Irene Polinskaya, A Local History of Greek Polytheism
Irene Polinskaya, A Local History of Greek Polytheism. Gods, People, and the Land of Aigina, 800–400 BCE, Leiden/Boston, Brill, 2013 (Religions in the Graeco-Roman World, 178). 1 vol. 16 × 24 cm, xxviii+660 p. ISBN : 978–900423404–8.
Texte intégral
1Le présent ouvrage s’inscrit dans la lignée des monographies régionales, abordant le système cultuel des anciens Grecs selon une perspective locale, c’est-à-dire en se centrant sur une cité, voire une région, délimitée. Cette approche présente une série d’avantages pour l’étude du fonctionnement du polythéisme grec. En se concentrant sur un objet d’étude circonscrit dans l’espace et — souvent — dans le temps, elle autorise notamment une recontextualisation des phénomènes religieux, permet d’analyser les choix posés par une communauté en des circonstances données et de retracer avec plus d’acuité les développements au cours du temps. Elle offre en outre un terrain d’expérimentation propice pour l’étude du fonctionnement des panthéons et des interactions entre les divinités qui les composent. C’est en l’occurrence sur l’île d’Égine au cours des périodes archaïque et classique que s’est portée l’attention de l’A.
2L’ouvrage se divise en quatre parties de longueurs inégales, la première partie faisant office d’introduction générale. L’A. y aborde une série de questions conceptuelles et méthodologiques liées à l’étude du polythéisme grec et y livre en fait le résultat de la réflexion préliminaire menée lors de son étude des cultes d’Égine, ainsi que sa position sur les diverses approches théoriques en cours. On s’interroge sur la pertinence réelle d’un tel développement, dont la longueur (plus de cent pages) et le caractère très général détonent quelque peu dans une étude de ce type. Quelques points sont abordés de manière très succincte, comme c’est le cas notamment de la question des sources utiles à l’étude de la religion grecque (p. 52–59), qui fait peu de place à l’épigraphie, ou aux difficultés liées à l’interprétation des vestiges matériels et des offrandes votives. Un état des lieux de la situation documentaire d’Égine est, en revanche, absent. Parmi ces questions, la réflexion qui est directement liée aux spécificités de l’étude régionale s’avère être l’une des plus intéressantes. L’A. met en évidence un schéma triangulaire entre les communautés, le système cultuel et le territoire, ainsi qu’il est définit dans le sous-titre de l’ouvrage Gods, People and Land. La distinction entre divinités enchôroi, qui habitent le territoire, et les divinités patrôoi, ancestrales, illustre l’interaction entre ces trois éléments. Afin d’échapper à la rigidité du modèle de la polis-religion de C. Sourvinou-Inwood, elle utilise la notion de « mésocosme », empruntée à l’anthropologue Robert Levy, qu’elle définit comme un intermédiaire entre le niveau individuel et le macrocosme culturel (p. 34). À la notion de polis, qui renvoie à une entité politique bien particulière, l’A. préfère celle, plus souple, de « système religieux local ».
3Les deuxième et troisième parties entrent dans le vif du sujet en abordant le système religieux d’Égine en trois chapitres distincts. Le premier constitue une présentation analytique des différents cultes attestés dans l’île et est fondé sur une approche synchronique, concentrée sur la seconde moitié du ve siècle avant notre ère. Le choix d’une période aussi restreinte dans le cadre d’une étude régionale pourra poser d’autant plus question que la documentation à disposition n’est guère abondante et que certaines sources plus tardives comme Pausanias sont parfois invoquées au cours de l’exposé. Le choix de cette période spécifique n’est pas davantage justifié par l’A. Les divinités sont agencées par ordre alphabétique, évitant le caractère arbitraire d’un classement opéré selon une éventuelle importance. En guise de complément, un inventaire des cultes attestés dans l’île toutes périodes confondues est repris en annexe. Dans son étude, l’A. rend compte de son cheminement de pensée, envisageant — et souvent réfutant — toutes les hypothèses possibles, ce qui aboutit généralement à une analyse très approfondie et précise des sources, qu’elles soient littéraires, épigraphiques ou archéologiques. Ce procédé conduit parfois à des développements marginaux qui n’apportent pas grand-chose à l’exposé des cultes, comme c’est le cas notamment de la réflexion (p. 167–171) sur l’approvisionnement en eau à Égine à propos du culte d’Aphaia. L’A. porte une attention particulière à l’étude de ce qu’elle appelle le “rôle social” des divinités, à savoir les fonctions ou prérogatives qu’ils revêtaient au sein du panthéon local. Toutefois, le caractère souvent limité de la documentation, exploitée à son maximum, ou la difficulté d’interprétation qui s’y attache, rend parfois l’analyse assez périlleuse et conduit souvent à des apories. Par exemple, les conclusions sur les prérogatives d’Aphaia se fondent principalement sur le matériel votif découvert dans le sanctuaire, une méthode qui peut s’avérer trompeuse en l’absence de sources écrites. Ainsi, l’A. conclut à une palette très large des compétences de cette déesse qui toucheraient autant au domaine militaire qu’à la navigation, la kourotrophie, et aux rites de passages (p. 196). Par ailleurs, l’A. tente d’expliquer l’absence apparente d’un sanctuaire public de Poséidon à Égine par son appartenance à l’amphictyonie autour du sanctuaire du dieu à Kalaureia (p. 316–318). L’argumentum a silentio s’avère ici très hasardeux. Le chapitre suivant, par une approche davantage conceptuelle, se fonde sur l’analyse des différents cultes afin d’en tirer des lignes de force du point du vue du fonctionnement du panthéon, d’évaluer les liens qui se tissent entre les diverses divinités, à la fois dans les récits mythiques et dans la pratique du culte, et d’en saisir le sens. L’analyse s’effectue à l’aune d’une série de modèles culturels (syngeneia, xenia, philia, synergeia), explore la distribution des prérogatives au sein du panthéon et le rôle des groupes sociaux à la base de la pratique cultuelle. Cette approche permet de mettre en évidence une série de divinités ou héros (Apollon, Aiakos, Zeus, Damia et Auxesia) liés de près à l’identité de l’île et qui répondent chacun à des circonstances particulières.
4La troisième partie offre une étude diachronique du système cultuel, constituant le pendant de l’étude synchronique menée dans la deuxième partie. L’A. tente d’y déceler les grandes tendances des développements historiques des phénomènes religieux et isole trois grandes phases : 1) l’époque géométrique, où un petit nombre de cultes étaient situés à des emplacements topographiques proéminents ; 2) l’époque archaïque, qui voit l’introduction de nouveaux cultes accompagnés d’un discours idéologique, ainsi qu’un développement architectural autour des sanctuaires préexistants ; 3) le ve siècle, où s’opère une spécialisation croissante des prérogatives des divinités.
5La quatrième partie propose une contextualisation géopolitique du système religieux d’Égine. Le dixième chapitre envisage la position d’Égine au sein du Golfe Saronique. Les cultes d’Aiakos et des Aiakides, de Damia et Auxèsia, et de Poséidon servent de base à la réflexion tentant d’esquisser les contours d’un réseau cultuel qui mettrait en interaction les diverses communautés de cette région. L’accent se porte surtout sur les rivalités avec Athènes et les répercussions sur les configurations cultuelles. Enfin, le dernier chapitre explore la tension entre système religieux local et représentations panhelléniques, et met en évidence, plutôt qu’une polarité très claire, l’existence d’un spectre représentant la diversité de l’expérience religieuse.
6Une conclusion vient résumer les différents chapitres, et l’ouvrage s’accompagne encore d’une bibliographie, de cinq annexes, dont deux sont consacrées à la topographie de l’île, d’un grand nombre d’illustrations et d’un index général. Un index des sources n’eût pas été superflu.
7L’ouvrage aborde des questions fondamentales à notre compréhension du système religieux en Grèce ancienne, telles que le fonctionnement des panthéons locaux, les développements historiques des systèmes cultuels et la pertinence d’une conception panhellénique de la religion. L’analyse révèle également une solide connaissance de la bibliographie récente et une grande maîtrise des outils conceptuels et modèles théoriques, quoique, de ce point de vue, l’ouvrage aurait gagné à être allégé. Il faut encore souligner la volonté de l’A. d’échapper à un simple inventaire descriptif des cultes pour fournir une réelle réflexion de fond sur le fonctionnement du polythéisme en Grèce ancienne. Toutefois, le grand nombre d’écueils qui se posent lors de l’analyse des cultes, et le nombre d’hypothèses avancées qui aboutissent à des apories, posent la question de savoir si la matière documentaire, peu abondante, fait d’Égine un lieu idéal pour une étude régionale du polythéisme antique.
Pour citer cet article
Référence papier
Stéphanie Paul, « Irene Polinskaya, A Local History of Greek Polytheism », Kernos, 27 | 2014, 448-450.
Référence électronique
Stéphanie Paul, « Irene Polinskaya, A Local History of Greek Polytheism », Kernos [En ligne], 27 | 2014, mis en ligne le 12 novembre 2014, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kernos/2231 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kernos.2231
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