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Chronique des activités scientifiques
Revue des livres
1. Comptes rendus et notices bibliographiques

Flore Kimmel-Clauzet, Morts, tombeaux et cultes des poètes grecs

Marie-Claire Beaulieu
p. 457-459
Référence(s) :

Flore Kimmel-Clauzet, Morts, tombeaux et cultes des poètes grecs. Étude de la survie des grands poètes des époques archaïque et classique en Grèce ancienne, Bordeaux, Ausonius, 2013. 1 vol. 17 × 24 cm, 530 p. (Scripta Antiqua, 51). ISBN : 978–2–35613–081–5.

Texte intégral

1Dans cette étude, qui procède d’une thèse de doctorat défendue à l’Université Lyon 3 en 2008, Flore Kimmel-Clauzet interroge la survie des grands poètes grecs dans l’imaginaire religieux, politique et culturel de l’Antiquité. C’est bel et bien de survie qu’il est question, puisque la présence des poètes dans la société grecque continue de se faire sentir longtemps après leur mort. En effet, les performances répétées de leur poésie les gardent au centre des préoccupations culturelles des cités. De plus, et c’est le sujet du présent ouvrage, de nombreux récits biographiques particulièrement centrés sur la mort et la mise au tombeau des poètes circulent tout au long de l’Antiquité et témoignent de la personnalité qu’on a voulu prêter aux poètes en rapport avec leurs œuvres. Cette personnalité se modifie au fil du temps et de l’évolution des mentalités, comme le montrent bien les variations de l’histoire de la mort des poètes au cours des siècles. Ces récits sont souvent assortis de manifestations religieuses et de cultes, dont l’importance est soulignée par la diversité aussi bien que par la longévité et la distribution géographique.

2Lorsqu’il s’agit de biographie ancienne, la question de l’historicité des informations reçues se pose d’emblée. L’A. prend position et affirme à juste titre, tout au long de l’ouvrage, que les biographies des poètes témoignent de la représentation qu’on se faisait d’eux à différents endroits et en différentes époques bien plus que des événements réels de leur vie. L’A. souligne également que la biographie, en tant que genre littéraire, est avant tout liée à l’encomium et « sert à justifier un jugement porté sur l’individu » (p. 16). De plus, toujours selon l’A., la biographie est liée à la paradoxographie et sert donc également de plaisir littéraire alimentant les conversations des lettrés. En somme, et c’est une attitude maintenant bien ancrée dans la critique, on ne doit pas chercher la véracité historique dans les biographies, mais bien la raison pour laquelle on attribuait certains faits aux différents poètes. Toutefois, une certaine tension demeure au cœur du problème : certains des éléments rapportés sont liés à des faits historiques vérifiables et un grand nombre d’autres sont tout à fait vraisemblables bien qu’indémontrables. L’A. fait assez grand cas de ce problème et elle distingue les (rares) faits véridiques de ceux qui sont seulement vraisemblables ou probablement fictifs dans son analyse des documents. De façon plus importante, elle remet toujours les faits rapportés dans le contexte historique des sources, ce qui permet de juger de l’influence des différentes situations culturelles ou géopolitiques sur les informations biographiques transmises par les Anciens. En effet, puisque même l’existence réelle de certains poètes comme Homère et Hésiode est douteuse (bien que les Anciens n’en aient pas douté), alors que d’autres, comme les Tragiques, ont bel et bien vécu, il est important de considérer leurs biographies non pas dans le cadre d’une recherche d’historicité, mais bien d’une recherche de sens.

3Le choix des poètes à traiter dans l’étude est crucial. Deux approches sont possibles. La première est une approche synthétique qui interroge la notion de poète en général et prend ses exemples au sein des faits biographiques concernant un grand nombre de poètes grecs. La deuxième approche, choisie pour l’ouvrage qui nous intéresse, consiste à définir un groupe spécifique de poètes et à examiner leurs dossiers respectifs en détail et en relation les uns avec les autres. L’A. sélectionne les poètes à étudier en suivant le critère aristotélicien de la mimesis. Pour être considéré poète, il ne suffit pas d’écrire en vers, mais l’appellation concerne plutôt le choix du contenu et le mode d’énonciation. Les auteurs des Vies des poètes ont eux-mêmes suivi cette classification à l’époque hellénistique et l’homogénéité du corpus ainsi formé dans les sources justifie le choix d’Homère, Hésiode, Archiloque, Pindare, Eschyle, Sophocle et Euripide comme poètes à traiter dans l’étude. Leur statut de classiques, en opposition à des poètes plus récents comme par exemple Callimaque, était déjà reconnu à l’époque hellénistique et les distingue de leurs confrères. L’approche par corpus a l’avantage de permettre une étude approfondie de la personnalité et des faits attribués à chaque poète, ce qui se révèle utile si on veut comprendre le dossier d’un poète ou d’un type de poète en particulier. Toutefois, le lecteur reste sur sa faim en ce qui concerne la notion même de poète, une notion qui aurait pu être informée et expliquée à l’aide des récits et cultes concernant d’autres types de poètes ou d’activité poétique, comme les mythes de héros musiciens ou les récits concernant des poètes peut-être historiques dont l’œuvre ne nous est pas parvenue. On pense par exemple à l’histoire d’Arion, qui aborde directement la relation du poète avec le divin et avec la mort, ainsi que la question de l’inspiration poétique. En fait, l’A. elle-même pose la question de savoir pourquoi les poètes d’un passé proche, par rapport à un passé mythique, sont l’objet de constructions qui les rapprochent de figures mythiques (p. 14). Cette question semble appeler le traitement détaillé de figures comme celles d’Orphée, Arion, Linos, Musée et bien d’autres, qui ont joué un rôle important dans la culture et la religion grecques longtemps après leur « mort ». On se serait attendu à les voir prendre une plus grande place dans le présent ouvrage, mais un tel traitement aurait signifié une approche différente.

4Le choix d’une approche par corpus motive l’organisation de l’ouvrage. Les chapitres sont regroupés en trois grandes parties, soit la construction légendaire de figures d’exception, la mise au tombeau des poètes et finalement les cultes des poètes. Chacune de ces grandes parties comprend un chapitre organisé par sections dans lesquelles les dossiers des sept poètes sont examinés individuellement et un chapitre qui aborde les questions de fond qui sous-tendent le dossier. En particulier, le chapitre « Des hommes d’exception », sur la figure exceptionnelle des grands poètes dans la société et le chapitre « Honneurs et cultes : questions de lexique », sur la dénomination des cultes des poètes dans la langue grecque, donnent une bonne vue d’ensemble des problèmes abordés dans l’ouvrage tout en étant fermement ancrés dans l’étude des documents. De plus, certains chapitres s’ouvrent par une discussion générale du sujet abordé. La discussion de la mort comme un des facteurs déterminants du statut spécial accordé aux poètes est des plus éclairantes (p. 35–38). L’A. souligne à juste titre que le récit de mort « fonde ce que le mort apporte aux vivants » et explique ainsi l’importance donnée aux légendes concernant la mort des poètes. La question de l’importance politique des poètes auxquels on offrait un culte, souvent en relation avec leur tombeau, est également très bien traitée. C’est particulièrement le cas pour la discussion concernant Homère, dont la patrie était disputée, ce qui a donné lieu à de grandes controverses et compétitions entre des cités rivales. L’A. fait preuve d’une grande finesse d’analyse dans son traitement des épigrammes funéraires des poètes, qui sont des objets littéraires bien intégrés aux traditions grecques, tout en soulignant l’évolution des personnalités et du genre de mort prêtés aux différents poètes. Pour rendre compte de ces concepts dans toute leur complexité, l’A. décrit les épigrammes par la très belle expression de « funérailles littéraires ». Finalement, la discussion de la nature des cultes célébrés en l’honneur des poètes en relation avec les cultes traditionnels montre bien, comme l’A. le souligne, que ces phénomènes étaient complètement intégrés à l’ensemble des pratiques religieuses grecques.

5L’attention accordée aux sources primaires tout au long du volume est évidente dans les tableaux comparatifs des documents concernant les variations dans les récits de mort des poètes Pindare et Euripide et les occurrences des mots de la famille de τιμή dans le corpus. Ces tableaux, ainsi que la discussion en profondeur des dossiers documentaires concernant chaque poète (incluant les sources épigraphiques et le matériel archéologique) permettent d’aborder les sources primaires dans toute leur complexité interne et en relation les unes avec les autres. Une telle attention est remise en valeur dans les annexes, qui sont très longues (elles occupent pratiquement la moitié du volume). L’annexe I offre un corpus complet de documents sur chacun des poètes étudiés. L’annexe II donne une présentation individuelle des Vies et finalement l’annexe III fournit un répertoire des sources sur d’autres poètes non étudiés dans l’ouvrage. Les cartes géographiques présentées en fin de volume et la bibliographie thématique sélective sont également fort utiles. L’insistance sur les sources primaires et la bibliographie très complète permettent au lecteur de se plonger dans l’étude de la question et d’évaluer les arguments présentés dans l’ouvrage avec tous les matériaux nécessaires en main.

6En somme, cet ouvrage se révélera une référence obligée pour tout chercheur intéressé par la place du poète dans la société grecque. Le poète, et d’autant plus le grand poète mort, tenait une position de premier plan chez les Grecs en tant qu’instance de communication avec les dieux, éducateur et marqueur d’identité. Comme l’A. le démontre bien, les poètes jouaient ce rôle autant pour les individus qui pratiquaient leur culte que pour les communautés qui se regroupaient autour de ces figures d’exception.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie-Claire Beaulieu, « Flore Kimmel-Clauzet, Morts, tombeaux et cultes des poètes grecs »Kernos, 27 | 2014, 457-459.

Référence électronique

Marie-Claire Beaulieu, « Flore Kimmel-Clauzet, Morts, tombeaux et cultes des poètes grecs »Kernos [En ligne], 27 | 2014, mis en ligne le 12 novembre 2014, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kernos/2237 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kernos.2237

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Auteur

Marie-Claire Beaulieu

Tufts University

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