les liens tissés entre les six hymnes de Callimaque et leurs prédécesseurs homériques. La disposition et l’organisation des hymnes de Callimaque en recueil, leur transformation du bagage mythologique, les jeux de la voix narrative, et l’évocation des échos du culte et de l’occasion de performance sont discutés tour à tour.
4Les deux derniers chapitres de la première section se penchent sur la place du monarque dans l’hymne. Évelyne Prioux, dans « Représenter les dieux, représenter les rois : hymnes, enkômia et entre-deux », éclaircit les rapports complexes qui unissent la louange des dieux à celle du roi dans la cour de Ptolémée II. Les différents échos d’hymnes que l’on retrouve dans les Idylles de Théocrite sont ainsi mis en relation avec « une réflexion contemporaine sur l’art du portrait et sur la manière de représenter les rois », tirée de plusieurs images et épigrammes de Posidippe. Dans « Augustus and the Lord of Actium : A hymnic epigram of the 1st century », finalement, Jan Maarten Bremer offre une traduction commentée d’un hymne célébrant la victoire d’Auguste à Actium. Après une discussion des données papyrologique et des faits historiques, un commentaire détaillé des phrases et conventions hymniques du texte illumine les jeux du poème avec la tradition.
5La deuxième section, « Commenter un hymne homérique », résultat d’une table ronde animée par Nicholas Richardson, rassemble les contributions de quatre auteurs de commentaires sur les Hymnes homériques. Dans « The Performance of the Homeric Hymn to Aphrodite », Andrew Faulkner défend l’intérêt de localiser la performance originale de l’hymne et montre comment une interprétation du poème qui privilégie la performance originale de l’hymne et l’identification des descendants d’Énée comme ses destinataires premiers peut être réconciliée avec une lecture centrée sur les thématiques fondamentales du texte, notamment son exploration de la frontière entre l’homme et l’immortel. Dans « The Opening of the Homeric Hymn to Apollo », Mike Chappell propose une analyse des huit premiers vers de l’hymne et revient sur le débat qui divise les chercheurs au sujet de la force des temps verbaux dans le passage. Dans « Commentary as a Medium : Some Thoughts on Homeric Hymn to Hermes, 103–141 », Oliver Thomas juxtapose les perspectives différentes que trois écoles de pensée peuvent apporter à la scène sacrificielle de l’hymne à Hermès : le commentaire philologique traditionnel, la lecture structuraliste de type « école de Paris », et l’interprétation historico-étiologique centrée sur le culte. Détaillant les forces et les faiblesses de chaque perspective, Thomas plaide pour une approche pluraliste à l’écriture du commentaire aux grands hymnes, une flexibilité pluridisciplinaire capable de s’adapter aux demandes du texte plutôt que de tout subordonner au récit d’une question centrale. Dans « Commenting on the Homeric Hymn to Hermes: Philology and History », finalement, Athanassios Vergados passe au peigne fin toutes les tentatives de datation de l’hymne, critiquant au passage la validité des interprétations historicistes du texte, et propose comme alternative de privilégier l’étude de la logique interne du texte, notamment l’auto-référentialité du poème.
6La dernière section du volume, « Hymne, histoire religieuse et théologie », rassemble sept contributions variées. Dans « Les épiclèses dans les Hymnes orphiques : l’exemple de Dionysos », Sylvain Lebreton analyse les rapports qui existent entre les épiclèses des Hymnes orphiques et le matériel épigraphique, pour démontrer que, loin de refléter la réalité des inscriptions micrasiatiques, les hymnes nous donnent à voir « la vie d’un polythéisme ‘interne’ à ces groupes de mystes ». Un utile tableau des épiclèses du corpus complète le chapitre. Dans « From Song to Monument: Sacred Poetry and Religious Revival in Roman Epidaurus », Robert Wagman offre une description détaillée des fragments de deux inscriptions des hymnes d’Épidaure, IG IV2 1, 129–131 et 132–134, avec une édition du texte. Enchaînant sur ce chapitre, William D. Furley s’attaque à plusieurs questions textuelles et interprétatives de l’hymne épidaurien à la Mère des dieux (IG IV2 1, 131) dans « The Epidaurian Hymn for the Mother of the Gods », notamment de ce que l’on peut comprendre des causes de sa colère, et du sens de τὰ τύμπαν’ ἐλάμβανε (l. 12). La conclusion offre une interprétation générale du contexte de l’hymne. Dans « Maître du ganos, le Zeus de Palaikastro est un Zeus comme les autres », Pierre Brulé rappelle le rôle fondamental de l’Hymne des Kourètes dans l’œuvre de Jane Harrison et les héritiers de « l’école de Cambridge », de même que le succès de l’idée qui voit dans ce texte du ive–iiie s. av. J.-C. des vestiges de l’âge du bronze crétois, pour démontrer que rien ne permet de répéter que le Zeus de cet hymne est différent des Zeus contemporains que l’on peut retrouver partout ailleurs dans le monde grec.
7Les trois derniers chapitres de la troisième section quittent le domaine épigraphique pour retourner aux Hymnes homériques. Dans « Victory and Virility in the Homeric Hymn to Apollo: At Whose Expense ? », Nancy Felson propose une lecture « against the grain » du poème, considérant les actions du dieu du point de vue de ses « victimes » féminines (Telphousa, Délos, Héra), et de la réaction que leurs souffrances pourraient provoquer chez différents groupes d’auditeurs moins impressionnés que d’autres par la virilité d’Apollon. Dans « En matière de timê, j’obtiendrai la même hosiê qu’Apollon : l’Hymne homérique à Hermès comme réajustement du panthéon », Dominique Jaillard étudie le « réajustement des partages » divins mis en scène par les agissements du « petit dieu » dans l’Hymne homérique à Hermès et met en parallèle l’efficacité des logiques énonciatives de l’hymne chanté par Hermès dans le texte avec la performance du poème lui-même. Le but principal du chapitre est de « définir les pouvoirs que la tradition de l’Hymne homérique accorde à la parole hymnique ». Dans « Divine and Human in the Homeric Hymn to Aphrodite », finalement, Seth L. Schein s’intéresse au rôle fondamental joué par la sphère humaine dans le poème, et l’utilisation unique faite par celui-ci du contraste mortel-divin dans son récit de l’histoire cosmique. Les nombreux contrastes établis avec la poésie épique archaïque servent à démontrer à quel point l’Hymne homérique à Aphrodite se démarque des autres textes de l’époque. Dans un épilogue riche et pénétrant, Jenny Strauss Clay s’attache à démonter les lectures des Hymnes homériques centrées sur la ponctualité du culte pour insister sur leur caractère pluriel et panhellénique, chez soi autant dans la performance du festival que dans la reperformance du symposium. Si les échos du culte y jouent bien sûr un rôle, c’est entièrement subordonné à la spéculation théologique. Un texte qui résonne avec les principales interrogations du volume, contribue à approfondir le dialogue entre les multiples approches qu’il contient, de même qu’à clarifier l’enjeu des contrastes qui les séparent. Si la valeur des différentes contributions est bien sûr inégale, et si l’intégration entre les différents chapitres aurait pu être renforcée, il reste que ce volume offre une collection souvent stimulante de textes originaux, qui seront plus qu’utiles à tous ceux qui s’intéressent aux hymnes grecs.
Pour citer cet article
Référence papier
Renaud Gagné, « Richard Bouchon, Pascale Brillet-Dubois, Nadine Le Meur-Weissman (éd.), Hymnes de la Grèce antique », Kernos, 27 | 2014, 469-472.
Référence électronique
Renaud Gagné, « Richard Bouchon, Pascale Brillet-Dubois, Nadine Le Meur-Weissman (éd.), Hymnes de la Grèce antique », Kernos [En ligne], 27 | 2014, mis en ligne le 12 novembre 2014, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kernos/2243 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kernos.2243
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