Les dieux en (ou sans) émotion. Perspective comparatiste (Mythos 4)
Les dieux en (ou sans) émotion. Perspective comparatiste, in Mythos 4, Caltanissetta, Salvatore Sciascia Editore, 2010. 1 vol. 17 24 cm, 230 p. ISSN : 1972-2516 / ISBN : 978-88-8241-373-6.
Texte intégral
1En explorant la question des « dieux en (ou sans) émotion », le dossier publié par la revue Mythos s’attache à une thématique en vogue, qui a ouvert, depuis quelques années, des perspectives de recherche prometteuses dans le champ des sciences humaines. Le problème des émotions fait en effet l’objet d’un intérêt croissant à tel point que l’on a voici peu évoqué l’« emotional turn » de la discipline historique (J. Plamper, « The history of emotions : An interview with W. Reddy, B. Rosenwein, and P. Stearns, History and Theory 49, 2010). Le recueil d’articles contenu dans ce dossier est le fruit d’un colloque organisé les 10, 11 et 12 décembre 2009 dans le cadre des rencontres « FIGVRA. La représentation des dieux dans les mondes grec et romain », un Groupe de Recherche Européen coordonné par N. Belayche (EPHE). La question des émotions divines renvoie directement à celle de l’anthropomorphisme comme l’annoncent d’emblée Ph. Borgeaud et A.-C. Rendu Loisel dans l’introduction (p. 9). Elle déborde aussi ce cadre pour nous renseigner plus largement sur les représentations divines et leurs fonctions ou fonctionnements. Dans le sillage de théories récentes en psychologie des émotions, associant émotion et cognition, les éditeurs rappellent que l’émotion divine « est un outil de communication » (p. 11).
2Y. Berthelet (Colère et apaisement des dieux de Rome. Remarques sur la réponse graduelle des autorités républicaines à l’angoisse suscitée par les prodiges, p. 15-26) examine la « gradation de la réponse sacerdotale aux prodiges en fonction du degré d’angoisse des humains » (p. 25). Les rituels d’expiation étaient accomplis par les pontifes lorsque les prodiges observés étaient déjà enregistrés par la tradition, mais par les uiri ou les haruspices s’ils étaient inédits. L’A. souligne le rapport probable entre le recours aux haruspices et la « technicité » poussée de leur expertise. – I. Slobodzianek (Fureur, complainte et terreur d’Inanna : dynamiques religieuses de l’émotion dans les représentations religieuses littéraires sumériennes, p. 27-39) analyse des émotions divines de la déesse sumérienne Inanna. L’expression des émotions de la déesse, notamment à travers les stratégies narratives, s’articule avec des exigences rituelles ; les émotions peuvent dès lors apparaître comme un moyen de communication entre hommes et dieux. Les émotions d’Inanna, en rapport avec la fonction souveraine que la déesse légitime, apparaissent aussi comme un moyen d’imposer le respect de sa puissance. – L’article de J.-D. Dubois (Tristesse et larmes de Sophia dans la gnose valentinienne, p. 41-51) s’attache à montrer le rôle constitutif attribué par les gnostiques valentiniens aux émotions divines dans les systèmes cosmogoniques. Chez les Valentiniens, les larmes de Sophia (la « Sagesse ») renvoient à la conversion et, plus largement, aux constructions démiurgiques. – Les émotions divines dans des hymnes védiques sont étudiées par Fr. Voegeli (Les dieux védiques sont-ils émotifs ?, p. 53-65) en procédant à l’analyse de deux racines verbales (BHAYI-« craindre » et PRAYI-« se réjouir ») qui peuvent s’appliquer à des être animés ou des entités inanimées. Il apparaît nécessaire de rapporter directement certains états affectifs à la pratique rituelle ou sacrificielle. – À travers l’examen de représentations picturales sur quelques vases du début du ve siècle av. J.-C., M.-C. Villanueva Puig (Dionysos, repos et mania, p. 67-82) s’interroge sur les émotions multiples de Dionysos. On voit le dieu, en proie à la mania, accomplir le sacrifice que son cortège lui destine. Prolongeant le même dossier, Fr. Massa (Relire les émotions de Dionysos à l’époque impériale : de Plutarque aux Chrétiens, p. 83-98) explore les relectures et réflexions dont ont fait l’objet, dans la philosophie d’époque impériale et l’apologétique chrétienne des premiers siècles, les attitudes et les émotions de Dionysos. Les voies empruntées apparaissent doubles entre mise à distance et accentuation des éléments licencieux. – A.-C. Rendu Loisel (Dieux, démons et colère dans l’Ancienne Mésopotamie, p. 99-111) distingue deux types de colère divine dans le Proche-Orient ancien : ainsi la fureur divine qui se déchaîne sans distinction et la colère démoniaque qui frappe un individu en particulier, deux émotions auxquelles les hommes tentent de donner du sens. – M. Troiano (La colère de Dieu : blke et le démiurge des gnostiques, p. 113-127) examine les conceptions de la colère divine des auteurs gnostiques à la lumière de quelques textes de Platon, Plotin et Philon d’Alexandrie. Platon et Plotin soulignent l’incompatibilité des passions avec le domaine de l’intelligible et Philon avec celui de la nature divine. Pour les gnostiques, la colère est une des passions du Démiurge, des archontes, et des hommes qui « devient même une puissance du cosmos inférieur » (p. 125). – J.-P. Albert et C. Bonnet, dans le dernier article (La colère de Yahvé contre son peuple. Châtiment, dette et ordre cosmique, p. 129-140), analysent les liens entre la colère de Yahvé, en tant que « catégorie mythologique ou théologique » contre les Hébreux et les transgressions d’un ordre cosmique. La colère de Yahvé, entre dette humaine et pardon divin, s’articule avec une réaffirmation des devoirs et le respect de la Loi dans le cadre de l’Alliance.
3En exploitant des sources littéraires ou iconographiques, et en adoptant une lecture comparative, ce dossier offre une réflexion qu’enrichissent la diversité géographique et thématique des sujets abordés, ainsi que la résurgence, çà et là, de motifs transversaux. Ainsi voit-on apparaître à plusieurs reprises l’importance du geste rituel lorsque l’on considère les émotions, les divers modes de codification de l’émotion divine ou la constitution de celle-ci en réponse à des craintes ou des attentes humaines particulières. « La colère, en effet, fait mouche là où, en chaque homme, l’inquiétude relative à ses devoirs s’enracine dans la contingence même d’une existence dont il n’est ni la cause ni le seul responsable » (J.-P. Albert et C. Bonnet, p. 138).
Pour citer cet article
Référence papier
Clément Bertau-Courbières, « Les dieux en (ou sans) émotion. Perspective comparatiste (Mythos 4) », Kernos, 25 | 2012, 372-373.
Référence électronique
Clément Bertau-Courbières, « Les dieux en (ou sans) émotion. Perspective comparatiste (Mythos 4) », Kernos [En ligne], 25 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kernos/2075 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kernos.2075
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