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Résumés

Strouthos
Sur l’usage du mot grec strouthos dans l’onomastique de quatre étiquettes de momies.
Sur une expression rare de l’âge
Remarque sur une particularité de la pratique funéraire en Égypte gréco-romaine.
Presbyteros-Néôteros sur deux épitaphes grecques
Note à propos de défunts homonymes.
L’utilisation des épithètes funéraires à Kom Abou Billou et Tell el-Yahoudijeh
L’emploi des épithètes laudatives à Kom Abou Billou et Tell el-Yahoudijeh.
Amathès
Remarques sur un emploi possible d’Amathès.
Représentation des vieillards sur les épitaphes et dans les recensements
Note sur les âges avancés dans les kat’oikian apographai d’Égypte.
Démographie différentielle et critère ethnique : le cas de l’Égypte gréco-romaine
Remarques sur l’application de l’analyse différentielle à la démographie de l’Égypte gréco-romaine.
« Pleurez-moi tous », la déploration des morts à Tell el-Yahoudijeh
Note sur les appels à la déploration des morts à Tell el-Yahoudijeh.
La taxation des prostituées à Coptos
Remarques sur la taxation des prostituées au bureau (grapheion) de Coptos.
Glaukias de Léontopolis
Remarques sur l’origine de Glaukias de Léontopolis.
Deux toponymes des environs de Kom Abou Billou
Remarques sur le toponyme Mémèthis.
La place du Tarif de Coptos dans l’histoire de l’Est égyptien
Remarques sur le Tarif de Coptos.
La thématique des épitaphes métriques de Tell El-Yahoudijeh
Remarques sur l’origine de certains thèmes dans l’épigraphie funéraire versifiée de Tell el-Yahoudijeh.
La tombe de Kasios
Remarques sur la signification religieuse d’une épitaphe de Saqqarah.
Groupages abusifs d’épitaphes ?
Note sur des groupages d’épitaphes juives de l’Égypte gréco-romaine.

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Texte intégral

Strouthos

1Strouthos, en grec « Moineau », apparaît sur des étiquettes de momies gréco-démotiques de Haute-Égypte. Il y désigne un indigène qui vécut dans le courant du iie ou du iiie siècle après J.-C.

2Voici la traduction française des différents témoins de son emploi :

SB I, 4 196 = CEMG 349
Haryôthès, fils d’Haryothès et de Tromtriphis, dit (legomenos) Moineau, barbier

  • 1 Il faut corriger le texte de CEMG 1730 en tenant compte des remarques de T. Derda, ZPE 65 (...)
  • 2 La famille d’Haryôtès Moineau semble avoir été tout entière localisée à Bompaé, petit vil (...)

SB I, 5441 = CEMG 1730
Senhatrès, fille d’Haryôthès Moineau1 et de Thaèsis, originaire de Bompaé2

  • 3 Le texte grec porte l’article défini.

SB I, 5468 = CEMG 466
Hatrès, fils d’Haryôthès et de Senhatrès fille du3 Moineau, petit-fils de Kollouthès / -os

SB I, 5999 = CEMG 1904
Thaèsis, fille de Psentoreus et de Sensisoïs, originaire du hameau d’Hèron, femme de Moineau, barbier, originaire de Bompaé. Elle a vécu 58 ans.

3Derda 187-188 a été frappé par la substitution du surnom au nom sur les deux derniers documents.

  • 4 « Der Schritt ist hier wohl nicht mehr weit, dass aus dem Spitznamen ein selbst (...)

4Je constate que l’appellation la plus développée ne figure que sur une seule étiquette, précisément celle qui a accompagné le corps du barbier Haryôthès. L’addition des deux dénominations et de sa définition professionnelle montre à quel point le souci de précision a prévalu ici, indice supplémentaire de la fonction prioritairement identificatrice et postale des étiquettes. Sur les autres tablettes, le rappel du surnom suffisait peut-être. Je vois à cette substitution une première raison : dans une petite communauté villageoise, un surnom était un plus sûr moyen d’identification que le nom usuel, surtout quand le premier était grec dans un environnement onomastique entièrement indigène et le second archirépandu dans le terroir (Haryôthès et ses composés, doubles (Psenharyôthès, Senharyôthès) ou même triples (Psensenharyôthès, etc.), étaient omniprésents dans le nome Panopolite (ex. CRIPEL 5, 1979, index 296, 314, 328, 330)). Une deuxième raison m’est suggérée par Mme U. Horak, Tychè 4, 1989, 106-107, selon qui la ligne de séparation entre surnom et nom semble avoir été assez floue dans la vallée du Nil. Elle le montre par des exemples empruntés (coïncidence à souligner) au monde animal : quand des dénominations telles que Léon, Lykôn, Kalabôtès (« Lion, Loup, Lézard ») suivent un premier nom et lui sont ajoutées à l’aide d’un participe comme epikaloumenos, epilegomenos, on y voit des sobriquets, mais, quand une dénomination du même type, telle Alôpex sur SB 12, 10993-10996, apparaît seule, doit-on y voir encore un sobriquet ou déjà un nom propre4 ?

5C’est la question qui se pose ici, me semble-t-il.

  • 5 Strouthas / -thès / -thios / -this / -thion / -thon / -theus.

6Le nom du moineau a produit beaucoup d’anthroponymes dérivés dans le monde hellénophone. Les dictionnaires généraux de la langue (ex. Bailly 1802) et les lexiques d’onomastique (ex. Pape-Benseler 1449) révèlent la variété de ces dérivations5. Les dictionnaires spécialisés dans l’onomastique de l’Égypte gréco-romaine, Namenbuch 397 de Preisigke, Onomasticon 300 de Foraboschi, montrent un succès équivalent dans la vallée du Nil, de l’époque hellénistique aux périodes les plus tardives. Or, en Égypte comme ailleurs, certains témoins montrent l’une et l’autre de ces variantes employées comme de véritables noms propres. Les quatre étiquettes évoquées au début de cet article paraissent donc témoigner de cette facilité.

Sur une expression rare de l’âge

7Des mentions d’âges exceptionnellement précises en années + mois et, mieux encore, parfois en années + mois + jours font l’une des originalités de l’épigraphie funéraire grecque d’Égypte. Je les ai déjà évoquées (en 4 lignes !) dans ZPE 21, 1976, 225, mais, depuis un quart de siècle, la documentation d’un des sites analysés alors, Kom Abou Billou, a quasiment doublé de volume (Kentron 15 / 1, 1999, 78). Je ne crois donc pas inutile de rouvrir le dossier.

8En 1976, les cinq sites les plus productifs d’Égypte en épitaphes étaient, par ordre décroissant, Kom Abou Billou, Tehneh, Akhmîm, Alexandrie et Tell el-Yahoudijeh. En 1999, les mêmes sont toujours les plus productifs, mais l’accroissement des témoignages de Kom Abou Billou et la quasi-stagnation des effectifs des autres sites ont créé une situation sans équivalent ailleurs : un petit village du Delta, Kom Abou Billou, fournit autant d’indications utilisables que quatre autres agglomérations réunies parmi lesquelles la capitale !

9Or, malgré ces modifications arithmétiques, les indications de tendances de 1976 paraissent confirmées en 1999.

10En 1976, Alexandrie produisait le plus de témoignages de ces précisions extrêmes (10 exemples sur 63 âges utilisables, soit près de 16 %, dans ZPE 21, 238). Les autres sites contrastaient alors par leur pauvreté en parallèles (1 à Akhmîm, 1 à Kom Abou Billou) ou par l’absence de ceux-ci (à Tehneh et Tell el-Yahoudijeh), comme il ressort des tableaux de ZPE 21, 219, 221, 239-240.

11En 1999, rien n’a changé à Tehneh et à Tell el-Yahoudijeh (E. Bernand, IGL d’Akôris, 1988, et W. Horbury-D. Noy, Jewish inscriptions of Graeco-Roman Egypt, 1992). À Kom Abou Billou, le quasi-doublement de la documentation apporte 5 témoignages nouveaux (AO 48, 1980, 351 no 18 ; E. Bernand, IGENML, 1992, 110 no 59 ; ZPE 114, 1996, 131, 132, 134 nos 76, 79 et 89), mais une demi-douzaine d’exemples sur plusieurs centaines d’âges restent un pourcentage dérisoire.

12Le tour ans + mois + jours et ses variantes sont donc, encore aujourd’hui, plus attestés en zone alexandrine qu’ailleurs en Égypte.

  • 6 Comme sur les épitaphes (Kentron 15 / 1, 82-83), les formulaires ans + mois + jours des é (...)

13Çà et là, on découvre aussi des témoignages issus d’autres nécropoles. Ils sont isolés, comme celui d’Abydos qui figure dans les IGENML 143-144 no 92, ou se présentent en petits groupes (exemples SB 8366-8370, de Gournah, déjà évoqués dans Kentron 15 / 1, 1999, 83), qui ne sont pas assez importants pour être statistiquement significatifs. En dehors du dossier alexandrin, je ne connais que celui des étiquettes de momies qui fournisse un nombre appréciable de ces formulaires : en 1976 (ZPE 18, 1975, 63-66), j’en avais dénombré 13 attestations, mais le tableau précité des p. 63-66 (table 1) groupe 532 étiquettes ; c’est dire si le pourcentage de ces témoignages est faible. Panopolis, d’où provient la grande majorité de ces tablettes, n’a donc certainement pas concurrencé Alexandrie dans cet usage6.

Presbyteros-Néôteros sur deux épitaphes grecques

14Les adjectifs presbyteros et néôteros accompagnent beaucoup de noms propres, notamment dans les textes grecs d’Égypte. En français, on les traduit par « (l’) aîné » et « (le) cadet ». Ils servaient à distinguer des homonymes d’ascendance identique, classés dans l’ordre chronologique de leur naissance. Si des enfants de naissance ultérieure étaient pourvus du même nom, on perpétuait le souci de distinction en leur adjoignant des adjectifs numéraux (F. Preisigke, Wörterbuch s. v. tritos, tétartos). Un exemple de cette continuité dans la pratique onomastique nous est fourni par des étiquettes de momies qui ont enregistré les décès de trois filles homonymes, ainsi répertoriées :

SB 1489 = CEMG 156
Senharyôtis l’aînée fille de Péténentèris et de Tapsaïs

CEML 880 (CRIPEL 4, 1976, 223) = CEMG 1281
Senharyôtis la cadette, également appelée Tkolkôlis, fille de Péténentèris et de Tapsaï(s)

CEML 528 (CRIPEL 3, 1975, 221) = CEMG 955
Senharyôtis la troisième (tritè) fille de Péténentèris et de Tapsaïs.

15Le silence des tablettes sur les dates et causes de leurs décès nous interdit toute investigation supplémentaire.

16Quand deux homonymes respectivement presbyteros et néôteros sont rassemblés sur la même épitaphe, cas qui n’est pas rare, on peut juste ajouter à ce qui précède qu’ils sont décédés à peu d’intervalle, quelle qu’ait été la cause de leur mort, ou que la famille a ajouté le cadet plus tard pour unir les deux défunts dans le même hommage. Comme dans le cas des étiquettes, on ne peut pas pousser l’enquête plus loin.

17Il arrive cependant que des éditeurs poussent la curiosité au-delà du possible. Voici deux exemples d’investigations risquées.

18Dans les Graeco-Roman funerary stelae from Upper Egypt, 1992, d’Aly Abdalla, je note une tendance à glisser de l’homonymie à l’hypothèse de gémellité.

  • 7 Des deux Tbèkis, Aly Abdalla écrit : « They are presumably the sons of the principal (...)

19L’épitaphe enregistrée sous le no Cat. 26 (pl. 12a) concerne « Apoïs l’aîné (fils de) Pkorkis (et) Apoîs le cadet (fils de) Pkorkis ». La scène figurée qui surmonte l’inscription grecque a inspiré ce commentaire : « Since the two deceased are represented of the same size, it is possible that we have here represented twins, given the same name […]. » La même remarque apparaît sur la stèle no Cat 51 (pl. 21a), bien que les deux enfants homonymes de Pékysis soient de taille différente sur le panneau figuré au-dessus de l’inscription (« (stèle) de Pékysis (fils d’) Haryôtès et de Pachoumis (son) frère et de Tbèkis l’aînée et de Tbèkis la cadette »7) : « If they are siblings with identical names, it is possible that they are twins, the scale of the representation suggesting that one died before the other. »

20Les trois tablettes citées au début de la note montrent combien il serait imprudent de fonder une hypothèse de gémellité sur l’homonymie ou la taille des reliefs représentant les défunts. De plus, il resterait toujours à comprendre pourquoi, sur ces deux stèles, les jumeaux supposés auraient été distingués à l’aide de qualificatifs qui impliquent antériorité (presbyteros) et postériorité (néotéros). Des enfants homonymes mais successifs, telle est l’interprétation la plus probable. Le reste est surinterrogation de textes.

L’utilisation des épithètes funéraires à Kom Abou Billou et Tell el-Yahoudijeh

  • 8 Les stèles de Tell el Yahoudijeh sont maintenant groupées dans les Jewish inscriptions of (...)

21Si risquée que soit l’entreprise, vu la pauvreté de la documentation, on arrive à dresser un tableau général des épithètes funéraires utilisées dans l’Égypte gréco-romaine (ZPE 23, 1976, 225-230). Sur les cinq sites les plus productifs de la région en informations de cette nature, seul Kom Abou Billou a connu, en un quart de siècle, des accroissements assez importants pour justifier qu’on lui consacrât un nouveau tableau (CdE 67, 1992, 329-331). Mais, pour cerner plus précisément (si c’est possible) les habitudes locales en ce domaine, il ne suffit pas d’établir globalement que telle épithète était typique de tel site. Il faudrait pouvoir affiner les analyses au point de déterminer à quels âges et à quel sexe était affectée de préférence chacune de ces épithètes. Malheureusement, une telle investigation n’est possible que là où on dispose de beaucoup d’âges ou de nombreuses épithètes et, dans l’Égypte gréco-romaine, deux nécropoles seulement satisfont cette exigence, celle de Kom Abou Billou pour les âges, celle de Tell el-Yahoudijeh pour les épithètes8. On sait ainsi d’avance que les conclusions à tirer n’auront qu’une valeur limitée.

  • 9 À la bibliographie de 1976 (ZPE 21, 218), j’ai ajouté les publications original (...)

22Les morts commémorés à Kom Abou Billou étaient, presque tous certainement, des indigènes égyptiens et ceux de Tell el-Yahoudijeh des juifs, en quasi-totalité aussi. Seule la langue de leurs épitaphes est grecque, leurs usages ne l’étaient pas, et pourtant, on constate que, comme les Grecs de pure souche, leurs survivants ont privilégié l’emploi d’épithètes laudatives, exaltant les qualités morales de ceux qui n’étaient plus. Devenus hellénophones, ces Égyptiens et Juifs de la campagne nilotique ont aligné leur phraséologie funéraire sur la tradition grecque qu’a si bien définie M. N. Tod, ABSA 46, 1951, 182-190. Autre constat qui s’impose à la première lecture de ces documents : Juifs et Égyptiens ont usé du même matériel lexical pour exalter les vertus de leurs morts et ce sont les mêmes qualificatifs qu’on retrouve dans les deux séries de stèles. Dans les deux bourgades vivaient des populations surtout vouées aux travaux agricoles, dont les modes de production et d’organisation ont suscité un système commun de valeurs morales, qui privilégiait les vertus de sociabilité et de solidarité intrafamiliale et intravillageoise. Le plus frappant, ici, est certainement l’absence de particularités juives dans la phraséologie de Tell el-Yahoudijeh où, seules, l’onomastique des défunts et la connaissance du lieu de trouvaille des stèles permettent d’affirmer le judaïsme des auteurs des textes (Kentron 13 / 1-2, 1997, 75-76). Troisième et dernier constat qui vaut pour les deux nécropoles : dans la définition des morts, les épithètes utilisées supplantent massivement les coordonnées signalétiques. Les survivants cherchaient à louer, non pas à informer. Sur 60 stèles utilisables à Tell el-Yahoudijeh (36 hommes, 24 femmes), on dénombre seulement 12 patronymes et 2 mentions de conjoints (20 % du total) ; sur 163 stèles de Kom Abou Billou9, 35 patronymes et 1 conjoint (21,5 %). Ce constat contredit donc les remarques de J. Bingen, CdE 63, 1988, 172, reproduites par E. Bernand IGENML, 1992, 125, selon qui les 5 filiations patri- et matrilinéaires de l’épigraphie funéraire d’Akôris prouveraient un désir d’identification précise et l’influence des documents d’état civil :

En Égypte, le nom de la mère est un élément très répandu dans les données d’état civil, tant sur le plan privé que dans les documents publics, et dans les milieux de culture grecque prédominante que dans ceux de tradition autochtone. La fréquence des remariages et l’existence d’unions de statuts divers plus ou moins certains ont pu favoriser cette pratique […], mais il est d’autres paramètres qui ont joué, tels, par exemple, le souci de fixer l’identité avec un maximum de précision ou la nécessité de fonder des droits concrets sur des liens ou sur un statut en fonction de la mère, etc. Et la pratique d’état civil a fini par déteindre sur le formulaire des stèles funéraires, particulièrement à Akôris.

Si les stèles, réunies ici, de Tell el-Yahoudijeh et Kom Abou Billou n’ont donné aucun matronyme et ont révélé un aussi rare usage du patronyme, c’est que les soucis de droit, d’état civil et de statut féminin ne jouaient aucun rôle dans la rédaction des épitaphes, dans ces deux bourgades au moins. En revanche, malgré l’exiguïté des effectifs, on peut noter une particularité dans la répartition des patronymes par sexes et âges. À Tell el-Yahoudijeh, 11 d’entre eux concernent des hommes, 1 une femme ; à Kom Abou Billou, on en compte 17 pour 88 hommes, 18 pour 75 femmes. Cette répartition sexuelle confirme ce qui avait été déjà constaté dans la représentation des sexes (ZPE 21, 1976, 223) : l’épigraphie juive d’Égypte est plus riche en informations sur les hommes, celle de Kom Abou Billou accorde aux deux sexes un intérêt plus équilibré. La répartition des patronymes par âges montre qu’ils ont surtout servi à la définition des adultes : à Tell el-Yahoudijeh, 7 fois sur 9 à partir de 25 ans, à Kom Abou Billou, 10 fois sur 11 chez les hommes, 11 fois sur 15 chez les femmes, à partir de 19 et 25 ans.

23Voyons maintenant si on peut lier l’emploi des qualificatifs moraux aux sexes et aux âges.

24Une épithète souligne avec force l’importance des liens intrafamiliaux, c’est philoteknos qui indique que le défunt « aimait ses enfants ». À Kom Abou Billou 30 hommes et 24 femmes sont qualifiés ainsi. Mais cette qualité a été attribuée à des défunts adultes et séniles prioritairement. Parmi les hommes, 29 sur 30 ont 30 ans et plus, un seul, un isolé, était philoteknos à 16 ans ! Le même phénomène apparaît parmi les femmes : 23 sur 24 ont 18 ans et plus, une seule était philoteknos dès l’âge, déclaré au décès, de 12 ans. L’intéressant, dans ces chiffres qu’on doit accueillir avec réserve, c’est qu’ils épousent assez exactement le profil des âges supposés au mariage dans l’Égypte gréco-romaine (Kentron 12 / 2, 62-63). Les filles y étaient mariées plus jeunes que les garçons, la première jeune femme philoteknos apparaît à 12 ans, le premier homme ainsi qualifié à 16 seulement, le groupe des femmes commence à 18 ans, celui des hommes à 30 ans. Malgré la pauvreté des effectifs utilisables, les indications de tendances correspondent à ce que suppose l’opinion commune des spécialistes d’aujourd’hui. Frappante aussi, la répartition de l’épithète à travers les âges adultes et séniles révèle que 23 % des hommes étaient philoteknoi avant 40 ans, mais plus de 58 % des femmes avant la même limite. La force du lien affectif avec les plus jeunes semble donc avoir été louée chez les femmes jeunes de préférence, chez les hommes adultes et surtout âgés. Ainsi 12 hommes sur les 30 philoteknoi ont 60 ans et plus (40 %). Philoteknos est souvent combiné à d’autres composés qui insistent aussi sur la qualité des relations communautaires, dans le cadre étroit de la famille ou, plus large, de la bourgade : philadelphos, phileunos (1 fois) philophilos (3 fois) pour les hommes, et, pour les femmes, également philadelphos et philophilos (4 fois), mais aussi philandros, philanthrôpos et philodes (potos) (5 fois).

25On a toutes les raisons d’imaginer la même sollicitude des habitants de Tell el-Yahoudijeh pour leurs enfants, mais on ne trouve qu’un seul philoteknos dans Horbury-Noy, le no 47 déclaré mort à 102 ans !

  • 10 La même association apparaît sur une autre épitaphe, certainement de Tell el-Yahoudijeh, (...)

26Si philoteknos est une épithète très répandue à Kom Abou Billou, pasiphilos est considéré depuis longtemps comme caractéristique de Tell el-Yahoudijeh, où sa fréquence avait frappé les premiers éditeurs d’épitaphes originaires de sa nécropole. Par son sens, qui évoque la qualité des relations intra- et intercommunautaires, pasiphilos était voué à qualifier des adultes. Sur 26 témoins utilisables, 22 se rapportent à des défunts de 18 ans et plus. Ce sont surtout des hommes (deux fois plus nombreux que les femmes) mais on ne peut rien conclure de cette différence, parce qu’on a plus volontiers commémoré le sexe masculin à Tell el-Yahoudijeh (ZPE 21, 223). La superlativité incluse dans l’épithète (pasi-) est fréquemment renforcée par sa juxtaposition à alypos, entendu au sens actif (« qui n’a causé aucune peine ») : 7 exemples dans Horbury Noy (57, 59, 70, 74, 78, 84, 89)10.

  • 11 V. BIFAO 78, 1978, 236 no 2 et LDP 1, 1995, 17 note 11.

27Chrestos, qui implique serviabilité et capacité à se rendre utile aux autres (on trouve même chrestos chrèsimos sur une épitaphe de Kom Abou Billou11), est également, par son sens, une épitaphe d’adulte. Sauf six surprenantes applications à de jeunes enfants (1 à 5 ans), trois à Kom Abou Billou autant à Tell el-Yahoudijeh, ses autres emplois (41 sur 53 utilisables, soit plus de 77 %) vont aux âges ultérieurs, de 13 ans à la vieillesse. L’exiguïté des effectifs ne permet pas d’en dire plus.

  • 12 Ici encore, il faut citer la stèle Moen 632 qui aligne 8 épithètes à la suite. Je note au (...)

28Les épithètes sont le plus souvent groupées en chaînes. Mais la longueur de ces chaînes, caractéristique de Tell el-Yahoudijeh12 et qui, parfois, permet de lui attribuer une épitaphe aussi sûrement que l’aspect de la pierre ou son onomastique, n’a pas d’équivalent à Kom Abou Billou. Dans la première nécropole, 12 épitaphes seulement sur 53 portent un qualificatif, 33 (plus de 62 %) en juxtaposent 2 ou 3. Une minorité (8) en groupe 4, voire 5 ! À Kom Abou Billou au contraire, plus de 77 % d’épitaphes ont une seule épithète (117 sur 151). Les stèles à qualificatifs nombreux sont peu abondantes et, au-delà de 3 adjectifs, rarissimes. Curieusement, c’est ce milieu égyptien qui a perpétué la vieille tendance grecque à la sobriété.

29Pauvreté des sources, précarité des indices, originalité des comportements locaux, ces trois constats sur l’usage des épithètes funéraires répètent ceux que nous avons déjà faits sur la connaissance des âges déclarés au décès (ZPE 21, 237-238).

Amathès

30Distinguer entre sobriquet, nom propre et épithète signalétique n’est pas chose aisée en grec.

31F. Bechtel, Die einstämmigen männlichen Personennamen, 1898, 3, voyait dans le sobriquet une appellation ajoutée (« Beiname ») pour mettre en évidence une particularité exceptionnelle de l’individu, physique, psychologique ou sociale (« hervortretendes abnormes Moment »). Mais il arrive à des sobriquets de se muer en noms propres, à force d’usage, comme dans les autres langues, ex. môros, « nigaud », sobriquet accompagnant un nom propre dans la séquence « Ptolémaios surnommé Môros » (P. Berl. Leihg, ii, 42 B, 6) et utilisé seul comme nom propre dans CEMG 1201 ou 1429. Cependant, c’est aussi le rôle de l’épithète signalétique de mettre en évidence une particularité notamment physique, et les contrats abondent en précisions de ce type (cf. J. Hasebroek, Das Signalement in den Papyrusurkunden, 1921, sur les signes distinctifs dans cette littérature).

32Quand U. Horak Tychè 4, 1989, 107, a rouvert ce dossier en centrant son analyse sur la seule Égypte, elle a éprouvé la même difficulté à séparer sobriquets, signalements et noms propres. Dans des séquences du type « Sisoïs epikaloumenos Tektôn » (« Sisoïs également appelé charpentier »), qui intègrent des noms de métiers en seconde position, quel statut réserver au deuxième élément ? Elle a hésité : « Man muss sich aber fragen, ob in BGU xi, 1900, 78, […] Tektôn zurecht als Name und nicht als Berufsbezeichnung gekennzeichnet ist. »

33Rien ne prouve, en effet, que Tektôn soit ici un sobriquet. Rien ne prouve, non plus, qu’il soit un nom propre. Un ajout de ce type était peut-être tout simplement destiné à éviter des confusions entre homonymes fréquents dans une localité. Il avait alors la même fonction signalétique que les épithètes descriptives des contrats.

34Ces remarques me poussent à exprimer quelques réticences devant la liste de sobriquets qu’elle a proposée, 105-106. Je ne suis pas certain qu’il y ait eu intention d’utiliser comme sobriquets les adjectifs atrachèlos (« Hèrakleidès fils de Kallinikos, également appelé à la courte nuque », SB 1435), mikros (« Stotoètis également appelé (le) petit », P. Gen. 28, 10), xèros (« Sarapion (le) maigre », SB 10277, 20). Une raison m’y fait préférer un sens banalement signalétique : les noms des personnages étaient très répandus, rendant peut-être nécessaire une précision physique additionnelle.

35Un témoignage, récemment exhumé de la nécropole de Kom Abou Billou, confirme qu’en ce domaine il y a matière à douter souvent. L’épitaphe d’un enfant de quatre ans (ZPE 101, 1994, 119 et no 34) le désigne d’un mot qui semble avoir commencé en AMA et a d’abord été lu Amathès. Contre le témoignage de ses yeux (ZPE ibid. « On lit spontanément, etc. »), son dernier réviseur a préféré modifier sa lecture en Apathès, transcription en lettres grecques de l’épithète égyptienne « grand de force », au motif qu’Amathès, au sens d’« ignorant, stupide », aurait été « un nom bien étrange » donné à un enfant de cet âge. L’argument avancé pour étayer Apathès est graphique : l’intervalle entre le premier alpha et le thêta lui a paru « légèrement trop court pour MA ». Mais cet argument n’aurait pleine valeur que si les lettres étaient calibrées régulièrement ; or, à Kom Abou Billou, beaucoup d’inscriptions funéraires révèlent une grande négligence sur ce point. L’argument n’est donc pas convaincant. La substitution me paraît avoir été dictée par la tendance, inconsciente peut-être, à « vouloir » à tout prix un sobriquet ici. Mais, si on veut bien se souvenir qu’Amathès avait aussi un sens passif, « ignoré, inconnu », comme beaucoup d’autres adjectifs grecs bivalents (ex. asinès « qui n’endommage pas / non endommagé », agnôs « ignorant / ignoré »), on peut voir dans cette mention un nom propre à valeur simplement signalétique, attribué à un enfant abandonné, d’origine inconnue. Dans l’état de détérioration de la pierre on tient peut-être là une bonne raison de respecter le témoignage spontané des yeux de plusieurs déchiffreurs successifs, qui est en faveur d’AMA. Le dernier d’entre eux n’a d’ailleurs pas choisi : « Apathès (ou Amathès) etc. ».

Représentation des vieillards sur les épitaphes et dans les recensements

36Nous devons à R. S. Bagnall et B. W. Frier, The Demography of Roman Egypt, 1994, une analyse fouillée de 300 déclarations de recensement de l’Égypte gréco-romaine, kat’oikian apographai, qui s’échelonnent sur les trois premiers siècles de notre ère (o. l. 9 fig. 1.1) et proviennent surtout des nomes Arsinoïte et Oxyrhynchite (o. l. 7-8 tables 1.1 et 1.2). Cette littérature, considérablement accrue dans le dernier demi-siècle (o. l. 51 et note 68), doit à son actuelle abondance d’être devenue une des meilleures voies d’accès à la connaissance de la paléodémographie nilotique. C’est pourquoi Bagnall et Frier se sont attachés à appliquer les méthodes correctives des recenseurs contemporains à cette documentation. Dans la notice introductive du livre, leur démarche est présentée ainsi :

The traditional demographic regime of ancient Greece and Rome is almost entirely unknown, but our best chance for understanding its characteristics is provided by the three hundred census return that survive on papyri from Roman Egypt. […]. On the basis of this catalogue, the authors use moderndemographic methods and models in order to reconstruct the patterns of mortality, marriage, fertility, and migration that are likely to have prevailed in Roman Egypt.

37Bien que les mentions d’âges n’aient pas le même sens dans l’une et l’autre documentation, sur un point précis, celui des pourcentages moyens de survivants aux âges séniles, il semble que les données non corrigées des kat’oikian apographai puissent éclairer celles de l’épigraphie funéraire ; en effet, celle-ci mentionne des âges clos, alors que les recensements indiquent des âges encore ouverts sur une durée ultérieure inconnue de nous.

38En 1976 (ZPE 21, 233), les cinq dossiers les plus productifs en épitaphes proposaient une répartition très contrastée des décès séniles. À Akhmim, cité de gérontes (Kentron 12 / 2, 1996, 68-70), qui fournissait 23,9 % de vieillards de plus de 70 ans, s’opposaient Kom Abou Billou, Tehneh, Alexandrie, avec des pourcentages bien plus faibles dans la même tranche d’âges, respectivement 4,7 % et 6,2-6,3, et Tell el-Yahoudijeh où ne figurait aucun défunt après 66 ans (ZPE 21, 239).

  • 13 Ibid. 336, Bagnall et Frier arrivent à un total général de 710 témoins. Ma réca (...)

39Les apographai fournissent plus de mentions d’âges que l’épigraphie, 712, dont 350 hommes, 339 femmes, 23 défunts de sexe indéterminable, rassemblés par groupes quinquennaux (ex. 5-9, 10-14, 15-19) dans la table A, o. l. 334-33613. Et, même si les individus recensés à chaque niveau d’âge sont supposés avoir vécu au-delà, il n’en est pas moins significatif que les effectifs déclarés vivants aux âges très avancés soient particulièrement maigres, dans l’état actuel de cette documentation. La chute d’effectifs apparaît tôt : les vivants recensés à 50 ans et plus ne sont que 13,3 %, 14 % d’hommes, 12,6 % de femmes ; à 60 ans, on obtient 6,6 % du total, 7,1 % d’hommes et 5,6 % de femmes ; à 70 ans, 2,9 % du total, soit 3,4 % d’hommes et 2,3 % de femmes. À ce dernier âge, la moyenne générale des apographai (2,9) est donc largement inférieure à celles de Kom Abou Billou, Tehneh et Alexandrie en 1976, et celle d’Akhmim n’en apparaît désormais que plus irréelle. On peut donc raisonnablement situer le pourcentage global des survivants à 70 ans, et au-delà, bien au-dessous de ce que les données épigraphiques nous ont, jusqu’à présent, suggéré.

  • 14 Le fait que des catégories arithmétiquement importantes de la population nilotique (les c (...)

40Une raison supplémentaire d’aller vers une hypothèse basse est la nature fiscale de ces apographai. Elles devaient permettre à l’administration romaine de dresser les listes de contribuables soumis à taxation de 14 à 62 ans (o. l. 27-28). On peut donc imaginer que des déclarants aient été tentés de sous-évaluer des âges juvéniles, pour retarder l’entrée de jeunes gens dans la catégorie des contribuables, et, inversement, de surévaluer des âges avancés pour accélérer la sortie de vieillards du cycle fiscal. Il est malaisé de préciser la part des fraudes et la capacité de résistance de l’administration à ces tentations. Mais, si des falsifications sur les âges avancés ont gonflé abusivement l’effectif des survivants après 62 ans, il faut abaisser encore, par hypothèse, le pourcentage des vieillards ayant réellement dépassé cet âge14.

41Les chiffres imposent une grande prudence. Mais ceux des apographai montrent l’irréalité des pourcentages épigraphiques. C’est une présomption de plus contre les données des épitaphes, en moyenne trop optimistes.

Démographie différentielle et critère ethnique : le cas de l’Égypte gréco-romaine

42Depuis longtemps, on a noté que les hommes sont inégaux devant la mort et que sa survenue est plus ou moins rapide selon les milieux sociaux. M. Reinhardt le soulignait déjà avec force, en jetant d’avance la suspicion sur toute statistique qui décompterait les décès « sans les rattacher aux milieux divers où on les avait observés » (9e Congrès international des Sciences historiques, Paris, 1951, 2, Actes, 57). Et il vouait la démographie à devenir « différentielle » sous peine de demeurer sans valeur. Depuis, beaucoup de travaux ont pris en compte le critère socio-professionnel pour montrer combien diffèrent les profils de mortalité au sein d’un groupe. Mais, pour être menés à bien, de tels travaux supposent une documentation abondante et précise sur les groupes concernés. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils aient fait de l’époque contemporaine la matière privilégiée de leur étude. Dès qu’on remonte le cours du temps, les matériaux, plus rares et moins précis, rendent la tâche plus difficile et les résultats plus incertains. Pour des raisons que j’ai exposées dans ZPE 26, 1977, 262, l’utilisation du critère socio-professionnel me paraît impossible dans le cas de l’Égypte gréco-romaine.

43On peut imaginer d’autres critères, ainsi le critère ethnique. Il a été utilisé par B. Blumenkranz à propos des Juifs de Rome des premiers siècles (Studia Patristica 4, 1961, 341) et pourrait être retenu ailleurs si on arrivait à démontrer que des prescriptions particulières, en matière d’alimentation, d’hygiène, etc., aient influé, positivement ou non, sur la longévité moyenne de certains groupes humains. Blumenkranz a eu la chance de travailler sur une documentation assez abondante. En effet, d’après une statistique ultérieure de D. Noy (Studies in early Jewish epigraphy, J. W. Van Heuten et P. W. Van der Horst (éd.), 1994, 162), Rome, avec plus de 500 épitaphes juives, est une exception. Ailleurs, la diaspora israélite en Méditerranée a laissé peu de traces funéraires. En Égypte, on ne peut utiliser que 68 âges à Tell el-Yahoudijeh-Léontopolis, ce qui confirme à quel point la vallée du Nil est un médiocre observatoire de la démographie antique (Kentron 16 / 1-2, 2000, 85-86) et, pour trouver un plus vaste ensemble épigraphique d’origine juive, on doit passer en Cyrénaïque, où on dénombre 214 âges de même origine, la plupart attestés à Teucheira (D. Noy ibid. 171, Ages at Death).

  • 15 Dans l’Égypte de ce temps, on ne peut comparer qu’indigènes et Juifs. L’unique (...)
  • 16 Les effectifs comptabilisés par D. Noy ibid. à Kom Abou Billou sont ceux que j’ (...)

44On admettra que les Juifs de Teucheira et de Tell el-Yahoudijeh aient connu des conditions de vie à peu près identiques, donc une relative égalité devant la mort parce qu’ils partageaient les mêmes occupations et règles de vie sous des climats presque semblables. Mais, pour comparer leur longévité moyenne à celle des indigènes égyptiens15, on ne dispose que de deux sites païens assez productifs en stèles pour être présumés significatifs, Kom Abou Billou – Térénouthis, dont des fouilles de sauvetage récentes ont fait la plus importante nécropole de l’Égypte gréco-romaine avec 399 âges selon mon tout dernier calcul, et Tehneh-Akôris, où D. Noy ibid. a recensé 127 âges16.

  • 17 C’est par hypothèse que nous supposons les uns tous juifs, les autres tous païens. Parmi (...)

45Quand on a affaire à d’aussi maigres effectifs (282 âges tous présumés juifs et 526 présumés païens17), il paraît vain d’espérer trouver des écarts significatifs au sein de groupes d’âges quinquennaux et même décennaux. C’est pourquoi j’ai préféré ici des tranches larges, 0-29, 0-39, 0-49, 50 et plus, la coupure à 50 ans permettant de prendre en compte la précocité des phénomènes de sénescence dans l’Antiquité.

46Voici le tableau :

Tell el-Yahoudijeh et Cyrénaïque Kom Abou Billou et Tehneh
0-29 ans 163 57,8 % 267 50,7 %
0-39 ans 212 75,1 342 65
0-49 ans 233 82,6 397 75,4

Et les pourcentages de décès séniles à 50 ans et plus :

Survivants 49 17,3 % 129 24,5 %
Totaux 282 526

47Globalement considérés, les indigènes égyptiens de Kom Abou Billou et Tehneh semblent avoir eu meilleur destin face à la mort que les Juifs. Jusqu’à 49 ans, les effectifs de décès y sont inférieurs à ceux de Tell el-Yahoudijeh et de Cyrénaïque, la différence se creusant avec une netteté particulière quand on additionne tous les âges de 0 à 39 ans : elle est alors de plus de 10 % (75,1-65). Cette image se maintient aux âges supérieurs à 50 ans, puisque les deux sites indigènes révèlent un pourcentage plus élevé de survivants tardifs que les deux sites juifs (24,5-17,3). D’une analyse globale on tirerait donc des conclusions défavorables sur la démographie des deux communautés juives. Elles seraient cependant hasardeuses. En effet, un examen site par site montre que les données juives d’une part, indigènes de l’autre, sont moins homogènes que ne le donne à penser le tableau précédent. Du côté juif, Tell el-Yahoudijeh et la Cyrénaïque fournissent des chiffres divergents et même contradictoires dans certaines tranches d’âges. Entre Kom Abou Billou et Tehneh, des discordances semblables se font jour.

48Voici les données juives :

Tell el-Yahoudijeh Cyrénaïque
0-29 ans 41 60,2 % 122 57 %
0-39 ans 55 80,8 157 73,3
0-49 ans 62 91,1 171 79,9
Survivants à 50 ans et plus 6 8,8 43 20
Totaux 68 214

Et les données égyptiennes :

Kom Abou Billou Tehneh
0-29 ans 208 52,1 % 59 46,4 %
0-39 ans 263 65,9 79 62,2
0-49 ans 307 76,9 90 70,8
Survivants à 50 ans et plus 92 23 37 29,1
Totaux 399 127
  • 18 Changement que j’ai signalé dans Kentron 15 / 1, 1999, 79, en notant le « nouve (...)

49Toutes réserves formulées d’avance sur des effectifs toujours dérisoires, mais qui, en plus, varient du simple au quintuple, voire davantage (68-399), et peuvent évoluer à tout moment du fait de nouvelles trouvailles, on peut faire valoir quelques remarques sur le détail de ces tableaux. Du côté de l’épigraphie juive, c’est Tell el-Yahoudijeh qui provoque l’abaissement général des moyennes : le nombre des décédés à 29 ans y est plus élevé qu’en Cyrénaïque (60,2-57), la différence s’accroît à 39 ans et culmine à 49 où elle dépasse les 11 % ; le nombre des survivants à 50 ans est également beaucoup plus faible à Tell el-Yahoudijeh (8,8 contre 20 %). Les deux témoignages de l’épigraphie juive ne sont donc pas homogènes et l’un des deux donnerait une image nettement plus sombre des conditions de vie dans ces communautés… si on faisait confiance à tous ces chiffres ! Du côté égyptien, on constate un déséquilibre parallèle, même si l’écart à chaque niveau d’âges est inférieur : Tehneh fournit une image moins pessimiste de la mortalité indigène que Kom Abou Billou, dont la nécropole a produit beaucoup d’épitaphes d’enfants et de jeunes adultes dans les deux dernières décennies, qui ont abaissé les moyennes antérieures18. Les chiffres du précédent tableau enregistrent fidèlement cette évolution, avec un grand écart dans le groupe 0-29 (5,7 %) qui se retrouve dans le groupe 0-49 (6,1 %). Au même ordre de grandeur appartient l’écart entre les groupes de survivants à 50 ans et plus (6,1 %). Les discordances à l’intérieur de chaque ensemble épigraphique sont suffisantes pour qu’on ne puisse pas évoquer l’existence d’une « tendance générale » chez les Juifs ou les Égyptiens.

50Autre constatation, certains pourcentages sont proches d’un dossier à l’autre. Ainsi, dans la tranche d’âges 0-49, le plus optimiste des dossiers juifs et le plus pessimiste des dossiers égyptiens sont proches (79,9 % en Cyrénaïque et 76,9 à Kom Abou Billou).

51On note la même proximité (3 %) au niveau des survivants à 50 ans et plus (20 dans le premier, 23 dans le second).

52Les discordances entre les dossiers de populations ethniquement différentes, les concordances, à l’inverse, entre quelques pourcentages, le tout sur un fond général de pauvreté documentaire, voilà qui suffit à entretenir le doute quant à la possibilité d’une démographie différentielle fondée sur le critère ethnique.

« Pleurez-moi tous », la déploration des morts à Tell el-Yahoudijeh

53Par une convention stylistique banale dans l’épigraphie funéraire proprement grecque, les morts demandent parfois aux vivants de se lamenter sur leur sort. On a depuis longtemps remarqué la fréquence de ces demandes sur les épitaphes de Tell el-Yahoudijeh, dans le delta du Nil. Ces stèles provenant d’une petite communauté juive hellénisée, les uns ont vu, dans cette fréquence, un indice de sa perméabilité à une tradition hellénique, d’autres, au contraire, une preuve de la persistance du judaïsme, à travers un de ses rites les plus anciens, celui de la lamentation organisée et publique (à ce sujet, voir, en dernier lieu, W. Horbury et D. Noy, Jewish inscriptions of Graeco-Roman Egypt, 1992, 76-77).

54Les inscriptions de Tell el-Yahoudijeh forment l’essentiel de la documentation funéraire juive d’Égypte. Horbury et Noy les ont groupées sous les nos 29-104. Elles sont au nombre de 76. Il faut leur ajouter l’épitaphe inv. 632 de la collection Moen, que la date de sa première publication (CdE 65, 1990, 122-123) a exclue de leur recueil. Certaines, sans être sûrement originaires de cette bourgade, présentent toutes les caractéristiques matérielles de celles qui en proviennent. 12 sont métriques (nos 29-40), 64 en prose (nos 41-104). Les appels à la déploration des morts y sont au nombre de 16.

55Leur répartition par sexes est pour l’instant presque égale, 8 hommes et 7 femmes, le no 101 étant inutilisable à cause de trop nombreuses lacunes. Ce quasi-équilibre est d’autant plus remarquable que le dossier de Tell el-Yahoudijeh, dès 1976 (ZPE 21, 228-229), révélait une nette tendance à surreprésenter les hommes après 25 ans et jusqu’aux derniers âges. Il en reste une trace dans le fait que ces 8 hommes sont, en moyenne, plus âgés que les femmes. Ils ont entre 27 et 60 ans (nos 30, 34, 37, 97 et Moen 632), les femmes entre 20 et 32 ans (nos 31, 32, 36, 64, 99). Seule parmi les adultes, Arsinoé, épouse de Phabîs (no 33), pourrait avoir eu moins de 20 ans : elle est décédée à la première naissance (v. 6 prôtotokou teknou) et se plaint d’avoir trop peu vécu (v. 7 mikron kuklon) ; mais la métaphore qui caractérise son âge au mariage, « la fleur de son épanouissement » (akmès anthos au v. 4), est très vague, car, dans le même recueil de Horbury-Noy, « le point culminant de la vie » (akmè) est à 9 ans pour une fillette (no 83) et 20 ans pour une jeune femme (no 31). Il est frappant que les femmes adultes aient mérité presque autant que les hommes, apparemment, les honneurs de la lamentation, il ne l’est pas moins que les jeunes enfants en aient été presque absents. Si on met de côté la stèle no 35, où il ne semble pas possible de décider sûrement de l’âge au décès (5 ou 25 ans), on ne dénombre que 2 garçons de 2 et 5 ans (nos 40, 102) et la fillette de 9 ans évoquée plus haut (no 83). Contrairement à ce que pourrait suggérer notre sensibilité d’aujourd’hui, l’extrême jeunesse ne semble pas avoir particulièrement suscité ce type d’appel : les décès infantiles et juvéniles représentaient des hécatombes trop considérables pour qu’on jugeât utile d’appliquer cette phraséologie aux morts prématurées.

56Le lien entre les interpellations klauson, klausate pantes, etc. et les milieux privilégiés est certain quand les professions sont au moins suggérées. Dèmas (no 29) était un notable respecté, puisque le v. 4 de son épitaphe affirme que, par sa sophia (Kentron 8 / 3, 1992, 130-132), « il aida beaucoup d’hommes ». Qu’il ait été médecin (hypothèse d’Ad. Wilhelm rappelée o. l. 57-58) ou ait pratiqué une autre profession, son importance était suffisamment reconnue pour qu’elle fût mise en avant par le versificateur. Il faut également supposer que Rachel (no 36) était une personnalité non négligeable de la vie communautaire à Tell el-Yahoudijeh, bien qu’elle fût une femme, pour qu’on se permît d’appeler « citoyens et étrangers » (astoi kai xenoi) à déplorer sa mort ensemble (pantes). Même muettes sur le « standing » des défunts, les autres stèles demandant la déploration de « tous » (pantes) sont, elles aussi, un indice de la considération que la communauté accordait à ces morts.

57Malgré des effectifs dérisoires, il est vraisemblable que les lamentations publiques demandées aux vivants aient eu une valeur plus politique et sociale qu’affective, à Tell el-Yahoudijeh.

La taxation des prostituées à Coptos

58Le texte du 10 mai 90 après J.-C. appelé Tarif de Coptos (A. Bernand, Les Portes du désert, 1984, 199-208, no 67) énumère 18 rubriques sujettes à taxation entre le Nil et la mer Rouge via Coptos. La rubrique no 7 fixe à 108 drachmes la taxe perçue sur « des femmes destinées à la prostitution » (gynaikôn pros hétaïrismon). Sa difficulté réside dans son montant, en apparence exorbitant.

59Gêné, P. Jouguet, BCH 20, 1896, 176, a formulé à ce sujet des remarques que Bernand a reproduites o. l. 206 sans les remettre en cause et qui appellent encore aujourd’hui un commentaire.

60Voici le texte de Jouguet :

Le génitif pluriel paraît étrange car il laisse indéterminé le nombre de femmes qui doit payer la taxe indiquée. Sans doute il faut comprendre que, quel que fût le nombre, l’État imposait la même taxe. C’était un moyen d’empêcher des allées et venues trop fréquentes de leur part, allées et venues qui auraient été une charge pour l’État, car on doit bien penser qu’il y avait à exercer une surveillance pour la sécurité des voyageurs dans le désert.

61Rien n’est « étrange » dans l’emploi du pluriel gynaikôn. En effet, la raison du choix du singulier ou du pluriel nous échappe. Les rubriques 8, 9 et 13 désignent aussi au pluriel d’autres catégories de femmes taxées ; la rubrique 10 fait de même pour la taxe, pourtant individuelle, d’une obole par dromadaire (kamèlôn), en revanche, la rubrique 11 exprime au singulier une taxe parallèle pour les ânes (onou).

62On a peine à imaginer que des femmes promises à la prostitution aient de leur plein gré franchi la douane de Coptos. Des pornoboskoi pourvoyeurs des maisons de prostitution devaient les « accompagner » et payer pour elles. Il est impensable qu’ils aient bénéficié d’un tarif invariable, sorte de forfait, « quel que fût le nombre ». En leur octroyant un tel avantage, les autorités romaines les auraient encouragés à transporter le plus de femmes à la fois et se seraient ainsi privées de revenus que le taux de 108 drachmes fait supposer substantiels. D’autre part, sous les autres rubriques du Tarif comme dans le système général du portorium romain, les paiements étaient toujours proportionnels aux quantités. De plus, à Rome, Pompéi, Palmyre, l’impôt que les prostituées payaient pour exercer leur activité était individuel, comme le montrent les témoignages rassemblés par Bernand o. l. 206 et notes 4-5. Nous n’avons donc pas de raison de supposer une exception coptite à une pratique apparemment universelle. U. Wilcken, WO 1, 1899, 348 (« während eine Hetäre 108 Drachmen zu zahlen hat »), et S. J. De Laet, Portorium, 1949, 329, note 3 (« 108 drachmes pour une courtisane »), entre autres, ont depuis longtemps renoncé à l’hypothèse Jouguet.

63De même, peut-on imaginer que le pouvoir romain ait souhaité « empêcher des allées et venues trop fréquentes » au prétexte que des convois répétés auraient coûté trop cher à surveiller ? Les Romains n’avaient pas intérêt à freiner un trafic que leur politique tendait à développer (Bernand o. l. 5-10 et 285) et, s’ils avaient pratiqué une politique dissuasive dans le secteur, les négociants qui, au premier siècle de notre ère, avaient des représentants permanents à Bérénice et Myos Hormos, n’auraient pas gardé ces antennes commerciales (cf. les archives de Nicanor dans JJP 5, 1991, 208-214).

64Enfin, que faut-il entendre par « la surveillance pour la sécurité des voyageurs dans le désert » ? La permanence d’établissements commerciaux aux deux bouts de la route, la variété (que prouve le dossier de Nicanor) des marchandises en transit, l’ampleur des travaux entrepris par l’armée romaine pour baliser les chemins (hydreumata entourés d’aires de repos et d’enceintes pour faciliter les haltes) sont autant d’éléments qui suggèrent un trafic régulier et assez important. Les militaires détachés dans ce secteur avaient des responsabilités très étendues, judiciaires, fiscales, économiques (perception de taxes, réquisitions, service des transports, des mines et carrières, travaux et constructions de diverses sortes). Cette polyvalence vient d’être mise en lumière par J. Nelis-Clément, Les Beneficiarii : militaires et administrateurs au service de l’Empire (ier siècle av. J.-C.-vie siècle apr. J.-C.), 2000, 211-268. Ainsi, la présence de militaires entre Coptos et la mer Rouge n’est pas nécessairement l’indice d’une insécurité, elle signifie qu’il y avait des responsables administratifs dans le secteur.

  • 19 Cf. G. Posener, Dictionnaire de la civilisation égyptienne, 1959, 298-299 (article « Vill (...)

65En résumé, la taxation des futures prostituées était certainement individuelle et donc sans finalité dissuasive. Son taux élevé s’explique probablement par l’importance des bénéfices espérés de leur activité. Il est peut-être à mettre en relation avec la forte urbanisation de l’Égypte. Ce phénomène, qui, déjà aux yeux des anciens distinguait la vallée du Nil du reste du monde méditerranéen19, a pu favoriser le développement de la prostitution, comme c’est le cas, aux dires des sociologues, dans les mégapoles d’aujourd’hui. L’expansion d’une activité lucrative attire toujours le fisc !

Glaukias de Léontopolis

66En 1992, les Jewish inscriptions of Graeco-Roman Egypt de W. Horbury et D. Noy fournissent 65 âges utilisables, parmi les épitaphes qui, sûrement ou probablement, proviennent de Léontopolis / Tell el-Yahoudijeh, dans le delta du Nil. Sur ces 65 âges, 64 se répartissent entre 1 et 60 ans, l’écrasante majorité d’entre eux entre 1 et 40. Voici leur répartition :

1-10 ans 13 ex.
11-20 ans 11 Total 24 36,9 %
21-30 ans 24 Total 48 73,8
31-40 ans 8 Total 56 86,1
41-50 ans 5 Total 61 93,8
51-60 ans 3 Total 64

67Le quasi-effacement des témoignages de plus de 40 ans confirme le constat déjà fait dans ZPE 21, 1976, 223 : Léontopolis nous donne une image particulièrement sombre de la mortalité nilotique, entre le iie siècle avant J.-C. et le iie après.

68Le soixante-cinquième témoin du site, Glaukias, est déclaré mort, lui, à 102 ans ! Son épitaphe (Horbury-Noy o. l. 114-115 no 47) soulève quelques interrogations.

69D’abord, il est sans parallèle qu’un âge aussi avancé soit isolé à ce point dans l’échelle des chiffres : entre le défunt déclaré décédé à 60 ans et Glaukias, 41 quantièmes (61-101) n’ont pas de représentants. À Kom Abou Billou, Tehneh, Akhmîm (ZPE 21, 219, 221, 240), il y a toujours des témoins échelonnés au-delà de 60 jusqu’à l’âge ultime, même exagéré. Horbury et Noy o. l. 115 ont été frappés de cette anomalie : « Egyptian Jews were apparently not prone to exaggerated claims about age. » Il y a eu, très probablement, exagération de l’âge, cette exagération n’est pas un cas isolé, témoins celles d’Akhmîm (ZPE 21, 234), mais, ici, elle rompt avec l’usage général de la nécropole. C’est un problème.

70Seconde particularité, Glaukias était philoteknos (l. 4), « aimant ses enfants ». Cet adjectif n’est pas léontopolitain. C’est le seul exemple de son emploi sur le site (Horbury-Noy o. l. index 272), alors qu’il est largement attesté à Kom Abou Billou (ZPE 23, 1976, 226). De plus, dans l’épigraphie funéraire juive (ex. à Demerdash, près d’Héliopolis, Horbury-Noy o. l. 191-195 no 113) et dans la littérature juive de langue grecque (ibid. 115), il n’est appliqué qu’à des femmes, notamment mères de famille. Son emploi, ici, pour caractériser un homme, qui plus est, un grand vieillard, rompt aussi avec l’usage de la communauté léontopolitaine.

  • 20 On pourrait trouver bien d’autres exemples dans Horbury-Noy passim.

71Enfin, l’anthroponyme Glaukias n’est manifestement pas un des noms grecs qu’ont affectionnés les Juifs d’Égypte et du reste de l’Orient. Contrairement à ce qu’ils font pour d’autres noms grecs d’adoption (ex. o. l. 112-121 pour Aristoboulos, Agathoclès, Onèsimos ou Tryphaina20), Horbury et Noy n’évoquent aucune autre mention de Glaukias dans les sources épigraphiques ou littéraires juives, d’Égypte ou d’ailleurs.

  • 21 En zone alexandrine, il apparaît même que des tombes juives étaient mêlées à des tombes g (...)

72Il n’est donc pas exagéré de voir un cas particulier dans la stèle de Glaukias. Celui-ci était-il un Grec ou un indigène, hellénisé de nom ? La question vaut d’être posée, même si elle doit rester sans réponse. En effet, tout le temps qu’a duré l’installation de colons juifs à Léontopolis, la population de la bourgade n’a pas été à 100 % juive. Une telle homogénéité serait sans précédent ni suite dans l’histoire. Mais nos moyens d’investigation sont déficients sur ce point ; l’archéologie ne nous est d’aucun secours, car les pratiques funéraires juives étaient les mêmes que celles des indigènes égyptiens et des Grecs21 ; à part leur goût pour les qualificatifs en chaîne et les appels à pleurer les morts (ex. o. l. 157 et 174), les formulaires léontopolitains ne diffèrent guère de ceux qu’on trouve ailleurs en Égypte ; l’onomastique enfin, seul moyen pour prouver le judaïsme d’un défunt, ne nous renseigne que partiellement (o. l. introd. 18 : « Over 50 % of the preserved names in the epitaphs are distinctively Jewish ») et ne nous sert à rien ici. Comme on ne peut isoler sûrement les non-Juifs parmi les morts de Léontopolis, on ne saura probablement jamais l’origine de Glaukias. Mais on peut constater que l’évaluation de son âge et l’appréciation de ses vertus n’ont pas obéi aux normes en usage dans la communauté où il a été inhumé.

Deux toponymes des environs de Kom Abou Billou

73Dans un article récent (ZPE 114, 1996, 131 no 74), G. Wagner a publié une épitaphe trouvée à Kom Abou Billou-Térénouthis, lors des fouilles de sauvetage entreprises sur ce site condamné à disparaître sous les cultures (Kentron 12 / 2, 1996, 65). Son texte porte « Sisoïs originaire de Mémèthis » (apo Mémètheôs). Wagner a ajouté ce commentaire :

Le toponyme Mémèthis est nouveau et constitue, à ma connaissance, la seule donnée toponymique des stèles de Kom Abu Bellou […] ; il doit s’agir d’une localité du Delta, proche de Terenuthis.

74Mémèthis est effectivement un addendum à la géographie du Delta. En revanche, il est faux que ce soit « la seule donnée » du dossier de Kom Abou Billou, en matière de toponymie. Wagner a omis un article ancien d’H. Gauthier (ASAE 21 / 3, 1921, 203-206), qui concernait une autre épitaphe de Kom Abou Billou, reprise ensuite dans le SB 6585. Elle commémore une femme nommée Thaèsis « originaire de Békhenthôs » (apo Bekhenthôtos) et son fils Asklas. Gauthier a longuement souligné le double intérêt de cette stèle. D’abord, on connaît l’endroit exact de sa découverte (o. l. 204). Ensuite, on peut localiser le lieu-dit Békhenthôs, qui n’est attesté par aucun autre texte (A. Calderini, Dizionario dei nomi geografici e topografici del’ Egitto greco-romano, 1973, 2, 45). Il correspond au Kom Beltûs actuel. Pour des raisons alléguées par Gauthier, la phonétique autorise ce rapprochement. Or, le Kom Beltûs se trouve à quelques centaines de mètres des buttes qui recouvraient encore les ruines de Kom Abou Billou au début du xxe siècle. Thaèsis avait donc vécu dans un faubourg sans nekria de ce village avant de finir inhumée dans sa nécropole. On regroupait les morts au cimetière de l’agglomération principale où un enclos leur était peut-être réservé.

75On peut fort bien imaginer que Mémèthis ait été un autre faubourg sans nekria de Kom Abou Billou.

76Les cas de Mémèthis et de Békhenthôs semblent parallèles à celui de Téberkythis, faubourg probable de Tell el-Yahoudijeh-Léontopolis, évoqué dans Kentron 16 / 1-2, 2000, 92.

La place du Tarif de Coptos dans l’histoire de l’Est égyptien

77Les routes de Coptos à la mer Rouge avaient été aménagées par les rois hellénistiques (Cl. Préaux, ERL, 1939, 359, 362), mais nous ignorons tout des taxes qu’ils devaient y percevoir (o. l. 377).

7846 stèles d’époque romaine et de nature diverse ont été trouvées à Coptos (A. Bernand, Les Portes du désert, 1984, introd. 17-20). La plupart sont vides d’informations sur le trafic dans le désert oriental. Certaines évoquent au plus des marchands ou des soldats qui ont pu y circuler (nos 62, 65, 80, 85, 93, 95, 103). Une seule, la plaque augustéenne en latin, no 56, évoque le creusement et la dédicace de citernes (« lacci ») notamment sur la côte de la mer Rouge, à Bérénice et Myos Hormos. Curieusement, mais peut-être pas sans raison, deux de ces documents concernent le réseau routier de Coptos. Le no 67 (o. l. 199-208) contient le texte du Tarif, le no 68 (o. l. 208-210) évoque la construction d’un pont, nouveau puisqu’il porte l. 4 « pontem a solo fecit ». Or, tous deux datent de 90 après J.-C., quand Marcus Mettius Rufus était préfet d’Égypte. Il semble avoir été un bâtisseur actif, car il a aussi « par ses ordres » (keleusmasi), contribué à faire édifier « un quai » près de Ptolémaïs, si le mot krèpis avait bien ce sens dans le quatrain no 116 des Inscriptions métriques d’E. Bernand, 1969, 464-470. Si fragmentaires que soient ces données, on ne peut pas exclure que Mettius Rufus ait été chargé d’amples projets de construction, notamment routiers, en zone coptite, ce qui fait supposer un développement non négligeable du secteur dans la période considérée.

  • 22 Lychnos 57, 1993, 73.

79Vieil héritage des cités grecques, les télè douaniers étaient perçus dans le sens de l’aller et celui du retour (P. W. 5, A col. 255 : « Zölle werden für die Ein-und Ausfuhr wie für den Durchgangsverkehr erhoben »). Une seule rubrique sur les 18 du Tarif correspond à cette tradition. Elle concerne la taxe sur le transport des momies (taphai)22, bien attestée sous le Haut-Empire par des étiquettes, SB 3553-3555, 5208, 5538) et par le Dig. 11, 7, 37, et abrogée seulement sous Justinien (Cod. Justin. 3, 44, 15). Pourquoi les services de Mettius Rufus ont-ils cru bon de rappeler que les taphai devaient payer « à la montée » vers la mer Rouge (anapheromenai) comme « à la descente » vers le Nil (katapheromenai), alors que les transporteurs connaissaient évidemment la législation douanière usuelle sur ce point ? Cette sur-précision prenait probablement tout son sens si la rubrique des taphai était l’exception sur le Tarif.

  • 23 J’ai laissé de côté les rubriques 11 et 12 qui concernent la taxation modique des pittaki (...)

80Sur les 17 rubriques restantes, 15, pas moins, énumèrent des taxations qui n’avaient de raison d’être que sur cette route ; elles pesaient, en effet (rubriques 1-6) sur les hommes de mer, pilotes, chefs de proue, gardiens, de vaisseaux je suppose, matelots, calfats et ouvriers, probablement de chantiers navals (rubriques 7-9 et 13), sur les femmes de statuts variés qui les accompagnaient, prostituées, concubines, épouses légales (rubriques 10 et 14), sur les animaux de transport, dromadaires et ânes (rubrique 15), sur des matériels de transport (rubriques 16-17), sur des matériels de navigation, mâts, vergues23.

81À l’intérieur de ces catégories, apparaissent des discriminations qui méritent examen.

82Bernand o. l. 206 en a évoqué une : « Les droits pour les ouvriers sont moindres que ceux pour les navigants. » Il faut nuancer. Dans le groupe des « navigants », les taxes n’étaient ni uniformes ni uniformément plus élevées que celles des ouvriers : les matelots étaient taxés à 5 drachmes (l. 13), les hommes de proue, spécialistes expérimentés de la manœuvre, à 10 (l. 11) ; si la faiblesse du taux s’explique aisément dans le cas du matelot, le plus souvent simple manœuvre, on comprend moins bien que les calfats, indispensables techniciens de l’entretien des bateaux, aient été taxés, eux aussi, à 5 drachmes ; de même, on peut s’étonner que les pilotes qui avaient en charge la difficile navigation en mer Rouge aient été soumis au même taux (8 drachmes) que de simples ouvriers, probablement occupés aux chantiers navals (l. 9 et 15). Il y a donc eu de fortes disparités d’évaluation fiscale (du simple au double) dont il est malaisé de rendre compte.

83Une seconde discrimination concerne les femmes. Sur ce chapitre, Bernand o. l. 206 n’a retenu que la surtaxation des prostituées, qui représente plus du quintuple des sommes dues par les autres femmes (108 drachmes l. 16). Mais, au taux de 20 drachmes, les femmes « arrivant par bateau » (eispleousai) et les femmes de soldats (l. 18-19) étaient taxées au double des chefs de proue et gardiens de bateaux. Si on peut justifier le tarif anormalement élevé des prostituées par la seule perspective des bénéfices que le trafic des femmes pouvait procurer, on peine à expliquer que, par exemple, les compagnes de soldats aient été taxées au double des indispensables navigants. La particularité la plus marquante de ce Tarif est bien le poids des taxations imposées aux femmes de tous statuts et la difficulté où nous sommes d’en donner l’explication.

  • 24 Sur les dangers de la navigation en mer Rouge, v. Cl. Préaux o. l. 355 et 357. (...)

84La taxation des mâts (rubrique 16) se montait à 20 drachmes. Si, avec N. Lewis, TAPA 91, 1960, 138, on admet que l’Égypte importait des bois de l’est pour sa batellerie, la taxation coptite peut avoir eu pour motivations de tirer profit de ces importations ou, au contraire, d’en restreindre le volume par sa lourdeur. Mais, si les mâts (et les vergues, taxées à 4 drachmes, de la rubrique 17) venaient de la vallée du Nil et montaient vers la mer Rouge, un accroissement du trafic maritime ou les multiples réparations qu’imposait cette mer Rouge, dangereuse pour les gréements par ses courants, ses récifs, ses vents tourbillonnants24, pouvaient augmenter les revenus du fisc.

  • 25 Kentron 12 / 2, 1996, 54-55.

85On a donc l’impression que le fisc romain a recherché la rentabilité la plus forte et la plus rapide, en sélectionnant les catégories d’individus et de matériels qui abondaient sur cette route et étaient les plus aptes à la lui fournir. Frappant, à ce point de vue, est le contraste avec la modicité des taxes qui touchaient les laissez-passer sur les hommes et sur les animaux, où l’on peut deviner un encouragement à utiliser cette route25 (1 drachme ou moins aux l. 21 et 24).

86Deux rubriques concernent des taxations qui pesaient sur des hommes (12) et des femmes (13) « montant » vers le massif arabique et la mer Rouge (le verbe utilisé est anabainein, abrégé en ana dans le second cas). La précision implique qu’en sens inverse, la rentrée vers Coptos ne faisait l’objet d’aucune perception. On a toutes raisons d’écarter la générosité financière des causes de cette abstention fiscale. Faut-il y voir l’indice que l’essentiel des déplacements humains se faisait vers l’est ?

87L’en-tête du Tarif (l. 1-8) porte :

Par ordre de Mettius Rufus, préfet d’Égypte, ce que les fermiers de l’impôt doivent réclamer pour les droits de passage à Coptos, payables à l’administration des douanes, selon le tarif, a été gravé sur cette stèle par les soins de Lucius Antistius Asiaticus, préfet de la montagne de Bérénice (trad. Bernand).

La directive de Mettius Rufus ne faisait référence à aucune législation antérieure à la date du document, le 10 mai 90. Le tarif évoqué l. 5 (gnômôn) désignait la liste des taxations figurant au-dessous (l. 9-31). C’est le sens du mot gnômôn dans les Anecd. Gr. de Bekker 1, 233, 28. On peut donc supposer que des contingences locales et temporelles aient dicté l’établissement de ce texte, au point d’en faire un système d’imposition sans équivalent ailleurs. L’accroissement du trafic particulier à cette route a pu déterminer le pouvoir romain à instaurer une législation novatrice au moment où il a découvert les nouvelles possibilités fiscales qui s’ouvraient à lui. Je verrais donc volontiers dans le Tarif de Coptos une législation de circonstance, inspirée de la situation d’un lieu précis, à un moment précis de son développement économique.

La thématique des épitaphes métriques de Tell el-Yahoudijeh

88Bien que les habitants de Tell el-Yahoudijeh aient été massivement d’origine israélite, le vocabulaire de leurs épitaphes ne garde presque aucune trace des textes religieux juifs qui, pourtant, circulaient en abondance dans l’Égypte gréco-romaine. Leurs stèles funéraires, en effet, livrent un matériel lexical à peu près semblable à celui des nécropoles non juives du pays (Kentron 13 / 1-2, 1997, 73-76).

89Qu’en est-il au niveau des thèmes ?

90On n’a chance de trouver trace d’emprunts à la pensée religieuse traditionnelle des Juifs que sur les textes les plus longs et les plus explicites de cette littérature épigraphique, les stèles versifiées.

91Dans les douze épitaphes métriques du site (W. Horbury-D. Noy, Jewish inscriptions of Graeco-Roman Egypt, 1992, nos 29-40), il n’est presque aucun des thèmes utilisés qui soit sûrement indicatif d’un emprunt aux sources juives. Quand l’un d’eux pourrait y trouver son origine, on constate que le même thème apparaît aussi dans la tradition littéraire hellénique. De la sorte, ceux qui croient au maintien prolongé d’un judaïsme fort à Tell el-Yahoudijeh, en s’aidant de ces exemples, sont contestés par d’autres qui voient, dans les mêmes exemples, l’indice d’une forte hellénisation. Horbury et Noy résument ainsi l’impression d’ambiguïté que laissent presque toutes ces inscriptions funéraires :

These funerary epigrams were accepted by Jewish patrons ; there is usually nothing to show whether they are of Jewish or non-Jewish authorship, but they stand in the Greek literary tradition, which as a whole was admired and shared by Egyptian Jews (o. l. introd. 20).

Au nombre de ces thèmes dont on ne saurait dire s’ils viennent du plus profond de la vision juive ou des textes littéraires grecs, on peut citer les lieux communs sur la brièveté de la vie (ex. le no 32, v. 10 : « Annonce à tous la rapidité de la mort »), les souffrances qui en sont l’inévitable accompagnement (ex. le no 33, v. 2, Arsinoé « qui ne connut qu’infortune, destin rigoureux, destin funeste »), l’horreur du monde des morts (ex. les nos 34, v. 3-4, et 38, v. 5-6, qui ont suscité des commentaires divergents).

  • 26 Sur le Schéol, v. par ex. J. Bonsirven, Le Judaïsme palestinien au temps de J.-C., sa thé (...)

92La stèle 34, qui évoque le sexagénaire Jésus « soudain passé dans l’abîme des âges pour vivre dans les ténèbres » a fait naître une interprétation judaïsante qui renvoie à la représentation traditionnelle du Schéol hébraïque, lieu d’obscurité et de souffrances (Rev. biblique 32, 1923, 154)26, à laquelle E. Bernand, Inscriptions métriques, 1969, 94 no 15, a objecté que les mots « abîme » et « ténèbres » font couramment partie des descriptions grecques du monde des morts. La jeune défunte Arsinoé, de la stèle 38, « tombée dans les profondeurs ténébreuses du Léthé, a gagné la funèbre région des sanglots ». Son texte ne diffère guère du précédent et J. B. Frey, CIJ 2, 1952, 1530, trouvait aussi, au goeros chôros qu’elle évoque, une forte ressemblance avec l’image traditionnelle du Schéol. Mais, encore une fois, Bernand o. l. 202 a souligné que cette épigramme ne présente « ni dans l’expression ni dans la pensée, aucun caractère nettement hébraïque ». Preuve supplémentaire de la gêne des exégètes de la stèle, A. Momigliano, Aegyptus 12, 1932, 171-172, était allé jusqu’à voir, dans les formulations païennes de cette inscription, l’expression d’une petite communauté de juifs hérétiques. Aucun des plus récents commentateurs n’a retenu les idées de Momigliano sur ce texte : il n’y a pas la moindre trace d’une hérésie judaïque à TeIl el-Yahoudijeh ni ailleurs ; d’autre part, si l’hellénisation prononcée du style et le matériel métaphorique de cette épitaphe étaient des signes d’un judaïsme hérétique (Bernand o. l. 202 note 5), il faudrait étendre le soupçon d’hérésie aux autres épitaphes métriques de Tell el-Yahoudijeh, aussi « grécisées » que celle-ci.

93Sur les thèmes développés parmi ces douze épitaphes versifiées, on aboutit donc à la même conclusion que dans Kentron 13 / 1-2, à propos des épithètes. L’indistinction est quasi générale et les sources juives presque toujours indiscernables des sources grecques.

94Je ne vois que deux détails d’origine sûrement juive.

95Le premier (stèle 33) concerne l’emploi d’un mot : aux v. 9-10, Arsinoé, qui, par une convention stylistique fréquente dans l’épigraphie funéraire, parle d’elle-même aux passants, déclare « cette tombe cache en son sein mon corps, élevé dans la pureté, mais mon âme s’en est allée vers les justes ». Le qualificatif grec ainsi traduit, hosios, sert habituellement à désigner les patriarches et les saints et apparaît dans nombre d’épitaphes d’un judaïsme assuré (cf. L. Robert Hell. 11-12, 1960, 394 note 6).

  • 27 Je parle de vers pour la stèle de Rachel, alors qu’il faudrait plus exactement (...)

96Le second passage à porter clairement la marque du judaïsme est l’affirmation d’un « bon espoir » (elpis) de miséricorde (eleos), de la part de Dieu (stèle 36 au nom de Rachel, v. 6-9) 27. L’idée renvoie à des sources dont Horbury et Noy o. l. 85-86 nous donnent une liste impressionnante.

La tombe de Kasios

97La mort du parfumeur Kasios a été commémorée par une épitaphe en vers. E. Bernand, Inscriptions métriques, 1969, 147-152 no 27, en a traduit ainsi les v. 1-4 :

Un homme semblable aux dieux, après avoir laissé son corps à sa mère la terre, dans les montagnes divines de sa patrie, sous un tombeau bien travaillé, et avoir échappé à la cruelle vieillesse, en pleine force de l’âge s’en est allé vers la société des bienheureux sous la voûte céleste […].

98Nous savons qu’elle a été trouvée par Mariette à Saqqarah, « dans l’avenue des Sphinx qui mène au Sérapeum ». Comme Bernand l’a souligné o. l. 150 note au v. 2, « les montagnes divines » désignent le plateau de Saqqarah, où Kasios a été inhumé, et « sa patrie », la ville de Memphis au pied du plateau, où il avait vécu. L’expression initiale mérite qu’on s’y arrête.

99Pourquoi avoir choisi le pluriel « dans les montagnes » (en oresin) ? Un pluriel poétique, dit de majesté, me semble peu probable ici, même si cette figure de rhétorique n’est pas rare. En effet, les épitaphes de Saqqarah révèlent parfois un louable souci de précision concrète, au point que, par exemple, au lieu des mots  ou chthôn, usuels ailleurs pour évoquer la terre des nécropoles (ex. Bernand o. l. nos 16, v. 3 et 45, v. 8), elles utilisent konis (la poussière) et psammos (le sable), mieux adaptés à la nature du terrain local (ex. nos 32, v. 8, et 81, v. 4). Bernand o. l. 150 parle de « plateau accidenté » et il est vrai que cette mer de sable de 7 km de long est faite d’une succession de creux et de bosses. Le pluriel, il me semble, rend mieux compte de la multitude des monticules.

100« Divines » (Bernand) traduit zatheos, adjectif appliqué aux territoires « voués aux dieux », ainsi à Apollon dans AnthPal. 9, 525 (v. Bailly, Liddell-Scott-Jones s.v.). Sur le plateau de Saqqarah, depuis des siècles, nombreux étaient les cultes populaires. On pense à ceux du Sérapeum, à la chapelle d’Imhotep devenue un Asklépieion pour les Grecs. Mais le plus frappant ici, c’est que l’épitaphe ait, avec force, souligné que Kasios a été enterré dans une zone sainte, sans préciser laquelle.

101La stèle est d’époque tardive, Bernand o. l. 148 l’assigne à la « basse époque impériale » et, en note 2 ibid., rappelle les datations qui en ont été proposées avant lui, « iiie, peut-être ive s. », et apparemment admises par tous. Je crois qu’elle apporte une information intéressante pour l’histoire des mentalités religieuses, dans I’Égypte romaine. Bien que ses commentateurs antérieurs n’en aient rien dit, elle ajoute un témoignage sur la tendance des Égyptiens d’alors à se faire inhumer dans des territoires consacrés. Je crois nécessaire de la rapprocher de l’épitaphe métrique no 73 du recueil de Bernand (o. l. 294-303) : datée de la « haute époque impériale » (o. l. 295 note 1), elle commémore un jeune Lycopolitain décédé « sur la terre de Pharos » (v. 2) et inhumé dans la nécropole d’Abydos pour que son corps demeurât éternellement près du tombeau présumé d’Osiris (v. 5-6 : « maintenant, je suis un serviteur du siège d’Osiris abydénien […] ». Bernand o. l. 299-300 rappelle, à son propos, l’engouement qui poussa nombre d’Égyptiens d’époque romaine à se faire enterrer à Abydos. L’archéologie en garde la trace indubitable : dans ses Lettres écrites d’Égypte en 1838-1839, 124, Nestor L’Hôte avait été déjà surpris par l’exceptionnelle étendue de la nécropole locale et son témoignage a été confirmé, trois décennies plus tard, par Mariette, Abydos I, 1869, 3 § 2.

102L’épitaphe de Kasios a donc pour intérêt de prouver qu’Abydos n’a pas été le seul centre religieux égyptien à susciter une telle vogue. Il faut certainement placer aussi dans le même courant de sensibilité la transformation de la Vallée des Reines en grand cimetière populaire à l’époque romaine. La montagne thébaine était sacrée et cette croyance a obligé l’administration locale à y tolérer des inhumations collectives, l’ajout de chambres funéraires aux sépultures initiales, des réaménagements et des réutilisations de tombes anciennes, des agrandissements des enclos funéraires, etc. (A. Bataille, BIFAO 38, 1939, 145 ; Les Memnonia, 1952, 109 ; G. Wagner, Chr. Leblanc, G. Lecuyot et A.-M. Loyrette, BIFAO 90, 1990, 365-368).

103Le rapprochement des textes et des données archéologiques suggère un mouvement vaste et tardif de regroupement autour de quelques centres prestigieux, dont les divinités drainaient les foules de toute l’Égypte.

Groupages abusifs d’épitaphes ?

104Le site jadis occupé par la colonie juive de Léontopolis est parfaitement localisé sur le terrain. Il formait une butte de terre émergeant de la plaine cultivée du sud-delta quand des fouilles scientifiques y ont commencé en 1870. Ce tertre caractéristique est à l’origine des diverses dénominations du lieu : les arabophones d’Égypte l’ont appelé « tell el-Yahoudijeh », traduit en français « le monticule des Juifs » (ex. Guide bleu d’Égypte, éd. 1956, 215), son premier fouilleur, E. Naville, l’a nommé « the mound of the Jews ». Le site se trouve à 35 km au nord du Caire, près de la gare de Chebin el-Khanater, grosse bourgade agricole et carrefour routier vers Toukh el-Melek et Merg.

  • 28 A. Barucq, Suppl. Dict. Bible 5, 1957, col. 364, suggère, lui aussi, cette dissémination.

105Naville en a étudié la zone funéraire (The Academy 31, 1887, 295-296 ; Recueil de travaux 10, 1888, 50-60) et, en 1906, avec W. M. Flinders Petrie, il a définitivement établi que Tell el-Yahoudijeh recouvrait Léontopolis, le site où Ptolémée Philomètôr (180-145 avant J.-C.) avait autorisé Onias à édifier un temple à l’usage des Juifs du secteur (Hyksos and Israelite cities, 2 et 20-24). D’autres fouilles ont suivi, avec des bilans inégaux, en 1919, 1929 et 1951 (W. Horbury-D. Noy, Jewish inscriptions of Graeco-Roman Egypt, 1992, introd. 17). Mais l’installation de colons juifs dans cette partie du delta ne s’est pas limitée à Tell el-Yahoudijeh : L. Robert, Hell. 1, 1940, 24, a insisté sur la dissémination de petites communautés juives au nord du Caire. Téberkythis, d’où était originaire le Sabbataios de Horbury-Noy 98, était probablement l’une d’elles, peut-être dans l’immédiat voisinage de Tell el-Yahoudijeh (Kentron 16 / 1-2, 2000, 92). Malheureusement, nous ignorons leurs noms, leur nombre et leur localisation28. Seules certitudes, elles étaient proches les unes des autres ; d’autre part, les stèles ont voyagé entre les lieux de leur découverte et ceux de leur vente ou de leur récupération par le Service des antiquités.

  • 29 Ces caractéristiques ne sont pas réunies sur chaque stèle.

106Les épitaphes sûrement trouvées dans la zone funéraire de Tell el-Yahoudijeh en sont une petite minorité. Sur 76 stèles funéraires attribuées à ce site (Horbury-Noy 29-104), 15 seulement sont déclarées y avoir été découvertes : 8 sans indication d’origine autre que le mot « necropolis », 7 dans des secteurs clairement précisés, « middle cemetery » (29 et 46), « south cemetery » (41, 42, 51, 52), « eastern part of the necropolis » (97). On a retenu d’autres critères pour attribuer les 61 autres à Tell el-Yahoudijeh. On a utilisé des indices textuels quand une allusion ou un détail du formulaire rendait l’attribution certaine ou probable, des indices matériels si la forme, la décoration d’une stèle ressemblaient à celles des épitaphes sûrement trouvées sur place, des indices géographiques enfin, quand la découverte d’un document s’était faite à courte distance du site. Voici un exemple d’indice textuel : la stèle Horbury-Noy 38 a été achetée par E. Breccia au Caire, avant 1931, date de sa première publication (BSAA 26, 243-246) ; or, au v. 4, son texte rappelle que « la terre d’Onias a nourri » la défunte et ses parents (Lychnos 82, 2000, 44-45) ; cette périphrase était une désignation officielle du terroir de Tell el-Yahoudijeh, comme le prouvent les sources antiques (Horbury-Noy ibid.) ; il y a donc toutes raisons de penser que la stèle arrivait de cette bourgade quand Breccia l’a repérée dans le commerce. Cependant, les attributions sur indices matériels ont été de loin les plus nombreuses jusqu’à nos jours. Ainsi les épitaphes Horbury-Noy 102-103, copiées dans la boutique d’un commerçant cairote, doivent à leur aspect leur assignation certaine à Tell el-Yahoudijeh. Leurs caractéristiques matérielles ont été détaillées à la fin de leurs notices et ce sont les mêmes qu’on découvre sur les pierres sûrement léontopolitaines : une forme globale le plus souvent rectangulaire, surmontée d’un fronton en triangle ; un texte gravé dans le champ creux délimité par des rebords en saillie ; des acrotères aux angles supérieurs de ces stèles toujours taillées dans du calcaire ; parfois, des corniches dentelées29. Ces constantes, inlassablement reproduites par les graveurs du lieu, ont garanti la provenance des épitaphes retrouvées à distance du site, c’est-à-dire presque toutes, ainsi Horbury-Noy 92-94 acquis à Chebin el-Khanater, à 2 km du tell, ou celles que le Service des antiquités a récupérées auprès des villageois voisins de la nécropole (Horbury-Noy 30-37 et 67-91).

107L’immuable fidélité des artisans de Tell el-Yahoudijeh à leurs habitudes de taille des pierres nous est donc bien précieuse aujourd’hui car elle a permis des dizaines de regroupements. Elle permet aussi d’isoler des exceptions. En voici.

108L’épitaphe en prose Horbury-Noy 54, entreposée au Musée du Caire, commémore un certain Judas, fils de Judas, mort à 30 ans.

  • 30 Sur ces chaînes, v. par ex. Lychnos 65, 1995, 38-39.
  • 31 L’usage était plutôt d’indiquer les années vécues à l’aide du sigle L suivi de lettres à (...)

109Comme le rappelle le commentaire de Horbury et Noy o. l. 123, son premier éditeur J. G. Milne l’a déclarée originaire de Tell el-Yahoudijeh dans Greek Inscriptions, 1905, 62 no 9219. Après lui, tous ses éditeurs successifs lui ont attribué la même provenance, F. Preisigke, SB 1, 1915 no 722, H. Lietzmann, ZNW 22, 1923, 285 no 40 = Kleine Schriften 1, 1958, 444, J. B. Frey, CIJ 2, 1952, 389 no 1465, D. M. Lewis, CPJ 3, 1964, 148 no 1465, Horbury et Noy également o. l. 122, sans même un point d’interrogation. Mais cette épitaphe diffère beaucoup du type usuel sur ce site : c’est une plaque en calcaire sans fronton ni rebords saillants ou autres caractéristiques locales ; son texte, sans épithètes en chaîne30, où l’âge est indiqué en toutes lettres (etôn tri(a)konta)31, a peu de rapports avec la phraséologie funéraire du lieu. Indubitablement juive par le nom et le patronyme du défunt, elle n’a pas grand chose de léontopolitain. Un point renforce mes doutes. Dans les Greek Inscriptions de Milne, elle figure parmi 8 stèles toutes attribuées à Tell el-Yahoudijeh ; mais 7 d’entre elles portent la mention « Naville » qui doit signifier qu’elles proviennent des fouilles de ce dernier. La seule à ne pas porter son nom est celle de Judas. Doit-on imaginer qu’un groupage ait mêlé une épitaphe juive mais isolée à une série léontopolitaine ?

110Cette situation n’est pas propre à Tell el-Yahoudijeh. Les 9 stèles Horbury-Noy 106-114 soulèvent un problème identique. O. l. 183, elles sont déclarées provenir de Demerdash, une petite communauté située au nord du Caire, près d’Héliopolis. Qu’une population juive ait été installée là n’a rien de surprenant, puisque les liens entre le terroir d’Héliopolis et l’histoire de l’ancienne Israël sont garantis par beaucoup de sources hébraïques énumérées dans le même volume, introd. 18-19. Mais les circonstances dans lesquelles ces épitaphes sont parvenues à la connaissance du monde savant interdisent toute certitude. Après avoir été leur premier éditeur dans le BSAA 15, 1914-1915, 33-38, C. C. Edgar est revenu sur les conditions de leur découverte dans les ASAE 22, 1922, 7 note 1 (E. Bernand, Inscriptions métriques, 1969, 279 note 2) : elles n’ont pas été trouvées dans des fouilles officielles, mais remises, ensemble, en 1911, par les employés des « Cairo Drainage Works », qui travaillaient, près de la gare de Demerdash, sur le tracé de la voie ferrée électrique qui relie Le Caire à Héliopolis. Comme Demerdash se trouve à plus de 15 km au sud de Tell el-Yahoudijeh, Edgar, prudemment, n’avait pas exclu que les 9 stèles pussent avoir été trouvées dans la zone du Tell, puis transportées au sud pour y être proposées à des amateurs d’antiquités. Une distance de 15 à 18 km, en effet, n’a rien d’insurmontable pour des porteurs de stèles. L. Robert a maintenu cette attitude de prudence, Hell. 1, 1940, 23 note 8, en admettant, lui aussi, les deux possibilités de provenance. Mais l’éditeur du CIJ les a toutes attribuées à Tell el-Yahoudijeh, Horbury et Noy, à l’inverse, toutes à Demerdash, le premier et les seconds rompant sans hésitation avec les réserves d’Edgar et de Robert. Les stèles 106-111 et 113-114 présentent des formes rectangulaires dont les rebords saillants encadrent les inscriptions gravées dans le champ creux ainsi délimité, mais aucune d’entre elles n’y ajoute les autres caractéristiques matérielles de l’épigraphie de Tell el-Yahoudijeh, constat qui a incliné Horbury et Noy à douter qu’elles fussent originaires de ce site (o. l. 183). Seule, la stèle Horbury-Noy 112, en l’honneur d’un anonyme à l’identité perdue dans les deux premières lignes, ajoute la présence du fronton quasi universellement sculpté à Tell el-Yahoudijeh. Faut-il donc imaginer, ici encore, qu’une des 9 stèles apportées à Demerdash ait été de provenance léonpolitaine ?

111Ces groupages, peut-être inspirés par un souci de commodité, rappellent le sort réservé à une boîte pleine d’étiquettes de momies, que L. P. Kirwan avait trouvée au Musée du Caire (Kentron 12 / 2, 1996, 58-59) : elle était déclarée provenir d’Assiout et, du coup, Kirwan avait conclu que les étiquettes en provenaient également ; or, une seule d’entre elles en était sûrement originaire et la plupart des autres avaient Akhmîm-Panopolis pour provenance. Il se pourrait bien que les disparités remarquées dans le groupe Milne, Greek Inscriptions 60-63 et dans Edgar, BSAA 15, 33-38, aient eu une cause identique.

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Notes

1 Il faut corriger le texte de CEMG 1730 en tenant compte des remarques de T. Derda, ZPE 65, 1986, 187.

2 La famille d’Haryôtès Moineau semble avoir été tout entière localisée à Bompaé, petit village dont les morts achevaient leur destin dans la zone funéraire de Panopolis / Akhmîm, témoins les étiquettes 1669-1891 du CEMG.

3 Le texte grec porte l’article défini.

4 « Der Schritt ist hier wohl nicht mehr weit, dass aus dem Spitznamen ein selbständiger Name wird ». Cette remarque générale d’U. Horak vaut pour beaucoup d’autres « ursprüngliche Spitznamen ».

5 Strouthas / -thès / -thios / -this / -thion / -thon / -theus.

6 Comme sur les épitaphes (Kentron 15 / 1, 82-83), les formulaires ans + mois + jours des étiquettes s’échelonnent sur tous les âges de la vie. Voici les quantièmes auxquels on les trouve : 1, 2, 4, 6, 8, 11, 18, 30, 52, 61. Les témoins des dernières décennies sont moins nombreux que ceux des trois premières, parce qu’à partir de 40 ans, les effectifs par tranches d’âges diminuent rapidement, mais leur présence suffit à prouver que les précisions de ce type n’étaient pas réservées aux seuls âges juvéniles.

7 Des deux Tbèkis, Aly Abdalla écrit : « They are presumably the sons of the principal figure, […], Pekysis the first named in the text. » Le nom de leur père paraît assuré, mais les enfants sont des filles. Tbèkis est un nom féminin, le parallèle masculin serait Pbèkis.

8 Les stèles de Tell el Yahoudijeh sont maintenant groupées dans les Jewish inscriptions of Graeco-Roman Egypt de W. Horbury et D. Noy, 1992, où elles occupent les nos 29-104. Je n’analyse ici que les stèles en prose (41-104), pour que le parallélisme soit parfait avec celles de Kom Abou Billou. Les stèles métriques (29-40) utilisent une phraséologie inspirée de la tradition poétique grecque, surtout homérique, et soumise aux exigences de la prosodie. Elle est donc très différente.

9 À la bibliographie de 1976 (ZPE 21, 218), j’ai ajouté les publications originales contenues dans BIFAO 78, 1978, 235-258, AO 48, 1980, 330-355, SFKAB 1985, ZPE 101, 1994, 113-119, et 114, 1996, 115-140.

10 La même association apparaît sur une autre épitaphe, certainement de Tell el-Yahoudijeh, le no 632 de la collection Moen (CdE 65, 1990, 122-123 et Kentron 8 / 3, 1992, 125-130). À Kom Abou Billou, la juxtaposition de pasiphilos à alypos n’apparaît qu’une fois (SB 619), mais le procédé qui consiste à renforcer deux adjectifs de sens voisin en les plaçant côte à côte y est attesté 9 fois (séquences alypos chrestos). Les deux nécropoles témoignent donc d’un goût commun pour l’expression superlative.

11 V. BIFAO 78, 1978, 236 no 2 et LDP 1, 1995, 17 note 11.

12 Ici encore, il faut citer la stèle Moen 632 qui aligne 8 épithètes à la suite. Je note au passage que cette épitaphe doit être ajoutée aux Jewish inscriptions de Horbury-Noy où elle ne figure pas.

13 Ibid. 336, Bagnall et Frier arrivent à un total général de 710 témoins. Ma récapitulation personnelle aboutit à l’accroître de 2 unités. Dans les groupes quinquennaux 5-9, 25-29, 40-44 et 45-49, j’obtiens 35, 31, 19 et 15 témoins, Bagnall et Frier, 36, 30, 18, 14, variations de toute manière trop faibles pour nuancer les conclusions.

14 Le fait que des catégories arithmétiquement importantes de la population nilotique (les citoyens romains, les femmes) aient été dispensées de capitation pourrait donner à croire que la représentation des vieillards de plus de 70 ans ait été perturbée. Il n’en a rien été probablement, parce que les apographai recensaient aussi les exemptés : « The fact that Roman citizens were exempted from the capitation taxes that were based on the list derived from census declarations is no argument against their having had to file these declarations, since women and children (as well as the elderly) were also exempted but had to be registered all the same. It appears, then, that the entire population of Egypt was registered, whatever their status » (o. l. 12) ; « The complete enumeration of persons, listed by household, was clearly the object » (o. l. 14).

15 Dans l’Égypte de ce temps, on ne peut comparer qu’indigènes et Juifs. L’unique site majoritairement grec du pays est Alexandrie qui est aussi l’un des moins productifs en épitaphes (Kentron 16 /1-2, 2000, 86). La composante hellénique de la population échappe donc à une analyse de ce type.

16 Les effectifs comptabilisés par D. Noy ibid. à Kom Abou Billou sont ceux que j’avais recensés dans ZPE 21, 1976, 219. Ils ne tiennent pas compte des accroissements considérables de la documentation funéraire locale, que nous devons surtout à G. Wagner, Kentron 15 / 1, 1999, 78. Les calculs de D. Noy sont donc maintenant périmés. On pourrait aussi objecter que la comparaison entre ces différents sites nous contraint à mettre en parallèle des inscriptions qui ne sont pas toutes de la même époque et qui même, pour nombre d’entre elles, sont impossibles à dater avec précision. Cette objection vaut dans les sociétés contemporaines où les progrès rapides de la médecine modifient sans cesse les conditions de la longévité humaine. Elle n’a pas de valeur dans le cas des sociétés antiques, où la stagnation multiséculaire des thérapeutiques permet de comparer des documents d’époques diverses sans risque. La même liberté d’action vaut pour l’analyse de la mortalité saisonnière dans l’Antiquité (Livre du centenaire de l’IFAO, 1980, 281).

17 C’est par hypothèse que nous supposons les uns tous juifs, les autres tous païens. Parmi eux, il a dû se glisser quelques Hellènes ou représentants d’autres populations, mais c’est invérifiable par nous, aujourd’hui.

18 Changement que j’ai signalé dans Kentron 15 / 1, 1999, 79, en notant le « nouveau gonflement des effectifs juvéniles ».

19 Cf. G. Posener, Dictionnaire de la civilisation égyptienne, 1959, 298-299 (article « Villes et villages »).

20 On pourrait trouver bien d’autres exemples dans Horbury-Noy passim.

21 En zone alexandrine, il apparaît même que des tombes juives étaient mêlées à des tombes grecques. Il ne semble pas qu’il y ait eu ségrégation funéraire (Horbury-Noy o. l. introd. 14-15 et, pour les difficultés d’interprétation que soulève cette cohabitation mortuaire, l’exemple du no 11, comm. 17-18).

22 Lychnos 57, 1993, 73.

23 J’ai laissé de côté les rubriques 11 et 12 qui concernent la taxation modique des pittakia, laissez-passer qui permettaient la circulation des piétons et des animaux.

24 Sur les dangers de la navigation en mer Rouge, v. Cl. Préaux o. l. 355 et 357. L’inscription no 164 dans E. Bernand o. l. est une illustration de ceux-ci (v. en particulier les remarques des p. 571-572).

25 Kentron 12 / 2, 1996, 54-55.

26 Sur le Schéol, v. par ex. J. Bonsirven, Le Judaïsme palestinien au temps de J.-C., sa théologie, 1, 1934, 529.

27 Je parle de vers pour la stèle de Rachel, alors qu’il faudrait plus exactement parler de séquences métriques entrecoupées de bouts de prose.

28 A. Barucq, Suppl. Dict. Bible 5, 1957, col. 364, suggère, lui aussi, cette dissémination.

29 Ces caractéristiques ne sont pas réunies sur chaque stèle.

30 Sur ces chaînes, v. par ex. Lychnos 65, 1995, 38-39.

31 L’usage était plutôt d’indiquer les années vécues à l’aide du sigle L suivi de lettres à valeur chiffrée. Mais il a souffert des exceptions.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Boyaval, « Notes égyptiennes »Kentron, 18 | 2002, 145-174.

Référence électronique

Bernard Boyaval, « Notes égyptiennes »Kentron [En ligne], 18 | 2002, mis en ligne le 01 octobre 2018, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/2002 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.2002

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Auteur

Bernard Boyaval

Université de Lille III

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