R. W. Burgess, Michael Kulikowski, Mosaics of Time : The Latin Chronicle Traditions from the First Century BC to the Sixth Century AD, vol. I : A Historical Introduction to the Chronicle Genre from its Origins to the High Middle Ages
R. W. Burgess, Michael Kulikowski, Mosaics of Time : The Latin Chronicle Traditions from the First Century BC to the Sixth Century AD, vol. I : A Historical Introduction to the Chronicle Genre from its Origins to the High Middle Ages, Turnhout, Brepols (Studies in the Early Middle Ages ; 33), 2013, 444 p.
Texte intégral
1Cet ouvrage est le premier volume d’une série de quatre consacrés aux chroniques de l’Antiquité tardive. Il constitue l’introduction à un travail ambitieux qui offrira, pour l’ensemble des textes latins du Ier siècle au VIIe siècle ap. J.-C., à la fois des éditions, des traductions et un ample commentaire historique et philologique du corpus longtemps délaissé des sources historiques que les auteurs regroupent sous le terme générique de « chroniques ». Dans le dense premier chapitre de ce volume I, intitulé « Nomenclature and Genre » (p. 1-61), R.W. Burgess et M. Kulikowski non seulement s’efforcent de réhabiliter ce genre d’écriture de l’Histoire, mais encore, en le replaçant dans la longue durée, depuis les annales royales de l’Ancienne Egypte jusqu’aux chroniques et annales médiévales, proposent de reconsidérer totalement les définitions et les catégories qui ont été créées durant l’époque moderne par les historiens médiévistes. En montrant les racines profondes des chroniques de l’Antiquité tardive, qui se rattachent ainsi autant aux traditions du Proche-Orient égyptien, babylonien et assyrien qu’aux traditions juives puis grecques de l’art de consigner le passé, les auteurs démontent avec force l’erreur commise depuis deux cents ans : croire que ce genre littéraire constitue une historiographie chrétienne, née à la fin de l’Antiquité, ce qui justifierait son expansion dans l’ensemble du monde byzantin et carolingien à partir du VIIe siècle, au détriment des autres formes d’écrits historiques. En effet, si la disparition des consularia est liée à la disparition du consulat en 541 et explique techniquement, et non pour des raisons de triomphe du christianisme, le fait que la chronique devint le genre dominant du Moyen Âge, celui-ci prit néanmoins bel et bien ses racines dans les chroniques pascales des Ve et VIe siècles qui influencèrent donc la tradition médiévale des annales compilatoires. Pour les auteurs, « il est désormais impossible de continuer d’affirmer la nature fondamentalement chrétienne de ces écrits » (p. 35), et leur naissance au VIIe siècle. Ils acceptent que ce postulat soit largement débattu, tant il peut renverser les perspectives de tous ceux qui s’intéressent aux sources narratives historiques de l’Antiquité et du Moyen Âge. Mais parce que les cloisons entre ces deux périodes et entre les milieux scientifiques qui s’y intéressent sont encore trop étanches, leur but est de proposer dans ce chapitre une nouvelle nomenclature des termes utilisés pour définir ces sources et ils passent en revue successivement les genres des fastes et des annales, des sources narratives de la période classique, des consularia et enfin des chroniques de l’Antiquité tardive. Afin de proposer un vade-mecum compréhensible et utilisable par tous, une taxinomie totalement renouvelée, ce long travail de définitions est résumé dans un Addendum intitulé « Towards an Ecumenical Vocabulary » qui synthétise les propositions faites précédemment et résume, pour les lecteurs, les définitions auxquelles les auteurs aboutissent pour les termes suivants : les annales, les chroniques, les consularia, les chroniques pascales, les chroniques épitomes, la chronographie, les breviaria et les épitomes. C’est là un nouvel ordonnancement des concepts afin de permettre à tous les chercheurs venant d’horizons variés d’utiliser avec profit les chapitres suivants de ce premier volume et surtout des volumes à venir qui reprendront l’ensemble du corpus des sources impériales et tardives jusqu’au VIIe siècle.
2Le chapitre 2 est consacré à l’écriture de l’Histoire dans le Proche-Orient ancien, le monde grec et latin jusqu’à la période augustéenne (p. 63-97). Certains exemples sont proposés en traduction dans les Appendices 3, 4 et 5 à la fin de l’ouvrage. Les auteurs notent la grande similarité de ces textes avec les chroniques classiques plus tardives, la prédominance des chroniques par olympiades à l’époque hellénistique, l’intérêt sans préjugés de Cicéron pour les écrits de Nepos et Atticus et achèvent ce chapitre par l’analyse des premières chroniques latines à la fin de la République et aux deux premiers siècles de l’Empire. Ce corpus sera plus amplement discuté dans le volume 2 à venir de la série.
3Le chapitre 3, intitulé « Apologetic Chronography and the Chronographic Works of Eusebius » (p. 99-131), est consacré aux liens entre l’apologétique juive et grecque et les premiers écrits apologétiques chrétiens, en insistant sur le fait que la tradition florissante des chroniques grecques par olympiades a largement influencé les apologétistes chrétiens car leur public était depuis longtemps familier et amateur de ce genre littéraire, même si fut également déterminant le souci des auteurs chrétiens de se rattacher à l’histoire juive de l’Ancien Testament et à la justification par l’ancienneté des cultures juive et grecque. La version originelle des Chronici canones d’Eusèbe n’a pas survécu au IVe siècle et il s’agit là d’une des pertes les plus considérables de l’histoire littéraire de l’Antiquité gréco-romaine. Car sa nouvelle chronographie fut, dès le départ, critiquée et amendée par les premiers auteurs chrétiens orientaux, Diodorus de Tarse à la fin du IVe siècle, Annianus et Panodurus au début du Ve siècle, Andronicus durant le règne de Justinien et Jacob d’Edesse, un chroniqueur syriaque de la fin du VIIe siècle. La traduction latine des Canones d’Eusèbe par Jérôme en 381 et la meilleure conservation dans le temps de sa Chronographia expliquent que son œuvre devint, en Occident, le standard chronologique alors qu’en Orient, elle avait été attaquée et réécrite.
4Le chapitre 4, « The Early Development of Calendars and Consularia » (p. 133-171) revient sur la part décisive qu’eurent les traditions chronographiques latines de la République et du Haut-Empire et le goût des auteurs latins, notamment les antiquaires, pour la recherche du passé le plus lointain de Rome. Les auteurs montrent bien dans ce chapitre que les calendriers peints ou inscrits dans le marbre ne furent pas des œuvres commandées par les cités, le sénat ou les empereurs, mais des initiatives privées, exaltant ce goût des élites comme le montrent les Fasti Antiates maiores retrouvés dans une villa. Cette tradition antiquaire, notamment celle de Varron, fut sous le règne d’Auguste, exploitée à des fins d’auto-représentation impériale et de mise en scène de la continuité des traditions de la République sur lesquelles s’appuya l’essentiel de la propagande impériale. Durant le Haut-Empire, les aristocraties locales italiennes se servirent encore parfois des fastes pour prouver leur adhésion à la romanité et l’exprimer en public, comme le montrent encore les Fasti Ostienses gravés vers 178, mais le genre perdura durant l’Antiquité tardive sous forme écrite et non plus épigraphique.
5C’est à cette évolution qu’est consacré le chapitre 5, « Consularia and Chronicles in the Later Roman Empire », (p. 173-187). Les proto-consularia chrétiens apparaissent vraisemblablement à la fin du IIIe siècle et ne semblent pas être influencés par les dernières inscriptions érigées à la fin du second siècle. Elles deviennent néanmoins très populaires à Constantinople et dès le dernier tiers du IVe siècle, on peut constater une explosion de l’intérêt pour la chronographie, à la fois sous la forme de consularia et de chroniques, à tel point que, dans une diatribe, Eunape n’hésite pas à noter (Frag. 79-80) qu’elle était devenue une véritable mode à l’époque. De très nombreuses chroniques locales voient le jour, mais en revanche le genre des consularia était voué à disparaître tant en Occident, à la suite de la disparition définitive du consulat, de la régionalisation et de la diminution des horizons politiques, qu’à Constantinople où le calendrier impérial devint quant à lui plus ecclésiastique qu’en Occident à partir du milieu du Ve siècle. La chronique prit le relais à partir de l’œuvre de Jérôme et de ses nombreux continuateurs aux Ve et VIe siècle. C’est la Chronique de Prosper qui inspira la troisième génération de chroniqueurs de la fin de l’Antiquité tardive : Cassiodore, Victor de Tunnuna, Marius d’Avanche et Jean de Biclar.
6Le dernier chapitre intitulé « Chronicles in the Middle Ages » (p. 189-267) dresse un vaste panorama du développement du genre depuis Isidore de Séville jusqu’à Sigebert de Gembloux. Il commence par une récapitulation des arguments des auteurs de l’ouvrage à l’encontre de la distinction faite par les médiévistes entre « chroniques » et « annales » puisque les deux genres ont la même origine. Il se poursuit par l’étude des écrits d’Isidore de Séville et de Bède et leur influence décisive sur leurs continuateurs en Occident, la longue tradition de la chronique pascale en Orient, pour ensuite dessiner une présentation synthétique des textes chronographiques des époques mérovingienne et carolingienne.
7L’ouvrage est assorti de huit appendices qui présentent une série non négligeable de traductions de textes présentés dans les chapitres précédents, une abondante bibliographie et un index.
8Cet ouvrage et ceux qui vont suivre vont devenir une somme indispensable en ce début de XXIe siècle pour l’étude d’une forme d’écriture de l’Histoire durant l’Antiquité et le haut Moyen Âge qui avait été jusqu’à maintenant singulièrement sous-estimée et mésestimée. Elle permettra sans aucun doute un dialogue fructueux entre les chercheurs de diverses disciplines et surtout entre les spécialistes de l’Antiquité et les médiévistes. Il faut donc saluer le travail magistral entrepris ici par R.W. Burgess et M. Kulikowski qui pourra servir à redécouvrir des sources négligées et favoriser des recherches nouvelles car ces deux auteurs offrent généreusement, tant dans le texte que dans l’immense apparat critique, une véritable mine d’or que l’un et l’autre ont déjà, dans leurs très nombreux travaux, mise au service d’une connaissance renouvelée de l’Antiquité tardive.
Pour citer cet article
Référence papier
Christine Delaplace, « R. W. Burgess, Michael Kulikowski, Mosaics of Time : The Latin Chronicle Traditions from the First Century BC to the Sixth Century AD, vol. I : A Historical Introduction to the Chronicle Genre from its Origins to the High Middle Ages », Kentron, 31 | 2015, 194-197.
Référence électronique
Christine Delaplace, « R. W. Burgess, Michael Kulikowski, Mosaics of Time : The Latin Chronicle Traditions from the First Century BC to the Sixth Century AD, vol. I : A Historical Introduction to the Chronicle Genre from its Origins to the High Middle Ages », Kentron [En ligne], 31 | 2015, mis en ligne le 19 octobre 2016, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/405 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.405
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