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Philologies

Des étymologies probables de noms propres dans la 2e Néméenne et la 11e Pythique de Pindare

Martin Steinrueck
p. 43-63

Résumés

Trois arguments sont mis en évidence pour mesurer la pertinence de quelques « étymologies » de noms propres chez Pindare : 1) l’expression autoréférentielle, qui souligne le rapport entre un nom et les actes de celui qui le porte. 2) Le lien entre le nom du père et celui du fils souvent éclairant pour l’étymologie des noms propres. 3) La démarche de la correctio ou le fait de mettre en doute un récit fondé sur l’explication étymologique d’un nom. Au moins deux de ces critères peuvent être appliqués à une interprétation de noms propres dans la 2e Néméenne et dans la 11e Pythique.

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Texte intégral

Je remercie P. Schubert et P. Voelke de leurs remarques.

  • 2 Cf. après A. Fick, Die griechischen Personennamen nach ihrer Bildung erklärt und systematis (...)

1On ne peut pas nier que les Grecs du Ve siècle soient sensibles aux étymologies. Beaucoup de passages chez Homère, Gorgias, Platon et de nombreuses étiologies dans la littérature grecque jouent sur les noms et les travaux modernes sur ce phénomène montrent bien que ni les auteurs ni le public ne dédaignaient cette figure2. Mais leurs sentiments ne nous sont pas toujours accessibles. Comment peut-on argumenter pour et contre la lecture des étymologies dans un texte grec ? Nous essayerons de répondre à cette question en trois étapes. Dans un premier temps il sera nécessaire de décrire le problème que nous semble poser cette figure rhétorique dans le domaine de l’interprétation et de définir les termes que nous allons utiliser par la suite. Dans un deuxième temps nous ajouterons deux critères pour déterminer une étymologie probable. Finalement nous essayerons d’appliquer ces critères à la lecture des étymologies possibles dans la 2e Néméenne et la 11e Pythique de Pindare.

Le problème : étymologies sûres et possibles

  • 3 Cf. par exemple L.R. Farnell, Critical Commentary to the Works of Pindar, Londr (...)

2Le problème que pose l’étymologie apparaît déjà dans un certain malaise des philologues pindariques : les étymologies proposées dans le commentaire de Bury semblent avoir provoqué un tel refus que la plupart des interprétations ou des commentaires restent extrêmement réservés par rapport à un procédé consistant à transformer un nom propre, désignant un individu, en un nom commun qui s’insère dans un récit évoquant la biographie de l’individu. Souvent, les arguments contre « l’existence », « la réalité » ou la « pertinence » de ces étymologies ne sont pas explicites. Outre la moquerie3 et le jugement esthétique selon lequel un jeu de mots n’est pas convenable et serait même « puéril », les philologues ont voulu faire preuve de prudence à l’égard de certaines étymologies qui « vont trop loin » ou, dans le meilleur des cas, ont cherché à démontrer que le texte en question est compréhensible sans étymologie et qu’elle n’est donc pas nécessaire.

3Commençons par préciser l’argument fondé sur la prudence et par réfuter l’argument esthétique. En effet, dans le cas de Pindare, cette sensation d’un excès pourrait s’expliquer par le fait qu’il existe des étymologies reconnues. Dans trois odes célébrant des vainqueurs, en effet, l’étymologie d’un nom propre est notée explicitement par une expression signifiant « on appela un personnage ainsi, parce qu’il est en relation avec tel événement ».

  1. S’invitant chez Télamon (Pi. I. 6.52), Héraclès voit un aigle (aietós) et, s’inspirant de cet événement (kékleu epónumon), il donne au nouveau-né de son hôte le nom Aias.

  2. Dans l’Olympique 6.56, la mère d’un nouveau-né caché dans des violettes (íois) et nourri auparavant par des serpents au « poison des abeilles » (iô melissân 47) appelle son enfant Iamos pour que le garçon soit appelé (kaleîsthai) ainsi (toût’ónum').

  3. De même, dans la Pythique 2.44, Zeus crée une image aérienne de son épouse Héra, un double de la déesse qui sera violé par Ixion. En souvenir de cet événement, la déesse donne (onúmaxe) à l’enfant qui en naît le nom Kentauros, « qui pique (kentéo) l’air (aúra) » ou « qui couche avec l’air ».

4Ces trois exemples sont révélateurs à la fois pour l’argument esthétique et l’argument fondé sur la prudence. En effet, dans ces trois exemples, nous n’aurions pas hésité à appeler puérile ou absurde l’étymologie « qui couche avec l’air » du nom Kentauros, si l’indication « elle l’appela en souvenir de cet événement » ne nous contraignait pas à l’accepter comme jeu de mots voulu par l’auteur et perçu par le public. On peut tirer trois conclusions de cette expérience.

  1. Du moins au niveau argumentatif, le jugement esthétique de convenance (le prépon) qui se base uniquement sur le mot ou le nom « en soi » ne suffit pas comme argument contre ou pour la « pertinence » d’une étymologie.

  2. L’argument fondé sur la prudence, par contre, prend en considération le contexte exprimé par la métaphore de la limite : dans les trois exemples amenés, ce sont les indications kékleu epónumon, kaleîsthai… toût’ónum' et onúmaxe (et non pas la pure convenance) qui assurent par leur mise en évidence autoréférentielle de l’acte étymologique que le public y entendait un jeu de nom. Les étymologies, en revanche, dépourvues d’une pareille indication métatextuelle, se trouvent au-delà de la limite et sont sujettes au doute de philologues. C’est donc le contexte plutôt que l’interprétation du nom qui doit servir d’argument.

  3. Dans la mesure où nous ne pouvons plus vérifier les sentiments d’un auteur (sa volonté) ni l’audibilité par le public, on s’en tiendra aux indices sur le nom qui se trouvent dans le texte transmis.

5L’hypothèse de l’étymologie d’un nom, aussi facile qu’il semble de lier le contenu étymologique d’un nom au contexte qui l’entoure, ne peut être ni soutenue ni réfutée sans indication explicite dans le texte. Comme on ne peut prétendre ni l’inexistence ni l’existence sans arguments, nous considérerons une telle étymologie fondée uniquement sur le rapport avec le contexte immédiat comme non nécessaire, mais toutefois possible. Qu’elles soient néanmoins parfois perçues est bien attesté par les deux types d’étymologie homérique :

  1. Le premier type, la paronomase employant deux mots de formation phonique semblable, se trouve par exemple en Od. 1.62 : la déesse Athéna suggère, sans indication explicite, un jeu de mots entre le nom d’Odusseús et odúsao, une forme du verbe « être en colère ». Il est pourtant très probable qu’il s’agit d’une paronomase perçue parce qu’en Od. 19.407 le même jeu, avec le même verbe, est explicite.

    • 4 S. Reece, « A Figura Etymologica in the Homeric Hymn to Hermes », CJ 93, 1997, p. 29-39 (...)

    L’étymologie par un synonyme est le deuxième type. Bien qu’il semble encore plus allusif que le premier, il est attesté et rendu explicite en Od. 18.6s. : le mendiant Arnaios « est appelé » Iros par les jeunes parce qu’il faisait parfois office de messager, fait exprimé par la forme verbale apeggélleske. Il faut faire une démarche en plus pour retrouver le mot phoniquement semblable qui justifie cette étymologie explicite : comme « Iris » fait office de messager chez les dieux ainsi « Iros » chez les hommes4.

6On voit donc qu’une allusion étymologique peut aller loin sans que cela aille « trop loin ». Le problème des étymologies grecques de noms ne semble pas être le refus des Grecs de faire et d’entendre des jeux assez sinueux. Le problème se trouve au niveau de l’argumentation. Comment formuler des arguments pour ou contre une étymologie non nécessaire mais possible ? La réflexion suivante peut montrer qu’il y a du moins parfois des arguments supplémentaires permettant d’établir le statut probable d’une étymologie.

Étymologies probables : des critères supplémentaires

7Afin de rendre plus claire la pertinence de cette gradation et de rendre compte de difficultés propres à la figure d’étymologies explicite ou possible, nous la comparerons au rapport établi entre les figures de la comparaison et de la métaphore.

  • 5 Le nom d’Hiéron est donc explicitement mis en rapport (homónume) avec le mot hi (...)

8Selon les rhéteurs anciens, la métaphore est une comparaison dépourvue du « comme ». Ce marqueur explicitant le discours figuré peut être comparé au marqueur « il / elle nomma d’après tel événement » explicitant le discours étymologique. Or une comparaison dépourvue du « comme » indique le discours figuré d’une autre manière qu’une étymologie possible et non explicite : dans la phrase « Achille est un lion dans la bataille », le mot lion est reconnaissable comme élément du discours figuré (exprimant la vaillance) parce qu’il implique des traits sémantiques (comme « animal ») que l’on éviterait d’attribuer à un être humain comme Achille dans un discours non figuré. La métaphore comporte donc un indicateur d’incompatibilité par rapport à un contexte non figuré. Dans le cas d’une étymologie (que nous présupposons voulue) le seul rapport entre le contexte et le nom en question, nous l’avons vu, est condamné à indiquer la possibilité d’une étymologie. En effet, le statut sémiotique d’un nom propre est différent de celui d’un nom commun : les traits sémantiques qu’un nom grec comporte (Achilleus « qui a un entourage accablé ») en général, ne s’appliquent pas au contexte sémantique, sont effacés et ne désignent qu’en tant qu’index une seule personne. Dans ce sens, le nom propre a été défini comme dénominateur figé. Dans un discours étymologique, le nom propre comme Hiéron a donc de prime abord le rôle du discours non figuré désignant le personnage du tyran de Syracuse. Pindare voulant casser cette fixation, comme dans le fragment 105.2s5, et actualiser les traits sémantiques (hierós = fort, magique), devait, premièrement, l’entourer d’un contexte qui répète les traits sémantiques (zathéon hierôn) :

súnes hó toi légo     comprends ce que je te dis
zathéon hierôn homónume     toi qui portes le même nom que les divins hierá

9Mais sans contexte supplémentaire ce rapport (toujours supposé voulu) pourrait passer inaperçu auprès des auditeurs de Pindare, il resterait possible et non nécessaire pour nous. Il faut donc marquer le lien soit par un indicateur explicite (comme homónume) soit par une incompatibilité du contexte immédiat avec le contexte plus large : parfois il s’agit juste de l’impression que ce contexte immédiat (les violettes, le venin des serpents, un aigle) est recherché, mais parfois l’incompatibilité est marquée par une figure rhétorique telle la correctio où le narrateur met en évidence lui-même l’incompatibilité d’un contexte plus restreint avec le contexte plus large.

La figure de la correctio et l’étymologie

  • 6 Pi., O. 1. 26-27. Pour cette interprétation de l’intrigue avec un processus inversé de (...)
  • 7 E. Krummen, Pyrsos Hymnon, Festliche Gegenwart und mythisch-rituelle Tradit (...)
  • 8 Les licences de ce qu’on considère comme une isotopie phonique sont les quatres règles (...)

10La figure de la correctio se trouve notamment liée à l’hypothèse selon laquelle un récit peut être créé à partir de l’étymologie d’un nom. L’exemple le plus connu au Ve siècle se trouve dans la Défense d’Hélène de Gorgias. Il y réfute les accusations d’Hélène par des chants épiques en suggérant que l’histoire de la prise de Troie n’est qu’un effet étymologique. Les poètes l’auraient tirée du nom de l’héroïne : Heléne de hélen traduit par elle l’a prise (à savoir la ville, Gorg., Enc., 2). Un argument semblable se trouve peut-être dans la 1ère Olympique de Pindare. Une légende concernant les Jeux olympiques raconte comment Tantale tue son fils Pelops pour le faire rôtir et le servir aux dieux. Les Olympiens se rendent compte de la supercherie – sauf Déméter qui mange une partie de l’épaule – et reconstituent le garçon en le faisant bouillir dans un chaudron. Nous voulons ici attirer l’attention sur le fait que le texte reporte tout ce long récit à plus tard (46-54) et n’en raconte d’abord que le bref moment où Pélops sort du chaudron et où l’on remplace l’os de son épaule par de l’ivoire6. Bien que ce fragment de légende ne soit raconté qu’en deux vers il est employé dans le texte comme preuve suffisante que la légende n’est pas vraie : « vraiment, beaucoup de prodiges, et les récits travaillés par des mensonges versatiles (poikílois) trompent les paroles des gens en allant au delà de la légende vraie » (Pi., O. 1.28-29). Quel est donc l’élément qui justifie un tel jugement, quels mensonges sont en cause ? Une réponse possible peut émerger des termes que réunit ce moment bien choisi du récit : le nom de Pelops, le chaudron (lébes) et l’ivoire (eléphas). Ces éléments ont peut-être un rapport dans les cultes d’Olympie7, mais également, dans le texte, un rapport de paronomase8 : ils forment un triple jeu de mots moyennant la latérale / l / et les différentes labiales / p, b, ph / mises dans le même ordre, jeux bien connus d’Homère ou du Cratyle de Platon :

(p) e l o p s,
  e l e ph a s
et   l e b e s.

11Pindare suggère-t-il que le récit sur le chaudron et l’ivoire n’est qu’une paronomase du nom de Pelops ? Choisit-il ce petit fragment de légende parce que les jeux de mots, les étymologies possibles y mettent en évidence l’aspect trompeur de la légende entière ? Il en déduit de toute façon que cette légende n’est que l’invention des voisins malveillants de Tantale. C’est le choix de cette brève séquence réunissant chaudron et ivoire (plutôt que de la partie incriminant le père Tantale) qui parle le plus en faveur d’une étymologie évoquée et refusée par Pindare. La présence d’une figure de correction (la légende est menteuse) peut donc rendre plus probable des étymologies possibles. Cette correctio du contexte immédiat d’une étymologie possible, cette incompatibilité explicite avec le contexte plus large est un des arguments nous permettant de faire passer du statut possible d’une étymologie à celui d’une étymologie probable. Passons au second argument.

Critère II : père et fils

12On peut aussi imaginer que Pindare osait suggérer des étymologies non explicites quand il savait que le public s’y attendait. C’est pourquoi le second critère ne se trouve pas forcément dans le contexte immédiat d’un nom, mais souvent dans un contexte plus large qui impliquait pour le public l’acte de donner un nom. Ce critère est la relation entre père et fils. Ces liens sont en général tissés en dehors de la partie narrative de l’ode, mais ils se trouvent souvent en rapport avec des étymologies (explicites !) de héros. Il y a trois raisons de croire que ces liens filiaux créent l’attente d’étymologies.

    • 9 À partir de l’époque classique, l’occasion spartiate semble être le moment (...)
    • 10 Pour le nom du grand-père, cf. la famille des Battiades à Cyrène qui alternent (...)

    Le lien onomastique entre le père et le fils est bien attesté dans la réalité rituelle. À Athènes l’occasion en est notamment le rite ayant lieu le septième jour après la naissance lorsqu’on porte l’enfant autour du foyer9. On a coutume de donner à l’enfant le nom du grand-père ou du père, de répéter des parties du nom du grand-père dans le nom du fils ou de la fille ou encore de répéter le sens10.

    • 11 Cf. S.B. Pomeroy, Families…, p. 88.
    • 12 L’Odyssée souligne dès le début le lien entre le nom d’Ulysse et la colère de Zeus ou (...)

    Parfois et contre la règle le nom du père d’un vainqueur n’est pas transmis en faveur de la ligne maternelle comme dans le cas de Peirodes, vainqueur olympien en 404 et fils de Pherenike, donc « Qui apporte la victoire »11. Si on fait une exception de la règle et supprime le nom du père pour pouvoir jouer sur un nom significatif lié à la même famille, on peut en déduire qu’on cherchait un lien étymologique entre le nom du père et la victoire du fils. Les liens croisés – soit entre le nom du père et les actes du fils soit, au contraire, entre le nom du fils et les actes du père sont souvent évoqués par l’épopée : dans l’Odyssée, Autolycos, grand-père d’Ulysse, donne à son petit-fils le nom d’Odysseus (traduisible par qui s’irrite) en souvenir des ennuis qu’Autolycos a eus pendant le voyage (Od. 19.406ss.). Par la suite Ulysse sera fidèle à son nom parce qu’il subira des colères divines pendant son retour à Ithaque12. Dans la tradition épique l’attribution d’un nom parlant peut donc être suivie d’étymologies de noms.

    • 13 Il faut exclure le cas de la 6e Isthmique, parce que l’étymologie marquée du nom d’Aj (...)

    La relation père-fils semble volontiers apparaître avec des étymologies explicites dans la partie épique. Telle est l’impression que nous donne le rapport des étymologies (explicites) avec la relation père-fils dans le corpus des odes pindariques : sur les 44 épinicies pindariques, 29 présentent à la fois les noms du père et du fils vainqueur et les trois odes avec étymologies explicites des noms de héros se trouvent dans ce groupe. Si nous inversons la perspective en examinant le rapport père – fils dans les odes comportant une étymologie explicite des noms héroïques, nous nous apercevons que ce rapport y est même renforcé : le fils y justifie par ses actes (et / ou par son nom les actes et / ou) le nom du père. Examinons donc ces odes (la 2e Pythique et la 6e Olympique) pour démontrer la pertinence de l’hypothèse selon laquelle la mise en rapport des noms du fils et du père accompagne une étymologie probable ou même explicite du nom du héros comparé au vainqueur13.

La 2e Pythique

13Le petit corpus des épinicies destinées au tyran Hiéron illustre bien le rapport entre étymologie explicite et la relation père-fils. Si dans la 1ère Olympique et la 3e Pythique le père n’est pas mentionné, il apparaît dans les 1ère et 2e Pythiques, la première ode étant dépourvue d’une étymologie explicite, la seconde comportant celle mentionnée plus haut du Ként-auros. La comparaison de ces deux odes fait même ressortir un rapport entre l’étymologie possible des noms de père et fils d’une part et l’étymologie de noms des héros mythiques d’autre part.

  • 14 Dans le fragment 105.2, Hiéron est interpelé : « súnes hó toi légo/zathéon hierôn hom (...)

14Dans la 1ère Pythique, le nom du fils, Hiéron, et celui du père, Deinomenés, ne sont pas mis en rapport au niveau narratif ; le fils ne justifie pas le nom du père, mais leurs noms peuvent être lus comme jeux étymologiques possibles. Comme dans le fragment 105.2s.14, Hiéron est associé (Pi. P. 1.56) au contexte de l’aide divine, ce qui peut actualiser dans son nom Hiéron l’association avec l’adjectif hierós signifiant « sacré, magique, fort ». Dans ce sens le pouvoir d’Hiéron viendrait des dieux et serait déjà inscrit dans son nom. Le nom du père Deinomenés mentionné dans le contexte de la bataille d’Himéra (Pi., P. 1.79) permettrait à un auditeur de voir des similarités entre le nom et le thème de la guerre. Il pouvait donc le comprendre comme « qui a un élan (ménos) terrible (deinós) », mais le concours gagné par Hiéron et la bataille gagnée par Deinomenés ne sont pas explicitement mis en rapport.

  • 15 Pour la traditionnalité du jeu sur Hiéron et hieros en relation avec le pouvoir ou la (...)
  • 16 Cf. B. Gentili et alii, Pindaro. Le Pitiche, Lorenzo Valla, 1995 ad. lo (...)

15L’analyse d’étymologies possibles (et non nécessaires) dans la 1ère Pythique est toutefois utile : d’une part parce que la 2e Pythique ne comporte pas seulement l’étymologie explicite de Ként-auros (cf. introduction) mais les noms du fils et du père y sont aussi mis en rapport de façon plus explicite ; d’autre part parce que les étymologies de la 1ère Pythique se répètent dans la 2e Pythique et réduisent la probabilité d’une projection moderne. De nouveau la victoire d’Hiéron est expliquée par le soutien d’une divinité, Artémis, sa voisine à Ortygia : Hiéron en hâi kratéon « dans laquelle Hiéron a sa force » (Pi., P. 2.5)15. Un peu plus loin (Pi., P. 2.18), le chant célèbre Hiéron détournant probablement Anaxilas de Rhégion d’une guerre contre Locres16. Sans rappeler directement par son nom la personne d’Hiéron, le texte l’évoque indirectement par le patronyme Deinoméneios (Pi., P. 2.18). Le nom du père intervient donc dans la 1ère et dans la 2e Pythique dans le contexte d’une guerre, le nom du fils s’associe dans les deux odes à une force sacrée. Mais à la différence de la 1ère Pythique, fils et père sont liés, dans la 2e Pythique, par un contexte assez recherché impliquant à la fois le sacré et la guerre. Hiéron, en effet, y confirme le nom du père Deinomenès (évoquant la guerre comme qui a un élan terrible) par une intervention qui le rend cher à la déesse des jeunes filles, à Artémis parce qu’il épargne aux jeunes filles de Locres une guerre. Deux éléments se combinent donc : dans un premier temps, l’étymologie possible de son nom Hiéron comme fort par une divinité passe par la Artémis potamía. Or l’intervention d’Hiéron dans une guerre trouve sa reconnaissance dans les chœurs de jeunes filles locriennes. Ces jeunes filles se trouvent particulièrement sous la protection d’Artémis. Dans la 2e Pythique, victoire et guerre sont donc mises en relation à travers le fils justifiant à la fois son propre nom et celui de son père par ses actes et cette relation forte se trouve dans une ode qui présente également dans la partie épique une étymologie explicite (celle de Ként-auros, cf. l’introduction et Pi. P. 2.44).

La 6e Olympique

16La coexistence de l’étymologie explicite dans la partie narrative d’une part et du lien fort entre père et fils-vainqueur d’autre part doit encore être démontrée dans le deuxième cas d’une étymologie explicite. Dans la partie épique de la 6e Olympique, le nom du héros et devin Iamos est expliqué par les violettes (íon Pi. O. 6.55) dans lesquelles l’enfant est caché et par le miel par lequel des serpents le nourrissent (iôi melissân Pi. O. 6.47). Sa mère le nomme explicitement en souvenir de ces circonstances (kaleîsthai et toût’ónum'). Trouvons-nous donc une confirmation de l’hypothèse selon laquelle les mises en rapport des noms du fils et du père accompagnent une étymologie perceptible du nom du héros comparé au vainqueur ? Hagesias, le vainqueur célébré dans la 6e Olympique, et son père Sostratos sont associés à Iamos par leur descendance de ce héros. Quant à l’étymologie que l’on peut construire sur le nom Hagésias, elle a d’illustres antécédents : de même que le poète Alcman présente une fille du nom d’Hagesikhóra – nom qu’il faut traduire par « celle qui mène le chœur » – comme chorège dans un chant choral de jeune filles (Alcm., fr. 1 Calame), de même Hagesías, le « meneur », est représenté comme « chef du cortège » (kómou despótas Pi. O. 6.18). Or, comme il n’est pas seulement un devin par sa descendance, mais aussi un combattant par sa victoire, il est comparé au devin Amphiaraos, qui lors du siège de Thèbes réunissait également ces deux qualités et est décrit par Pindare comme œil de l’armée. Cette mise en rapport des actes et du nom Hagésias (meneur) du fils avec le titre œil de l’armée (stratoû Pi. O. 6.17) suit immédiatement un passage où Hagésias n’est désigné que par le nom de son père (Pi. O. 6.9) : fils de So-stratos, donc de « celui qui sauve l’armée ». Pindare crée donc un texte qui nous semble très recherché et qui pouvait permettre au fils de confirmer ou justifier à la fois son nom et le nom du père : Hagesias, « le meneur », fils de Sostratos, « sauveur de l’armée », s’est mis dans une situation dans laquelle il ressemble à un autre sauveur d’armée, à Amphiaraos. Nous pouvons donc dire que, du moins dans les deux cas qu’on puisse prendre en considération, les deux éléments sont présents : les étymologies de noms héroïques et les relations entre le vainqueur célébré et son père.

* * *

17Nous argumenterons donc avec trois indices d’une étymologie attendue et entendue par le public. Nous en retrouverons au moins deux dans chacune des deux odes que nous allons interpréter.

  1. Une expression autoréférentielle qui souligne le rapport entre nom et les actes de celui qui porte ce nom (étymologie explicite, très probable).

  2. La correctio ou une autre mise en doute du contexte d’une étymologie possible est un argument en faveur de sa perception.

  3. La mise en rapport des noms du fils et du père sont un indice du fait qu’une étymologie possible du nom du héros comparé au vainqueur était probablement attendue par le public.

Interprétation

La 2e Néméenne

  • 17 Cf. par exemple L.R. Farnell, Critical Commentary…, Amsterdam, 1965, p. 252.

18Le vainqueur célébré dans la 2e Néméenne a commencé sa carrière aux Jeux néméens, jeux dont Zeus est le dieu tutélaire. Cette position initiale de Zeus justifie une comparaison avec les rhapsodes qui, eux, commencent aussi souvent leur chants épiques par un hymne, un prélude pour Zeus (Pi. N. 2.1). De même que Zeus est honoré par un hymne avant que le chant épique ne commence, ainsi le vainqueur a remporté la première victoire au jeux consacrés à Zeus avec l’espoir d’en remporter beaucoup d’autres. Cet espoir semble se fonder sur le nombre considérable de vainqueurs dans la famille du jeune athlète. Nous suivrons cette interprétation établie tout en y intégrant le rôle qu’y joue la relation entre père et fils17.

Père et fils I

  • 18 T. Gelzer, « Moûsa authigenés, Bemerkungen zu einem Typ pindarischer und bakchylideis (...)

19Au début de l’ode, le nom du vainqueur n’est pas encore mentionné, il ne se trouve nommé qu’à travers le nom du père Timonoos (Timonóou paîd' Pi. N. 2.10). Ce nom peut être mis en rapport avec la timé, « l’honneur », et peut-être le public, s’il venait de Salamine comme le vainqueur18, connaissait-il aussi le nom du fils, Timodamos, qui souligne le thème de l’honneur par la répétition du même radical (timé). Mais tout cela ne sera mis en évidence qu’à la fin, après la partie épique qui nous mène dans l’époque héroïque.

Un indice autoréférentiel

20La partie épique est introduite par une sorte d’énigme, par une phrase dont on ne comprend pas le sens tant qu’on reste uniquement au niveau sémantique du texte (Pi. N. 2.10-12) :

il est naturel que ce soient     ésti d’eoikòs
notamment les Pléiades montagnardes     oreiân ge Peleiádon
dont Orion ne s’éloigne pas.     mè telóthen Oaríona neîsthai
  • 19 Cf. J.B. Bury, Pindar, Nemean Odes, p. 30 ; interprétation proposée par U.V. Wilamowi (...)
  • 20 Pour l’étymologie par la négation, on peut comparer Pind., N 6.50 où Achille tue Memn (...)

21Ce texte se base sur la légende de la poursuite des Pléiades par le chasseur Orion et pourrait être une allusion aux victoires à venir : de même qu’Orion poursuit les Pléiades, de même le pancratiaste va poursuivre sa carrière. Mais cela n’explique pas la formule il est naturel (eikós). Dire qu’une donnée naturelle (comme la distance entre des astres des Pléiades et d’Orion) est naturelle est un truisme sans valeur argumentative, tant que l’on ne voit pas en quoi la comparaison implicite se réfère à la personne du vainqueur. C’est pourquoi ce il est naturel se rapproche plutôt de la formulation d’une énigme et doit rendre attentif l’auditeur. Il pourrait y avoir des éléments linguistiques qui justifient aussi la formulation de la phrase. Bury voit un jeu de mots entre montagnard (oreiân) et le nom propre Oaríon comme argument pour l’avenir glorieux de Timonoos19. Mais ce jeu est-il suffisant pour justifier l’expression il est naturel ? L’emphase de la phrase se trouve – du moins aussi – sur l’expression ne pas s’éloigner. En analysant la fonction syntaxique qu’assument les deux composantes de la paronomase, nous voyons bien que le nom du chasseur fait un écho phonique (et crée donc peut-être un jeu de mots) avec un attribut syntaxique dépendant du nom des Pléiades (oreiân). Il n’y a pas de lien syntaxique direct entre les deux noms, mais la qualité de l’un correspond au nom de l’autre. Ce rapport se trouve aussi entre les deux autres termes de la phrase. En effet le prédicat dirigé par le chasseur, ne pas s’éloigner, correspond parfaitement à une étymologie par synonymie du nom Peleiádes : mè telóthen, « pas loin », signifie la même chose que pélas, « près » qui serait le troisième terme recherché dans ce type d’étymologie20.

22C’est du moins le résultat si nous activons la signification du nom des Pléiades en la comparant au vocabulaire du contexte immédiat. Il est évident que ce type de lien ne nous inspire pas beaucoup de confiance et que nous serions peut-être portés à l’appeler « puéril » ou aussi « allant trop loin ». Mais rappelons ici que nos arguments ne portent pas sur la valeur esthétique des étymologies ni sur l’argument fondé sur le sentiment, mais uniquement sur le lien sémantique avec le contexte immédiat – présent et donc possible ou absent et donc impossible – ainsi que sur les indices dans leur contexte.

23Revenons donc au contexte de cette étymologie possible. L’expression il est naturel nous renvoyant à un chiasme met en évidence le contexte étrange de deux étymologies possibles et peut donc les rendre probables même si elle n’équivaut pas entièrement à l’indice explicite elle en dériva le nom. En effet, les liens étymologiques et les liens syntaxiques forment un carré qui n’établit pas seulement des ressemblances entre des mots, mais même entre des petites propositions (comme les Pléiades vivent sur la montagne et Orion poursuit de tout près). Or le terme eikós signifie notamment « ressemblant ». L’argument du ressemblant ou du naturel pourrait donc bien être la coïncidence étymologique. Il serait naturel qu’Orion s’appelle Oarion et les Pléiades Peleiades parce qu’ils sont dans un rapport de proximité dans les montagnes.

24Ce carré des relations établit un croisement entre les actes de l’un et le nom de l’autre, un croisement semblable à celui que nous avons trouvé dans la relation entre père et fils.

Un lien entre la partie narrative et la victoire

  • 21 La famille du vainqueur originaire d’Acharnes est peut-être attachée à Salamine par u (...)
  • 22 Que Pindare fasse allusion à l’Iliade a toujours été reconnu. Cf. M. Soteriou, Pindar (...)

25Étant préparé aux noms parlants par l’exemple précédent, le public entend la louange de Salamine : « Salamine est capable de produire un grand guerrier. Même à Troie Hector a “écouté” Ajax. » La phrase en tant que telle n’est pas bizarre, mais elle est abrupte par rapport au contexte. L’allusion au lien de Timonoos avec Salamine peut suggérer qu’aussi le fils de Timonoos est un grand guerrier ou vainqueur21. Mais il y a plus pour un auditeur qui n’écoute pas seulement les préludes à Zeus (évoqués au début de l’ode), mais aussi les épopées, notamment l’Iliade, qui habituellement étaient chantées après un tel prélude. En effet, la phrase parle du héros de Salamine, Ajax, et celui-ci dit dans l’Iliade : « je pense être né et avoir grandi à Salamine et notamment Salamine est capable de nourrir un homme de façon qu’il soit un bon guerrier » (Il. 7.199ss22). La phrase qui suit n’est pas moins abrupte que la précédente : « même à Troie Hector a écouté Ajax. » C’est le verbe écouter qui est difficilement compatible avec le contexte. Pourquoi ne dit-on pas qu’Hector aurait estimé, craint ou admiré Ajax ? Le chœur chante : « Troíai mèn Héktor Aíantos ákousen. »

  • 23 L.R. Farnell, Critical Commentary…, p. 253 (« heard tell of »), dans la (...)

26Selon Farnell, Aíantos ákousen signifie que la gloire d’Ajax aurait atteint Troie même avant la guerre de Troie. Hector aurait entendu parler d’Ajax. Or cette interprétation contredit premièrement la syntaxe habituelle selon laquelle akoúo + génitif signifie moins entendre parler de quelqu’un à travers le temps et la distance que écouter ou entendre quelqu’un en présence. En plus, cette interprétation ne rend pas compte de l’allusion au passage iliadique tiré d’un discours qu’Ajax tient juste avant d’entrer dans un duel avec Hector. Au chant VII, en effet, Hector propose un duel décisif qui puisse mettre fin à la guerre. On cherche donc un adversaire du côté grec. Le sort le décide, on peut imaginer qu’on crie le nom d’Ajax et c’est ainsi qu’Hector l’entend directement comme il va l’entendre dans le duel. Pourtant le choix du verbe entendre quelqu’un de près pour dire être tout près de quelqu’un reste étrange, à moins que l’on ne prenne en compte le contexte des étymologies et le fait que le verbe se trouve à côté du nom : le choix bizarre d’entendre, cette incompatibilité relative avec le contexte peut mobiliser l’association du nom d’Aías avec le verbe aío, entendre, second cas d’une étymologie par synonymie23.

27C’est d’abord de la mise en évidence du thème commun à Orion et Ajax que découle le lien entre la partie épique et le cadre. Les deux héros sont proches de leurs victimes comme le pancratiaste Timodamos l’est à la fois de ses victoires et de ses adversaires. Mais il y a encore un élément qui renforce le lien entre le vainqueur et les héros : Ajax et Orion ont également en commun le fait que leurs noms peuvent être transformés en étymologie, en appellatif de ce qu’ils font. Si l’époque héroïque est marquée par des étymologies, le vainqueur, associé à cette époque, peut aussi être honoré de cette façon. Si le public s’attendait à ce que le nom du vainqueur soit aussi expliqué, ils n’ont pas été déçus. L’excursus héroïque est immédiatement suivi d’une adresse au vainqueur : « Timodamos, ta victoire au pancrace te donnera une haute position. » Si le public l’attend, cette phrase suffit à évoquer l’étymologie de la première partie du nom formé sur le radical de timé, honneur. La seconde partie, dêmos, évoquant le peuple ou le dème, sera aussitôt mise en rapport avec le dème athénien d’Acharnai, le lieu d’origine de Timodamos. L’argumentation du texte suit une structure logique dite priamel : le dème d’Acharnai est déjà connu pour produire des hommes vaillants, mais la famille de Timodamos, les Timodamides, y prend encore une place particulière. Le nom de Timodamos, interprété comme celui qui est honoré dans son dêmos, coïncide avec le contexte. Comme chez les héros, le nom correspond à des actes.

Père et fils II

  • 24 Pindar, Selected Odes, Olympian One, Pythian Nine, Nemean Two & Three, (...)

28Il nous reste à revenir sur la relation entre Timodamos et son père, suggérée dans l’interprétation du début. Un terme dans la partie épique disant qu’Orion « poursuit » les Pléiades est étrange : la traduction « poursuivre » n’est pas vraiment la signification habituelle du verbe neîsthai. S’il signifie parfois tout simplement aller, voyager, la signification évoquée de prime abord est pourtant celle de rentrer. Ainsi peut-être le chant fait-il allusion au fait qu’Orion et les Pléiades tournent au ciel et se trouvent figés dans un constant retour. C’est par ce thème que le texte permet de mettre en rapport Timodamos avec le nom de son père. En effet, le chœur est prié de célébrer le vainqueur par un retour plein de gloire : « eukléi nóstoi. » À la fin de l’ode, le fils peut donc justifier par ses actes le nom du père Timo-noos, en lui conférant le sens de qui rentre en honneur24.

Résumé

29Fils et père peuvent être liés par des étymologies qui rapprochent actes et noms. De même, les héros dans la partie épique sont associés par des étymologies. Une comparaison met en rapport le fils et les héros. Mais ce n’est pas la pure accumulation de possibilités dans des passages précis qui peut former un argument pour la probabilité des étymologies d’Oarion, des Pléiades et éventuellement d’Ajax, c’est le contexte plus restreint d’une incompatibilité mise en scène par une énigme (il est naturel) et le contexte plus large d’un rapport entre père et fils qui sont considérés comme arguments favorisant l’hypothèse d’une étymologie. Le rapport entre le présent et l’époque héroïque peut être décrit par des étymologies possibles tout comme le rapport entre fils et père.

La 11e Pythique

  • 25 Selon B. Gentili et alii, Pindaro. Le Pitiche, p. 285-287, la date de l’exé (...)

30Une argumentation assez semblable caractérise la 11e Pythique où des étymologies n’ont guère été relevées jusqu’à présent. Le vainqueur au diaulodromos, Thrasydaios, y est associé avec Oreste et avec la famille des Atrides en général25. Or, cette comparaison pose l’un des multiples problèmes de cette ode : elle pouvait rappeler que dans l’Odyssée la famille des Atrides a le rôle d’un contre-exemple constant pour les Laertiades. Il est vrai qu’en particulier Oreste y est un bon exemple pour Télémaque, et il peut l’être également pour Thrasydaios dans la 11e Pythique. Mais en général, une comparaison avec cette famille meurtrière ne peut se faire qu’au négatif et peut-on vraiment louer une famille en lui disant : « heureusement vous n’êtes pas comme ceux-là ? » Nous essayerons de montrer que la comparaison semble moins déplacée si on prend en compte le rôle argumentatif que peuvent jouer les étymologies dans l’établissement du rapport entre père et fils.

Père et fils et le lien avec la pars epica

  • 26 Ce genre de jeu était probablement inévitable lorsque Pythokritos de Sicyone (au sièc (...)

31Lorsque Pindare a été chargé de composer une épinicie pour un vainqueur aux Jeux pythiques, un vainqueur dont le père s’appelle Pythonikos, traduisible par « Vainqueur à Pytho », une question s’imposait sans doute. Fallait-il supprimer ou exploiter un jeu si évident ? Le supprimer voulait dire décevoir l’attente, et dire que le fils aurait gagné parce qu’il est le fils de Pythonikos serait trop simple26. Mais le schéma que nous venons d’observer dans la 2e Néméenne, entourer des étymologies héroïques par les étymologies de père et fils, insérer le nom du père dans un système plus large, serait une utilisation à la fois présente dans le répertoire de Pindare et qui dépasse un simple jeu de mots.

  • 27 L’importance du rapport père-fils pour le lien avec le mythe est mis en évidence par (...)

32Le passage commence par le nom du vainqueur ; celui du père est repoussé jusqu’à la fin du système. Le fils Thrasú-daios aurait honoré par sa victoire le foyer paternel. Si dans la 2e Néméenne le fils est évoqué sans que son nom soit mentionné parce qu’on ne le nommait au départ qu’à travers le nom du père, dans la 11e Pythique le père est évoqué par le fils honorant le foyer paternel (patrôion). Cette image pouvait rappeler aux auditeurs les Amphidromies, rite ayant lieu au septième jour après la naissance d’un enfant et lors duquel un père donnait probablement un nom à l’enfant27. Dans ce contexte, une étymologie du nom Thrasúdaios s’imposerait : qui brûle par son audace.

  • 28 Cf. G. Méautis, Pindare le Dorien, Neuchâtel, 1962, p. 264.
  • 29 Cf. la description de la structure annulaire dans la 11e Pythique chez W.H. Race, Pin (...)

33Or, Thrasúdaios remporte la victoire à Delphes, et les commentaires expliquent que la mention du lieu est un biais permettant de glisser du temps de l’énonciation à l’époque héroïque28 : Delphes était le pays de l’hôte d’Oreste, Pylade. Mais ce saut dans le passé n’est que le premier de deux mouvements. Du temps réunissant les deux amis inséparables nous passons immédiatement à l’enfance d’Oreste, au moment du meurtre du père. À partir de ce second moment nous suivons le temps linéaire jusqu’à ce que nous arrivions au moment évoqué en premier lieu, à l’arrivée d’Oreste à Delphes. C’est une figure temporelle que les scholiastes d’Homère appelaient anastrophé : évoquer un point temporel, remonter dans le temps et regagner le premier moment. Le terme d’anastrophe surgit souvent là où des chrétiens comme Eustathe et les interprètes du XXe siècle voyaient un kúklos ou une structure annulaire respectivement29. Nous pouvons donc nous attendre à une telle construction.

34Faisons le second saut, le saut dans le passé d’Oreste, ce qui équivaut à une transition de la première à la seconde triade : nous nous retrouvons dans la scène du meurtre, pendant laquelle une nourrice du nom d’Arsinoa soustrait le petit Oreste au piège pénible.

[Oreste] lequel Arsi-noa, le père     tòn dè phoneuoménou
étant en train d’être tué par les     patròs Arsi-nóa Klutaiméstras
mains fortes de Clytémnestre,     kheirôn hupò kraterân
enleva au piège pénible, elle, la nourrice.     ek dólou trophòs ánele duspenthéos

35Le contexte des autres versions du récit nous donne l’impression d’un cas spécifique d’une étymologie, celui d’un nom parlant inventé. En effet, ce nom n’apparaît dans aucune des autres versions. Qu’il s’agisse d’une version locale ou d’une invention personnelle, le fait que Pindare met en avant l’acte de la nourrice coïncide dans le texte avec sa préférence pour un nom rare ou nouveau qui se prête à une étymologie possible exprimant ses actes. En effet la première partie de son nom, Arsi-, fait appel au verbe aeíro, « lever », ce que la description des actes de la nourrice semble traduire (par un synonyme) par ánele, « elle enleva » avec l’image de lever quelqu’un vers le haut, alors que la seconde partie -noa, « intelligence », pourrait faire référence à ek dólou, « de la ruse » ou « hors du piège ». Arsinoa pouvait être compris comme celle qui enlève du piège.

  • 30 Le nom de Clytemnestre s’écrit sur la plupart des vases sans la lettre nu. (P.A. Marq (...)

36Le nom d’Agamemnon est également mis dans un contexte suggestif : il se trouve encadré par la jeune fille (kóra) Cassandre et l’épouse (guné) Clytemnestre30.

quand elle voyait la fille [kóran] de Priam
Cassandre, par le bronze luisant,
avec l’âme agamemnonienne sur le rivage enténébré de l’Akheron
l’impitoyable épouse [guná]

  • 31 Cf. Esch., Ag. 1319, où Cassandre se réfère à Agamemnon par le terme (...)
  • 32 Cf. H. von Kamptz, Homerische Personennamen…, 26b.

37Ces deux statuts sociaux qui d’habitude marquent le début et la fin d’un rite de passage féminin encadrent un autre rite de passage, la mort du mari. Ce passage aux enfers est souvent associé au mariage et ainsi le nom de la victime est mis dans un double contexte suggérant une étymologie à partir du terme de mariage (gámos31). Le nom d’Agamemnon, autrement interprété comme qui règne32, peut mobiliser dans le contexte du mariage la première partie du nom Agam (qui a un mauvais mariage), parce que le nom propre avec sa sémiotique spécifique est remplacé par un adjectif, forme beaucoup plus ouverte aux interprétations : c’est la psuxà agamemnonía, l’âme mal mariée, qui est envoyée au-delà du fleuve Achéron.

  • 33 L.R. Farnell, Critical Commentary…, ad. loc., ne voit auc (...)

38La narration s’arrête ici pour céder à un discours descriptif (ou de réflexion). Des questions trahissent le je d’un énonciateur : est-ce la colère déclenchée par la fille, sacrifiée par le père, qui a poussé la mère Clytemnestre à ces actes ? Ou bien est-ce l’amour qu’elle éprouve pour Egisthe ? L’énonciateur s’accroche à la seconde variante ; on en suggérera plus bas une raison33. Il montre son choix en passant sous silence le développement de la première suggestion et en privilégiant la seconde explication, l’amour d’une jeune mariée pour un autre homme, par le thème du phthónos : les citoyens, en effet, auraient « mauvaise langue » quand quelqu’un est placé très haut.

39Cette pause marquée par la voix de l’énonciateur (le je) semble constituer le centre de la structure annulaire. En effet, la narration, les étymologies et les mêmes thèmes sont repris après cette digression :

  • 34 Pour cet alors (ára), cf. E.J. Bakker, « Discourse and Performance : Involvement, Vis (...)

La mort d’Agamemnon et celle de Cassandre, déjà racontées auparavant, sont répétées, même si c’est sous une forme un peu étrange qui va nous occuper plus bas. Notons pour l’instant les thèmes : « l’Atride, venu tard, est mort à Amycles ; il a fait périr la jeune fille divinatrice. » La première boucle d’échos est close, on s’attend alors à la fermeture de la deuxième par l’émergence du thème d’Oreste. Pindare semble avoir pensé que le public l’attendait, car il ne réintroduit même plus le nom. Un simple ára, un marqueur changeant la perspective, suffit pour évoquer Oreste par un pronom : celui-là alors34. On revient donc au départ : Oreste à Delphes. Le lieu que son hôte Strophios habite et qui servait à la fois de marque dans la structure annulaire et de tremplin pour entrer dans l’époque héroïque, est évoqué une seconde fois par la mention d’une montagne, du Parnasse. Oreste justifie-t-il son nom de montagnard en arrivant chez Strophios ?

  • 35 Quand par exemple une telle figure se construit autour de l’assemblée des habitants d (...)

40L’énonciateur interrompt de nouveau la narration et il fait le bilan du mouvement de la structure annulaire non sans s’en excuser un peu : la sensation semble trop forte : « mes amis (phíloi), j’ai tourbillonné – edinéthen – sur un carrefour après être allé sur un chemin droit. » Le verbe dinéomai, tourbillonner, est la métaphore préférée des chants épiques traduisant la sensation de l’aède lors d’une longue structure annulaire. Cette métaphore marque ici, comme souvent chez Pindare, la fin d’une figure de retour35. Ainsi (et par l’utilisation du présent) le texte prépare l’auditoire à un retour dans le temps du présent et donc à la dernière reprise d’un thème : le nom du père Pythonikos. Le fils l’a confirmé par sa victoire comme Oreste a vengé son père, mais davantage encore, comme chez les héros, les noms de fils et père correspondent à leurs actes. Le nom du fils, qu’on pouvait traduire au début de la figure par « qui brûle d’audace », est de nouveau placé dans un contexte suggérant cette image et soulignant le lien avec le nom du père : la victoire du fils fait que la gloire brûle (epiphlégei) les deux, père et fils.

La figure de la correctio

  • 36 Pindare utiliserait cette figure rhétorique pour créer l’impression d’une performance (...)

41On voit maintenant comment la structure annulaire amène les auditeurs vers le nom du père de Thrasydaios. Mais il y avait des thèmes et des expressions étranges au centre qu’il vaut la peine de réexaminer, parce qu’ils pourraient être en relation avec cette attente d’étymologies. Au centre, l’énonciateur propose deux raisons pour lesquelles Clytemnestre aurait tué Agamemnon et Cassandre. La première, la colère issue du fait qu’Agamemnon a sacrifié l’enfant commun, est mentionnée, mais non exploitée. La seconde raison, l’amour de la mariée pour Egisthe, par contre, est si fortement développée qu’on est en droit de se demander quelle est la fonction de ce thème. Dans la première lecture proposée en haut, on ne sait pas vraiment ce que le thème des « citoyens qui disent du mal » de l’adultère d’une jeune mariée vient faire ici. Il est clair qu’il forme un argument en faveur de la seconde explication : davantage que la colère d’une mère blessée, c’est l’adultère d’une épouse qui provoque le phthónos des citoyens. Toutefois l’argument infère que les kakológoi polîtai, les citoyens à mauvaises langues, soit exagèrent les faits soit ont tort de les interpréter ainsi. Aurions-nous donc affaire à une sorte de correction semblable à celle que nous avons vu dans la 1ère Olympique ? Dans cette ode, l’énonciateur corrige une version du récit de Pélops également en la dénonçant comme inventée par des voisins malveillants36.

  • 37 Et, comme dans la 1ère Olympique, la formulation corrigée fait entrevoir aussi la ver (...)

42Que dans la 11e Pythique les citoyens fassent tort à Clytemnestre est suggéré dans le texte. Mais il faudra montrer que cela a comme effet une correction de la première version qui a été racontée avant le centre. Cette correction devrait se trouver après le centre, là où la structure annulaire reprend le thème de la mort d’Agamemnon. On y trouve des modifications qui dépassent la simple figure de variation et elles concernent effectivement la personne de Clytemnestre à laquelle les rumeurs font du tort37.

  1. La première différence, en effet, entre la version proposée avant le centre de la structure annulaire et la version d’après est l’absence des noms : Cassandre n’est appelée que divinatrice, Agamemnon devient l’« Atride », Clytemnestre n’est plus mentionnée.

    • 38 Cf. C.F. Pazdernik, « Odysseus and His Audience : Odyssey 9.39-40 and its (...)
    • 39 Une autre différence concerne peut-être le temps et le lieu des événements. (...)

    La deuxième différence concerne les termes désignant la mort : le chant ne parle plus de « meurtre » (phoneuoménou) ou « d’envoyer les âmes d’Agamemnon et de Cassandre à travers l’Achéron » (póreue), action dont Clytemnestre serait le sujet syntaxique, mais l’Atride « meurt » tout simplement. La forme tháne qui désigne la mort du roi est ambiguë, elle peut être innocente et signifier mourir ou bien remplacer le passif de tuer. Ce flou a une fonction parce que le texte aura besoin de la vengeance par Oreste pour pouvoir comparer la relation entre père et fils héroïques à celle entre Thrasydaios et Pythonikos. Dans la nouvelle version, Clytemnestre peut donc toujours tuer son mari, mais le mot désignant l’acte ne l’accuse plus. En ce qui concerne la mort de Cassandre la deuxième version n’en mentionne plus Clytemnestre comme responsable. Ce serait maintenant Agamemnon lui-même qui aurait fait périr la Troyenne. L’acte d’Agamemnon est de nouveau exprimé par un terme dont l’ambiguïté est traditionnelle : par ólesse, à traduire soit par « il a perdu » soit par « il a tué », l’Odyssée désigne le degré de responsabilité d’Ulysse pour la mort de tous ses compagnons38. La nouvelle version ne dit donc pas forcément qu’Agamemnon a égorgé Cassandre ; elle laisse même la porte ouverte à une interprétation selon laquelle Agamemnon aurait causé la mort de Cassandre parce qu’il l’a amenée à ses meurtriers, mais elle enlève la responsabilité à Clytemnestre39.

43On peut dire que la correction restreinte enlève à Clytemnestre du moins la responsabilité du meurtre de Cassandre. Ceci est de mise dans une épinicie qui commence par une célébration des divinatrices de Thèbes et qui concerne un vainqueur aux Jeux pythiques dont le père s’appelle Puthonikos ; en effet, le texte le souligne, Cassandre est une divinatrice, et elle est la divinatrice d’Apollon. Comment comparer la famille de Pythonikos à une famille qui aurait tué la servante du dieu de Delphes ?

Résumé

44On peut donc motiver la correctio de la légende, mais ce qui importe pour notre démarche, c’est sa présence. Le texte, en effet, suggère de nouveau que la version exagérée ou peut-être fausse est en rapport avec des étymologies (d’Agamemnon). Ceci est le second indice contextuel après celui d’un lien étroit et étymologique entre les nom de père (Puthónikos) et fils (Thrasúdaos).

Conclusion

45Nous avons donc présenté, dans chacune des deux épinicies, deux arguments en faveur d’une interprétation selon laquelle les étymologies de noms proposées auraient été attendues et comprises par les auditeurs de Pindare. Dans la 2e Néméenne, c’est la présence d’une marque autoréférentielle (il est naturel que), dans la 11e Pythique la circonstance d’une correction d’une légende qui serait tirée de l’étymologie de noms. En plus on trouve dans les deux épinicies le lien étroit entre père et fils vainqueurs, souligné par le fait que le fils confirme le nom du père par sa victoire. Ce lien pouvait également susciter l’attente du discours étymologique. Nous ne pourrons donc pas prétendre que les étymologies trouvées d’Arsinoa, Agamemnon, des Pléiades ou même d’Ajax sont sûres, mais nous avons pu formuler deux arguments en leur faveur.

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Notes

2 Cf. après A. Fick, Die griechischen Personennamen nach ihrer Bildung erklärt und systematisch geordnet, Göttingen, 1894, et E. Fraenkel, « Namenwesen », RE 16.2, 1935, coll. 1611-1670, les articles rassemblés dans H. Mühlestein, Homerische Namenstudien, Francfort, 1987. Cf. également C. Calame C., Le Récit en Grèce ancienne, énonciation et représentation de poètes, Paris, 1986, p. 153-161 ; M.G. Bonanno, « Nomi e sopranomi archilochei », MH 37, 1980, p. 65-88 avec la théorie de la recharge sémantique des noms.

3 Cf. par exemple L.R. Farnell, Critical Commentary to the Works of Pindar, Londres, 1932, rééd. Amsterdam, 1965, p. 248, ad. Pi., N 1.46-47 sur le lien étymologique établi par J.B. Bury, Pindar, Nemean Odes, Londres, 1890, rééd. Amsterdam, 1965, ad. loc. entre la conjecture de Schmidt khrómos (pour khrónos) et le nom Khrómios du vainqueur : « This might be regarded as the death blow to the cryptogrammic method of pindaric interpretation. »

4 S. Reece, « A Figura Etymologica in the Homeric Hymn to Hermes », CJ 93, 1997, p. 29-39, argumente en faveur d’une telle étymologie entre óphelos, « avantage » et erioúnios, onínemi, « être utile » en hMerc 28, 34s.

5 Le nom d’Hiéron est donc explicitement mis en rapport (homónume) avec le mot hierós signifiant sacré ou d’une force sacrée. Pour l’importance du thème du sacré justement dans ce passage, cf. G.W. Most, The Measures of Praise, Structure and Function in Pindar’s Second Pythian and Seventh Nemean Odes, Göttingen, 1985, p. 70.

6 Pi., O. 1. 26-27. Pour cette interprétation de l’intrigue avec un processus inversé de la cuisson, cf. D.E. Gerber, Pindar’s Olympian One. A Commentary, Toronto, 1982, ad. loc. et les arguments comparatistes de E. Krummen, Pyrsos Hymnon, Festliche Gegenwart und mythisch-rituelle Tradition bei Pindar, Berlin-New York, 1990, p. 168 et p. 173 note 15 et la scholie in Pi. O. 1.40d. W.J. Verdenius, Commentaries on Pindar, vol. II, Olympian Odes 1, 10, 11, Nemean 11, Isthmian 2, Leyde-New York-Copenhague-Cologne, 1988, ad. Pi. O. 2.26, ne considère le chaudron ni comme l’outil dans lequel Pélops aurait été reconstitué, ni comme poêle, mais comme la baignoire du nouveau-né Pélops. On se trouverait donc dès le départ dans la nouvelle version.

7 E. Krummen, Pyrsos Hymnon, Festliche Gegenwart und mythisch-rituelle Tradition als Voraussetzung einer Pindarinterpretation (Isthmie 4, Pythie 5, Olympie 1 und 3), Berlin-New York, 1990, 160s.

8 Les licences de ce qu’on considère comme une isotopie phonique sont les quatres règles de l’inversion et substitution (adiectio, subtractio, immutatio, permutatio) constitutives pour les figures phoniques aussi bien dans l’ancienne rhétorique que dans la moderne. La licence d’une étymologie ne les admet pas mais découle de la substitution : la similarité. C’est dire qu’on accepte comme isotopie phonique des phonèmes différents pourvu que, phonétiquement, ils aient en commun le lieu d’articulation : ainsi e.g. toutes les vélaires sont admises comme similaires. L’enlèvement de la consonne initiale « p » est assez courant dans les procédés étymologiques d’un Cratyle.

9 À partir de l’époque classique, l’occasion spartiate semble être le moment où le père apporte le nouveau-né chez les anciens de la tribu (Plut., Lyc., 16.1). À Athènes ceci correspond peut-être à la présentation de l’enfant à la phratrie, mais d’autres rites plus familiaux y existent : d’abord les Amphidromies (cf. J.-P. Vernant, Mythe et Pensée chez les Grecs, Paris, 1971, 133s., Arist., hist. an., 588a8ss. ; l’association de Démophon au foyer ou de Méléagre au tison). L’autre occasion est le dixième jour où un sacrifice avec apéritif pour la famille et les amis sert a reconnaître officiellement l’enfant (cf. Dem., 40.28 et Dem., 39.22 ainsi qu’Aristoph., Av., 494 et 922 avec le commentaire de N. Dunbar, Aristophanes, Birds, Oxford, 1995, p. 339).

10 Pour le nom du grand-père, cf. la famille des Battiades à Cyrène qui alternent entre Arcésilas et Battos ; pour le nom du père (à partir du Ve siècle), cf. par exemple Démosthène le fils de Démosthène ; pour les répétitions d’éléments du nom ou de la signification, cf. E. Fraenkel, « Namenwesen », col.1625s et S.B. Pomeroy, Families in Classical and Hellenistic Greece, Representations and Realities, Oxford, 1997, p. 72 sq. (par exemple Atrometos, le père d’Eschine, et Aphobetos, le frère d’Eschine, le deux signifiant sans peur) ; cf. H. von Kamptz, Homerische Personennamen, sprachwissenschaftliche und historische Klassifikation, Göttingen, 1982, p. 31-33 sur la catégorie des noms parlants qui se réfèrent à une qualité du père ou de la mère (par exemple Astúanax en Hom. Il. 6.402s. ou bien Telémakhos) ou encore des noms d’un père qui se justifient dans les actes du fils (Men-oítios, « qui attend son destin » est le père de Patrocle).

11 Cf. S.B. Pomeroy, Families…, p. 88.

12 L’Odyssée souligne dès le début le lien entre le nom d’Ulysse et la colère de Zeus ou de Poséidon ; cf. H.M. Ahl F. Roisman, The « Odyssey » Re-Formed, Ithaque-New York, 1996.

13 Il faut exclure le cas de la 6e Isthmique, parce que l’étymologie marquée du nom d’Ajax par aietos, aigle, n’est pas faite par un parent, mais par un hôte, et même si l’on pouvait retrouver une étymologie soulignant le rapport entre père et fils, cet exemple, sans contredire notre hypothèse, ne serait pas susceptible d’apporter des arguments.

14 Dans le fragment 105.2, Hiéron est interpelé : « súnes hó toi légo/zathéon hierôn homónume ». Le nom d’Hiéron est donc explicitement mis en rapport (homónume) avec le mot hierós signifiant sacré ou d’une force sacrée. Pour l’importance du thème du sacré dans ce passage cf. G.W. Most, The Measures of Praise…, Göttingen, 1985, p. 70.

15 Pour la traditionnalité du jeu sur Hiéron et hieros en relation avec le pouvoir ou la force, cf. le jeu de mots sur ís, la force, Iros an-iros en Od. 18.73 lorsqu’Iros perd le concours de boxe et n’est plus aussi fort qu’il semblait auparavant (cf. H. von Kamptz, Homerische Personennamen…).

16 Cf. B. Gentili et alii, Pindaro. Le Pitiche, Lorenzo Valla, 1995 ad. loc.

17 Cf. par exemple L.R. Farnell, Critical Commentary…, Amsterdam, 1965, p. 252.

18 T. Gelzer, « Moûsa authigenés, Bemerkungen zu einem Typ pindarischer und bakchylideischer Epinikien », MH 42, 1985, p. 95-120, a proposé Némée comme lieu du chant, mais le jeu sur nóstos à la fin du chant suggère plutôt Salamine ou Acharnes (ainsi S. Instone, « Pindar’s Enigmatic Second Nemean », BICS 36, 1989, p. 109-116).

19 Cf. J.B. Bury, Pindar, Nemean Odes, p. 30 ; interprétation proposée par U.V. Wilamowitz-Moellendorff, Pindaros, Berlin, 1922, p. 157, et dans Pindar, Siegeslieder. Deutsche Übertragungen, U. Hölscher (éd.), Francfort-Hambourg, 1963, p. 167. L.R. Farnell, Critical Commentary…, p. 252, voit la logique (eikós) dans le fait que le chasseur vivant dans les montagnes doit aussi chasser les Pléiades qui vivent dans les montagnes.

20 Pour l’étymologie par la négation, on peut comparer Pind., N 6.50 où Achille tue Memnon, ce qui se sait dans la patrie avec la formule Mémnonos ouk aponostésantos : le nom de Memnon, qui, linguistiquement, semble se dériver de médomai, « régner », a été compris chez Homère comme celui qui reste fermement (mímnei) en attendant les ennemis (comme dans l’épithète d’Héraclès thrasu-mémnon, cf. H. von Kamptz, Homerische Personennamen…, 26b). Memnon est tué, il reste sur le champs de bataille et ne rentre pas.

21 La famille du vainqueur originaire d’Acharnes est peut-être attachée à Salamine par un culte héroïque pour Ajax, cf. S. Instone, « Pindar’s Enigmatic Second Nemean », p. 115.

22 Que Pindare fasse allusion à l’Iliade a toujours été reconnu. Cf. M. Soteriou, Pindarus Homericus, Homer-Rezeption in Pindars Epinikien, Göttingen, 1998, 198s.

23 L.R. Farnell, Critical Commentary…, p. 253 (« heard tell of »), dans la même optique, J.B. Bury, Pindar, Nemean Odes, p. 35 avait penché pour une étymologie avec áemi, Ajax serait un vent qu’Hector aurait entendu avant la guerre de Troie.

24 Pindar, Selected Odes, Olympian One, Pythian Nine, Nemean Two & Three, Isthmian One, S. Instone (éd.), Warminster, 1996, p. 144, voit dans la fin une structure annulaire confirmant que le chant de cortège est probablement uniquement la fiction d’un prélude (et n’introduit pas Pi., N. 3).

25 Selon B. Gentili et alii, Pindaro. Le Pitiche, p. 285-287, la date de l’exécution du chant dans le temple thébain d’Apollon Isménios est probablement 474 ; Thrasydaios serait donc encore un garçon auquel Pindare pourrait donner un enseignement de conduite.

26 Ce genre de jeu était probablement inévitable lorsque Pythokritos de Sicyone (au siècle précédent) avait remporté la victoire quatre fois de suite aux concours de flûtistes (cf. Paus. 6.14.10). Les mss. attestent non pas Puthónikos mais puthiónikos, donc l’adjectif signifiant « vainqueur aux Jeux pythiques ». Mais déjà le savant Triclinius a restitué la structure métrique en supposant le nom propre Puthónikos.

27 L’importance du rapport père-fils pour le lien avec le mythe est mis en évidence par S. Instone, « Pythian 11 : Did Pindar Err ? », CQ 36, 1986, p. 86-94, surtout p. 87 et 94.

28 Cf. G. Méautis, Pindare le Dorien, Neuchâtel, 1962, p. 264.

29 Cf. la description de la structure annulaire dans la 11e Pythique chez W.H. Race, Pindar, Olympian Odes, Pythian Odes, Cambridge-Londres, 1997, p. 366. Pour le terme de l’anastrophe, cf. par exemple bT schol. in Il. 11.671-761 ou b schol. in Il. 1.8-7 (ex anastrophês) ; pour le kúklos chez Eustathe, cf. Eust. in Il. 758.39ss. (à propos d’Il. 9.388-391).

30 Le nom de Clytemnestre s’écrit sur la plupart des vases sans la lettre nu. (P.A. Marquart, « Clytemnestra : a Felicitous Spelling in the “Odyssey” », Arethusa, 25, 1992, p. 241-254.). D’habitude, chez Eschyle, chez Homère (cf. Od. 11.429 et Esch., Ag. 1100), son nom semble l’objet d’une étymologie dérivant de médomai (celle qui agit), mais dans le passage qui suit elle est représentée essentiellement comme épouse et on peut se demander si la version rare du nom Klutai-mnéstra (de mnáomai, demander en mariage) ne serait pas préférable ici.

31 Cf. Esch., Ag. 1319, où Cassandre se réfère à Agamemnon par le terme dúsdamar, « qui a une mauvaise épouse », sans utiliser son nom. Mais ce rapport s’inscrit dans une tradition d’étymologies de Clytemnestre et d’Agamemnon commençant déjà chez Homère et ne signifie pas que Pindare a composé cette ode en 454 « sous l’impact fort » de l’Orestie d’Eschyle présentée en 458 (ainsi J. Herington, « Pindar’s Eleventh Ode and Aeschylus’Agamemnon », in Greek Poetry and Philosophy : Studies in Honour of Leonard Woodbury, D.E. Gerber (éd.), Chico Cal., 1984, p. 137-146). La figure de la correction très modérée parle même contre cette hypothèse (en 454 la correction serait plus forte, ici, elle ne découle que des besoins de la louange).

32 Cf. H. von Kamptz, Homerische Personennamen…, 26b.

33 L.R. Farnell, Critical Commentary…, ad. loc., ne voit aucune des deux raisons reprises dans la suite et en tire la conclusion que l’ode est mal construite. Si l’on interprète le passage comme version malveillante des voisins, au moins une des raisons est reprise dans le texte.

34 Pour cet alors (ára), cf. E.J. Bakker, « Discourse and Performance : Involvement, Visualization and « Presence » in Homeric Poetry », CA 12, 1993, p. 1-29.

35 Quand par exemple une telle figure se construit autour de l’assemblée des habitants d’Ithaque (Od. 2.147) et quand juste au centre de cette assemblée une aporie survient, deux aigles viennent d’un vol droit, font deux tours – epidinethénte – sur l’assemblée et reprennent leur chemin. Après quoi la seconde partie de la structure annulaire et de l’assemblée commencent. Et dans une figure de la même taille, Ulysse et ses compagnons deviennent prisonniers de l’île du Cyclope, de sa grotte et finalement de son œil. Ulysse va briser ces trois enceintes au centre de la structure annulaire en ouvrant l’œil comme un charpentier qui fait tourbillonner – dinéomen – une perceuse (Od. 9.371ss., cf. M. Steinrück, Kranz und Wirbel, Ringkompositionen in den Büchern 6-8 der Odyssee, Hildesheim, 1997, 71s. Souvent le rapport entre père et fils semble pousser Pindare à parler de l’organisation de son chant en demandant pardon (par exemple en Pi. N. 7.69ss.) pour une part destinée plutôt au père (qui paie Pindare) et qui, ayant employé trop de temps, ne laisse plus beaucoup de temps au fils, le vainqueur. Cette interprétation autoréférentielle me semble du moins éviter les détours d’une interprétation par la perspective chez S. Instone, « Pythian 11 : Did Pindar Err ? », p. 91 (tout serait dit du point de vue du vainqueur).

36 Pindare utiliserait cette figure rhétorique pour créer l’impression d’une performance presque homérique, spontanée. Cf. R. Scodel, « Self-Correction, Spontaneity, and Orality in Archaic Poetry », in Voice into Text, Orality & Literacy in Ancient Greece, I. Worthington (éd.), Leyde-New York-Cologne, 1996, p. 59-79.

37 Et, comme dans la 1ère Olympique, la formulation corrigée fait entrevoir aussi la version malveillante qui met donc en évidence l’effet de distortion des kakólogoi polîtai. Pour cette coutume pindarique de garder des éléments thématiques d’une ancienne version dans des allusions lexicales faites dans la seconde version d’une légende, cf. A. Köhnken, « Time and Event in Pindar O. 1.25-53 », CA 1983, p. 66-76, particulièrement p. 69 note 12, et par exemple Pi. O. 1, l’allusion à la cuisson (péssein) du kouros Pelops dans une métaphore réutilisée dans la seconde version où l’incapacité de Tantale à gérer son bonheur est appelée la digestion (péssein) de la satiété (koros) ou encore Pi. P. 3.27-30.

38 Cf. C.F. Pazdernik, « Odysseus and His Audience : Odyssey 9.39-40 and its Formulatic Resonances », AJPh 116, 1995, p. 347-369, et H.M. Ahl F. Roisman, The « Odyssey » Re-Formed.

39 Une autre différence concerne peut-être le temps et le lieu des événements. Agamemnon meurt en arrivant tard (khrónoi) à Amyclées, donc dans son palais. Il fait périr Cassandre, epeí, « lorsqu »’il eut détruit Troie. La conjonction temporelle epeí peut signifier aussi bien une antériorité (« après que » : cf. par exemple W.H. Race, Pindar, Olympian Odes, Pythian Odes, p. 373 : « after he despoiled… ») qu’une concomitance (lorsque, au moment où). Le choix de l’antériorité permet donc de reconstruire l’ancienne version, mais pourquoi alors décrire le même moment temporel par deux indications différentes ? L’autre signification, la concomitance de la mort de Cassandre et de la destruction de Troie, correspondrait mieux à l’évocation des deux lieux différents d’autant plus qu’au niveau formel, les deux morts sont séparées par la limite (sensible pour le public par les mouvements du chœur) entre la troisième et la quatrième triade.

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Pour citer cet article

Référence papier

Martin Steinrueck, « Des étymologies probables de noms propres dans la 2e Néméenne et la 11e Pythique de Pindare »Kentron, 16 | 2000, 43-63.

Référence électronique

Martin Steinrueck, « Des étymologies probables de noms propres dans la 2e Néméenne et la 11e Pythique de Pindare »Kentron [En ligne], 16 | 2000, mis en ligne le 18 octobre 2017, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/2323 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.2323

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Auteur

Martin Steinrueck

Université de Neuchâtel

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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