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Dossier thématique : L’emprunt, une pratique d’écriture

Y a-t-il un phénix dans la Bible ? À propos de Job 29, 18, de Tertullien (De resurrectione carnis 13, 2-3) et d’Ambroise (De excessu fratris 2, 59)

Françoise Lecocq
p. 55-82

Résumés

Malgré deux apparentes références à un phénix scripturaire chez des auteurs chrétiens, et malgré une certaine exégèse juive de Job 29:18, il n’y a pas d’oiseau dans ce verset biblique où se rencontre la traditionnelle image du sable comme expression d’un grand nombre. La Septante ayant, pour des raisons qui nous échappent, changé le texte hébreu en privilégiant l’image de l’arbre, y introduit un palmier phoinix homonyme de l’oiseau en grec, suivie des siècles plus tard par saint Jérôme dans sa traduction latine de la Vulgate. Même les documents linguistiques nouveaux des tablettes d’Ébla ne prouvent pas que la lecture massorétique soit autre chose qu’une interprétation. Le phénix juif des légendes rabbiniques est un emprunt à la mythologie gréco-romaine, comme l’est donc aussi le phénix chrétien. Les traductions modernes de la Bible rétablissent presque toutes le sable à la place du palmier dans le texte de Job.

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Texte intégral

  • 1 On trouve aussi les graphies chol, chowl, howl, khol, parfois avec un accent circonflexe.
  • 2 Cf. Hubaux & Leroy 1939, 49 et 105, qui ne se prononcent pas ; Van den Broek 1972, 59 sq. e (...)

1On lit chez deux auteurs anciens, ainsi que chez quelques chercheurs contemporains, que le phénix est attesté dans la Bible. Pour l’Antiquité, il s’agit de Tertullien et d’Ambroise, parmi les dizaines d’auteurs chrétiens qui ont parlé du phénix. Tertullien, dans sa citation du psaume XCI, traduit par « phénix » l’hébreu « palmier » : c’est le même mot en grec pour l’arbre et l’oiseau (φοῖνιξ), mais ni en hébreu (tamar) ni en latin (palma). Ambroise ne donne ni citation ni référence, et il raconte la fable comme le font les païens. Le seul passage des Écritures susceptible de mentionner, incidemment, le phénix est le livre de Job, en 29, 18. Le locuteur éponyme envisage une longue vieillesse : « Je mourrai avec mon ken, j’aurai des jours nombreux comme le hol ». En hébreu, ken est en principe le « nid », et hol1 désigne le « sable » partout ailleurs dans la Bible ; mais les Massorètes, exégètes juifs, ont indiqué qu’il avait ici le sens hapax de « oiseau-phénix », et deux commentaires rabbiniques, non à Job, mais à la Genèse, donnent à l’oiseau une place au paradis et dans l’arche de Noé. Cependant ni la Septante ni la Vulgate ne traduisent ainsi, et aucun auteur chrétien ne renvoie à ce passage de Job pour cautionner un phénix biblique avant le Ve siècle, alors que l’oiseau est une image chrétienne de la résurrection depuis Clément de Rome à la fin du Ier siècle. Il ne s’agit que d’un mot, mais à travers lui se pose la vaste question des traductions et transmissions de la Bible, et le problème philologique a des implications théologiques. Nous nous demanderons si ces références chrétiennes et juives au phénix ont effectivement une caution scripturaire, ou si elles sont un emprunt à la mythologie gréco-romaine. Les spécialistes du mythe de l’oiseau2, quand ils n’éludent pas la question, n’ont pas donné de réponse suffisamment argumentée ; quant aux très nombreux traducteurs et commentateurs du livre de Job de l’Antiquité à nos jours, ils ne fondent pas toujours leur choix – ou tout au plus dans une note. Nous allons reprendre l’examen des textes dans leur ordre chronologique : celui de Job, puis sa traduction par la Septante, et les autres versions grecques de la Bible ; les citations de Tertullien et d’Ambroise ; les légendes rabbiniques du phénix et l’exégèse massorétique de Job 29, 18 ; les traductions latines de la Bible (Veteres latinae et Vulgate) ; enfin les tablettes d’Ougarit et d’Ébla, dont la découverte au XXe siècle verse peut-être des éléments nouveaux au dossier.

Job 29, 18

  • 3 Jb 29, 1 – 30, 2.

2Daté approximativement du VIe siècle avant notre ère, le livre de Job exprime les plaintes qu’un juste accablé par les malheurs élève vers Dieu. Il a été rédigé en milieu palestinien, avec des influences culturelles et linguistiques orientales diverses – arabes, araméennes, égyptiennes et perses. Le verset 29, 18 se situe dans un monologue rappelant le souvenir des jours heureux3 où Job avait l’espérance d’une longue vie. Un groupe de trois versets évoque une vieillesse solide, tel un arbre qui ne manque pas d’eau ; le sens général est clair, mais le détail de presque chaque mot est problématique :

  • 4 Il est utile de donner aussi pour le verset 18 une translittération de l’hébreu (...)

18a. alors je disais : Je mourrai dans OU avec mon ken (« nid », « nichée ») ;
18b. mes jours seront abondants comme le hol (sens usuel, « sable », ou sens hapax, « phénix » ?) ;
19a. l’eau pénétrera dans mes racines ; 19b. la rosée passera la nuit sur mes branches ;
20a. ma gloire reverdira sans cesse ; 20b. et mon arc rajeunira dans ma main (d’après la trad. L. Segond [1910])4.

  • 5 Voir Noegel 1996, 94.
  • 6 Voir Van der Lugt 1995, 325-335.
  • 7 Figure de l’hysteron proteron. Voir Driver & Gray 1921, ad loc.
  • 8 Code Strong 2344 – et encore en hébreu moderne (traduit par le grec ἄμμος, code Strong 28 (...)
  • 9 On en trouve vingt-trois occurrences dans la Bible, dont une quinzaine au sens figuratif. (...)
  • 10 Code Strong 3117.
  • 11 Code Strong 3220. D’après la glose d’un Targum araméen, mentionné infra ; voir Tur-Sinai  (...)

3Le livre de Job est dans la Bible celui qui a fait couler le plus d’encre, pour son sujet – la question du mal – ainsi que pour l’établissement et la compréhension du texte. On a parlé de crux interpretum5 pour ce passage comme pour beaucoup d’autres. En effet, le découpage des mots, leur vocalisation – donc leur sens – ne sont pas sûrs, et leur groupement même fait problème6. Diverses interprétations et corrections ont été proposées, souvent avec un souci d’harmonisation des images et de symétrie des parallélismes, cette figure de style caractéristique dont le verset 19 est un exemple parfait. Puisque Job parle d’abord de mourir, puis de vivre7, on a supposé qu’il devait entre-temps ressusciter, comme le phénix. Y a-t-il un parallélisme au verset 18 et faut-il voir dans hol un oiseau à cause du nid, ken, la préposition étant elle-même comprise diversement – « avec », « dans », « en même temps que », « comme » ? Car partout ailleurs dans la Bible, hol veut dire « sable »8 et la formule « nombreux comme le sable » y est fréquente9. On a d’ailleurs proposé de comprendre les mots ya.mim, non pas comme « mes jours »10, mais comme « mer », pour signifier « le sable des mers »11.

  • 12 On trouve hul dans certaines publications.
  • 13 Pour 300 000 mots correspondant à 8 000 vocables différents, la Bible comporter (...)
  • 14 Voir Wazana 2009, 128.
  • 15 Cf. Frg. 304 (éd. R. Merkelbach & M.L. West, Fragmenta Hesiodea, Oxford, Claren (...)
  • 16 En grec, il devient par périphrase un « grand monstre marin ».
  • 17 Alors que la Septante en affirme la réalité, la vie après la mort n’est que probabilité d (...)

4Les lettres du mot hébreu חול hol se lisent, de droite à gauche : hêt, wâw, lamed. Les Massorètes, exégètes juifs qui, à partir du Ve siècle, mettent par écrit le texte de la Bible et précisent sa prononciation en ajoutant des points-voyelles – ici au wâw –, signalent qu’il faut lire hal12, non hol, et y voir non le sable, mais le phénix, pas autrement attesté dans la Bible. Celle-ci est pleine d’hapax, surtout le livre de Job13 : ce serait ici un cas très particulier, un mot à double sens dont l’un des sens serait un hapax ; pour rendre le jeu de mots, on rencontre parfois la traduction de « oiseau sable »14. Cette lecture, qui s’accorde avec un commentaire rabbinique dont nous parlerons, nous semble induite par une volonté de cohérence de l’image et de structuration symétrique du verset – nid / oiseau –, lesquelles sont bien un principe d’écriture dans Job, mais ne sont pas attestées systématiquement dans chaque verset. Le nid n’est pas un élément fondamental du mythe du phénix, et le sable n’y figure pas. Si Job connaît l’oiseau, il n’en dit qu’une chose : sa vie est longue – Hésiode auparavant l’avait dit aussi de la corneille et du corbeau15. Une seule autre créature fantastique non gréco-romaine est attestée dans son livre – et dans toute la Bible hébraïque : le Léviathan16. Il cite un autre oiseau égyptien, l’ibis (en 38, 36), mais l’hippopotame et le crocodile, aussi typiques du bestiaire égyptien que le phénix, sont estimés relever d’interpolations tardives. Sur la base d’un fonds du mythe du phénix prétendument commun, sous divers noms, aux cultures orientales, certains y voient la preuve de la croyance en la résurrection des corps dans Job, mais la question reste controversée17. Voyons si les traductions grecques et latines de Job apportent une réponse.

La traduction grecque de la Septante au IIIe siècle avant J.-C.

5Dans l’Alexandrie hellénistique, des savants juifs de langue grecque traduisent la Bible, sur plusieurs décennies, et l’on date la traduction de Job de 150 avant notre ère. On ne sait quel texte originel ils lisaient : leur version est plus courte que le texte massorétique. C’est en tout cas un texte non vocalisé, dont les mots ne sont pas même séparés. Le verset 18 est rendu ainsi – les deux suivants ont disparu :

εἶπα δέ ἡ ἡλικία μου γηράσει ὥσπερ στέλεχος φοίνικος πολὺν χρόνον βιώσω.
Et j’ai dit : Mon âge vieillira comme la souche du palmier je vivrai longtemps.

  • 18 Voir Gorea 2007, 122 et n. 233 : le mot στέλεχοϛ, « tronc, tige », apparaît aussi en Jb 1 (...)
  • 19 Les mots « sable » et « palmier » sont en hébreu formés chacun de trois lettres (...)
  • 20 Hypothèse non négligeable : une erreur de copiste peut aboutir à la génération spontanée (...)
  • 21 Un ancien Dictionnaire des sciences naturelles donne machla, nachl, ou nachal comme nom (...)
  • 22 Voir Delitzsch 1866, vol. II, ad loc.
  • 23 Tels Driver & Gray 1921.
  • 24 Les différents types d’écarts de traduction entre la Septante et l’hébreu ont depuis long (...)
  • 25 Voir Gorea 2007, 122 : « Les deux textes, l’hébreu et le grec, se valent. L’un décrit san (...)

6C’est volontairement que nous ne ponctuons pas notre traduction. À l’évidence, elle n’est pas littérale : la mort et le nid ont disparu ; le hol devient un palmier ; un mot nouveau est ajouté : « souche, tronc ». On peut théoriquement rapporter l’image de l’arbre à la vieillesse ou à la longévité. Or, « palmier » se dit φοῖνιξ en grec, autre sens de φοῖνιξ, « l’oiseau », et la précision στέλεχος doit éviter la polysémie et l’ambiguïté18, comme peut-être aussi la suppression du nid. Toutes les hypothèses ont été imaginées pour expliquer ce changement, de l’erreur de lecture19 ou de copie20 au recours à un mot égyptien21 pour désigner le palmier. Selon certains, c’est même paradoxalement la preuve que hol signifie « phénix » en hébreu22 ! La Septante aurait rendu le jeu de mots originel « sable / oiseau » par un jeu de mots grec « oiseau / arbre », traduisant « palmier » par un choix conscient – il faut alors supposer qu’une glose ultérieure l’élimine en précisant στέλεχος, donc supposer aussi deux strates de rédaction. Après d’autres23, nous penserions au contraire que στέλεχος a été ajouté originellement dans le but d’éviter la confusion avec l’oiseau homonyme. Qu’il s’agisse d’une corruption textuelle, d’un problème philologique ou encore d’une réécriture par interprétation ou translation24 (par un parti pris stylistique donc – sans enjeu théologique), bref que Job ait été « repensé ou trahi », la Septante a privilégié l’image de l’arbre qui se trouvait dans les deux versets disparus25.

  • 26 L’oiseau, non nommé dans le fragment, est tel que Lactance, plus tard, décrira le (...)
  • 27 Voir les étymologies qui font du phénix « l’oiseau phénicien », rouge comme la (...)

7L’expression « nombreux comme le sable » se rencontre pourtant chez Homère et Aristophane. Depuis Hésiode, le phénix a reçu des lettres de noblesse dans la littérature grecque : Hérodote 2, 73 en fait un oiseau de la religion solaire égyptienne. Du côté des Juifs, le poète hellénophone Ézéchiel le Tragique l’imagine dans l’oasis biblique d’Élim pour sa pièce sur l’exode de Moïse du IIe siècle avant notre ère, peu ou prou contemporaine des Septante et dans le même milieu alexandrin. Ézéchiel met en scène un oiseau merveilleux qui a tout du phénix26, vivant dans la fameuse palmeraie aux soixante-dix arbres et douze sources. Il est le premier à jouer sur le double sens de φοῖνιξ et à percher l’oiseau dans l’arbre homonyme, image destinée à une grande postérité littéraire et iconographique ; mais dans son cas, une autre homonymie est sans doute sous-jacente : « Phénicie » est le nom grec de la terre promise27.

  • 28 Par exemple Jb 30, 29.
  • 29 Par exemple Jb 39, 9-10.
  • 30 Jb 4, 11.
  • 31 On trouve dans la Bible vingt-huit occurrences de tamar (code Strong 8558) pour (...)
  • 32 Voir Heater 1982, 6 et, pour Jb 29, 18, 89-91.
  • 33 Voir Diaz de Bustamante 1980, 49-55 (symbole de durée).
  • 34 Préparation évangélique 14, 25.
  • 35 L’hébreu tamar – ou tomer selon la vocalisation – vient d’une racine « être érigé ». Sain (...)
  • 36 Sur le symbolisme de l’arbre dans le Livre de Job, voir Mies 2006, 141-166 ; su (...)

8La Septante aurait-elle refusé de laisser entrer le phénix dans la matière biblique en tant qu’être fantastique ? Son identification des animaux de la Bible est parfois fantaisiste, mais elle ne rejette pas les créatures mythologiques : elle y voit des sirènes28, une licorne29 et invente même un myrmicoléon30, qui aura un bel avenir dans les bestiaires. Le palmier-dattier (Phoenix dactylifera) est, lui, familier au monde biblique31, et son image a peut-être été appelée dans Job par celle de l’arbre au verset suivant, malgré sa suppression : le palmier se rencontrait d’ailleurs déjà aux versets 14, 7-9, où la traduction grecque était plus littérale32. Cet arbre au feuillage persistant est un symbole de longévité dans la culture antique33. Il est encore cité aux côtés du phénix par Eusèbe de Césarée – qui reprend une liste ancienne34 – mais pas dans la Bible, où il symbolise surtout la droiture35, comme dans le psaume XCI, 13 « Le juste fleurira comme un palmier »36. Nous y reviendrons.

Autres traductions grecques de la Bible

  • 37 Voir Lecocq 2011a.
  • 38 Voir Lecocq 2001.
  • 39 Voir Épiphane, Ancoratus 84.
  • 40 L’obel – ou obèle – marquait les ajouts de la Septante, l’astérisque ce qu’elle avait (...)

9Entre la traduction de la Septante et celle de la Vulgate s’étendent cinq à six siècles, qui voient le mythe du phénix se développer considérablement dans divers genres littéraires37, se constituer en emblème de l’État romain38 et, parallèlement, en icône de la nouvelle religion. Pendant cette période, l’oiseau relève d’un fonds culturel commun aux croyants et aux non-croyants39. De nouvelles versions grecques de la Bible sont produites au Ier ou au IIe siècle après J.-C. par Théodotion, un érudit juif de culture hellénistique, réputé pour sa précaution dans la traduction des termes désignant plantes et animaux ; vers 130 (?) par Aquila de Sinope, un Grec qui a appris l’hébreu – sa traduction est utilisée par les rabbins pour sa fidélité littérale – ; vers la fin du IIe siècle par Symmaque l’Ébionite, sans doute un Samaritain – sa traduction, fort estimée par les chrétiens et les juifs de la diaspora grecque, se distingue par son élégance et par sa clarté. Leurs travaux sont synthétisés à la moitié du IIIe siècle dans les Hexaples d’Origène, ouvrage comparatif de ces traductions grecques en face de l’hébreu consonantique, où l’auteur emploie des obels et des astérisques40 pour marquer ce qui est fidèle ou non à l’original – pour autant qu’il pouvait en disposer. Dans la seconde colonne figurait la translittération grecque de l’hébreu. L’ouvrage est perdu pour sa plus grande part, mais notre passage est conservé : seul le 1er colon du verset 18 y est noté, avec le rétablissement du nid par Symmaque. Les versets 19 et 20 réapparaissent, notés de l’astérisque, dans une traduction littérale :

  • 41 « Ma racine s’étend le long des eaux ; et la rosée restera (toute la nuit) sur mes branch (...)

*19 ἡ ῥίζα μου διήνοικται ἐπὶ ὕδατος καὶ δρόσος αὐλισθήσεται ἐν τῷ θερισμῷ μου
*20 ἡ δόξα μου καινὴ μετ’ ἐμοῦ καὶ τὸ τόξον μου ἐν χειρὶ αὐτοῦ πορεύσεται41.

  • 42 Il y avait une polémique entre eux sur l’interprétation du Cantique des cantiqu (...)
  • 43 Cf. 4, 98.
  • 44 Cf. Épître aux Corinthiens 1, 25 ; sans référence scripturaire, la notice mêle les récits (...)
  • 45 Cf. Homélies sur Job, 378.
  • 46 On y a vu une preuve supplémentaire que Job parlait bien de l’oiseau. En 1, 26, 3, Clémen (...)
  • 47 Cf. Photius, Bibliothèque 126 ; voir Himuro 1998, 530 et 535 : il y eut, justement à caus (...)
  • 48 Eusèbe, Vie de Constantin 4, 72 ; Zénon 1, 16, 9 ; Grégoire, De cursu stellarum (...)
  • 49 Sauf le Physiologus du Ps. Épiphane, dont nous mentionnons plus loin le « Prophète » à pr (...)
  • 50 Cf. Catéchèses 18, 7 sq.

10Origène s’était initié à l’hébreu et était en contact avec les rabbins42 de Césarée. Il s’était intéressé au phénix dans son livre Contre Celse sur la providence divine43 – l’oiseau était déjà devenu un exemple classique de la résurrection dans l’apologétique chrétienne, dès Clément de Rome44. Origène est le seul auteur à citer ailleurs ces versets de Job dans la version de la Septante : comme elle, il lit « palmier » – le mot ne lui fait pas problème45. Clément parlant du phénix ne renvoyait pas à la Bible, même si, par coïncidence, il citait Job un peu plus loin46 : il empruntait le récit des auteurs païens. Pour lui, le phénix, animal réel, était, entre autres exemples naturels – les astres, le soleil et la lune, la graine –, le « signe » de la possibilité de la résurrection des corps. C’est là le texte fondateur de la première et principale thématique chrétienne du phénix, dont l’histoire va s’enjoliver de détails chrétiens : la date de sa mort, à Pâques, et les trois jours qu’elle dure, par analogie avec la Passion du Christ, ou encore le millénarisme de son cycle. Des croyants plus orthodoxes ont reproché à Clément cet usage d’un exemplum païen47 ; son catalogue des cas de résurrection naturelle aura pourtant une longue postérité – jusqu’à Grégoire de Tours en passant par Eusèbe de Césarée et Zénon de Vérone48. Dans un type de listes similaire, le phénix passe en tête des animaux symboliques du bestiaire populaire du Physiologus. Aucun de ces textes ne fait référence à la Bible49 : ainsi pour Cyrille de Jérusalem50, c’est évidemment Dieu qui a créé le phénix ; mais quand il cite ses sources, il ne renvoie qu’à Clément et ses suiveurs.

Tertullien et Ambroise

11Un peu avant Origène, Tertullien a parlé lui aussi du phénix comme du meilleur exemple de résurrection des corps. Il cite les Écritures d’après leur version grecque et / ou des traductions latines, puisqu’il ne connaît pas l’hébreu :

  • 51 Cf. De resurrectione carnis 13, 2-3 : Illum dico alitem Orientis peculiarem, de (...)

Je parle de l’oiseau particulier à l’Orient, célèbre par sa singularité, prodigieux par sa postérité […]. Quoi de plus expressif et de plus explicite pour notre cause ? Ou pour quel autre phénomène un tel exemple ? Dieu l’a déclaré aussi dans ses Écritures : « Tu fleuriras, dit-il, comme le phénix »51.

  • 52 Cependant certains voient un lien logique entre les deux textes, tel Bertrand 1996, 233 s (...)
  • 53 Voir Chelcea 2005.
  • 54 Verset 13, suite : Septante, ὡσεὶ κέδρος ἡ ἐν τῷ Λιβάνῳ πληθυνθήσεται ; Vulgate : ut cedr (...)
  • 55 Comme l’a bien vu Deproost 2005, 125, ce peut être à la suite de « certains témoins vieux (...)
  • 56 Ad Physiologum, 11. De phoenice : « Le Prophète a dit de lui : “Le juste fleurira comme l (...)
  • 57 Cf. De trinitate 34, qui glose : […] etiam Spiritus sanctus, qui Deus est, in Scripturis (...)
  • 58 Tout cela a déjà été dit et est répété par Van den Broek 1972, 57 et n. 2, indiquant que (...)

12Mais il ne s’agit pas de Job : c’est le psaume XCI, 13, traduit d’une façon personnelle, pour les besoins de la cause52. La Septante et la Vulgate donnent respectivement Δίκαιος ὡς φοῖνιξ ἀνθήσει et Iustus ut palma florebit / « Le juste fleurira comme un palmier (hébreu tamar) ». Il s’agit à l’évidence de l’arbre et pas de l’oiseau. Mais le recours à la citation est plus libre et approximatif dans l’Antiquité que de nos jours, surtout chez Tertullien53. Ici, l’apologète latin réinterprète délibérément le texte grec, malgré les verbes « fleurir » et « croître », malgré la présence du cèdre et des plantations dans la suite du verset et les suivants54. En fait, jouant sur la polysémie du mot grec, il translittère tout simplement φοῖνιξ55. Le pseudo-Épiphane, qui reprend cette traduction interprétative du psaume, renvoie la citation à un « prophète », ce que n’est pas Job56 ; le pseudo-Ambroise l’attribue au Saint-Esprit57. Le flottement même de la référenciation est significatif58.

  • 59 L’auteur du grand poème christianisant sur le phénix ne prend jamais l’exemple de l’oisea (...)
  • 60 Cf. exc. Sat. 2, 59.
  • 61 Voir C. Gerzaguet, « Ambroise de Milan et le texte des Écritures », in Citer, comparer et (...)

13Après Tertullien, ce n’est pas Lactance59, mais Ambroise qui, pour l’attestation du phénix, renvoie vaguement à des scripturae dans l’oraison funèbre de son frère Satyrus60, où il donne pour consolation la promesse de résurrection prouvée par l’oiseau. Pas plus que Tertullien, il ne connaît l’hébreu : il se réfère au texte de la Septante et, peut-être, à celui des Hexaples d’Origène, qu’il compare occasionnellement à diverses traductions latines61.

  • 62 Exc. Sat. 2, 59 : Atqui hoc relatione crebra et scripturarum auctoritate cognouimus memor (...)

Nous savons par de nombreux récits et par l’autorité des Écritures qu’à cet oiseau fameux est prescrite une durée de jouissance de la vie de cinq cents ans62.

  • 63 C’était l’opinion d’Otto Faller, éditeur d’Ambroise dans le CSEL (vol. LXXIII ; 1955). On (...)

14Les « nombreux récits » renvoient certainement à la littérature païenne ; quant à « l’autorité des Écritures », est-ce une façon redondante de parler des mêmes sources, ou s’agit-il du corpus biblique, ou encore de la Lettre de Clément, premier texte chrétien à parler de l’oiseau – comme c’est le cas pour Cyrille de Jérusalem cité plus haut63 ? Notons qu’Ambroise ne dit pas « Deus in Scripturis suis », contrairement à Tertullien. La référence scripturaire de ce dernier était exacte : le psaume XCI – seule la traduction était sujette à caution ; Ambroise est imprécis.

  • 64 Cf. hex. 5, 23, 79 sq.
  • 65 Homélie 8, sur la création des oiseaux.
  • 66 Ambroise sera suivi en cela par le Ps. Eusthate, qui cite dans son commentaire de l’Hexae (...)

15Il répète sa notice dans son homélie sur la Genèse, l’Hexaemeron, pour donner des preuves naturelles de résurrection64. Alors que l’auteur grec qu’il y traduit, Basile de Césarée, ne parlait pas de l’oiseau65, Ambroise ajoute le phénix au ver à soie, au caméléon et au lièvre, mais ici sans renvoi à la Bible66.

  • 67 Voir Klostergaard Petersen 2003, 164.
  • 68 Ecclesia fere tota consentit : quod eam non inaniter credidisse credendum est, undecumque (...)

16On comprendrait bien l’intérêt de l’auteur à invoquer les Saintes Écritures dans une démonstration ou une consolation, et de donner une caution vétéro-testamentaire, même vague, à l’oiseau avec un argument d’autorité par lequel l’Ancien Testament annonce l’avènement du Nouveau67. Ambroise accepte d’ailleurs des traditions consensuelles sans références canoniques68 : le phénix, popularisé par le Physiologus, fait désormais partie du bestiaire chrétien, et y figure en bonne place.

  • 69 À deux exceptions près, très marginales : un sermon copte gnostique du VIe siècle : « Il (...)
  • 70 Cf. epist. 30, 8 ; De spiritu sancto 2, 10, 108.

17Il paraît donc impossible, en raison de leur méconnaissance de l’hébreu et de l’absence de toute mention d’un possible double sens « sable / oiseau » pour hol dans Job 29, 18 avant et ailleurs que chez les rabbins et Massorètes, que Tertullien et Ambroise aient pu voir autre chose que le palmier, qui se rencontre dans toutes les versions grecques et latines de la Bible consultables à leur époque. D’où tireraient-ils cette connaissance que n’ont, comme nous le verrons, ni Origène ni Jérôme ? Leurs références pseudo-scripturaires sont manifestement, pour l’un, un jeu de mots – au prix d’une image incohérente, dans un texte qui n’est pas Job – et, pour l’autre, une allusion indéfinie et indéfinissable. Les citations du psaume XCI, 13 sont nombreuses chez les auteurs chrétiens, et il s’y agit toujours d’un palmier. L’interprétation de Tertullien n’a pas fait école69, pas même chez Ambroise, qui cite le passage deux fois70 ; ces citations n’interviennent jamais en relation – même lointaine – avec l’oiseau. D’autre part, si Ambroise a écrit un traité sur l’arche de Noé, où il parle bien sûr des animaux qui y ont pris place, il n’y met pas le phénix, pas plus qu’Origène avant lui, mais comme font certains rabbins – nous allons le voir.

L’exégèse juive et les légendes rabbiniques

  • 71 Voir Niehoff 1996, 251 et 255 sq.
  • 72 Leur vocalisation peut différer d’autres versions hébraïques de la Bible et êtr (...)
  • 73 Ce sont des traductions-interprétations avec des paraphrases explicatives.
  • 74 Elle ajoute même la précision habituelle du mot : « de la mer ».

18Les seuls à voir un phénix expressément dans Job 29, 18 – mais jamais dans le psaume XCI, 13 – sont les Juifs : des rabbins, puis des Massorètes, postérieurement aux premières mentions chrétiennes du phénix71. Les rabbins, dont les commentaires aggadiques, considérés comme le terreau de la créativité juive, portent notablement la trace d’influences extérieures, ne sont pas unanimes. Quant aux Massorètes, ces érudits travaillèrent à partir du IVe siècle, à une époque où l’hébreu n’était plus une langue vivante, à noter la prononciation orale de l’Ancien Testament. Leur texte source diffère de celui de la Septante – pour la longueur, l’ordre des chapitres –, avec des ajouts ou des lacunes qui vont du mot au paragraphe, des variantes, lexicales et syntaxiques72. En indiquant la vocalisation, les Massorètes ouvraient la voie à la polysémie. Pas d’unanimité pour eux non plus, partagés entre trois écoles, tibérienne, palestinienne et babylonienne. Nous sommes loin aussi de l’unanimité de traduction dans les langues sémitiques : les bibles araméennes – les Targumin73 – traduisent hol par « sable » – noté chala –, ainsi que la Peshitta, version syriaque de la Bible traduite de l’hébreu74.

  • 75 Ramban (XIIIe siècle) et Metzudat(h) David (XVIe siècle).
  • 76 Nous récusons l’assimilation faite par Niehoff 1996, 260-262, après d’autres, du Ziz au p (...)
  • 77 Genesis Rabbah 19.5, commentaire à la Genèse 3, 6 ; voir Niehoff 1996, 257-259.
  • 78 Ils sont suivis par Rashi (XIe siècle) et Malbim (XIXe siècle).
  • 79 Ces variantes comportent l’une la crémation, l’autre la décomposition, comme dans le myth (...)
  • 80 Tractatus Sanhedrin 108b (codifié vers 500 ?) ; voir Niehoff 1996, 259 sq.
  • 81 Ou avarshina, nom pour lequel on a parfois proposé une étymologie… grecque (voir Niehoff  (...)
  • 82 Trois animaux sont problématiques pour Noé : le caméléon, le lion et le phénix – le (...)
  • 83 Contradiction notée par Yefeh Toar dans son commentaire à Midrash Bereshit Rabbah 19:5 (v (...)
  • 84 À part, dans certains récits, les prêtres du temple d’Héliopolis et la foule.
  • 85 Comme le propose Van den Broek 1972, 60.
  • 86 Elles se fondent sur le Codex de Léningrad.

19Quand d’autres rabbins voient bien du sable dans Job 29, 1875, quatre seulement mentionnent le phénix dans deux sources différentes76. Dans le Midrash Bereshit Rabbah attribué au rabbi (H)Osaia(h), un commentaire composite de la Genèse, daté du IIIe siècle après J.-C., Ève fait succomber à la tentation du fruit défendu tous les animaux – alors condamnés à devenir mortels eux aussi –, sauf l’oiseau « nommé hol » (récit appuyé sur le verset 18 de Job77) ; le rabbi Jannai (première moitié du IIIe siècle) et le rabbi Judah b. R. Simeon78 ne s’accordent d’ailleurs pas exactement sur les modalités pratiques de sa renaissance79. Et dans le Talmud babylonien80, Sem, fils de Noé, raconte qu’il fallait nourrir les animaux de l’arche : le phénix qui fait partie de l’aventure, portant ici le nom araméen de urshina81, se garde de déranger Noé, qui l’en remercie en demandant à Dieu l’immortalité pour l’oiseau (récit appuyé sur le verset de Job, qui parlait, lui, de longévité82). Ces deux récits, qui sont des commentaires, non à Job, mais à la Genèse et ne supposent en aucun cas la présence du phénix dans le texte même de la Genèse, n’ont pas de continuité et même se contredisent, en donnant deux explications et deux contextes différents de l’immortalité du phénix83, sans rendre compte de ce qui est primordial dans le mythe : le caractère unique de l’oiseau – pas plus, certes, que ne le font les païens ou les chrétiens. Alors que le phénix gréco-romain est coupé de tout contact avec les hommes84, l’oiseau juif rencontre Ève et Noé et obtient son principal attribut comme récompense de Dieu : comme créature du paradis originel, il a refusé de manger la pomme ; comme créature terrestre, il se signale dans l’arche encore par son abstinence alimentaire – un trait secondaire de la légende païenne. S’agit-il donc d’un véritable phénix juif, au nom d’ailleurs changeant, ou de l’emprunt d’un phénix gréco-romain très édulcoré ? N’est-ce pas la polysémie potentielle de la traduction de la Septante qui a influencé l’interprétation jobienne des rabbins85, suivie, non par toute la tradition juive, mais seulement par les Massorètes de l’école de Néhardea, dont le texte a prévalu dans la majorité des bibles hébraïques actuelles86 ?

  • 87 Voir Niehoff 1996, 255 sq., qui pense que la Septante a pu elle aussi, comme les rabbins, (...)

20On lit souvent que les Massorètes n’avaient pas pour but d’interpréter, mais de reproduire à l’identique – quelque mille ans après – le texte originel, si tant est qu’il en ait jamais existé un. C’est une pure vue de l’esprit : d’une part, le texte de la Massorah a une histoire aussi longue et complexe que celui de la Bible gréco-latine ; d’autre part, on ne remplace pas un mot – ou le sens d’un mot – par un autre sans faire un choix interprétatif. En pointant le waw au-dessus de la lettre au lieu de le faire à sa droite, les Massorètes changent hol, « sable », en hal, « phénix », substituant au sens usuel un sens hapax et proposant une lectio difficilior qui devait échapper au commun des mortels ; le simple déplacement du point-voyelle suffisait à cette métamorphose. Donnons un exemple en français : le sable y devient aussi un oiseau par le changement d’une voyelle : « grève », « grive » – à ceci près que les deux mots existent dans notre lexique, alors que « oiseau » homographe, mais pas homophone de « sable » n’est pas autrement attesté en hébreu. Un parallélisme synthétique est ainsi instauré avec le nid du premier colon87.

  • 88 La seule autre mention pré-rabbinique du phénix est celle de l’Apocalypse, Ps. Baruch (6) (...)
  • 89 Cette anecdote a d’ailleurs inspiré un conte d’Andersen (L’Oiseau Phénix, 1850)

21Après d’autres, nous pensons que, comme le poète Ézéchiel le Tragique avait autrefois introduit le phénix dans l’Exode88, les savants juifs ont acclimaté dans leur milieu l’oiseau devenu universellement populaire, selon la tendance mytho-poétique bien attestée de leur culture, en en faisant des contes assez simplistes, mais caractéristiques de leur croyance en la rétribution divine des bonnes actions89.

22Le raisonnement est simple : si le phénix existe, comme presque tout le monde le croit, il doit avoir été créé par Dieu et avoir été sauvé dans l’arche, et s’il est immortel, cela ne peut être qu’en récompense d’une bonne action. Son caractère unique reste inexpliqué ; aucune mention de sa résurrection ne permet pour les Chrétiens l’assimilation au Christ.

  • 90 Carmen de aue phoenice, v. 1-30.
  • 91 De mundi initio 1, 218-245.
  • 92 Les représentations du phénix dans les textes et dans les images – païennes ou (...)
  • 93 Par exemple, saint Augustin et Vincent Victor (De natura et origine animae 4, 3 (...)
  • 94 Voir Lecocq 2013. Ce raisonnement est repris à la Renaissance par le naturaliste Ulisse A (...)
  • 95 Cette objection avait été prévue, non par Lactance, mais par le rabbin Aba b. K (...)

23Cette interprétation n’a pas vraiment de correspondant ou d’écho dans la littérature chrétienne gréco-latine. Lactance montre son phénix dans un locus felix évocateur d’un paradis90, et Avitus au Paradis même91 ; mais c’est surtout l’iconographie chrétienne qui place le phénix dans l’Éden, perché sur le palmier homonyme92. Les Chrétiens n’ont d’ailleurs pas manqué de polémiquer avec les rabbins, comme avec les païens et les hérétiques93, sur cette créature d’exception : c’est un des enjeux – mineurs – de leur querelle exégétique et de leur guerre des textes. Ainsi le Ps. Épiphane écrit-il dans son Physiologus, à la fin du chapitre 11 sur le phénix : « Pourquoi donc les Juifs iniques n’ont-ils pas cru en la résurrection en trois jours de Notre Seigneur Jésus-Christ ? ». Ainsi le théologien byzantin Maxime le Confesseur, dans sa réfutation des Monophysites – et peut-être aussi des rabbins –, écrit-il du phénix que, s’il est réel, il est soumis aux mêmes lois de génération que tous les autres animaux et, donc, que c’est en couple qu’il a été sauvé par Noé : il ne peut y avoir de phénix unique, donc pas de phénix du tout94 ; la logique même du récit judaïque est prise en défaut95. Comparé au phénix chrétien assimilé au Christ – puis à Marie – comme symbole de résurrection – puis de virginité –, et même assimilé à toute l’Église, l’oiseau juif paraît bien pauvre d’esprit : on justifie son immortalité, mais il n’est pas un signe de quoi que ce soit ; il reste marginal et anecdotique. Si emprunt il y a, c’est de la part des Juifs, et non l’inverse.

Les traductions latines de la Bible : Veteres latinae et Vulgate

24Dans le monde romain s’élaborent des versions latines de la Bible, simples traductions de la Septante, puis retraductions de l’hébreu, tandis que le livre de Job y suscite de nombreux commentaires en grec et en latin, dont ceux de trois docteurs de l’Église : Augustin, Jérôme, Grégoire le Grand, mais aussi de Didyme l’Aveugle, Évagre le Pontique, Hésychius de Jérusalem, Hilaire de Poitiers, Jean Chrysostome, Julien l’Arien, Julien d’Éclane, Lucien d’Antioche, Olympiodore d’Alexandrie, Méthode d’Olympe. Aucun, quand il en traite, ne remet en cause la traduction de la Septante pour notre passage.

25Le grec comme langue de la Bible chrétienne se voit donc concurrencé par les Veteres latinae. Elles sont assez tardives ; la première est une bible dite africaine, vers 250. On y lit pour nos versets :

  • 96 « 18. Car j’ai dit : Mon âge vieillira comme l’arbre palmier, je vivrai longtem (...)

18 Dixi enim : aetas mea senescet sicut arbor palmae multo uiuam tempore
19 Radix mea patet ad aquas et ros morabitur in messe mea
20 Gloria mea noua mecum et arcus meus in manu mea gradietur96.

  • 97 L’expression arbor palmae est attestée chez Suétone, Aug. 94, 11.

26L’arbre y prévaut sur l’hypothétique oiseau, comme en grec. L’« arbre » (pour στέλεχος) paraît pourtant inutile en latin, où palma ne comporte aucune ambiguïté, contrairement à φοῖνιξ97.

  • 98 Voir Bogaert 2012.
  • 99 Cf. adu. Ruf. 3, 6 : Ego (sc. Jérôme) philosophus, rhetor, grammaticus, dialecticus, Hebr (...)
  • 100 Cf. epist. 57 (à Pammachius), « Sur la meilleure méthode de traduction ». Voir Svenbro 20 (...)
  • 101 Cf. epist. 48, 4 (à Pammachius) : « J’ai traduit aussi depuis peu en latin le livre de Jo (...)

27Mais ces Veteres latinae ne sont pas la source de la traduction de Jérôme dans la Vulgate, entreprise à la fin du IVe siècle98. Son parti pris est de retrouver la ueritas Hebraica et de se confronter aux textes hébreux, entreprise qui n’allait pas sans difficultés pratiques et théoriques, puisqu’elle remettait en cause la Septante, dictée, selon la légende, par Dieu même – un sacrilège ! Jérôme devient trilinguis99 en apprenant l’hébreu, fréquente des rabbins, consulte les manuscrits ainsi que les Hexaples, et reprend la technique comparative d’Origène ; il défend la polysémie, s’interroge sur le sens littéral, le sens historique, le sens allégorique. Il nous renseigne sur sa méthode dans un traité100. Dans sa préface au livre de Job, il compare la difficulté du texte à une anguille insaisissable, dont il se plaint aussi dans sa correspondance : il y déplore les graves infidélités de ses prédécesseurs101. Or, pour le verset 18, il rétablit bien sûr lui aussi le nid, mais… conserve le palmier :

  • 102 « 18. Et je disais : Je mourrai dans mon nid et comme le palmier je multiplierai mes jour (...)

18 dicebamque in nidulo meo moriar et sicut palma multiplicabo dies
19 radix mea aperta est secus aquas et ros morabitur in messione mea
20 gloria mea semper innouabitur et arcus meus in manu mea instaurabitur102

  • 103 Dans la Lettre sur le cierge pascal au diacre Praesidius (cf. PL 30, 182), dont l’authent (...)
  • 104 1 R 17, 4, au sujet du prophète Élie « ravitaillé par les corbeaux » – traduction pourtan (...)

28Il ajoute également un et qui fait clairement basculer la comparaison dans le second stique ; il n’écrit pas arena, comme il traduit hol pour Job 6, 3. Palma supprime l’ambiguïté potentielle du grec φοῖνιξ (c’est aussi pourquoi disparaît la glose στέλεχος / arbor), alors qu’il pouvait décalquer le mot en phoenix comme Tertullien pour le psaume XCI. Jérôme a rencontré le phénix chez Origène, Tertullien et Ambroise, qu’il a étudiés103, et chez Lactance, dont il a listé les œuvres. Il semblait le mieux placé pour rétablir l’hypothétique phénix qui enrichissait le sens d’un texte chrétien. Dans la liste des fautes de la Septante qu’il a corrigées, pour prendre un exemple d’oiseau, il a transformé en peuple arabe les corbeaux ourim104. Or, son disciple Philippe le Prêtre signale dans son Commentaire sur Job, avec force précautions, la possible amphibologie du terme hol :

  • 105 Palma autem arbor secundum Graecos φοῖνιξ dicitur. Auis quoque illa quam multis (...)

Le palmier se dit en grec φοῖνιξ. L’oiseau aussi qui, dit-on, vit plusieurs siècles s’appelle φοῖνιξ, exactement du même nom. [Job] pourrait parler peut-être de ce dernier en ce passage […]. Il peut donc se faire que le saint Job dise, en prenant pour comparaison cet oiseau, qu’après sa mort, il sera dans la cendre de sa chair comme dans un nid, pour un temps, et qu’ensuite il ressuscitera en gloire […]105.

  • 106 À l’exception notable du cas d’Ézéchiel le Tragique ; voir notre article « Inventing the (...)
  • 107 À un siècle d’intervalle, le sujet rhétorique et galvaudé du phénix donne lieu (...)
  • 108 Voir Lecocq 2013.
  • 109 Un seul manuscrit du Vatican propose la correction arena pour palma ; voir McDonald 1960, (...)

29Le disciple proposait-il cette hypothèse à partir de l’ambiguïté de φοῖνιξ dans la Septante ou de la lecture rabbinique de hol, « phénix » ? On sait que, malgré son retour au texte hébreu, Jérôme a conservé de la Septante des variantes concernant en particulier la question de la résurrection. Si phénix il y a en hébreu, on peut comprendre que la Septante n’ait pas jugé utile de le garder à une date – le IIe siècle avant J.-C. – où le mythe n’avait encore ni développement, ni popularité, ni signification religieuse106, mais ce n’est plus le cas au IVe siècle après J.-C., où l’oiseau est devenu un thème littéraire107, politique, numismatique et iconographique fréquent, mais surtout un enjeu théologique entre païens, chrétiens et juifs, et même entre chrétiens, comme sur la question du sexe des anges108. Et si Jérôme ne voyait pas de phénix, il devait traduire par « sable »109 !

  • 110 Voir Sajo 2005.

30Le mystère reste entier sur le mot hébreu lu dans Job depuis la Septante jusqu’à Jérôme. Si la première a pu proposer une réécriture dont elle est coutumière – le passage au verset 18 de l’image de l’arbre présente dans les versets 19 et 20 supprimés –, Jérôme, lui, nous devait, selon ses principes, la ueritas Hebraica. Or, force est de constater que le consensus sur le palmier a duré plus de cinq cents ans, quand le texte a été scruté par des générations de savants juifs – hellénophones et hellénisés –, grecs et latins. Notons pour l’anecdote qu’au XIVe siècle, un scribe espagnol étourdi transforme le palmier de la Bible gréco-latine, non pas en phénix, mais en palombe, écrivant paloma pour palma110.

Tablettes d’Ougarit et d’Ébla : des éléments nouveaux ?

31Des découvertes archéologiques récentes ont versé de nouvelles pièces au dossier : les tablettes d’Ougarit (Ras Shamra) et d’Ébla (Tell Mardikh, en Syrie) ont remis la question d’un phénix biblique à l’ordre du jour. Quant aux manuscrits de Qumran trouvés en 1947, le Targum de Job est – hélas ! – lacunaire pour nos versets.

  • 111 Il fut professeur de langues et littératures ougaritique et phénicienne à l’Institut bibl (...)
  • 112 Cf. Dahood 1974 (la moitié de la première page est consacrée à une longue citation de R.  (...)
  • 113 Cf. Keilalphabetische Texte aus Ugarit (KTU) 1.5 i 1-2.
  • 114 La fille du roi malade invoque le dieu Baal sur la montagne Zaphon : voir Margalit 1999, (...)
  • 115 Cf. la dernière traduction en date du texte par Greenstein 1997, 31 : hl est traduit par (...)
  • 116 En revanche, le mot ougaritique pour « sable, poussière, cendre » a bien la même racine (...)

32Les fouilles d’Ougarit (1928) et d’Ébla (1964) ont révélé deux civilisations en proximité géographique et continuité chronologique avec le monde biblique. L’une et l’autre langue est apparentée à l’hébreu et a livré la clé de certains de ses hapax. Spécialiste de ces études comparatives, Mitchell J. Dahood111 a laissé le souvenir d’un savant controversé pour des rapprochements entre ces trois langues jugés trop aventureux par ses pairs ; il lisait hol avec le sens de « oiseau-phénix » dans des documents ougaritiques et éblaïtes112. Il y a effectivement des points de contact entre toutes ces cultures et croyances : le Léviathan est mentionné à Ougarit113, qui connaît aussi la légende d’un roi Keret aux malheurs comparables à ceux de Job. C’est justement dans ce récit que Dahood voyait un phénix, récit où, selon son interprétation, figurait une créature avec des ailes « largement déployées » et était évoquée une résurrection. En fait il s’agit de montagnes sacrées et d’une simple guérison114 ; sa traduction est maintenant rejetée115. Exit le prétendu phénix ougaritique116.

  • 117 Voir Dahood 1967 et 1974. On signale aussi une communication orale sur ce sujet.
  • 118 Lactance la désigne comme le nectar et l’ambroisie versés du ciel (v. 111-112) ; la (...)
  • 119 En hébreu nesher (code Strong 5404).
  • 120 Cf. Ceresko 1980, 22-26. Le philologue Lester L. Grabbe avalise sans complément (...)
  • 121 Il suit là encore les développements de Hubaux & Leroy 1939 et de Van den Broek (...)
  • 122 Watson 2007, 109 liste curieusement comme nom propre de mois un hlt, traduit « phoenix ». (...)

33Mais à Ébla, des tablettes bilingues donnent des listes de noms d’animaux en sumérien et en éblaïte : la séquence de consonnes hl y est notée par le déterminatif idéographique sumérien musen, terme générique pour « oiseau ». Est-ce là le « phénix » de Job ? Pour Dahood, oui ! Sa démonstration tient en deux très courts articles117, et elle emploie de mauvais arguments complémentaires, à savoir que le nid induit l’oiseau par parallélisme, et que la rosée du verset suivant est typiquement la nourriture du phénix, comme chez Lactance et le Pseudo-Baruch118 ; il amalgame aussi le phénix avec l’aigle du psaume CIII, 5, « renouvelant sa jeunesse »119, pour en faire un oiseau de la résurrection. Son disciple A.R. Ceresko traite un peu plus longuement le sujet dans sa thèse120, mais deux pages sur les quatre concernées sont consacrées aux occurrences bibliques de la rosée121, alors qu’il s’agit d’une image différente dans Job, celle de l’arbre, au verset 19. Si M. Dahood a raison, il n’a aucun autre argument que philologique : la tablette bilingue d’Ébla qui dit que hl est un oiseau, a priori réel. Son identification a eu des partisans, des opposants et des relaps. Plusieurs noms d’oiseaux de ces tablettes – tous réels – ont été étudiés, dont les rapaces, parmi lesquels on s’attendrait à trouver le « phénix » – mais pas encore celui-ci122.

  • 123 Cf. Driver 1955, 138 sq. (le phénix et Jb 29, 18). Même analyse pour Gorea 2007, 122.
  • 124 Sur ce phénomène de « traduction multiple » dans le Targum, voir Stec 1994, 85-94 (qui (...)
  • 125 De fait, la traduction de Samuel Terrien suit Driver 1955, 138 sq. pour ken, mais pas pou (...)
  • 126 Code Strong 7064. Voir Barr 1991. Pour lui, la solution est encore plus simple : ken sign (...)
  • 127 « Pour la cannelle, il me semble que c’est un terme d’origine hébraïque ou arab (...)
  • 128 Comme G.R. Driver l’a fait pour les autres oiseaux – bien réels, eux – de la Bible, avec (...)

34Godfrey R. Driver avait étudié le cas dans un de ses articles sur les oiseaux de la Bible123, n’ayant alors connaissance que de l’hypothèse ougaritique ; il rejetait le phénix et donnait une nouvelle explication textuelle et stylistique du verset 18 de Job en proposant, avec l’appui des parallèles dans les langues sémitiques, de lire le mot ken dans un autre sens, mais conforme à son étymologie : le nid est fait de branches tressées, qui symbolisent la force, comme l’explicite le Targum de Job avec son principe de traduction redondante, « dans ma force dans mon nid »124. Driver traduisait donc : « Je mourrai avec ma force et mes jours seront nombreux comme le sable »125. L’idée de la force se retrouve dans l’arc du verset 20. Pour lui, non seulement il n’y a pas d’oiseau, mais il n’y a même plus de nid pour justifier l’oiseau. Le mot à double sens n’est pas hol, mais ken126. Notons encore, pour l’anecdote, que Conrad Gessner, surnommé « le Pline suisse du XVIe siècle », fait de ken l’étymologie de « cinnamome », la cannelle, épice emblématique du phénix qui se fait un nid de ses tiges…127. Il reste donc encore, si c’est possible, à identifier l’espèce de cet oiseau éblaïte128, puis à expliquer comment cet oiseau pouvait être connu des exégètes juifs et donné comme équivalent du mythique phénix, unique et immortel. Il restera toujours à montrer en quoi le sens hapax de « phénix » est préférable au sens usuel de « sable » pour Job 29, 18.

Conclusion

  • 129 Mais avec un chiasme des idées : 42, 16, vie et famille, mort et durée (en 29, 18, mort e (...)
  • 130 Voir Joosten 2008, 31 sur l’influence de passages parallèles : « Il arrive très souvent q (...)

35Comme le phénix, Job mourra très âgé, mais entouré, lui, d’une nombreuse famille. Les derniers versets du livre font exactement écho à ceux de 29, 18-20129, et ils ont peut-être inspiré un alignement de la Septante, selon un procédé bien attesté130 :

  • 131 En hébreu translittéré : 17 way·yā·māṯ « mourut » ‘î·yō·wḇ, « et Job » zā·qên « (...)

Jb 42, 16. Job vécut après cela cent quarante ans, et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu’à la quatrième génération.
17. Et Job mourut âgé et rassasié de jours (trad. Segond)131.

  • 132 « 16. Et après ses jours d’affliction Job vécut cent soixante-dix ans, et la du (...)

Septante
16 ἔζησεν δὲ Ιωβ μετὰ τὴν πληγὴν ἔτη ἑκατὸν ἑβδομήκοντα τὰ δὲ πάντα ἔζησεν ἔτη διακόσια τεσσαράκοντα ὀκτώ· καὶ εἶδεν Ιωβ τοὺς υἱοὺς αὐτοῦ καὶ τοὺς υἱοὺς τῶν υἱῶν αὐτοῦ τετάρτην γενεάν·
17 καὶ ἐτελεύτησεν Ιωβ πρεσβύτερος καὶ πλήρης ἡμερῶν132.

  • 133 « 16. Et après cela Job vécut cent quarante ans, et il vit ses fils et les fils de ses fi (...)

Vulgate
16 uixit autem Iob post haec centum quadraginta annis
et uidit filios suos et filios filiorum suorum usque ad quartam generationem

17 et mortuus est senex et plenus dierum133.

  • 134 On a parfois lu à la place de « nid » le mot za-ken, « vieil homme » (code Stro (...)

36Ceci incite peut-être à voir dans ken le sens figuré de « nichée »134, mais ne décide pas entre « sable » et « phénix » pour la durée de la vie, et n’explique pas non plus le palmier.

  • 135 Il emploie le même verbe multiplicare pour sa traduction du Ps 91, 13, où la co (...)

37Récapitulons les divers avatars de la traduction de hol par les Grecs, les Latins et les Juifs. Si la Septante ne traduit pas littéralement le mot qu’elle lit, quel qu’il soit, elle le transpose ; elle ne comporte pas de nid ni d’oiseau. Origène ne corrige pas le texte de la Septante. Tertullien ne traduit pas : il translittère le texte d’un psaume, non celui de Job. On ne sait à quelle autorité renvoie Ambroise. Jérôme a soit lui aussi compris comme « palmier » le mot lu dans sa source hébraïque135, soit refusé de remettre en question la Septante, alors même qu’il aurait été possible ou souhaitable qu’il le fît, le phénix étant devenu le symbole chrétien officiel de la résurrection autant qu’une créature du bestiaire rabbinique. Les rabbins ou bien connaissent de toute antiquité un nom d’oiseau sémitique à peu près homophone de « sable », ou bien tirent leur interprétation de la traduction φοῖνιξ de la Septante, rendue plausible par la présence du nid, si le mot ken est pris dans ce sens. Ils brodent tardivement de courtes légendes autour de l’oiseau, mais il n’y en a aucune trace dans le christianisme contemporain. L’interprétation des Massorètes qui, d’un simple point, transforment le sens de hol est peut-être lointainement cautionnée par une tablette d’Ébla, mais elle ne remplace pas « sable » par « oiseau » : elle le lui superpose dans un jeu de mots qui aura échappé à tous les autres traducteurs et commentateurs du texte. Que cet oiseau soit le même que le phénix gréco-romain est, dans l’état actuel des connaissances, impossible à prouver.

  • 136 Ce texte est signalé par Hubaux & Leroy 1939, 48 : « [Dieu] fit pleuvoir sur eux la viand (...)
  • 137 C’était déjà la conclusion, avant McDonald 1960, 192 et 204, de Thomas d’Aquin dans son E (...)
  • 138 Bertrand 1996, 233-235.
  • 139 Gosserez 2013, 85.

38Un seul texte associe dans un même verset sable et oiseaux, le psaume LXXVII, 27 : s’agirait-il par hasard d’un phénomène de contamination, comme nous l’avons assez fréquemment rencontré dans l’élaboration du mythe gréco-romain du phénix ? Un élément extérieur et indépendant est attiré dans la sphère de l’oiseau du seul fait de sa proximité textuelle136. Est-ce ainsi que le « sable » de Job 29, 18 a pu devenir l’oiseau hol chez les rabbins et les Massorètes ? La comparaison de Ps LXXVII, 27 a-t-elle tourné à l’assimilation sable-oiseau, puis à l’identification de cet oiseau-sable au phénix du fait de la mention dans Job 29, 18 d’un nid, de la vie et de la mort, de la longévité, ainsi que d’arbres aux versets suivants ? Mais la Bible gréco-latine n’a jamais vu de phénix dans ce passage137, et les auteurs chrétiens ont emprunté l’oiseau à la mythologie. Elle n’y a pas vu non plus de sable, malgré la fréquence de l’expression biblique « nombreux comme le sable », correctement traduite partout ailleurs, ou, si elle l’a vu, elle l’a éliminé, sans doute pour une cohérence globale de l’image du verset, selon un principe bien attesté. La présence d’un nid, si tant est qu’elle l’ait vu – car il a disparu –, et de parties d’arbre dans les versets suivants – supprimés – ne l’a pas poussée à voir un oiseau φοῖνιξ, mais un arbre φοῖνιξ, c’est-à-dire un palmier – tous deux symboles de longue durée. La question reste ouverte de savoir s’il s’agit d’un problème textuel, d’une mélecture, ou d’un choix stylistique. La Septante a en tout cas refusé l’oiseau : pour éviter l’ambiguïté de φοῖνιξ, elle a précisé « tronc », suivie en cela par les traducteurs latins : aucun auteur chrétien n’est jamais revenu sur cette traduction par « palmier » avant le disciple de Jérôme, Philippe le Prêtre. Ainsi les Pères de l’Église n’ont-ils en aucune manière « manqué l’unique attestation du phénix dans la Bible »138, et ce n’est pas « la caution scripturaire [qui] explique la fortune chrétienne du mythe »139 : il n’y a jamais eu qu’un arbre dans les versions grecques et latines de Job 29, 18. Vouloir donner raison à Tertullien et Ambroise, c’est donner tort à tous les autres, de Clément de Rome à saint Augustin. L’apologie et l’exégèse du phénix chez les Chrétiens se développent indépendamment de la caution des Écritures, sans que cet emprunt à la mythologie pose problème aux consciences.

  • 140 Par exemple « phénix » dans la catholique Bible de Jérusalem, et « sable » dans (...)
  • 141 Sauf de la Bible grecque orthodoxe, toujours fidèle à la Septante, et des éditions qui pr (...)

39En fait, la question de savoir s’il y a un phénix dans la Bible – grecque, latine ou hébraïque – ne s’est jamais posée, de l’Antiquité à nos jours, qu’aux éditeurs du texte, pas au croyant lambda : depuis les exégètes juifs jusqu’aux spécialistes d’aujourd’hui, elle n’a toujours été qu’une querelle de savants. Pour les traductions modernes de Job 29, 18, on remarque que les éditeurs de la Bible chrétienne choisissent le sens usuel de « sable », ceux de la Bible hébraïque celui de « phénix », avec des exceptions dans les deux camps140. Le « palmier » a disparu de l’une et de l’autre141.

  • 142 Il s’agit de l’ardea bennuides, trouvée en 1977 ; voir Hoch 1979. Nous n’avions pas conna (...)

40Peut-être de nouvelles trouvailles archéologiques feront-elles avancer le dossier : on a bien découvert dans une tombe de la patrie originelle du phénix, aux Émirats Arabes Unis, un os d’oiseau qui semble avoir appartenu à une race disparue de hérons géants, tel qu’est représenté le benu dans les peintures égyptiennes142. L’oiseau mythique n’est peut-être pas totalement imaginaire…

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Notes

1 On trouve aussi les graphies chol, chowl, howl, khol, parfois avec un accent circonflexe.

2 Cf. Hubaux & Leroy 1939, 49 et 105, qui ne se prononcent pas ; Van den Broek 1972, 59 sq. et n. 1, qui élimine – avec raison, selon nous, mais trop rapidement – l’hypothèse d’un phénix dans Jb 29, 18.

3 Jb 29, 1 – 30, 2.

4 Il est utile de donner aussi pour le verset 18 une translittération de l’hébreu avec une traduction plus littérale : wā·’ō·mar « je pensais » ‘im - qin·nî « avec = dans ? mon nid » ’eḡ·wā‘ « je mourrai » wə·ḵa·ḥō·wl, « comme le sable (ou le phénix ?) » ’ar·beh « je multiplierai » yā·mîm « (mes) jours » (site http://biblehub.com).

5 Voir Noegel 1996, 94.

6 Voir Van der Lugt 1995, 325-335.

7 Figure de l’hysteron proteron. Voir Driver & Gray 1921, ad loc.

8 Code Strong 2344 – et encore en hébreu moderne (traduit par le grec ἄμμος, code Strong 285), d’une racine chuwl (code Strong 2342), qui signifie au sens propre « tourner, tourbillonner », sens qui s’accorde bien avec le sable, mais guère avec le phénix. En aucun cas hol ne signifie « palmier » comme on le lit parfois.

9 On en trouve vingt-trois occurrences dans la Bible, dont une quinzaine au sens figuratif. Le sable peut aussi renvoyer au poids, comme dans Jb 6, 3.

10 Code Strong 3117.

11 Code Strong 3220. D’après la glose d’un Targum araméen, mentionné infra ; voir Tur-Sinai 1957 et Blommerde 1974, 550 sq.

12 On trouve hul dans certaines publications.

13 Pour 300 000 mots correspondant à 8 000 vocables différents, la Bible comporterait 2 000 hapax. Voir Greenspahn 1980.

14 Voir Wazana 2009, 128.

15 Cf. Frg. 304 (éd. R. Merkelbach & M.L. West, Fragmenta Hesiodea, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. 158-159).

16 En grec, il devient par périphrase un « grand monstre marin ».

17 Alors que la Septante en affirme la réalité, la vie après la mort n’est que probabilité dans le texte massorétique ; voir Gard 1954 et Mangin 2008.

18 Voir Gorea 2007, 122 et n. 233 : le mot στέλεχοϛ, « tronc, tige », apparaît aussi en Jb 14, 8, où il traduit l’hébreu geza, le « tronc coupé » d’un arbre.

19 Les mots « sable » et « palmier » sont en hébreu formés chacun de trois lettres dont les deux dernières peuvent se ressembler pour le non-spécialiste : חול hôl, « sable » = hêt, wâw, lamed ; תמר tamar, « palmier » = tâw, mêm, rêsh.

20 Hypothèse non négligeable : une erreur de copiste peut aboutir à la génération spontanée d’un phénix ; voir Turdeanu 1968 : incompris, le mot Ophannim, qui désigne les compagnons des Chérubins et des Séraphins, a été lu ο’ φοῖνικεϛ, « soixante-dix phénix ».

21 Un ancien Dictionnaire des sciences naturelles donne machla, nachl, ou nachal comme nom égyptien du palmier-dattier (t. 27, Paris, Leprince, 1823, p. 493). Nachal se rencontre dans la Bible, mais au sens de « torrent, vallée » (code Strong 5158).

22 Voir Delitzsch 1866, vol. II, ad loc.

23 Tels Driver & Gray 1921.

24 Les différents types d’écarts de traduction entre la Septante et l’hébreu ont depuis longtemps été classifiés : altération, interpolation, suppression sont les cas de figure les plus fréquents (voir Marguerite Harl, http://septante.editionsducerf.fr/chapitre5.htm).

25 Voir Gorea 2007, 122 : « Les deux textes, l’hébreu et le grec, se valent. L’un décrit sans nommer et l’autre nomme sans décrire » ; et 226 : « Le cas le plus fréquent et le moins équivoque de suppression de versets isolés ou de groupes de versets est celui de la contraction que le traducteur opère d’un ou plusieurs versets pour en faire des segments plus concis. La partie absente n’est pas toujours et totalement absente, mais souvent il en subsiste des traces, de l’ordre des idées ou des mots ».

26 L’oiseau, non nommé dans le fragment, est tel que Lactance, plus tard, décrira le phénix. Contra, Wacholder & Bowman 1985, qui y voient un aigle tiré et de l’Exode et du livre du Prophète homonyme – ce que nous ne croyons pas.

27 Voir les étymologies qui font du phénix « l’oiseau phénicien », rouge comme la pourpre (voir Van den Broek 1972, 52, n. 6). Pour Heath 2006, Ézéchiel inscrit l’oiseau dans l’histoire biblique passée comme une promesse d’avenir pour les Hébreux, liant l’oiseau, l’arbre et sans doute aussi le peuple phénicien homonyme. Pour Noegel 1996, 94, l’hébreu hol signifie, en plus de « sable », « côte » et « phénix », et donc le peuple côtier phénicien – il nous semble que c’est là un jeu de mots en grec, et non en hébreu. Dans le texte apocryphe de L’Assomption de Moïse, les traducteurs hésitent entre « l’oiseau » et « le pays » pour l’expression profectio phoenicis (2 Mos. 15.27). Contra, Chyutin 2011, 171-207 (chap. 9 : « Exagoge – An Exodus to Heliopolis »), pour qui la destination de l’exode est la ville même d’Héliopolis et donc le phénix, l’oiseau égyptien.

28 Par exemple Jb 30, 29.

29 Par exemple Jb 39, 9-10.

30 Jb 4, 11.

31 On trouve dans la Bible vingt-huit occurrences de tamar (code Strong 8558) pour φοῖνιξ l’arbre (code Strong 5405). Aucune référence au palmier dans Jb.

32 Voir Heater 1982, 6 et, pour Jb 29, 18, 89-91.

33 Voir Diaz de Bustamante 1980, 49-55 (symbole de durée).

34 Préparation évangélique 14, 25.

35 L’hébreu tamar – ou tomer selon la vocalisation – vient d’une racine « être érigé ». Saint Augustin commente ainsi le verset 18b : Et ero sicut arbor palmae in honore sempiterno et celsitudine et rectitudine / « Et je serai comme un palmier dans un honneur, une élévation et une droiture éternels » (Adnotationes in Iob, ad loc., notre trad.). Il ne commente pas le verset précédent.

36 Sur le symbolisme de l’arbre dans le Livre de Job, voir Mies 2006, 141-166 ; sur l’arbre du juste, ibid., 142-147 ; pour une explication de nos trois versets, ibid., 155 sq.

37 Voir Lecocq 2011a.

38 Voir Lecocq 2001.

39 Voir Épiphane, Ancoratus 84.

40 L’obel – ou obèle – marquait les ajouts de la Septante, l’astérisque ce qu’elle avait omis.

41 « Ma racine s’étend le long des eaux ; et la rosée restera (toute la nuit) sur mes branches. / Ma gloire sera toujours nouvelle, et mon arc se fortifiera dans ma main » (trad. P. Giguet, La Sainte Bible. Traduction de l’Ancien Testament d’après la Septante, t. III, Paris, Poussielgue, 1872, p. 63).

42 Il y avait une polémique entre eux sur l’interprétation du Cantique des cantiques ; voir Kimelman 1980.

43 Cf. 4, 98.

44 Cf. Épître aux Corinthiens 1, 25 ; sans référence scripturaire, la notice mêle les récits d’Hérodote et Manilius via Pline l’Ancien (nat. 10, 4) : c’est l’oiseau du temple d’Héliopolis.

45 Cf. Homélies sur Job, 378.

46 On y a vu une preuve supplémentaire que Job parlait bien de l’oiseau. En 1, 26, 3, Clément cite Jb 19, 25, toujours à propos de la résurrection. Il n’a pas cité 29, 18 à l’appui de la légende de l’oiseau. Il connaît la traduction de la Septante et certaines variantes, mais il ne fait pas référence à la Bible pour le phénix, alors qu’il en fait en général de longues citations, dont deux précisément avant ou après sa mention du phénix.

47 Cf. Photius, Bibliothèque 126 ; voir Himuro 1998, 530 et 535 : il y eut, justement à cause de la présence du phénix, un fort scepticisme au sujet de l’authenticité de la lettre à sa première publication.

48 Eusèbe, Vie de Constantin 4, 72 ; Zénon 1, 16, 9 ; Grégoire, De cursu stellarum ratio 12.

49 Sauf le Physiologus du Ps. Épiphane, dont nous mentionnons plus loin le « Prophète » à propos de Tertullien.

50 Cf. Catéchèses 18, 7 sq.

51 Cf. De resurrectione carnis 13, 2-3 : Illum dico alitem Orientis peculiarem, de singularitate famosum, de posteritate monstruosum […]. Quid expressius atque signatius in hanc causam ? aut cui alii rei tale documentum ? Deus etiam in scripturis suis : Et florebis enim, inquit [Ps 91, 13], uelut phoenix (notre trad.).

52 Cependant certains voient un lien logique entre les deux textes, tel Bertrand 1996, 233 sq. (article sans bibliographie), pour qui il y a un phénix dans Jb.

53 Voir Chelcea 2005.

54 Verset 13, suite : Septante, ὡσεὶ κέδρος ἡ ἐν τῷ Λιβάνῳ πληθυνθήσεται ; Vulgate : ut cedrus Libani multiplicabitur (« il poussera comme un cèdre du Liban ») ; verset 14 : Septante, πεφυτευμένοι ἐν τῷ οἴκῳ κυρίου ἐν ταῖς αὐλαῖς τοῦ θεοῦ ἡμῶν ἐξανθήσουσιν ; Vulgate : Transplantati in domo Domini in atriis Dei nostri germinabunt (« Planté dans les parvis du Seigneur, il grandira dans la maison de notre Dieu ») ; verset 15 : Septante, ἔτι πληθυνθήσονται ἐν γήρει πίονι καὶ εὐπαθοῦντες ἔσονται ; Vulgate : Adhuc fructificabunt in senectute pingues et frondentes erunt (« Vieillissant, il fructifie encore, il garde sa sève et sa verdeur », traduction œcuménique biblique, version liturgique, Paris, Le Cerf, 1995). Les deux arbres, palmier et cèdre, sont très souvent associés dans la Bible.

55 Comme l’a bien vu Deproost 2005, 125, ce peut être à la suite de « certains témoins vieux-latins de la Bible ». En revanche, nous ne sommes pas d’accord pour dire avec lui que le phénix est un symbole de justice, ce qui autoriserait la confusion avec l’arbre.

56 Ad Physiologum, 11. De phoenice : « Le Prophète a dit de lui : “Le juste fleurira comme le phénix” » (notre trad.).

57 Cf. De trinitate 34, qui glose : […] etiam Spiritus sanctus, qui Deus est, in Scripturis posuit sanctis dicens : Et florebunt uelut phoenix, hoc est, florebunt de morte, de funere suo, sicut phoenix resurget de puluere suo. Si ergo caro auis de cineribus suis resurgit […] / « L’Esprit Saint aussi, qui est Dieu, l’a placé dans les Saintes Écritures en disant : Et ils fleuriront comme le phénix, c’est-à-dire ils fleuriront de la mort, de leurs funérailles comme le phénix renaîtra de sa cendre. Si donc la chair d’un oiseau renaît de ses cendres, […] » (Migne, PL XVII, col. 575A [notre trad.]). La référence biblique est Is 35, 1, mais il n’y s’agit même pas du palmier : l’hébreu chabatstseleth (code Strong 2261) désigne un narcisse (krinon dans la Septante), lilium dans la Vulgate.

58 Tout cela a déjà été dit et est répété par Van den Broek 1972, 57 et n. 2, indiquant que seuls un traité gnostique et le Physiologus byzantin reprennent la traduction de « phénix » pour le psaume.

59 L’auteur du grand poème christianisant sur le phénix ne prend jamais l’exemple de l’oiseau dans son œuvre en prose.

60 Cf. exc. Sat. 2, 59.

61 Voir C. Gerzaguet, « Ambroise de Milan et le texte des Écritures », in Citer, comparer et traduire, Cahiers de Biblindex, série des Cahiers de Biblia Patristica (à paraître en 2014). Nous remercions l’auteur de nous avoir aimablement communiqué son article avant publication.

62 Exc. Sat. 2, 59 : Atqui hoc relatione crebra et scripturarum auctoritate cognouimus memoratam auem quingentorum annorum spatia uitali usui habere praescripta (notre trad.).

63 C’était l’opinion d’Otto Faller, éditeur d’Ambroise dans le CSEL (vol. LXXIII ; 1955). On a supposé que l’évêque pouvait avoir en tête soit le psaume avec le mot φοῖνιξ translittéré (comme Tertullien), soit la Lettre de Clément, et non la Bible. La seconde hypothèse nous paraît la plus vraisemblable – pour ne pas avoir à douter de la bonne foi d’Ambroise. Les Lettres de Clément étaient lues à l’église, et on les trouve aux côtés de l’Ancien et du Nouveau Testament dans le Codex Alexandrinus, daté de la fin du IVe siècle ou du début du Ve : le canon des Écritures n’était pas encore fixé. Cela semble d’autant plus probable qu’un nom bizarre du texte d’Ambroise, Lycaoniam, ne s’explique à peu près bien que par la mélecture du mot coloniam dans la traduction latine de Clément datée du IIe siècle (hypothèse d’A. von Harnack ; voir Van den Broek 1972, 306, n. 5) ; il ne s’agit certainement pas d’une autre tradition, comme le propose Gosserez 2009, 315. Irénée, par exemple, cite Clément comme « écriture » (Contre les hérésies 3, 3, 3). Ambroise – ou un glossateur ? – remplace aussi l’Arabie par l’Éthiopie, patrie du phénix dans les romans, mais la conserve dans son Hexaemeron 5, 23, 79.

64 Cf. hex. 5, 23, 79 sq.

65 Homélie 8, sur la création des oiseaux.

66 Ambroise sera suivi en cela par le Ps. Eusthate, qui cite dans son commentaire de l’Hexaemeron le passage d’Ézéchiel sur le phénix (Migne, PG 18, col. 729C).

67 Voir Klostergaard Petersen 2003, 164.

68 Ecclesia fere tota consentit : quod eam non inaniter credidisse credendum est, undecumque hoc traditum sit, etiamsi canonicarum Scripturarum hinc expressa non proferatur auctoritas / « L’Église presque tout entière en convient : il faut croire qu’elle n’y a pas cru sans raison, quelle que soit la source qui l’a transmis, même si l’autorité des Écritures canoniques ne peut être mise en avant comme en ayant expressément parlé » (Lettre 164, 3, 6, au sujet d’Adam [notre trad.]).

69 À deux exceptions près, très marginales : un sermon copte gnostique du VIe siècle : « Il est écrit […] : “Le juste croîtra comme un phénix” » (Van den Broek 1972, 45 ; voir Tardieu 1973, 122), et le Old English Phoenix. Voir Lecocq 2014 (les vers 548-569 sont une variation autour de Jb 29, 18).

70 Cf. epist. 30, 8 ; De spiritu sancto 2, 10, 108.

71 Voir Niehoff 1996, 251 et 255 sq.

72 Leur vocalisation peut différer d’autres versions hébraïques de la Bible et être tout aussi légitime que celle des Massorètes.

73 Ce sont des traductions-interprétations avec des paraphrases explicatives.

74 Elle ajoute même la précision habituelle du mot : « de la mer ».

75 Ramban (XIIIe siècle) et Metzudat(h) David (XVIe siècle).

76 Nous récusons l’assimilation faite par Niehoff 1996, 260-262, après d’autres, du Ziz au phénix et chez les rabbins et dans l’Apocalypse grecque du Ps. Baruch : le nom de phénix employé par ce dernier cache un autre oiseau mythique, coq cosmique ou héliodrome, comme le dit explicitement le texte, à deux reprises (ὄρνεον περιτρέχον ἔμπροσθεν τοῦ ἡλίου, Τοῦτο τὸ ὄρνεον παρατρέχει τῷ ἡλίῳ) ; voir Wazana 2009, pour qui cet oiseau Ziz est l’Anzu sumérien.

77 Genesis Rabbah 19.5, commentaire à la Genèse 3, 6 ; voir Niehoff 1996, 257-259.

78 Ils sont suivis par Rashi (XIe siècle) et Malbim (XIXe siècle).

79 Ces variantes comportent l’une la crémation, l’autre la décomposition, comme dans le mythe gréco-romain – autre indice d’emprunt selon nous.

80 Tractatus Sanhedrin 108b (codifié vers 500 ?) ; voir Niehoff 1996, 259 sq.

81 Ou avarshina, nom pour lequel on a parfois proposé une étymologie… grecque (voir Niehoff 1996, 256). C’est Rashi qui procède à son assimilation avec « l’oiseau appelé chol dans la langue de l’Écriture et qui ne meurt jamais » (ad loc.) ; le nom médiéval de l’oiseau est Milcham.

82 Trois animaux sont problématiques pour Noé : le caméléon, le lion et le phénix – le seul pour lequel il y a une citation biblique à l’appui.

83 Contradiction notée par Yefeh Toar dans son commentaire à Midrash Bereshit Rabbah 19:5 (voir Slifkin 2007, 237) ; mais Y. Toar ajoute à la confusion en parlant de l’invulnérabilité de l’oiseau aux flèches, trait du phénix emprunté à l’oiseau-cannelle (voir Lecocq 2011c). Il est plus convaincant quand il commente le phénix de l’arche comme étant allégorique.

84 À part, dans certains récits, les prêtres du temple d’Héliopolis et la foule.

85 Comme le propose Van den Broek 1972, 60.

86 Elles se fondent sur le Codex de Léningrad.

87 Voir Niehoff 1996, 255 sq., qui pense que la Septante a pu elle aussi, comme les rabbins, voir originellement un oiseau dans hol ; mais il n’y explique pas l’absence du nid, qui fait disparaître le parallélisme mis en avant pour justifier le choix des rabbins : sa logique est prise en défaut.

88 La seule autre mention pré-rabbinique du phénix est celle de l’Apocalypse, Ps. Baruch (6) ; mais sous ce nom se cache un oiseau tout à fait différent et bien attesté par ailleurs : le coq cosmique ziz, dont le seul point commun avec le phénix est son caractère solaire. Les traits que ce coq emprunte au vrai phénix se mélangent de façon incohérente : le ver est son excrément, qui se change en cannelle ! L’assimilation est d’autant plus abusive que la pauvre bête a pour destin d’être mangée à la fin des temps – comme le Léviathan.

89 Cette anecdote a d’ailleurs inspiré un conte d’Andersen (L’Oiseau Phénix, 1850).

90 Carmen de aue phoenice, v. 1-30.

91 De mundi initio 1, 218-245.

92 Les représentations du phénix dans les textes et dans les images – païennes ou chrétiennes – sont différentes ; voir Lecocq 2009a et Id., « The Phoenix Bird in Paradise : Literature and Iconography », in Tierreich der Himmel – Animal Kingdom of Heaven. Anthropozoologische Aspekte in Kult und Kultur der spätantike Welt – Anthropozoological Aspects in Cult and Culture of the Late World, I. Schaaf (dir.), 12-14 décembre 2013, Université de Constance (à paraître dans les Actes du colloque).

93 Par exemple, saint Augustin et Vincent Victor (De natura et origine animae 4, 33).

94 Voir Lecocq 2013. Ce raisonnement est repris à la Renaissance par le naturaliste Ulisse Aldrovandi (1522-1605) qui, dans son Ornithologia, livre XII, chap. 28 (Bologne, Francesco de’ Franceschi, 1599), consacre pas moins de dix-sept pages au phénix – et par plusieurs exégètes de la Bible ; voir Himuro 1998, 524 et 526 sq.

95 Cette objection avait été prévue, non par Lactance, mais par le rabbin Aba b. Kahana, ou Rav Kahana (IIIe siècle apr. J.-C.), qui appelle l’oiseau Thushl’mi – encore un hapax – dans son commentaire au Tractatus Sanhedrin 11. Les logiciens ont le même problème, de l’Antiquité au Moyen Âge : le phénix unique est-il un universel ou pas ?

96 « 18. Car j’ai dit : Mon âge vieillira comme l’arbre palmier, je vivrai longtemps / 19. Ma racine a accès aux eaux et la rosée s’attardera sur mes branches / 20. Ma gloire se renouvellera avec moi et mon arc se fortifiera dans ma main » (éd. P. Sabatier, Bibliorum sacrorum latinae versiones antiquae seu Vetus italica, Reims, Regnauld Florentain, 1743-1749, 3 vol. [notre trad.]) ; c’est le texte d’Augustin (cf. Adnotationes in Iob [ad loc.]).

97 L’expression arbor palmae est attestée chez Suétone, Aug. 94, 11.

98 Voir Bogaert 2012.

99 Cf. adu. Ruf. 3, 6 : Ego (sc. Jérôme) philosophus, rhetor, grammaticus, dialecticus, Hebraeus, Graecus, Latinus, trilinguis […].

100 Cf. epist. 57 (à Pammachius), « Sur la meilleure méthode de traduction ». Voir Svenbro 2006.

101 Cf. epist. 48, 4 (à Pammachius) : « J’ai traduit aussi depuis peu en latin le livre de Job […]. Tâchez de le lire en grec et en latin ; comparez l’ancienne édition avec ma traduction, et vous verrez quelle différence il y a entre la vérité et le mensonge » (trad. Benoît Matougues [Paris, Auguste Desrez, 1838, p. 498b]).

102 « 18. Et je disais : Je mourrai dans mon nid et comme le palmier je multiplierai mes jours / 19. Ma racine s’ouvre le long des eaux et la rosée s’attardera sur mon branchage / 20. Ma gloire se renouvellera toujours et mon arc se fortifiera dans ma main » (notre trad.).

103 Dans la Lettre sur le cierge pascal au diacre Praesidius (cf. PL 30, 182), dont l’authenticité a été autrefois contestée, le phénix figure à la fin dans une liste d’animaux tirée du catalogue du Physiologus, qui n’a pourtant aucun rapport avec le sujet de la lettre, et qui intervient après ce qui paraît en être la formule conclusive. Pour nous, comme pour plusieurs éditeurs, le passage est une interpolation évidente, même si Jérôme commençait sa lettre par l’exemple des abeilles de Virgile. En tout cas, aucune référence à la Bible.

104 1 R 17, 4, au sujet du prophète Élie « ravitaillé par les corbeaux » – traduction pourtant conservée après lui. Mais Jérôme a répété des erreurs de la Septante, comme dans le Psaume CXIV, 9, où il traduit par placebo, « je plairai », l’hébreu « je marche », autre faux-sens destiné à une longue postérité.

105 Palma autem arbor secundum Graecos φοῖνιξ dicitur. Auis quoque illa quam multis saeculis uiuere autumant φοῖνιξ eodem nihilominus uocabulo nuncupatur. Potuit fortassis de eadem hoc loco dixisse […]. Fieri ergo potest ut sanctus Job in similitudine auis illius dicat se post mortem in cinere carnis uelut in nido pro tempore futurum et inde resurrecturum in gloriam […] (Expositio in Iob 2, 12, ad Jb 29, 18 [notre trad.]). Voir Fransen 1949 (cette œuvre fut autrefois attribuée à Bède ou au Ps. Bède, ce que fait encore Van den Broek 1972, 60, n. 5). À notre connaissance, on ne retrouvera cette indication que dans le poème médiéval anglo-saxon The Old English Phoenix, qui, à la suite de la traduction du Carmen de aue Phoenice de Lactance, en fait une paraphrase où il cite Jb 29, 18 aux vers 552 sq., mentionnant le nid et le phénix (voir Lecoq 2014).

106 À l’exception notable du cas d’Ézéchiel le Tragique ; voir notre article « Inventing the Phoenix : a Myth in the Making through Ancient Texts and Images », in The Role of Animals in Ancient Myth and Religion (Actes du colloque de Grumento Nova, 5-7 juin 2013), P.A. Johnston, A. Mastrocinque, G. Casadio (éd.), Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, à paraître en 2015.

107 À un siècle d’intervalle, le sujet rhétorique et galvaudé du phénix donne lieu à un concours de poésie entre Lactance et Claudien, les deux seuls grands poèmes de l’Antiquité sur l’oiseau : voir Lecocq 2014, ainsi que Lecocq 2011b.

108 Voir Lecocq 2013.

109 Un seul manuscrit du Vatican propose la correction arena pour palma ; voir McDonald 1960, 189. La Bible de Gutenberg donne palma, et encore la Vulgate sixto-clémentine en 1592, quand la Bible de Luther donne « sable » (Sand) en 1545.

110 Voir Sajo 2005.

111 Il fut professeur de langues et littératures ougaritique et phénicienne à l’Institut biblique pontifical de Rome de 1957 à 1982.

112 Cf. Dahood 1974 (la moitié de la première page est consacrée à une longue citation de R. Van den Broek). Il était précédé dans cette interprétation par W.F. Albright et suivi par J. Aistkleitner : voir Fisher 1971, 51.

113 Cf. Keilalphabetische Texte aus Ugarit (KTU) 1.5 i 1-2.

114 La fille du roi malade invoque le dieu Baal sur la montagne Zaphon : voir Margalit 1999, 227.

115 Cf. la dernière traduction en date du texte par Greenstein 1997, 31 : hl est traduit par « domaine » – auparavant par « circuit ».

116 En revanche, le mot ougaritique pour « sable, poussière, cendre » a bien la même racine que le mot hébreu hol.

117 Voir Dahood 1967 et 1974. On signale aussi une communication orale sur ce sujet.

118 Lactance la désigne comme le nectar et l’ambroisie versés du ciel (v. 111-112) ; la rosée se trouvait, avec la manne, dans l’Apocalypse grecque de Baruch, 6-8 (vers 120 après J.-C.), où il s’agit d’un coq cosmique héliodrome contaminé par le phénix, dont il n’emprunte que le nom et la cannelle. C’est là la seule source pré-rabbinique avec Ézéchiel le Tragique.

119 En hébreu nesher (code Strong 5404).

120 Cf. Ceresko 1980, 22-26. Le philologue Lester L. Grabbe avalise sans complément d’enquête : voir Grabbe 1977, 98-101, donnant en bibliographie seulement deux titres, dont un mauvais article de H. Heras (« Standard of Job’s immortality [Job 29:18] », Catholic Biblical Quarterly, 11, 1949, p. 263-279), pour qui l’oiseau qu’il voit dans Job non seulement vient de l’Inde, mais porte un nom indien ! Ils ne sont pas suivis par Day 1996, 252 et n. 59.

121 Il suit là encore les développements de Hubaux & Leroy 1939 et de Van den Broek 1972.

122 Watson 2007, 109 liste curieusement comme nom propre de mois un hlt, traduit « phoenix ». De fait, un mois du calendrier ancien d’Ébla portait le nom de hl, parfois noté hlt, vocalisé en hali ou halitu(m), que William H. Shea rattache bien à l’hébreu chuwl, mais dans son sens de « tourbillonner », comme le sable chowl de même racine, et employé dans ce contexte calendaire sans doute à propos du vent : il traduit par « Month of Whirling (Winds) », correspondant à septembre-octobre (cf. Shea 1980, 131 sq.). Ce n’est donc pas un nom d’animal ici. Gelb 1992, 138 ne prend position ni pour l’étymologie ni pour l’interprétation.

123 Cf. Driver 1955, 138 sq. (le phénix et Jb 29, 18). Même analyse pour Gorea 2007, 122.

124 Sur ce phénomène de « traduction multiple » dans le Targum, voir Stec 1994, 85-94 (qui donne (195) le texte hébreu de Jb 29, 18, malheureusement sans la traduction).

125 De fait, la traduction de Samuel Terrien suit Driver 1955, 138 sq. pour ken, mais pas pour hol (cf. Terrien 1963, 248) : « Je me disais donc : “je mourrai en pleine vigueur, et je multiplierai mes jours comme le phénix” ». Son commentaire n’est pas cohérent avec sa traduction : Job « s’attendait à vivre jusqu’à un âge avancé, au milieu de ses enfants » ; « au milieu de ses enfants » renvoie en effet à ken compris comme « nichée, maisonnée, famille », et n. 2 : « L’expression […] “J’expirerai en la communion de mon nid” est plutôt bizarre […], ce qui peut supporter la conjecture d’un mot égyptien, qn, “vigueur physique” (d’après Merz, cité par Dhorme, in loc.) ».

126 Code Strong 7064. Voir Barr 1991. Pour lui, la solution est encore plus simple : ken signifie d’abord « le séjour », « la maison », voire « la famille », et spécifiquement « le nid » seulement si l’on parle d’oiseaux. Même analyse pour Gorea 2007, 122.

127 « Pour la cannelle, il me semble que c’est un terme d’origine hébraïque ou arabe, du mot ken, qui signifie « nid » ; d’aucuns rapportent qu’on la faisait tomber des nids de l’oiseau-phénix ou oiseau-cannelle. J’ai raconté cela ci-dessus [cf. chap. 38], dans l’histoire de l’oiseau-cannelle » (Ornithologia, chap. 102 [notre trad.]). Sur l’amalgame fait par Pline l’Ancien de l’oiseau-cannelle et du phénix, voir Lecocq 2011c, ainsi que Lecocq 2009b et Lecocq 2012.

128 Comme G.R. Driver l’a fait pour les autres oiseaux – bien réels, eux – de la Bible, avec des critères précis et rigoureux. Pour faire logiquement suite à l’étymologie et au sens donnés par W.H. Shea au mois éblaïte hl (voir note 122), nous proposons de comprendre le nom d’oiseau de la tablette bilingue comme « le tourbillonnant ».

129 Mais avec un chiasme des idées : 42, 16, vie et famille, mort et durée (en 29, 18, mort et famille, vie et durée).

130 Voir Joosten 2008, 31 sur l’influence de passages parallèles : « Il arrive très souvent qu’un passage biblique soit altéré dans le processus de copiage à cause de l’influence exercée par un autre passage plus ou moins parallèle ». Par ailleurs, la Septante prolonge le Livre de Job au-delà de ces versets sur le thème de la résurrection ; donc le passage de 42, 18 ne peut rien prouver pour celui de 29, 18.

131 En hébreu translittéré : 17 way·yā·māṯ « mourut » ‘î·yō·wḇ, « et Job » zā·qên « âgé » ū·śə·ḇa’ « et plein » yā·mîm. « de jours ».

132 « 16. Et après ses jours d’affliction Job vécut cent soixante-dix ans, et la durée de toute sa vie fut de deux cent quarante-huit ans. Et Job vit ses fils et les fils de ses fils, jusqu’à la quatrième génération, 17. et Job mourut fort âgé et rassasié de jours » (notre trad.).

133 « 16. Et après cela Job vécut cent quarante ans, et il vit ses fils et les fils de ses fils, jusqu’à la quatrième génération. 17. Puis il mourut âgé et rassasié de jours » (notre trad.).

134 On a parfois lu à la place de « nid » le mot za-ken, « vieil homme » (code Strong 2205), comme dans Jb 42, 17 (voir n. 132), ce qui pourrait expliquer la traduction γηράσει de la Septante pour Jb 29, 18 ; voir, par exemple, Pope 1973, ad loc.

135 Il emploie le même verbe multiplicare pour sa traduction du Ps 91, 13, où la comparaison se fait avec un arbre : Iustus ut palma florebit ut cedrus in Libano multiplicabitur.

136 Ce texte est signalé par Hubaux & Leroy 1939, 48 : « [Dieu] fit pleuvoir sur eux la viande comme de la poussière / et comme le sable des mers les oiseaux » (Ps 77, 27), à propos d’un ravitaillement miraculeux du peuple juif. Pour des exemples de contamination par voisinage, voir notre article cité à la note 106.

137 C’était déjà la conclusion, avant McDonald 1960, 192 et 204, de Thomas d’Aquin dans son Expositio super Iob ad litteram au XIIIe siècle, et de nombreux savants de la Renaissance, dont le Caennais Samuel Bochart [1599-1667], le premier à dresser l’inventaire des animaux de la Bible dans son Hierozoicon (Londres, Thomas Roycroft, 1663), et encore de Dom Augustin Calmet (1672-1757), qui a consacré une « Dissertation » de neuf pages à ce verset 29, 18 dans son Commentaire littéral sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament : Le Livre de Job (Paris, Émery Père & Fils, Saugrain et Martin, 1722, p. XLIII-LI).

138 Bertrand 1996, 233-235.

139 Gosserez 2013, 85.

140 Par exemple « phénix » dans la catholique Bible de Jérusalem, et « sable » dans l’Orthodox Jewish Bible. On trouve sur Internet des sites comparatifs des traductions et commentaires de très nombreuses éditions de la Bible dans diverses langues, anciennes et modernes.

141 Sauf de la Bible grecque orthodoxe, toujours fidèle à la Septante, et des éditions qui proposent simultanément deux ou trois traductions, « sable », « phénix » et « palmier », sans choisir.

142 Il s’agit de l’ardea bennuides, trouvée en 1977 ; voir Hoch 1979. Nous n’avions pas connaissance de cette découverte lorsque nous rédigions notre article « Les sources égyptiennes du mythe du phénix », in L’Égypte à Rome, F. Lecocq (éd.), Cahiers de la MRSH de Caen, nº 41, 2005, p. 211-264 (rééd. rev. et corr. 2008, p. 211-266 + 17 fig.). En milieu gréco-romain, le phénix n’est un héron que sur les monnaies impériales. Dans les textes, sur les mosaïques et les fresques, il est tantôt un rapace – suivant la description d’Hérodote –, tantôt un faisan, un paon ou un coq, tantôt une colombe : voir Lecocq 2009a.

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Pour citer cet article

Référence papier

Françoise Lecocq, « Y a-t-il un phénix dans la Bible ? À propos de Job 29, 18, de Tertullien (De resurrectione carnis 13, 2-3) et d’Ambroise (De excessu fratris 2, 59) »Kentron, 30 | 2014, 55-82.

Référence électronique

Françoise Lecocq, « Y a-t-il un phénix dans la Bible ? À propos de Job 29, 18, de Tertullien (De resurrectione carnis 13, 2-3) et d’Ambroise (De excessu fratris 2, 59) »Kentron [En ligne], 30 | 2014, mis en ligne le 19 décembre 2016, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/463 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.463

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Auteur

Françoise Lecocq

Centre Michel de Boüard – CRAHAM (UMR 6273), Université de Caen Basse-Normandie

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