- 1 Smith 2006, 1.
- 2 Gautier 2023.
- 3 Voir Bonditti, Hippler & Lema Silva 2023.
1Au début du XXIe siècle, il semblait acquis que les conflits armés n’étaient plus ce qu’ils étaient traditionnellement et encore au XXe siècle. Le général britannique Rupert Smith allait jusqu’à affirmer que la guerre, telle que nous la connaissions, n’existe plus1. Beaucoup d’énergie intellectuelle a été consacrée ces dernières années à comprendre les transformations de la guerre aujourd’hui. Or un autre aspect, certainement non moins important, a retenu beaucoup moins d’attention : si la guerre a disparu dans sa forme traditionnelle, cela implique nécessairement que la paix, telle que nous la connaissions, a également cessé d’exister. Il semble donc urgent de se poser la question de ce que « la paix » peut signifier à l’ère des conflits asymétriques. La question revêt une autre dimension encore depuis le 24 février 2023, le début de la guerre en Ukraine et ce que certains appellent le « retour de la guerre à haute intensité »2. Dans un contexte d’instabilité politique au niveau mondial et européen, il convient de se poser à nouveaux frais la question de la paix : qu’est-ce que c’est ? Comment l’obtenir et la pérenniser ? Sur quelles valeurs et sur quelles bases sociétales repose-t-elle3 ? Pour ce faire, il est indispensable d’analyser ce que la paix a été dans le passé, afin de pouvoir mesurer les transformations auxquelles nous devons faire face.
- 4 Chaunu 1993 et 1995. Voir Hippler 2021.
2Si la réflexion contemporaine a souvent fait de la paix une invention récente, ce dossier entend donner l’opportunité de retracer les origines de certaines idées modernes sur la paix, et de ce point de vue, l’expérience romaine apparaît fondatrice et problématique à bien des égards. C’est justement dans cette perspective que le colloque PAX a été conçu et que nous avons choisi d’en faire le colloque inaugural du projet de recherche PEACE – La paix : perspectives historiques, conceptuelles et normatives (2018-2019), financé par la région Normandie (RIN Recherche). Ce programme avait pour but de prolonger les recherches initiées à Caen avec deux colloques organisés par Pierre Chaunu au début des années 1990 et donc dans une autre période de bouleversements géostratégiques4.
3De fait, les sociétés anciennes étaient profondément concernées par la notion de paix et ont produit des réflexions théoriques sur les causes de la guerre et les possibilités d’atteindre la paix politique, mais personne n’ignore que « la paix » joue parfois le rôle d’une justification idéologique, souvent à peine voilée, pour la domination politique, et c’est habituellement la partie la plus forte qui a un intérêt à promouvoir la paix. Cela est particulièrement vrai pour la paix romaine, qui évoque presque inévitablement l’idée de domination impériale. « Auferre, trucidare, rapere falsis nominibus imperium, atque ubi solitudinem faciunt, pacem appelant ». Le tranchant corrosif de cette formule de Tacite (Vie d’Agricola, 30, 7) n’a rien perdu de sa force d’évocation. Ainsi le mot pax reste entaché d’un soupçon indélébile d’une usurpation idéologique et se trouve par là même piégé dans une sorte de paradoxe du Crétois : il se dénonce soi-même comme mensonge. Pour d’autres, la pax romana reste une promesse de stabilité politique séculaire.
4Ces thématiques ont déjà été pour partie explorées par deux colloques internationaux récents organisés par K.A. Raaflaub, qui ont donné lieu à deux publications : War and Peace in the Ancient World (Blackwell, 2007) et Peace in the Ancient World. Concepts and Theories (Wiley – Blackwell, 2016). De manière significative, si le premier volume comporte trois chapitres consacrés à Rome, le second n’en contient aucun. En effet, selon K.A. Raaflaub, les Romains, contrairement aux Grecs, n’ont jamais développé de pensée de la paix. Notre colloque entend donc revenir sur ce constat, renouveler la question du rapport des Romains à la Paix, aussi bien du point de vue conceptuel et théorique que du point de vue concret et pratique, comme l’illustre l’expression pax romana, souvent utilisée mais rarement définie comme telle, mais aussi les rapports de Pax avec d’autres notions connexes.
5L’annonce du décès de Kurt Raaflaub, le 12 septembre 2023, nous est parvenue au moment où nous écrivions ces lignes. Qu’il nous soit permis de dédier ce dossier à la mémoire de ce grand savant.
6Les contributions de ce dossier sont issues du colloque qui s’est tenu à Caen les 22 et 23 mai 2018. Divers aléas, liés à la pandémie de la Covid-19, en ont retardé la publication. Nous sommes donc très heureux que celle-ci puisse enfin aboutir dans les meilleures conditions possibles.