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Dossier thématique : Violences de masse et violences extrêmes en contexte de guerre dans l’Antiquité

Tuer à la guerre chez Xénophon : normalité, joie et indignation relative

Lennart Gilhaus
p. 35-58

Résumés

À la guerre, on tue. Bien que la thématique du meurtre guerrier soit omniprésente dans l’historiographie antique de la guerre, elle n’est que rarement abordée de manière explicite. Pourtant, elle n’est pas sans intérêt : un examen attentif des sources permet de constater en effet une grande disparité dans l’attitude des Anciens face à l’acte de tuer en temps de guerre. Dans cet article, nous tenterons de déterminer, à partir des écrits de Xénophon, quand l’acte de tuer à la guerre est présenté comme un acte normal, quand il est une occasion de se réjouir et dans quelles circonstances il est, au contraire, critiqué. Xénophon semble très flexible dans ses jugements : pour lui, la fin justifie souvent les moyens. Mais en même temps, il attire toujours l’attention de ses lecteurs sur les conséquences de l’emploi de la violence.

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Texte intégral

  • 1 Xénophon, Anabase, III, 2, 39 : Ὅστις τε ζῆν ἐπιθυμεῖ, πειράσθω νικᾶν· τῶν μὲν γὰρ νικώντων τὸ καίν (...)

Que celui qui souhaite vivre s’efforce de vaincre : le vainqueur tue, le vaincu meurt1.

1C’est par ces mots que, dans l’Anabase, Xénophon termine le discours qu’il tint après l’assassinat des stratèges, afin de préparer les Dix-Mille à l’entreprise dangereuse qu’allait être, pour ces mercenaires grecs, la traversée d’un territoire hostile. Celui qui vient tout juste d’être élu chef de corps, dans un contexte dramatique, rappelle à ses compagnons d’armes un simple fait : à la guerre, on tue ! On risque sa vie et on doit être prêt à ôter la vie. Le caractère légitime, mais aussi souhaitable, d’actes causant la mort d’autrui définit la guerre. Toutefois, ainsi que dans tout autre domaine d’interaction sociale, le comportement humain est, à la guerre, influencé par certaines attentes. Tuer à la guerre pouvait faire l’objet, dans l’Antiquité grecque, de jugements de valeur très différents et parfois même contradictoires, variant en fonction de l’agent, de la victime, de la méthode employée et du contexte de l’action.

  • 2 Tuer à la guerre dans le monde grec a auparavant été traité par Burkert 1995 ; voir aussi Crowley 2 (...)
  • 3 Voir Gray 2011, Tamiolaki 2012, Buxton 2016 et 2017 sur le bon général chez Xénophon ; voir égaleme (...)

2À cet égard, l’œuvre littéraire de Xénophon se prête particulièrement bien à reconstituer les différents critères à l’aune desquels, dans le monde grec, l’acte de tuer à la guerre était évalué2, et ce parce que, dans ses écrits, Xénophon s’applique à faire ressortir le comportement digne d’imitation des chefs. Même si ses appréciations ne sont pas toujours explicites, il ne fait aucun doute que l’auteur estime qu’Agésilas, Cyrus le Grand et Xénophon lui-même avaient des caractères exemplaires et qu’ils agissaient presque toujours de manière convenant aux circonstances3. Mais, à côté de ces personnages modèles, Xénophon développe également des exemples de comportements négatifs. Dans son œuvre, l’auteur athénien traite par conséquent des actes de violence guerrière sous des angles très différents, qu’il est possible, notamment au moyen de remarques incidentes, de tenter d’identifier.

  • 4 Link 2002 et 2006. Il convient, par ailleurs, de distinguer la normalité (normalität) de la normati (...)

3Dans un premier temps, il s’agira donc de montrer dans quelle mesure Xénophon a conçu l’acte de tuer à la guerre comme une normalité – dans le sens défini par Jürgen Link4. La mise en évidence des conceptions que Xénophon se faisait du comportement normal à la guerre nous permettra, dans un deuxième temps, de traiter des cas dans lesquels l’auteur a voulu donner une importance particulière à l’acte de tuer en le soulignant implicitement ou explicitement.

4Cet article essayera donc de distinguer dans quelles situations tuer est, pour Xénophon, un acte normal en temps de guerre, une source de joie ou encore un comportement méritant d’être critiqué dans certaines circonstances, ce qui permettra d’en tirer des conclusions permettant de révéler les limites, souvent floues, entre homicides légitime et illégitime.

Quand tuer est normal

  • 5 Sur la représentation des engagements militaires dans les Helléniques, voir Tuplin 1986 et Riedinge (...)
  • 6 Ainsi Tuplin 1986, 40.
  • 7 Ces éléments ont été soulignés, en ce qui concerne l’œuvre de Xénophon, par Schmitz 2009 notamment, (...)

5La guerre est le sujet privilégié de l’historiographie grecque antique. Les historiens décrivent généralement les événements militaires du point de vue du commandant et portent leur attention avant tout sur la stratégie et la tactique. Xénophon décrit bien lui aussi en détail, dans certains passages, les préparatifs, la disposition des troupes, les ruses de guerre et le déroulement des engagements, avant de noter les pertes en matériel et en hommes subies des deux côtés, mais, d’une part, il ne le fait pas systématiquement et, d’autre part, quand ces éléments sont présents, ils ne suivent pas toujours un schéma de présentation strict5. En tout état de cause, Xénophon ne décrit guère le combat proprement dit, ne donne presque jamais une idée de l’expérience vécue des simples soldats et ne fournit que peu de détails pour rendre la description de la bataille plus vivante6. Tuer n’est donc mentionné, chez l’auteur athénien, que dans une perspective distanciée et est présenté comme un moyen d’atteindre des objectifs militaires et politiques7.

  • 8 Xénophon, Helléniques, V, 2, 43 : Πολλάκις μέντοι καὶ οἱ Ὀλύνθιοι καταθέοντες εἰς τὰς τῶν Λακεδαιμο (...)
  • 9 Xénophon, Helléniques, III, 1, 7 : Ἦν δὲ ἃς ἀσθενεῖς οὔσας καὶ κατὰ κράτος ὁ Θίβρων ἐλάμβανε (« Il (...)
  • 10 Force est cependant de constater que Xénophon fit délibérément omission des horreurs et des violenc (...)

6Quand il rapporte les événements de façon sommaire, Xénophon néglige souvent de mentionner que les actions guerrières ont impliqué des morts. Dans l’Anabase surtout, mais aussi dans les Helléniques, il écrit maintes fois que des soldats envoyés en expédition de pillage se procurèrent du ravitaillement et du butin, pillèrent et réduisirent des civils en esclavage, mais il ne mentionne que très rarement de façon explicite que les pillards tuaient également au cours de ces actions8. De manière similaire, il se contente de résumer brièvement le fait que Thibron ait pu prendre d’assaut de nombreuses villes, pendant la campagne spartiate en Asie, sans faire mention des morts9. La façon dont ces événements sont décrits montre bien que Xénophon ne croyait pas toujours nécessaire d’expliciter ce que la guerre pouvait occasionner : la prise et le pillage de villes causaient souvent des morts, mais contrairement aux batailles, la mort n’était ici perçue que comme un phénomène collatéral, sans grand intérêt narratif10.

  • 11 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 3, 15-18 ; sur la bataille de Coronée, voir Sabin 2007, 114-117.
  • 12 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 3, 19-20.

7Pour Xénophon, le fait que l’on tue à la guerre est donc avant tout une évidence, bien souvent inutile à rappeler. Ce n’est qu’en de rares occasions qu’il abandonne son style sobre et neutre, doublé du point de vue d’un meneur de troupes. La bataille de Coronée (394), à laquelle il accorde une importance particulière, constitue une exception. Comme pour d’autres batailles, Xénophon commence par décrire dans les Helléniques les contingents de troupes qui s’affrontent, la manière dont ils sont organisés, avant de dépeindre le déroulement de la bataille11. Mais, après la fuite des Thébains, il concentre exclusivement son regard sur Agésilas, qui a pris délibérément un risque en affrontant ses adversaires au lieu de les laisser simplement s’éloigner12. Xénophon souligne explicitement qu’il considère le comportement d’Agésilas comme extrêmement intrépide et audacieux, et c’est sans doute pour cette raison qu’il ne se concentre pas ici sur les détails tactiques, mais met particulièrement l’accent sur l’intensité tumultueuse de la bataille :

  • 13 Xénophon, Helléniques, IV, 3, 19 : Καὶ συμβαλόντες τὰς ἀσπίδας ἐωθοῦντο, ἐμάχοντο, ἀπέκτεινον, ἀπέθ (...)

Les boucliers s’entrechoquent, et c’est la mêlée, le corps-à-corps, les hommes qui tuent ou qui tombent13.

  • 14 Voir Gray 2011, 98 : « the possible point of the praise could be that he was brave beyond a doubt b (...)
  • 15 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 3, 20.

8Agésilas n’a pas donné la préférence à la sécurité ; il a au contraire fait preuve d’un grand courage et d’une grande bravoure, et dut même être évacué du champ de bataille après avoir été blessé14. Il n’en reste pas moins qu’il remporta une victoire éclatante. Selon Xénophon, le roi spartiate, bien qu’il fût couvert de blessures et allongé sur une civière, put encore ordonner de laisser partir tous les ennemis qui s’étaient réfugiés dans un temple, sans les inquiéter15. Malgré l’intensité de la bataille et ses propres blessures, l’Agésilas xénophonien a donc gardé son respect pour les dieux.

  • 16 Pour une comparaison entre la description dans les Helléniques et dans l’Agésilas au regard des élé (...)
  • 17 Cf. Xénophon, Agésilas, II, 11-14 ; sur les liens et différences entre Helléniques et Agésilas, voi (...)

9Il est, du reste, significatif que l’intensité du combat soit surtout soulignée dans l’éloge consacré par Xénophon à Agésilas16. Dans l’Agésilas, la première phase de la bataille est en effet décrite de manière beaucoup plus brève que dans les Helléniques17. En revanche, les éléments sensoriels lors de la confrontation avec les Thébains sont présentés de manière beaucoup plus détaillée. Xénophon donne par exemple un aperçu des impressions auditives de la bataille :

  • 18 Xénophon, Agésilas, II, 12 : Καὶ κραυγὴ μὲν οὐδεμία παρῆν, οὐ μὴν οὐδὲ σιγή, φωνὴ δέ τις ἦν τοιαύτη (...)

Il n’y avait aucun cri mais ce n’était pas non plus le silence, il y avait juste un son comme peuvent en produire la colère et la bataille18.

  • 19 Xénophon, Agésilas II, 14 : Τὴν μὲν γῆν αἵματι πεφυρμένην, νεκροὺς δὲ κειμένους φιλίους καὶ πολεμίο (...)

10Ensuite, Xénophon décrit le champ de bataille après le combat, où l’on pouvait voir « la terre inondée de sang, les morts gisants, amis et ennemis entremêlés, des boucliers brisés, des lances fracassées, des poignards sans leur fourreau, les uns par terre, d’autres dans le corps, d’autres encore dans les mains »19.

  • 20 Cet aspect est également souligné par Harman 2012, 440-442.

11Étant donné que l’œuvre est un éloge du roi, ces descriptions presque picturales n’ont certainement pas pour fin de susciter le dégoût, mais servent plutôt, en premier lieu, à souligner l’intensité et la dureté de l’affrontement, dont Agésilas sortit vainqueur. Cependant, il s’avère également que, contrairement aux épopées homériques, tuer n’a pas chez Xénophon d’aspect esthétique. À la bataille, le guerrier peut faire preuve de sa virilité et de son courage, mais il n’y a dans ceci rien de beau – le combat est dur et acharné20. Tuer et mourir font partie de cette reproduction de l’atmosphère du combat qui met d’autant plus en relief l’héroïsme d’Agésilas. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle Xénophon se concentre davantage sur la représentation de l’intensité du combat dans l’Agésilas.

12Dans les Helléniques, on ne trouve guère de telles descriptions d’hommes tués au combat car elles n’y seraient pas à leur place : un tel tableau détaillé n’aurait pu qu’irriter et détourner l’attention des explications tactiques et du point de vue de stratège adopté par l’auteur. La deuxième phase de la bataille de Coronée y constitue en quelque sorte une exception, car il s’agit pour Xénophon, quand bien même il soit ici dans une optique d’œuvre historique, de mettre l’accent sur le courage d’Agésilas. Par conséquent, il n’est pas étonnant que dans l’Agésilas, intégralement conçu pour mettre en évidence les traits distinctifs du caractère de son héros principal par le biais des situations auxquelles il est confronté, ces éléments soient beaucoup plus présents. Dans cette perspective, la mention de la mise à mort ne vise qu’à souligner l’intensité du combat et n’a pas de signification propre.

13Pour autant, et sans que cela ne remette en cause ce constat général, dans certains cas – en particulier quand il s’attarde sur la mort violente en la décrivant ou en la commentant de manière inhabituellement détaillée – Xénophon a voulu donner une importance particulière à l’acte de tuer en le soulignant implicitement ou explicitement.

La joie de tuer

  • 21 Voir à ce sujet Gilhaus 2019 (spécialement sur la joie et la malice chez Xénophon) ; pour la défini (...)
  • 22 Cf. Aristote, Rhétorique, II, 9 1386b26-33 (voir Gilhaus 2019, 155 avec d’autres références bibliog (...)
  • 23 Toutes les attestations de rire et de joie dans les Helléniques sont rassemblées par Gilhaus 2019, (...)

14Bien que certains de ses propos montrent que, dans la pensée des Grecs, tuer était plus qu’un moyen de vaincre et d’atteindre des objectifs politiques, Xénophon témoigne aussi parfois d’une grande fierté de tuer et démontre le plaisir que l’acte de tuer pouvait procurer aux combattants. Il est vrai que les émotions représentent pour lui un indicateur majeur de l’évaluation des comportements et remplissent parfois d’importantes fonctions narratives dans ses œuvres21. C’est ainsi le cas de la joie, et en particulier de la joie liée au malheur des autres. Le fait de considérer le malheur des autres comme justifié ou critiquable ne dépend pas seulement, chez lui, de l’évaluation des circonstances à l’instar d’Aristote, par exemple, qui différencie selon que quelqu’un mérite ou non un mauvais sort (ainsi, les hommes bons se réjouiraient de voir des parricides ou des meurtriers recevoir leur châtiment22). Lorsque Xénophon parle de la joie de tuer, c’est parce que ses personnages pensent que les vaincus méritaient la mort23.

15C’est de ce point de vue qu’il faut interpréter un épisode intégré dans le récit de la victoire des Spartiates lors de la bataille des Longs Murs de Corinthe (391). Xénophon décrit dans ce passage la joie des Lacédémoniens à l’occasion de l’encerclement, puis du massacre de leurs ennemis :

  • 24 Xénophon, Helléniques, IV, 4, 12 : Τὸ γὰρ ἐγχειρισθῆναι αὐτοῖς πολεμίων πλῆθος πεφοβημένον, ἐκπεπλη (...)

Avoir à sa merci une foule d’ennemis, stupides d’effroi, offrant leur côté découvert, sans qu’aucun d’eux ne retournât pour combattre, tous faisant ce qu’il fallait pour se faire tuer, comment ne pas voir là quelque chose de divin ? À ce moment, en tout cas, le nombre de ceux qui tombèrent dans un petit espace fut si grand que, tandis qu’on est habitué à voir des tas de blé, de bois, de pierres, on put alors contempler des tas de cadavres. La garnison béotienne qui était dans le port périt également, aussi bien ceux qui étaient sur les remparts que ceux qui étaient grimpés sur le toit des loges à vaisseaux24.

  • 25 Cf. Xénophon, Helléniques, III, 2, 4.
  • 26 Cf. Xénophon, Hipparque, IV, 17-20.

16Les adversaires, effrayés, ne sont plus en mesure de se défendre, si bien que les Spartiates entassent cadavres sur cadavres. Xénophon approuve cette manière d’agir sans restriction puisque, pour lui, c’est explicitement une divine providence qui permit aux Spartiates de massacrer leurs adversaires. De même, la comparaison entre des tas de matière inanimée et des montagnes de cadavres illustre surtout l’étendue de la victoire. Afin de mieux rendre perceptible l’ampleur du massacre, Xénophon utilise un langage imagé à d’autres endroits de ses écrits. Ainsi, lors de sorties, les Bithyniens abattent leurs ennemis grecs avec leurs javelots comme des moutons parqués25 et, dans son traité sur Le commandant de cavalerie, il conseille aux cavaliers de se comporter comme des loups qui se jettent sur leurs adversaires plus faibles pour tuer et piller26.

  • 27 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 4, 1-5 ; cf. aussi Xénophon, Anabase, III, 2, 3 : ῞Ομως δὲ δεῖ ἐκ τῶ (...)
  • 28 Sur la rétribution divine et la condamnation explicite du comportement des Corinthiens par Xénophon (...)

17Aux yeux de Xénophon, lors de la bataille des Longs Murs de Corinthe, les Spartiates combattaient contre d’infâmes sacrilèges et pouvaient donc compter sur un soutien divin. En effet, comme il l’explique juste avant de décrire le combat, les Corinthiens assassinèrent lors d’une fête tous leurs concitoyens qui s’étaient prononcés en faveur d’un rapprochement avec Sparte27. Pour Xénophon, les Corinthiens ne reçurent donc que leur juste châtiment et les Spartiates se comportèrent en agents des dieux quand ils les massacrèrent28.

  • 29 Cf. Xénophon, Helléniques, VII, 1, 31-32 ; voir par exemple Tuplin 1993, 140-141 sur Sparte après l (...)
  • 30 Cf. Xénophon, Helléniques, VII, 1, 32.

18Profitant encore de l’assistance divine, les Spartiates remportèrent également la « bataille sans larmes » (368) contre les Arcadiens, dont le chef Lycomède apparaît chez Xénophon comme l’incarnation de la superbe, d’une manière si éclatante qu’Archidamos III put annoncer, en évoquant la grandeur de la victoire, qu’aucun Spartiate n’y avait trouvé la mort, mais qu’un nombre impressionnant d’ennemis avait été tué. Xénophon rapporte que, lorsqu’on apprit la victoire à Sparte, les Spartiates fondirent en larmes de joie29. Le fait de parler spécifiquement de larmes de joie montre que les Spartiates étaient soulagés qu’aucun des leurs n’ait trouvé la mort. Néanmoins, Xénophon mentionne que les Thébains, les Éléens et les Lacédémoniens se sont également réjouis du malheur des arrogants Arcadiens30. Outre un sentiment de soulagement, la victoire a provoqué de la joie par son ampleur, corrélée à la grande disproportion de tués entre Arcadiens et Spartiates.

  • 31 Xénophon, Helléniques, VII, 2, 4 : Τροπαῖον μέντοι ἐστήσαντο ὁρώντων τῶν Ἀργείων οὐδὲν διαφέρον ἢ ε (...)
  • 32 Les Phliasiens sont présentés de manière totalement positive dans cette partie des Helléniques ; le (...)

19L’anéantissement total des ennemis équivaut ainsi à une victoire complète. C’est ce que montre aussi un bref épisode relatif aux Phliasiens (c. 369) : lors d’une escarmouche avec une arrière-garde argienne de soixante cavaliers, les Phliasiens ne tuèrent que quelques ennemis, mais, selon Xénophon, « ils n’en élevèrent pas moins un trophée sous les yeux des Argiens, tout aussi bien que s’ils [les] avaient massacrés entièrement »31. Apparemment, les Phliasiens agirent dans l’intention de gonfler leur victoire, tout en se moquant des Argiens vaincus32.

20L’indice le plus clair montrant que les Grecs éprouvaient généralement de la joie quand se présentait la possibilité de tuer leurs ennemis ne se trouve ni dans la Cyropédie, ni dans les écrits historiques, mais dans le Hiéron, œuvre dans laquelle Xénophon fait dire au tyran que l’autocrate doit, certes, à la guerre faire les mêmes efforts que les citoyens, mais qu’il ne peut en tirer les mêmes joies :

  • 33 Xénophon, Hiéron, II, 15-16 : Αἱ μὲν γὰρ πόλεις δήπου ὅταν κρατήσωσι μάχῃ τῶν ἐναντίων, οὐ ῥᾴδιον ε (...)

Car lorsque les cités remportent une bataille contre leurs adversaires, il n’est pas facile d’exprimer tout le plaisir qu’ils éprouvent à mettre les ennemis en fuite, leur plaisir à les pourchasser, leur plaisir à les tuer, et à quel point ils sont fiers de cet exploit, à quel point ils en retirent une brillante réputation et à quel point ils se réjouissent en pensant qu’ils ont fait prospérer leur cité. Chacun affecte d’avoir participé au combat et d’avoir tué un très grand nombre d’ennemis, et il est difficile de trouver des cas où ils ne mentent pas encore plus, allant jusqu’à prétendre d’avoir tué plus d’ennemis qu’il n’en est mort en réalité ; c’est dire à quel point il leur paraît beau de remporter une grande victoire33.

  • 34 De même, Cyrus l’Ancien exprime sa joie lorsqu’il poursuit des ennemis (cf. Xénophon, Cyropédie I, (...)
  • 35 Ainsi Echeverría Rey 2011, 72 ; Crowley 2012, 95 et Konijnendijk 2018, 196 ; sur la « tension confr (...)
  • 36 De même, le Socrate de Xénophon affirme qu’il n’y a pas que des avantages et des bénéfices, mais au (...)

21À l’opposé des citoyens, un tyran ne peut pas savourer la victoire et s’en réjouir. Selon Xénophon, l’euphorie de la victoire naît précisément de la chance se présentant aux guerriers d’abattre sans risque des adversaires déjà vaincus et en fuite34. C’est le moment dans le cours de la bataille où la « tension confrontationnelle » se dissipe et se transforme en une tuerie effrénée, qui est à l’origine de cette joie35. En outre, les citoyens éprouvent de la fierté et de la joie précisément parce qu’ils pensent qu’en tuant ils sont venus à l’aide de leur cité36.

  • 37 Xénophon, Cyropédie VII, 1, 13 : Ἐπίστασθε μέν, οἶμαι, ὦ ἄνδρες, ὅτι νῦν ἆθλα πρόκειται τοῖς νικῶσι (...)
  • 38 Des exagérations de ce genre se trouvent déjà chez Archiloque Fr. 101W = 61D ; Schmitz 2020 traite (...)

22Le nombre d’ennemis tués pouvait sembler secondaire d’un point de vue rationnel et fonctionnel, mais il rendait l’ampleur de la victoire perceptible, visible et tangible pour tous, et offrait un critère permettant de chiffrer la contribution de chacun à une victoire au service de la cité. En ce sens, tuer, se réjouir et vaincre forment un tout. Ce lien est également mis en évidence dans la Cyropédie : le roi perse stimule ses soldats en faisant référence aux récompenses de l’armée victorieuse – poursuivre, frapper, tuer, posséder, être glorieux, être libre et avoir du pouvoir37. En outre, il était possible de mesurer sa gloire personnelle et d’entrer en compétition avec ses concitoyens en fonction du nombre d’ennemis que l’on avait tués de ses propres mains ; même si, sans doute, la confusion régnant sur le champ de bataille invitait à exagérer et à embellir ses propres faits d’armes38. Exceptionnellement, Xénophon évoque donc ici les expériences et les émotions des simples soldats qui n’avaient normalement pas leur place dans les écrits historiques. L’auteur y donne un bref et très rare aperçu des sensations et perceptions positives que les soldats éprouvaient en tuant au combat : tuer était cause de joie, de gloire et de victoire.

  • 39 Cf. Xénophon, Anabase, II, 6,1-15 ; Xénophon décrit les actes critiquables de Cléarque envers ses p (...)
  • 40 Cf. Xénophon, Hiéron, II, 6-8 : la paix est le souverain bien ; Xénophon, Hiéron, VI, 9 : la guerre (...)

23Cependant, Xénophon peut également émettre des réserves sur le caractère de personnes qui ne vivaient que pour la guerre et le combat. Ainsi, si Xénophon admire bien le stratège spartiate des Dix-Mille, Cléarque, essentiellement parce qu’il entraînait comme nul autre les soldats à sa suite au combat, il souligne toutefois que ce dernier était beaucoup trop sévère et violent envers ses subordonnés, qu’il était facilement pris de fureur et d’un caractère inabordable. Cléarque se passionnait vivement pour la guerre, il poursuivait volontiers ses ennemis, en un mot, il était un guerrier-né. Ce Spartiate préféra toujours la guerre à la paix39. Mais Xénophon, lui, considérait la paix comme un bien supérieur, et la guerre pour la guerre rencontrait apparemment sa désapprobation40. Du reste, il n’existe pas un seul passage dans son œuvre où il préconise de tuer uniquement pour tuer ou bien où il attribue une qualité esthétique au fait de tuer des ennemis.

Indignation relative face à l’acte de tuer

  • 41 Les quelques remarques antiques condamnant la guerre et donc l’homicide en général sont discutées e (...)
  • 42 Voir les documents recueillis par Pritchett 1971-1991, V, 203-312 chez Thucydide, Xénophon, Polybe (...)
  • 43 Cf. Xénophon, Mémorables, IV, 2, 15 : Δεινὸν γὰρ ἂν εἴη, ἔφη. ­ Τί δ᾽ ; ­ Ἐάν τις στρατηγὸς αἱρεθεὶ (...)
  • 44 Xénophon, Cyropédie, VII, 5, 73 : Καὶ μηδείς γε ὑμῶν ἔχων ταῦτα νομισάτω ἀλλότρια ἔχειν : νόμος γὰρ (...)
  • 45 Cf. Xénophon, Anabase, IV, 1, 20-26.

24Pour autant, il n’est guère surprenant que tuer à la guerre ne fasse pas, chez Xénophon, l’objet de critique de principe41. À ses yeux, la décision de massacrer la population masculine d’une cité conquise, de la réduire en esclavage ou de la laisser en liberté relevait de l’arbitraire des vainqueurs42. Dans les Mémorables, il fait par exemple expliquer à Socrate qu’en temps de guerre il est juste d’asservir les citoyens d’une cité conquise43. C’est une loi immuable, comme le souligne également Cyrus dans la Cyropédie, que les habitants d’une ville conquise appartiennent au conquérant et qu’il peut en disposer à sa guise44. Xénophon lui-même, en sa qualité d’un des stratèges des Dix-Mille, a fait interroger et tuer un prisonnier sous les yeux d’un autre, pour forcer ce dernier à servir de guide aux Grecs. Dans la mesure où il ne se critique certainement pas lui-même, l’épisode qu’il développe avec soin sert à mettre en évidence l’ingéniosité du stratège Xénophon, qui a réussi, grâce à ce stratagème, à extraire l’armée d’une situation périlleuse45.

  • 46 Xénophon, Anabase, III, 4, 5.
  • 47 Ainsi par exemple Muller 2014, 54.
  • 48 Sur les mutilations et les mauvais traitements dans la conduite de la guerre chez les Grecs, voir p (...)
  • 49 Sur la définition et la fonction des normes sociales, voir Popitz 1980 et 2006 ; sur le rapport ent (...)
  • 50 Voir Muller 2014, 50-51.

25C’est sans doute dans ce sens qu’il faut comprendre la brève remarque selon laquelle les mercenaires grecs en fuite mutilèrent des Perses tués afin d’effrayer leurs propres poursuivants. On a parfois considéré le renseignement fourni par Xénophon, indiquant que les mercenaires agirent « sans en avoir reçu l’ordre »46, comme une prise de distance de sa part vis-à-vis de l’acte auquel lui-même assista47. En principe, les chercheurs estiment en effet que maltraiter et mutiler le corps des vaincus était considéré comme une transgression des normes établies chez les Grecs48. Les normes sociales doivent être comprises – en opposition à la notion de normalité – comme des prescriptions d’action concrètes et les transgressions de normes doivent également entraîner le risque d’une sanction49. Cependant, l’épisode a pour finalité principale d’accentuer la perception de la situation dangereuse dans laquelle se trouvaient à ce moment-là les Grecs, qui luttaient pour leur survie et étaient même contraints de recourir à des mesures extrêmes. Dans cette perspective, au lieu de soumettre le comportement des mercenaires à une analyse critique, Xénophon en note juste le succès. Et, de fait, les ennemis se retirèrent et les Grecs bénéficièrent d’une sécurité temporaire. Outre la situation périlleuse dans laquelle se trouvaient les mercenaires grecs, le fait que les victimes soient des barbares joue sans doute un rôle. De toute façon, les propos de Xénophon ne permettent pas de dire avec certitude ce que les Grecs firent avec les cadavres perses. Le verbe αἰκίζω utilisé est très peu spécifique, pouvant désigner différentes formes de mauvais traitements et d’outrages50. Quoi que les Grecs aient fait aux cadavres perses, Xénophon ne veut pas le relater en détail, probablement parce qu’il a bien perçu le conflit qui pouvait se jouer, d’un point de vue normatif, entre le refus de maltraiter les morts et le fait d’assurer la survie des Dix-Mille. En tout cas, l’épisode montre clairement que, pour Xénophon, au moins dans les situations d’urgence, la fin justifie les moyens.

  • 51 Voir Couvenhes 2011, dont l’argumentation se base sur l’épisode rapporté par Xénophon dont il est q (...)

26Dans d’autres cas, Xénophon et, avec lui, l’historiographie grecque en général ne laissent aucun doute sur le fait que les mutilations constituaient des transgressions évidentes et que leurs auteurs méritaient d’être punis51. Le décret des Athéniens qui stipule de couper la main droite des vaincus dans l’éventualité où ils remporteraient la bataille d’Aigos Potamos (405) est mis en évidence comme un crime athénien particulièrement odieux, conjointement avec la noyade des équipages de deux trières, ordonnée par le stratège athénien Philoclès. Selon Xénophon, Lysandre et ses alliés se consultèrent sur le traitement approprié et soutinrent de nombreuses accusations contre les Athéniens en sus des points déjà mentionnés. Lysandre et ses alliés s’en servirent pour justifier l’exécution des prisonniers de guerre athéniens et le chef spartiate fit explicitement exécuter Philoclès pour παρανομία.

  • 52 Voir la discussion approfondie sur le personnage d’Adimante chez Kapellos 2009 ; sur l’épisode enti (...)
  • 53 Sur ce point, citant les travaux plus anciens, Kapellos 2019c, 133-216.

27Xénophon ne suggère aucune critique personnelle de cette exécution dans son récit, au contraire. Ainsi, il mentionne comment l’Athénien Adimante, pour s’être opposé à la décision de l’assemblée, fut épargné, si bien que, plus tard, les Athéniens l’accusèrent de trahison52, mais s’il lui accorde tant d’attention, c’est sans doute précisément parce qu’il pouvait ainsi évoquer la condamnation des stratèges athéniens pour ne pas avoir récupéré les morts après la bataille des Arginuses (406), dans le cadre d’un procès à l’occasion duquel Euryptolème avait pris la défense des stratèges, sans pouvoir empêcher la foule en colère de condamner les accusés. L’exécution des stratèges de la bataille des Arginuses, le décret de mutilation à Aigos Potamos, ainsi que la diffamation d’Adimante représentaient en effet, pour Xénophon, des excès particulièrement répréhensibles de la démocratie radicale d’Athènes53. Dans son récit, Xénophon suggère ainsi que la justification des Spartiates pour l’exécution des Athéniens était tout à fait légitime : ils avaient commis de graves crimes, ils n’avaient pas fait preuve de retenue et méritaient donc d’être punis par vengeance.

  • 54 Voir Buis 2018, 161-166 (avec d’autres références bibliographiques).
  • 55 Xénophon, Anabase, V, 7, 14-35 ; cf. V, 7, 2 ; au sujet de cet épisode, on se référera à O’Connor 2 (...)
  • 56 Cf. Xénophon, Anabase, VII, 1 ; et surtout VII, 1, 25-31 pour la réaction de Xénophon ; au sujet de (...)
  • 57 Sur l’omission presque générale de « victimes » de la guerre chez Xénophon, voir les remarques déta (...)
  • 58 Xénophon, Helléniques, V, 3, 7 : Ἐκ μέντοι γε τῶν τοιούτων παθῶν ὡς ἐγώ φημι ἀνθρώπους παιδεύεσθαι (...)

28Outre le respect du corps de l’ennemi, la protection des hérauts et, dans une moindre mesure, des ambassadeurs faisait partie des normes les plus importantes de la guerre, et l’usage de la force contre ces personnes constituait incontestablement une transgression des usages de la diplomatie54. Xénophon le stratège se scandalise particulièrement d’un incident avec des envoyés de la cité de Cérasonte qui ont paniqué lorsqu’une dispute violente éclata dans le camp des Dix-Mille55. Ce qu’il critique, c’est particulièrement le fait que les Grecs laissèrent libre cours à la violence. Dans un long discours, Xénophon réprimande sévèrement les soldats concernés, les qualifie de chiens enragés et leur démontre ensuite surtout les conséquences pratiques de leur manière d’agir imprudente et impie. De même, dans un autre passage de l’œuvre, il avertit les Grecs de ne pas piller Byzance, même s’ils avaient été trompés par les Lacédémoniens tenant la place, et évite ainsi de justesse un bain de sang. Xénophon craint surtout de s’attirer l’hostilité des Spartiates et le mépris pesant sur ceux qui détruiraient une cité grecque innocente56. Bien qu’il expose, dans les deux cas précédents, l’injustice que les Grecs commettraient en tuant, il veut surtout démontrer les conséquences d’un tel acte : la perte de confiance et de réputation, et le risque de vengeance légitime de la part des ennemis. C’est donc avant tout en argumentant rationnellement et fonctionnellement et en avertissant son lecteur des sanctions qui pourraient résulter de ces actes que Xénophon soutient qu’il est préférable de se soumettre aux normes qu’il sous-entend. Dans l’Anabase, il n’a donc pas pour objectif premier d’éviter des morts, mais de prévenir ses troupes des conséquences qu’entraîne un comportement déraisonnable57. De même, il souligne dans les Helléniques les enseignements qu’il faut tirer de la mort du général spartiate Thibron, qui se laissa prendre dans une embuscade et y périt : à savoir de ne jamais agir de manière irréfléchie et sous le coup de la colère, mais toujours de manière pondérée et intelligente, car c’est ainsi que l’on peut non seulement rester à l’abri des coups de ses adversaires, mais surtout faire le plus de mal à ses ennemis58.

  • 59 Sur la φιλανθρωπία des deux rois, voir Azoulay 2018, 191-197 ; cf. Xénophon, Agésilas, I, 22 (Agési (...)
  • 60 Il en va de même pour le traitement des prisonniers de guerre : d’une part, Agésilas ordonna que le (...)
  • 61 Cf. Xénophon, Cyropédie, IV, 4.

29Mais, d’un point de vue utilitaire, Xénophon explique également pourquoi il est, dans la plupart des cas, préférable de ménager ses ennemis et d’atteindre ses objectifs sans violence. Ce sont notamment Agésilas et Cyrus le Grand qui font preuve de cette forme spécifique de φιλανθρωπία et qui n’exploitent point le droit du vainqueur, préférant, par la persuasion, gagner à leur cause des cités entières, des vaincus et des soumis59. Pour Xénophon, Agésilas et Cyrus étaient de bons chefs justement parce qu’ils savaient quand il était approprié d’utiliser la violence et quand il valait mieux atteindre ses propres objectifs par d’autres moyens60. Ainsi, Xénophon reconnaît à Cyrus la vertu d’avoir épargné ceux qui se rendaient, mais d’avoir tué ceux qui résistaient61.

  • 62 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 3, 1-3.

30Les réactions à un seul et même événement rapporté par Xénophon diffèrent parfois selon le point de vue adopté. Ainsi, il décrit d’un côté, dans les Helléniques, la joie d’Agésilas face à la victoire des Spartiates près de la rivière Némée (394) et devant le grand nombre d’ennemis tués au cours de cette bataille, ainsi que son ordre à Dercylidas de répandre au plus vite la nouvelle62 et il évoque, par ailleurs, le manque de satisfaction d’Agésilas, protagoniste de l’œuvre du même nom, qui se plaint ainsi de l’issue du combat :

  • 63 Xénophon, Agésilas, VII, 5 : Ὦ Ἑλλάς, ὁπότε οἱ νῦν τεθνηκότες ἱκανοὶ ἦσαν ζῶντες νικᾶν μαχόμενοι πά (...)

Hélas à toi, Grèce, puisque ceux qui sont aujourd’hui morts étaient aptes vivants à vaincre au combat tous les Barbares63.

  • 64 Sur l’ambivalence du panhellénisme dans l’Agésilas, voir Harman 2012 et Laforse 2013 ; sur les diff (...)
  • 65 Cf. Xénophon, Agésilas, II, 4-5 ; les Helléniques rapportent des faits très similaires : Xénophon, (...)

31Il ne s’agit là pas d’une critique de la victoire spartiate ; en réalité, Xénophon regrette qu’une bataille opposant des Grecs à d’autres Grecs se soit produite et se sert ici d’un lieu commun panhellénique pour faire de son héros le champion des Grecs64. Pourtant, même dans son éloge, Agésilas peut parallèlement se réjouir sans réserve de victoires sur des Grecs. Après la victoire contre les Thessaliens à Narthakion (394), le roi spartiate se fit surtout gloire d’avoir anéanti la cavalerie qui faisait la fierté des guerriers de Thessalie. Ainsi, il ne se contenta pas d’ériger un monument à sa victoire et tira le plus de satisfaction possible de son succès en restant longtemps sur le champ de bataille65.

  • 66 Cf. Xénophon, Anabase, IV, 1, 12-13 ; cf. I, 2, 25-26 (les Dix-Mille, furieux d’avoir perdu quelque (...)
  • 67 Cf. Xénophon, Agésilas, I, 21 : Πολλάκις δὲ ὁπότε μεταστρατοπεδεύοιτο, εἰ αἴσθοιτο καταλελειμμένα π (...)
  • 68 Sur l’omission de la violence sexuelle dans l’historiographie grecque, voir Payen 2012, 172-178 et (...)

32Certains actes de violence sont néanmoins complètement passés sous silence par Xénophon. C’est le cas, par exemple, de la réduction en esclavage des femmes, des enfants et des vieillards qui étaient, pourtant, une pratique courante lorsque des villes étaient prises et pillées, y compris par les Dix-Mille qui acquirent rapidement un grand nombre de prisonniers66. Du reste, quand Xénophon considère qu’Agésilas a agi singulièrement en n’abandonnant pas à une mort certaine des enfants délaissés par des marchands et en les emmenant avec lui, cela montre bien à quel point les personnes sans défense étaient souvent menacées de la mort elle-même, quoique l’historiographie n’en parle guère67. Globalement, Xénophon passe sous silence la violence envers les non-combattants et leur mise à mort, ainsi que la violence sexuelle dans son ensemble. Celle-ci faisait partie de la pratique courante de la guerre, mais on n’en traitait pas, notamment parce que les agressions sexuelles et violentes contre les femmes grecques de naissance libre, même quand elles étaient faites prisonnières de guerre, étaient considérées comme déshonorantes68.

33Alors que ces aspects de la violence guerrière étaient apparemment largement tabous, l’acte de tuer lui-même n’est pourtant jamais critiqué par Xénophon. La violence et la mise à mort en temps de guerre ne deviennent controversées que lorsque, à ses yeux, elles ne touchent pas les bonnes personnes ou si elles sont liées à des pratiques contraires aux normes. Les normes en vigueur influaient fortement sur son jugement, car elles impliquaient forcément certaines interprétations et Xénophon ne les remettait nullement en question, ni n’en contestait la validité. Pour autant, il lui était toujours possible de trouver quelque prétexte – ces derniers pouvant ne pas être partagés par tout le monde – justifiant le recours à la violence et au fait de tuer.

Conclusion

  • 69 Voir par exemple, pour Athènes, Crowley 2012.

34Pour Xénophon, le choix d’approuver ou de désapprouver les actes de mise à mort dépendait de la perspective adoptée. En revanche, cela ne soulevait pas de question qu’on tuât à la guerre, ce qui n’est guère étonnant étant donné que les citoyens des cités grecques étaient préparés dès leur plus jeune âge à partir en guerre pour leur cité69. Pour autant, tuer à la guerre n’est pas non plus glorifié ou esthétisé chez Xénophon : tuer pendant la guerre est une normalité, mais tuer le plus d’ennemis possible n’est pas non plus présenté comme un but en soi. Le plaisir de tuer, qui apparaît dans certains passages ou remarques de Xénophon, est en premier lieu l’expression de la victoire et d’une juste vengeance.

  • 70 … Mais qui n’était pas non plus régie par des règles fixes, comme le postule par exemple Ober 1996 (...)

35Dans le fond, l’acte de tuer lui-même n’est critiqué nulle part. Si, dans certaines circonstances, Xénophon attire l’attention de ses lecteurs sur les conséquences de l’emploi de la violence, l’auteur ne s’en indigne seulement que pour des raisons d’ordre utilitaire. Le général avisé devait donc réfléchir, avec soin et en tenant compte des conséquences potentielles, non seulement à qui on voulait livrer bataille, mais aussi à la manière dont on traiterait les ennemis vaincus. Il ressort ainsi très clairement que tuer à la guerre n’était pas pour Xénophon une activité dépourvue de normes70. Quoiqu’il n’ait certes pas connu de jus in bello fixé, Xénophon montre aussi que certains actes, notamment les mutilations, les outrages aux dieux et les attaques non provoquées contre des personnes sans défense, transgressaient incontestablement des normes tacites. Ces limites normatives n’étaient toutefois que rarement absolues : dans presque tous les cas, si l’on pouvait justifier que la nécessité imposait un traitement particulier ou que les ennemis le méritaient en guise de châtiment, tuer pouvait être justifié et légitimé.

36En définitive, tuer à la guerre est donc un acte très ambivalent chez Xénophon : s’il peut, en effet, être pensé comme un moyen justifié par sa fin par les stratèges et être pratiqué sans remords par les simples soldats, qui le considéraient alors comme une source de gloire personnelle et collective, dans le cadre d’un combat brutal au service de leur communauté, il peut aussi être sévèrement condamné, en particulier quand les bourreaux et les victimes étaient les uns et les autres grecs.

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Notes

1 Xénophon, Anabase, III, 2, 39 : Ὅστις τε ζῆν ἐπιθυμεῖ, πειράσθω νικᾶν· τῶν μὲν γὰρ νικώντων τὸ καίνειν, τῶν δὲ ἡττωμένων τὸ ἀποθνῄσκειν ἐστί. Les textes grecs et leurs traductions sont cités d’après les volumes correspondants de la Collection des Universités de France (avec de légères modifications). Signalons qu’une nouvelle édition commentée de l’Anabase, en français, a été établie récemment par Denis Roussel et Roland Étienne (= Roussel & Étienne 2016). Pour l’Agésilas, la traduction de Michel Casevitz est utilisée (= Casevitz 2008).

2 Tuer à la guerre dans le monde grec a auparavant été traité par Burkert 1995 ; voir aussi Crowley 2012, 96-10 et Eck 2012, ainsi que Schmitz 2009 qui se concentre sur Xénophon. Sur la violence chez Xénophon, voir les articles parus dans Kapellos 2019a.

3 Voir Gray 2011, Tamiolaki 2012, Buxton 2016 et 2017 sur le bon général chez Xénophon ; voir également Flower 2015 pour la méthode de caractérisation indirecte.

4 Link 2002 et 2006. Il convient, par ailleurs, de distinguer la normalité (normalität) de la normativité (pour la distinction entre norme, normalité et normalisme [normalismus], voir Link 2006, 33-35 et Zirfas 2014). Les normes prescrivent un comportement spécifique, exigent d’être respectées et menacent de sanctions les personnes les transgressant. La normalité, en revanche, est un concept qui décrit un comportement auquel on peut s’attendre et qui n’a justement pas besoin d’être expliqué.

5 Sur la représentation des engagements militaires dans les Helléniques, voir Tuplin 1986 et Riedinger 1991, 207-244.

6 Ainsi Tuplin 1986, 40.

7 Ces éléments ont été soulignés, en ce qui concerne l’œuvre de Xénophon, par Schmitz 2009 notamment, et ne requièrent donc pas d’approfondissement dans le cadre du présent article.

8 Xénophon, Helléniques, V, 2, 43 : Πολλάκις μέντοι καὶ οἱ Ὀλύνθιοι καταθέοντες εἰς τὰς τῶν Λακεδαιμονίων συμμαχίδας πόλεις ἐλεηλάτουν καὶ ἄνδρας ἀπεκτίννυον (« Les Olynthiens n’en firent pas moins de fréquentes incursions contre les villes alliées de Lacédémone pour piller et massacrer ») ; sur le pillage et la violence qui l’accompagnait, voir Payen 2012, 163-169.

9 Xénophon, Helléniques, III, 1, 7 : Ἦν δὲ ἃς ἀσθενεῖς οὔσας καὶ κατὰ κράτος ὁ Θίβρων ἐλάμβανε (« Il y eut aussi des villes qui, mal défendues, furent prises de force par Thibron »).

10 Force est cependant de constater que Xénophon fit délibérément omission des horreurs et des violences réelles qu’impliquaient le pillage et la prise de villes (à ce sujet, voir infra). Dans cette perspective, il faudrait peut-être considérer la description incomplète des opérations militaires comme un moyen de faire oublier la violence à l’encontre de personnes sans défense.

11 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 3, 15-18 ; sur la bataille de Coronée, voir Sabin 2007, 114-117.

12 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 3, 19-20.

13 Xénophon, Helléniques, IV, 3, 19 : Καὶ συμβαλόντες τὰς ἀσπίδας ἐωθοῦντο, ἐμάχοντο, ἀπέκτεινον, ἀπέθνῃσκον.

14 Voir Gray 2011, 98 : « the possible point of the praise could be that he was brave beyond a doubt because he deliberately chose the course that was not safest » ; similairement Laforse 2013, 46 : « the description of the Battle of Coronea, which Agesilaus fought against a Greek coalition, concentrates on his bravery, fighting skill and mercy, while ignoring the political context in which the battle took place ». Sur la présentation du courage et des vertus d’Agésilas, voir Pontier 2018.

15 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 3, 20.

16 Pour une comparaison entre la description dans les Helléniques et dans l’Agésilas au regard des éléments sensoriels, voir Stoll 2021, 51-53.

17 Cf. Xénophon, Agésilas, II, 11-14 ; sur les liens et différences entre Helléniques et Agésilas, voir Pontier 2010.

18 Xénophon, Agésilas, II, 12 : Καὶ κραυγὴ μὲν οὐδεμία παρῆν, οὐ μὴν οὐδὲ σιγή, φωνὴ δέ τις ἦν τοιαύτη οἵαν ὀργή τε καὶ μάχη παράσχοιτ᾽ ἄν.

19 Xénophon, Agésilas II, 14 : Τὴν μὲν γῆν αἵματι πεφυρμένην, νεκροὺς δὲ κειμένους φιλίους καὶ πολεμίους μετ᾽ ἀλλήλων, ἀσπίδας δὲ διατεθρυμμένας, δόρατα συντεθραυσμένα, ἐγχειρίδια γυμνὰ κολεῶν, τὰ μὲν χαμαί, τὰ δ᾽ ἐν σώματι, τὰ δ᾽ ἔτι μετὰ χεῖρας.

20 Cet aspect est également souligné par Harman 2012, 440-442.

21 Voir à ce sujet Gilhaus 2019 (spécialement sur la joie et la malice chez Xénophon) ; pour la définition des émotions dans le monde grec, Konstan 2006 est fondamental.

22 Cf. Aristote, Rhétorique, II, 9 1386b26-33 (voir Gilhaus 2019, 155 avec d’autres références bibliographiques).

23 Toutes les attestations de rire et de joie dans les Helléniques sont rassemblées par Gilhaus 2019, 156-158.

24 Xénophon, Helléniques, IV, 4, 12 : Τὸ γὰρ ἐγχειρισθῆναι αὐτοῖς πολεμίων πλῆθος πεφοβημένον, ἐκπεπληγμένον, τὰ γυμνὰ παρέχον, ἐπὶ τὸ μάχεσθαι οὐδένα τρεπόμενον, εἰς δὲ τὸ ἀπόλλυσθαι πάντας πάντα ὑπηρετοῦντας, πῶς οὐκ ἄν τις θεῖον ἡγήσαιτο ; τότε γοῦν οὕτως ἐν ὀλίγῳ πολλοὶ ἔπεσον ὥστε εἰθισμένοι ὁρᾶν οἱ ἄνθρωποι σωροὺς σίτου, ξύλων, λίθων, τότε ἐθεάσαντο σωροὺς νεκρῶν. Ἀπέθανον δὲ καὶ οἱ ἐν τῷ λιμένι τῶν Βοιωτῶν φύλακες, οἱ μὲν ἐπὶ τῶν τειχῶν, οἱ δὲ ἐπὶ τὰ τέγη τῶν νεωσοίκων ἀναβάντες. Sur ce sujet, voir Schmitz 2009, 71-72 et Crowley 2012, 96-100 ; sur la gloire de mourir au combat, voir Xénophon, Anabase, III, 1, où Xénophon souligne que celui qui s’engage à fond au combat se bat aussi pour une mort glorieuse, pendant que celui qui essaie seulement de survivre, et cela par tous les moyens, récoltera « une mort lâche et honteuse » (Xénophon, Anabase, III, 1, 44 – idée reprise par Xénophon, Cyropédie, III, 3, 45).

25 Cf. Xénophon, Helléniques, III, 2, 4.

26 Cf. Xénophon, Hipparque, IV, 17-20.

27 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 4, 1-5 ; cf. aussi Xénophon, Anabase, III, 2, 3 : ῞Ομως δὲ δεῖ ἐκ τῶν παρόντων ἄνδρας ἀγαθοὺς τελέθειν καὶ μὴ ὑφίεσθαι, ἀλλὰ πειρᾶσθαι ὅπως, ἢν μὲν δυνώμεθα, καλῶς νικῶντες σῳζώμεθα : εἰ δὲ μή, ἀλλὰ καλῶς γε ἀποθνῄσκωμεν, ὑποχείριοι δὲ μηδέποτε γενώμεθα ζῶντες τοῖς πολεμίοις. Οἴομαι γὰρ ἂν ἡμᾶς τοιαῦτα παθεῖν οἷα τοὺς ἐχθροὺς οἱ θεοὶ ποιήσειαν (« Néanmoins, dans les circonstances présentes, il faut être des braves et ne pas nous décourager ; au contraire, faisons tous nos efforts pour nous sauver, si nous pouvons, par une victoire glorieuse. Si nous n’y parvenons pas, du moins mourons avec honneur, mais ne tombons jamais vivants aux mains de nos ennemis, car ce qu’alors je crois que nous souffririons, puissent les dieux le réserver à nos adversaires ! »).

28 Sur la rétribution divine et la condamnation explicite du comportement des Corinthiens par Xénophon, voir Pownall 1998, 254-255.

29 Cf. Xénophon, Helléniques, VII, 1, 31-32 ; voir par exemple Tuplin 1993, 140-141 sur Sparte après la défaite de Leuctres chez Xénophon ; Flower 2015, 122-124 sur l’image d’Archidamos ; sur la superbe des Arcadiens, cf. Xénophon, Helléniques, VII, 1, 22-26.

30 Cf. Xénophon, Helléniques, VII, 1, 32.

31 Xénophon, Helléniques, VII, 2, 4 : Τροπαῖον μέντοι ἐστήσαντο ὁρώντων τῶν Ἀργείων οὐδὲν διαφέρον ἢ εἰ πάντας ἀπεκτόνεσαν αὐτούς.

32 Les Phliasiens sont présentés de manière totalement positive dans cette partie des Helléniques ; le fait qu’ils se moquent des Argiens était sans doute justifié aux yeux de Xénophon ; voir Gray 1989, 166 (« Xenophon sympathises with the cheekiness of the men of the small city of Phlius and makes it a feature of the narrative ») et Dillery 1995, 130-138 ; pour la représentation de Phlionte chez Xénophon, voir Pontier 2020. Tuer le plus d’ennemis possible est également mentionné à plusieurs reprises dans la Cyropédie comme objectif de l’action guerrière, mais là, ce n’est pas lié à la fierté et à la joie, mais à des objectifs militaires ; cf. e.g. Xénophon, Cyropédie, IV, 2, 24-26, où Cyrus incite les jeunes à poursuivre les ennemis et à les tuer, car il est plus sûr de laisser en vie le moins d’ennemis possible ; cf. aussi IV, 1, 11 (le but de la poursuite des ennemis est d’en capturer ou d’en tuer le plus possible) et VII, 5, 31-34 (Cyrus menace de tuer tous les Babyloniens qui quitteraient leurs maisons).

33 Xénophon, Hiéron, II, 15-16 : Αἱ μὲν γὰρ πόλεις δήπου ὅταν κρατήσωσι μάχῃ τῶν ἐναντίων, οὐ ῥᾴδιον εἰπεῖν ὅσην μὲν ἡδονὴν ἔχουσιν ἐν τῷ τρέψασθαι τοὺς πολεμίους, ὅσην δ᾽ ἐν τῷ διώκειν, ὅσην δ᾽ ἐν τῷ ἀποκτείνειν τοὺς πολεμίους, ὡς δὲ γαυροῦνται ἐπὶ τῷ ἔργῳ, ὡς δὲ δόξαν λαμπρὰν ἀναλαμβάνουσιν, ὡς δ᾽ εὐφραίνονται τὴν πόλιν νομίζοντες ηὐξηκέναι. (16) Ἕκαστος δέ τις προσποιεῖται καὶ τῆς βουλῆς μετεσχηκέναι καὶ πλείστους ἀπεκτονέναι, χαλεπὸν δὲ εὑρεῖν ὅπου οὐχὶ καὶ ἐπιψεύδονται, πλέονας φάσκοντες ἀπεκτονέναι ἢ ὅσοι ἂν τῷ ὄντι ἀποθάνωσιν : οὕτω καλόν τι αὐτοῖς δοκεῖ εἶναι τὸ πολὺ νικᾶν.

34 De même, Cyrus l’Ancien exprime sa joie lorsqu’il poursuit des ennemis (cf. Xénophon, Cyropédie I, 4, 22).

35 Ainsi Echeverría Rey 2011, 72 ; Crowley 2012, 95 et Konijnendijk 2018, 196 ; sur la « tension confrontationnelle » au sens général du terme, voir Collins 2008 et l’entretien du sociologue américain dans Truc 2010.

36 De même, le Socrate de Xénophon affirme qu’il n’y a pas que des avantages et des bénéfices, mais aussi de grands plaisirs à aider les amis, à profiter de l’État et à vaincre ses adversaires (cf. Xénophon, Mémorables IV, 5, 10).

37 Xénophon, Cyropédie VII, 1, 13 : Ἐπίστασθε μέν, οἶμαι, ὦ ἄνδρες, ὅτι νῦν ἆθλα πρόκειται τοῖς νικῶσι μὲν διώκειν, παίειν, κατακαίνειν, ἀγαθὰ ἔχειν, καλὰ ἀκούειν, ἐλευθέροις εἶναι, ἄρχειν. Le rapprochement entre la joie et la victoire est opéré par exemple dans Xénophon, Cyropédie, IV, 1, 5.

38 Des exagérations de ce genre se trouvent déjà chez Archiloque Fr. 101W = 61D ; Schmitz 2020 traite de la méthode évaluant le courage individuel en fonction des ennemis tués par chacun, mais souligne toutefois que c’est avant tout le service à la communauté qui était honoré ; un enthousiasme pour la guerre et un esprit de compétition sont également perceptibles dans Xénophon, Poroi, IV, 8, où Xénophon explique que les hommes aiment dépenser de l’argent pour de belles armes.

39 Cf. Xénophon, Anabase, II, 6,1-15 ; Xénophon décrit les actes critiquables de Cléarque envers ses propres soldats dans l’Anabase, I, 3, 1-2 ; I, 5, 11 ; II, 2, 11 (voir Couvenhes 2005 sur le thème de la discipline et de la violence chez les Grecs) ; Roisman 1989 fournit des éléments biographiques au sujet de Cléarque ; Tritle 2000, 55-78 et Tritle 2004 (qui croit reconnaître chez Cléarque des signes de trouble anxieux post-traumatique).

40 Cf. Xénophon, Hiéron, II, 6-8 : la paix est le souverain bien ; Xénophon, Hiéron, VI, 9 : la guerre est un mal ; cf. aussi Xénophon, Mémorables, I, 2, 10-11.

41 Les quelques remarques antiques condamnant la guerre et donc l’homicide en général sont discutées en profondeur par Eich 2021.

42 Voir les documents recueillis par Pritchett 1971-1991, V, 203-312 chez Thucydide, Xénophon, Polybe et Diodore sur le traitement des prisonniers de guerre et des vaincus, en particulier après la conquête de villes ; voir aussi les contributions essentielles de Ducrey 1999 et de Van Wees 2016.

43 Cf. Xénophon, Mémorables, IV, 2, 15 : Δεινὸν γὰρ ἂν εἴη, ἔφη. ­ Τί δ᾽ ; ­ Ἐάν τις στρατηγὸς αἱρεθεὶς ἄδικόν τε καὶ ἐχθρὰν πόλιν ἐξανδραποδίσηται, φήσομεν τοῦτον ἀδικεῖν ; – Οὐ δῆτα, ἔφη. – Δίκαια δὲ ποιεῖν οὐ φήσομεν ; – Καὶ μάλα. – Τί δ᾽ ; Ἐὰν ἐξαπατᾷ πολεμῶν αὐτοῖς ; – Δίκαιον, ἔφη, καὶ τοῦτο (« Mais quoi ? Si un homme que l’on a élu stratège réduit en esclavage une cité injuste et ennemie, dirons-nous qu’il commet une injustice ? – Bien sûr que non, répondit-il. – Ne dirons-nous pas, au contraire, qu’il agit avec justice ? – Tout à fait. – Mais quoi ? S’il trompe les ennemis alors qu’il leur fait la guerre ? – C’est également juste, répondit-il »). Pour le reste, Xénophon exprime dans les Mémorables des opinions sur la guerre semblables à celles qui ressortent de ses autres œuvres : voir Xénophon, Mémorables, II, 1, 6 (la guerre, comme l’agriculture, est une activité humaine essentielle) ; II, 1, 28 (le but de la guerre est de libérer les amis et de surmonter les ennemis) ; III, 12, 1-3 (la guerre est une lutte à mort et il faut s’y entraîner pour minimiser le risque de tomber en esclavage) ; IV, 2, 29 (une cité qui entre en guerre contre des ennemis plus forts qu’elle doit s’attendre à être détruite ou réduite en esclavage).

44 Xénophon, Cyropédie, VII, 5, 73 : Καὶ μηδείς γε ὑμῶν ἔχων ταῦτα νομισάτω ἀλλότρια ἔχειν : νόμος γὰρ ἐν πᾶσιν ἀνθρώποις ἀίδιός ἐστιν, ὅταν πολεμούντων πόλις ἁλῷ, τῶν ἑλόντων εἶναι καὶ τὰ σώματα τῶν ἐν τῇ πόλει καὶ τὰ χρήματα (« Que personne surtout d’entre vous n’imagine qu’il possède là le bien d’autrui ; car il est une coutume immémoriale qu’une ville prise en temps de guerre appartient à ceux qui l’ont prise, habitant inclus, corps et biens »).

45 Cf. Xénophon, Anabase, IV, 1, 20-26.

46 Xénophon, Anabase, III, 4, 5.

47 Ainsi par exemple Muller 2014, 54.

48 Sur les mutilations et les mauvais traitements dans la conduite de la guerre chez les Grecs, voir par exemple Bernand 1999, 412-418 ; Couvenhes 2011 ; Muller 2014 (et plus généralement Allély 2014). Pimouguet-Pédarros 2021 résume le débat sur l’existence de règles de conduite de la guerre dans l’Antiquité grecque.

49 Sur la définition et la fonction des normes sociales, voir Popitz 1980 et 2006 ; sur le rapport entre norme et transgression, voir les brèves réflexions de Gilhaus 2020 ; sur le problème de l’absence de sanctions en cas de transgression dans le domaine de la conduite de la guerre, voir Lanni 2008, 472-476, qui insiste toutefois sur le fait que les transgressions des normes pouvaient avoir des conséquences sur la réputation des acteurs : « It bears noting here that the absence of formal enforcement mechanisms may have posed less a challenge to compliance in ancient Greece than it does today. The importance of honor and status in the ancient world meant that reputational sanctions had serious bite. And, in at least some cases, fear of divine sanctions may have provided material incentives to comply with the law » (476).

50 Voir Muller 2014, 50-51.

51 Voir Couvenhes 2011, dont l’argumentation se base sur l’épisode rapporté par Xénophon dont il est question ici ; mais voir aussi Bernand 1999, 412-418 ; Muller 2014 et Muller 2017. Même si Xénophon rejetait généralement les mutilations et les châtiments corporels, il acceptait apparemment qu’il s’agît d’une pratique pénale courante dans l’Empire perse ; il loue en effet Cyrus le Jeune pour avoir fait régner la loi et l’ordre sur son territoire et pour avoir sévèrement puni les criminels. Par conséquent, on put voir partout des gens avec les mains, les pieds et les yeux coupés (Xénophon, Anabase, I, 9, 13) ; pour le portrait de Cyrus, voir Flower 2012, 188-194.

52 Voir la discussion approfondie sur le personnage d’Adimante chez Kapellos 2009 ; sur l’épisode entier (Xénophon, Hellénique, II, 1, 31-32) et son contexte, voir aussi Kapellos 2013, 2019b et 2019c, 217-254.

53 Sur ce point, citant les travaux plus anciens, Kapellos 2019c, 133-216.

54 Voir Buis 2018, 161-166 (avec d’autres références bibliographiques).

55 Xénophon, Anabase, V, 7, 14-35 ; cf. V, 7, 2 ; au sujet de cet épisode, on se référera à O’Connor 2016 et Harris 2019, 104-110.

56 Cf. Xénophon, Anabase, VII, 1 ; et surtout VII, 1, 25-31 pour la réaction de Xénophon ; au sujet de cet épisode, voir Flower 2012, 150-152.

57 Sur l’omission presque générale de « victimes » de la guerre chez Xénophon, voir les remarques détaillées de Schmitz 2009.

58 Xénophon, Helléniques, V, 3, 7 : Ἐκ μέντοι γε τῶν τοιούτων παθῶν ὡς ἐγώ φημι ἀνθρώπους παιδεύεσθαι μάλιστα μὲν οὖν ὡς οὐδ᾽ οἰκέτας χρὴ ὀργῇ κολάζειν· πολλάκις γὰρ καὶ δεσπόται ὀργιζόμενοι μείζω κακὰ ἔπαθον ἢ ἐποίησαν· ἀτὰρ ἀντιπάλοις τὸ μετ᾽ ὀργῆς ἀλλὰ μὴ γνώμῃ προσφέρεσθαι ὅλον ἁμάρτημα. Ἡ μὲν γὰρ ὀργὴ ἀπρονόητον, ἡ δὲ γνώμη σκοπεῖ οὐδὲν ἧττον μή τι πάθῃ ἢ ὅπως βλάψῃ τι τοὺς πολεμίους (« De pareils accidents, je le déclare, peuvent au moins apprendre aux hommes qu’il ne faut en règle générale châtier personne, avec colère, même les esclaves – car on voit souvent le maître en colère subir plus de tort qu’il n’en a fait ; mais alors, quand il s’agit d’ennemis, les assaillir dans la colère et non avec réflexion, c’est pure folie. La colère ne sait pas prévoir, tandis que la réflexion ne cherche pas moins à éviter le mal qu’à en faire à l’adversaire ») ; sur le concept d’ὀργή chez Xénophon, voir Tuci 2019.

59 Sur la φιλανθρωπία des deux rois, voir Azoulay 2018, 191-197 ; cf. Xénophon, Agésilas, I, 22 (Agésilas reprend en main, grâce à son amour des hommes, des cités qu’il ne put prendre par la force) ; Cyropédie, I, 2,1 (les Perses louent encore aujourd’hui Cyrus pour sa philanthropie) ; I, 4, 4 (jeune, Cyrus prend fait et cause pour ses pairs en raison de sa philanthropie) ; IV, 2, 10 (beaucoup de personnes avaient reçu beaucoup de bien de la part de son grand-père du fait de sa philanthropie) ; VII, 5, 72-79 (lors de la prise de Babylone, Cyrus ne profite pas du droit du vainqueur, mais traite les Babyloniens humainement afin de consolider son contrôle sur la cité) ; VIII, 2, 1 (Cyrus se distingue par une grande philanthropie et cherche toujours à gagner d’autres à sa cause) ; VIII, 4, 7 (Cyrus se distingue encore plus par sa philanthropie que par sa maîtrise de l’art militaire) ; VIII, 7, 25 (Cyrus, mourant, se qualifie d’ami des hommes) ; cf. plus généralement, à propos du précepte qu’il vaut mieux ménager ses ennemis que les détruire, Xénophon, Agésilas, I, 20 (Agésilas gagne des villes non seulement par la force, mais aussi par la douceur) ; Cyropédie, III, 2, 12-14 (Cyrus traite les prisonniers avec douceur et se fait ainsi des alliés) ; VII, 1, 41-45 (Cyrus épargne les Égyptiens en raison de leur bravoure et les intègre à son armée) ; cf. également l’éloge des Phléasiens dans Xénophon, Helléniques, VII, 2, 16 : Καλὸν δὲ καὶ τοῦτο διεπράξαντο οἱ Φλειάσιοι· τὸν γὰρ Πελληνέα πρόξενον ζῶντα λαβόντες, καίπερ πάντων σπανιζόμενοι, ἀφῆκαν ἄνευ λύτρων. Γενναίους μὲν δὴ καὶ ἀλκίμους πῶς οὐκ ἄν τις φαίη εἶναι τοὺς τοιαῦτα διαπραττομένους; (« Voici encore une belle action accomplie par les Phliasiens : ils avaient pris vivant leur proxène à Pellène et, quoiqu’ils fussent dépourvus de tout, ils le renvoyèrent sans rançon. La générosité et la force d’âme, comment les dénier à des gens qui se conduisaient de la sorte ? »).

60 Il en va de même pour le traitement des prisonniers de guerre : d’une part, Agésilas ordonna que les prisonniers de guerre ne fussent pas traités comme des criminels, mais comme des êtres humains auxquels on doit le respect (cf. Xénophon, Agésilas, I, 21) ; d’autre part, un peu plus tard dans son éloge d’Agésilas, Xénophon mentionne également que le roi fit vendre nus des prisonniers de guerre barbares afin de montrer à ses soldats à quel point les ennemis étaient efféminés (cf. Xénophon, Agésilas, I, 28 ; anecdote déjà incluse dans Xénophon, Helléniques, III, 4, 19). Il n’y a point là de contradiction : le roi spartiate agit simplement de manière différente suivant la situation. Dans le premier cas, il s’agit de transformer ses ennemis en amis, dans l’autre, de motiver ses propres soldats à combattre.

61 Cf. Xénophon, Cyropédie, IV, 4.

62 Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 3, 1-3.

63 Xénophon, Agésilas, VII, 5 : Ὦ Ἑλλάς, ὁπότε οἱ νῦν τεθνηκότες ἱκανοὶ ἦσαν ζῶντες νικᾶν μαχόμενοι πάντας τοὺς βαρβάρους.

64 Sur l’ambivalence du panhellénisme dans l’Agésilas, voir Harman 2012 et Laforse 2013 ; sur les différentes réactions d’Agésilas, voir Humble 2021, 225-226, ainsi que Tuplin 1993, 67 : « The philhellenic and panhellenist tendencies of Agesilaus are simply absent in Hellenica » ; pour une comparaison entre Agésilas et les Helléniques, voir aussi Humble 2020 et 2021, 221-237.

65 Cf. Xénophon, Agésilas, II, 4-5 ; les Helléniques rapportent des faits très similaires : Xénophon, Helléniques, IV, 3, 9 ; le déroulement de la bataille est décrit en IV, 3, 3-8.

66 Cf. Xénophon, Anabase, IV, 1, 12-13 ; cf. I, 2, 25-26 (les Dix-Mille, furieux d’avoir perdu quelques hommes, prennent une ville et la pillent. Xénophon ne dit rien sur le traitement de la population) ; II, 5, 27 (Tissapherne autorise les Grecs à piller des villages, mais leur interdit de faire des esclaves).

67 Cf. Xénophon, Agésilas, I, 21 : Πολλάκις δὲ ὁπότε μεταστρατοπεδεύοιτο, εἰ αἴσθοιτο καταλελειμμένα παιδάρια μικρὰ ἐμπόρων, ἃ πολλοὶ ἐπώλουν διὰ τὸ νομίζειν μὴ δύνασθαι ἂν φέρειν αὐτὰ καὶ τρέφειν, ἐπεμέλετο καὶ τούτων ὅπως συγκομίζοιντό ποι (« souvent aussi, lors d’un changement de camp, s’il s’apercevait qu’on avait laissé sur place des petits esclaves de marchands, que beaucoup vendaient parce qu’ils pensaient ne pas pouvoir les emmener et les nourrir, il veillait à ce qu’ils fussent amenés avec le reste à quelque endroit ») ; voir sur cet épisode Azoulay 2018, 208.

68 Sur l’omission de la violence sexuelle dans l’historiographie grecque, voir Payen 2012, 172-178 et Gaca 2011, 75 ; l’indignation que le traitement violent de femmes grecques asservies pouvait provoquer est illustrée en particulier par Démosthène, XIX, Sur les forfaitures de l’Ambassade, 196-198, ainsi qu’Eschine, II, Sur l’Ambassade, 4 et 153-158 : ces trois passages relatent le traitement déshonorant d’une prisonnière de guerre originaire d’Olynthe lors d’un banquet en Macédoine, auquel Eschine avait participé.

69 Voir par exemple, pour Athènes, Crowley 2012.

70 … Mais qui n’était pas non plus régie par des règles fixes, comme le postule par exemple Ober 1996 (pour la discussion sur le « droit de la guerre » en Grèce classique, voir entre autres Krentz 2002 ; Scheibelreiter 2007 ; Lanni 2008 ; Van Wees 2011 ; Buis 2018).

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Pour citer cet article

Référence papier

Lennart Gilhaus, « Tuer à la guerre chez Xénophon : normalité, joie et indignation relative »Kentron, 37 | 2022, 35-58.

Référence électronique

Lennart Gilhaus, « Tuer à la guerre chez Xénophon : normalité, joie et indignation relative »Kentron [En ligne], 37 | 2022, mis en ligne le 20 janvier 2023, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/5914 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.5914

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Auteur

Lennart Gilhaus

Université de Bonn, Institut für Geschichtswissenschaft

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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