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Comptes rendus

François Suard, Alexandre. La vie, la légende

Corinne Jouanno
p. 258-259
Référence(s) :

François Suard, Alexandre. La vie, la légende, Paris, Larousse, 2001, 263 p.

Texte intégral

1Ce nouveau livre sur Alexandre présente la particularité d’être dû non à un antiquisant, mais à un médiéviste, spécialiste de la chanson de geste, dont l’intérêt pour le Conquérant légendaire s’était manifesté déjà lors du colloque sur « Alexandre le Grand dans les littératures occidentales et proche-orientales » (1997), dont F. Suard fut l’un des co-organisateurs. Selon le principe de la collection dans laquelle il est publié, Alexandre. La vie, la légende comporte deux parties, l’une historique, l’autre consacrée au mythe d’Alexandre – les deux volets du diptyque s’articulant autour d’un encart pédagogique, qui offre au lecteur chronologie, cartes, bibliographie sélective, index et anthologie de « gnomica ». La section historique, longue d’une cinquantaine de pages, n’appelle pas de remarques particulières : très classique, elle présente, sur un mode événementiel, les principaux faits du court règne d’Alexandre. C’est la deuxième partie, trois fois plus étendue, qui fait tout l’intérêt de l’ouvrage, car l’auteur y a rassemblé un matériau d’une extrême richesse, et parvient avec talent à éviter l’écueil de la superficialité, fréquent en ce genre d’ouvrages à vocation vulgarisante. F. Suard présente d’abord les textes fondateurs de la légende d’Alexandre (récits des historiens grecs et latins, Roman du Pseudo-Callisthène, tradition juive et coranique) et les principaux développements de la légende antique : origines mythiques d’Alexandre, motif du voyage aux confins du monde, vertus et vices du Conquérant (en deux chapitres intitulés « Le héros solaire » et « La part d’ombre »). L’auteur évoque ensuite l’évolution du mythe à l’époque impériale, la fascination exercée par la figure d’Alexandre sur généraux et empereurs romains, et les réticences exprimées par les philosophes et moralistes. Le chapitre suivant est consacré au triomphe de la vision « glorieuse » dans le Moyen Âge occidental, où Alexandre, héros d’épopées et de chansons de geste en latin et en ancien français, se voit promu au rang de modèle chevaleresque, d’ancêtre du roi Arthur dans le Perceforest, et figure en bonne place dans les miroirs des princes – en dépit des critiques persistantes des clercs, nourris d’auteurs antiques, comme Quinte-Curce ou Orose, hostiles au Conquérant. Le chapitre consacré à la légende d’Alexandre en Orient évoque successivement la place faite au Conquérant dans la littérature apocalyptique à Byzance, puis les grands textes de la tradition islamique, où Alexandre figure sous le nom d’Iskander – chronique de Tabari, Livre des Rois de Firdousi, roman de Nizâmi. F. Suard revient ensuite au monde occidental pour suivre le développement du mythe d’Alexandre du xvie siècle jusqu’à nos jours. Si la Renaissance, période de retour à la science, constitue pour la légende du Conquérant une période de latence, le xviie siècle est en revanche « le grand siècle d’Alexandre », et le souvenir du Macédonien, régulièrement invoqué dans les éloges des princes (Louis XIII, et surtout Louis XIV), devient « un enjeu idéologique » important. Loin de se contenter de références aux textes les plus célèbres, comme l’Alexandre de Racine, F. Suard cite aussi beaucoup d’autres œuvres aujourd’hui tombées dans l’oubli, tragédies d’Alexandre Hardy, de Claude Boyer, ballet de Bensérade, dont le foisonnement même illustre l’enthousiasme suscité au xviie siècle par la figure d’Alexandre. On retrouve la même riche documentation dans les trois derniers chapitres de l’ouvrage, consacrés aux xviiie, xixe et xxe siècles. À l’époque des Lumières, le Macédonien devient pour beaucoup de penseurs (Bougainville, Rollin, Cousin-Despréaux) « un anti-modèle, image détestable de l’absolutisme », même si l’on trouve des témoignages isolés d’admiration chez quelques grands auteurs, comme Voltaire ou Montesquieu, tous deux sensibles à l’importance historique du règne du Conquérant. Au xixe siècle, la légende d’Alexandre entre en consonance avec la geste de Napoléon : F. Suard évoque successivement les sentiments nourris par Bonaparte à l’égard du Macédonien, ceux de Chateaubriand unissant dans une même réprobation les deux conquérants, funestes incarnations de l’esprit de démesure, ceux de Hugo assimilant Alexandre à l’orgueilleux Nemrod. De substantiels développements sont également consacrés à la production historiographique relative à Alexandre aux xixe et xxe siècles : F. Suard passe en revue les œuvres les plus marquantes, de Droysen, qui, à sa manière, procéda à une « re-mythification d’Alexandre », à P. Briant, qui voit dans le conquérant macédonien un « prédateur », doué « d’une extraordinaire intelligence politique ». Enfin, une place est faite aux romans contemporains inspirés de l’histoire d’Alexandre, ceux de Klaus Mann et de Valerio Manfredi – évoqués aussi dans le récent Alexandre de Claude Mossé (2001) –, ceux de Druon, de Peyrefitte ou d’Ernst Jünger, et même le troisième art n’est pas oublié, puisque sont rapidement présentés l’Alexander the Great de Robert Rossen (1956) et le Megalexandros d’Angelopoulos (1980), moderne parabole sur l’éclosion d’un tyran local. On notera enfin l’extrême richesse des illustrations, qui fait du livre de F. Suard un volume tout aussi agréable à regarder que passionnant à lire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Corinne Jouanno, « François Suard, Alexandre. La vie, la légende »Kentron, 19 | 2003, 258-259.

Référence électronique

Corinne Jouanno, « François Suard, Alexandre. La vie, la légende »Kentron [En ligne], 19 | 2003, mis en ligne le 12 avril 2018, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/1875 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.1875

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