Claude Mossé, Alexandre. La destinée d’un mythe
Claude Mossé, Alexandre. La destinée d’un mythe, Paris, Payot (Biographie Payot), 2001, 293 pages + 5 cartes et 16 illustrations
Texte intégral
1Comme l’indique son sous-titre, ce livre n’est pas une simple biographie d’Alexandre, mais aussi une étude du mythe auquel le personnage historique a donné naissance. Sans doute Cl. Mossé ne manquait-elle pas de prédécesseurs en la matière : citons notamment l’Essai sur les origines du mythe d’Alexandre de P. Goukowsky (1978-1981) et L’École des princes ou Alexandre disgracié, volume collectif édité par Ch. Grell et Ch. Michel (1988) ; mais, alors que ces deux ouvrages limitaient leurs analyses à des périodes bien circonscrites (Grèce antique et France de l’époque classique), l’enquête de Cl. Mossé a l’originalité de s’intéresser au mythe d’Alexandre dans la longue durée, et d’en suivre l’évolution des origines jusqu’à nos jours – perspective ambitieuse, mais dont l’ampleur n’est pas sans inconvénient : de fait, l’auteur n’évite pas toujours l’écueil des développements rapides et superficiels ; peut-être d’ailleurs le cadre d’un ouvrage de vulgarisation n’était-il pas le mieux adapté à une aussi large investigation… L’étude s’ordonne en deux grands ensembles : les parties i, ii, iii sont consacrées au règne d’Alexandre (« Les grandes étapes… »), à l’homme politique (« Les différentes “figures” d’Alexandre »), à la personnalité même du Conquérant (« L’homme Alexandre ») ; les parties iv et v évoquent la postérité de son œuvre (« L’héritage d’Alexandre ») et de son personnage à travers les siècles (« Alexandre héros mythique »). Dans la première partie, qui offre au lecteur un aperçu chronologique du règne d’Alexandre, on notera l’intéressant chapitre i, consacré aux antécédents de l’expédition asiatique – mise au point qui permet de resituer dans son contexte historique l’entreprise d’Alexandre, prolongement de la politique de Philippe. La deuxième partie montre la coexistence en Alexandre de plusieurs figures de pouvoir : il fut simultanément, et non sans contradictions, « roi des Macédoniens », « hegemon des Grecs », successeur des Achéménides et « fils de Zeus » – revendication dont Cl. Mossé montre bien l’enracinement dans les généalogies mythiques et les cultes héroïques grecs. Plus superficielle et très psychologisante, la troisième partie, qui traite de l’« homme Alexandre » (éducation, vertus et vices), a le défaut de s’appuyer majoritairement sur le témoignage de Plutarque : en vérité, son contenu nous en dit moins sur la personnalité de l’Alexandre historique que sur un certain état du mythe dans la Grèce de l’époque impériale. La quatrième partie évoque l’héritage d’Alexandre dans les domaines administratif, politique, économique et culturel, et conclut à « la portée historique » des dix années de règne du Conquérant, à leur rôle décisif dans l’évolution du monde méditerranéen antique : l’historienne des idées politiques qu’est Cl. Mossé insiste notamment sur tout ce que la monarchie hellénistique doit à l’influence d’Alexandre, créateur d’une forme de royauté nouvelle, fondée sur l’idéologie de la victoire. La cinquième partie, consacrée à l’Alexandre mythique, est évidemment très sélective, et se contente de mettre en lumière quelques temps forts dans l’évolution du mythe : le chapitre dévolu à l’Antiquité fait la part belle à Clitarque et aux auteurs de l’époque romaine, volontiers fascinés par celui qui fut à l’origine de la transformation politique dont leur propre monde était l’héritier. Dans le chapitre traitant du Moyen Âge, il est surtout question du Pseudo-Callisthène grec, des adaptations médiévales du Roman d’Alexandre en latin et en ancien français, et des traditions arabes et judaïques relatives au conquérant macédonien ; le texte du Pseudo-Callisthène grec est présenté, avec quelque arbitraire, à travers divers extraits de la recension 1, sans que soit donnée aucune indication relative aux autres versions existantes ; et l’on regrette que le développement « oriental » s’appuie exclusivement sur les travaux de F. de Polignac, qui auraient pu être complétés par d’autres études récentes, elles aussi de grande valeur (Van Bekkum, Doufikar-Aerts). Le chapitre consacré à l’image d’Alexandre dans la France des xviie et xviiie siècles souffre également d’un excès de concision, et laisse souvent le lecteur sur sa faim : on regrette par exemple que l’auteur ne se soit pas attardée davantage sur Louis xiv en nouvel Alexandre. Il est ensuite question de l’image du Conquérant chez les historiens des xixe et xxe siècles : les dérives de l’historiographie allemande exaltant en Alexandre la figure du chef et du surhomme montrent que les chercheurs modernes ont parfois, eux aussi, projeté sur le conquérant macédonien les idéaux de leur temps. Mais c’est assurément le dernier chapitre de l’ouvrage qui met le mieux en évidence la force de fascination dont la figure d’Alexandre est toujours porteuse, et la plasticité de son mythe : Cl. Mossé consacre en effet ses ultimes analyses à deux romans contemporains, dont l’un, Alexander : Roman der Utopie (1929), de Klaus Mann, fils du plus célèbre Thomas Mann, s’inspire du Pseudo-Callisthène, tandis que l’autre, composé par l’écrivain italien Valerio Manfredi, et traduit en français sous le titre Alexandre le Grand (1999), est nourri des historiens antiques, et propose du Conquérant une image très « grand public ».
Pour citer cet article
Référence papier
Corinne Jouanno, « Claude Mossé, Alexandre. La destinée d’un mythe », Kentron, 18 | 2002, 179-180.
Référence électronique
Corinne Jouanno, « Claude Mossé, Alexandre. La destinée d’un mythe », Kentron [En ligne], 18 | 2002, mis en ligne le 01 octobre 2018, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/2026 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.2026
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page