Édith Parmentier, Le roi Hérode. De la légende à l’Histoire
Édith Parmentier, Le roi Hérode. De la légende à l’Histoire, Paris, Les Belles Lettres (Études anciennes ; 161), 2022, 253 p.
Texte intégral
1La collection « Études anciennes » aux Belles Lettres accueille l’ouvrage passionnant d’Édith Parmentier (désormais ÉP), intitulé Le roi Hérode. De la légende à l’Histoire. Le lecteur est plongé, dès les premières pages, dans une recherche historique qui permet de déconstruire nombre de préjugés sur Hérode. Pour parvenir à rendre sa place dans l’histoire à ce monarque, ÉP est confrontée à des difficultés dues notamment aux problèmes posés par les sources. En effet, c’est l’œuvre de Flavius Josèphe qui constitue la version officielle du règne hérodien, mais elle a complètement effacé d’autres sources sur cette période, tels les écrits de Nicolas de Damas, également historien d’Hérode, qui donnaient une autre vision de l’action du roi. Mais il ne nous reste que des fragments de ces derniers, que précisément ÉP connaît parfaitement, puisqu’elle en a publié une traduction et un commentaire, dans la collection « Fragments » des Belles Lettres, en 2011, avec F.P. Barone. Flavius Josèphe présente une figure du roi ambivalente, en faisant plutôt l’éloge du personnage dans la Guerre des Juifs où il met alors en valeur son génie politique, tandis que dans les Antiquités juives, « il réorganise le récit de façon plus critique », vingt ans plus tard, « en inscrivant son règne dans un contexte de paranoïa politique et dynastique, dominé par l’impopularité du roi et par ses crimes » (p. 15). Malgré ses limites, puisqu’il est le seul à retracer le règne d’Hérode, le témoignage de Flavius Josèphe est considéré, par défaut, comme une source fiable, dont dépendent les autres récits sur cette période ainsi que les travaux anciens et modernes. C’est avant tout le portrait défavorable du roi Hérode, tel qu’il ressort des Antiquités juives, qui a fait l’objet des études historiographiques.
2Mais, en 1960, explique ÉP, parut une thèse novatrice sur le roi Hérode qui fit scandale, celle d’Abraham Schalit, König Herodes. En effet, celle-ci rejetait les préjugés religieux qui imprégnaient les lectures de la tradition talmudique comme celles du courant historiographique de la théologie chrétienne : y apparaissait un tyran sanguinaire, un monstre impie, méconnaissant l’hellénisme et peu concerné par le judaïsme (p. 19). L’historien parvint à montrer au contraire comment Hérode sauva l’autonomie de la Judée face au pouvoir romain, comment il préserva les coutumes et la liberté religieuse de son peuple, grâce à ses manœuvres diplomatiques de compromis. La lecture pluriculturelle à laquelle invita le travail d’Abraham Schalit suscita un renouveau des études sur Hérode (Peter Richardson 1996, Duane W. Roller 1998, Nikos Kokkinos 1998). Néanmoins, selon ÉP, ces interprétations donnaient des images encore incomplètes d’Hérode, aussi souhaite-t-elle revenir à l’étude des sources antiques peu nombreuses et même problématiques, comme c’est le cas avec Flavius Josèphe, pour montrer qu’Hérode fut « un grand roi de Judée », « à l’échelle du monde antique » (p. 190).
3L’enquête consiste donc à démêler les influences juive, chrétienne et romaine pour tenter de cerner la portée réelle du règne d’Hérode, qui se révèle être un grand roi bâtisseur, dont l’influence sur le plan culturel ne doit pas être ignorée. L’auteur réussit ainsi, grâce à sa méthode rigoureuse d’investigation, à « proposer une perception nouvelle de ce roi qui ne fut pas “Grand” que par ses infamies » (p. 28).
4Au cours de son enquête, ÉP tente donc de débusquer les anachronismes, contaminations et amalgames qui sont ensuite transmis d’auteur en auteur.
5Prenons un exemple (chapitre II, « Hérode, le tueur d’enfants », p. 65-80) : de nombreuses rumeurs qui se sont amplifiées bien souvent avec le temps ont en particulier associé le nom du roi Hérode au massacre des Innocents, faisant de lui un tyran sanguinaire. La déconstruction de ces rumeurs passe par un examen de la réalité, de leur contextualisation, que mène l’auteur en s’attachant, dans le cas présent, à mettre en évidence différents arguments, dont celui fondé sur la vraisemblance psychologique, qui, par un processus de contamination, font attribuer à Hérode des actes qu’il n’a pas nécessairement commis lui-même. En l’occurrence, c’est dans l’Évangile de Matthieu, 2, 16, que l’on trouve le point de départ de la construction néo-testamentaire du massacre des enfants de Bethléem, qui permet de fixer la date de naissance de Jésus entre 6 et 4 av. n. è., version qui ne figure ni chez les autres évangélistes, ni chez Flavius Josèphe… ÉP note que « l’enjeu christologique est tel que l’on comprend la difficulté pour l’Église de renoncer à l’historicité de cet épisode, au point de confondre en un seul Hérode le roi persécuteur du petit enfant Jésus et ses successeurs » (p. 66), puisque l’on sait que sous la même titulature de « roi Hérode » étaient désignés six membres de la dynastie dans les textes néo-testamentaires. Ensuite les spéculations sur le nombre de victimes vont s’amplifiant, ainsi que sur leur âge (qui va au-delà de deux ans à partir du IIe siècle). De plus, s’il est avéré que les fils d’Hérode, Alexandre et Aristobule IV, ont été exécutés en 7 av. n. è. ainsi qu’Antipater en 4 av. n. è., tous trois sur ordre de leur père, il faut savoir que les fils du roi étaient alors des adultes dont Hérode prévoyait l’infanticide par une « quasi-nécessité dynastique », pour résoudre les problèmes posés par la polygamie royale (p. 70-73). Pourtant c’est l’argument de vraisemblance psychologique reliant entre eux tous ces actes de barbarie, significatifs du tyran, qui est devenu, explique ÉP, la thèse ordinaire des historiens du christianisme qui, jusqu’à aujourd’hui, postule l’historicité du massacre des Innocents en le rattachant au comportement familial d’Hérode. Elle poursuit cet examen de l’amplification de la rumeur notamment par l’étude du jeu de mots de Macrobe (Saturnales, II, 4) « Mieux vaut être le porc d’Hérode que son fils », que le lecteur découvrira aux pages 75 à 79.
6Le style très clair et les traductions très précises des différents passages d’auteurs anciens assurés par l’auteure assurent au lecteur la simplicité du parcours dans l’examen de ces sources foisonnantes, tant textuelles qu’archéologiques, bien souvent épineuses car fragmentaires. Enfin, il faut noter que, pour le plus grand plaisir du lecteur, cette ἱστορία, qui est menée de manière très scrupuleuse, et dont les sources figurent dans la bibliographie très fournie (p. 195-232), s’apparente à l’enquête d’un détective très chevronné : l’usage de cliffhanger en fin de chapitre donne irrésistiblement envie de découvrir la réalité liée à la facette suivante du portrait du roi : après l’examen des titulatures (Roi des Juifs, Roi Hérode, Hérode le Grand – et l’étude très instructive de l’énigmatique Hérodion, p. 50-63), le lecteur découvre quelle réalité se cache sous chacun des visages du roi légendaire : le tueur d’enfants (p. 65-80), le demi-juif (p. 81-114), le roi infâme (p. 115-142), le roi hellénisé (p. 143-165), et, pour finir, le roi qui fit fleurir le désert (p. 167-188). Dans ce chapitre final, ÉP montre comment l’archéologie hérodienne rejoint les sources textuelles pour forger l’image, mise en évidence par l’historiographie moderne, d’un roi architecte, intéressé par les progrès techniques de construction et l’aménagement du territoire (p. 168). Si « aucun Hérode global » ne surgit de cette enquête, il est désormais évident que « l’historien d’aujourd’hui ne peut plus présenter Hérode comme régnant depuis la tanière d’un tyran, dans un paysage confus de crime et de châtiment » (p. 190). Élémentaire, Pr. Parmentier !
Pour citer cet article
Référence papier
Christine Dumas-Reungoat, « Édith Parmentier, Le roi Hérode. De la légende à l’Histoire », Kentron, 38 | 2023, 225-227.
Référence électronique
Christine Dumas-Reungoat, « Édith Parmentier, Le roi Hérode. De la légende à l’Histoire », Kentron [En ligne], 38 | 2023, mis en ligne le 22 décembre 2023, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/6971 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.6971
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