Un premier état de cette étude a été soumis au jury réuni pour l’obtention du diplôme d’HDR de C. Jacquemard, le 15 décembre 2000. Nous remercions donc vivement MM. les Professeurs E. Poulle, L. Callebat, P. Flobert, P. Fleury, J.-Y. Guillaumin et L. Holtz pour l’aide précieuse qu’ils nous ont alors apportée par leurs remarques et suggestions. La première partie de cette communication est le fruit du travail conjoint de C. Jacquemard (CERLAM, Université de Caen), O. Desbordes (CERLAM, Université de Caen) et A. Hairie (LERMAT, Université de Caen). C. Jacquemard a repéré le fragment Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, f. 16-17v, et elle en a assuré l’édition et la traduction française en collaboration avec O. Desbordes ; C. Jacquemard et A. Hairie ont travaillé conjointement à l’analyse technique et à la reconstitution du quadrant vetustior. La seconde partie de la communication, qui pose la reconstitution de la lettre complète de Bérenger à Werinher et l’attribution du De horologio viatorum à Bérenger et non à Hermann de Reichenau, correspond aux recherches personnelles de C. Jacquemard et n’engage que sa seule responsabilité. Au cours de notre travail, nous avons utilisé les abréviations suivantes : PL : Patrologiae Cursus completus. Series latina accurante J.-P. Migne, Paris ; MGH : Monumenta Germaniae Historica.
- 2 Voir l’analyse du manuscrit présentée dans Toneatto 1994, III, 1071-1075.
- 3 Nous tenons à remercier ici M. le Professeur E. Poulle, qui nous a suggéré la c (...)
1Le manuscrit Vaticano, BAV Ott. lat. 1631 est daté du XIIe siècle, et il est vraisemblablement d’origine anglaise, du moins les f. 1 à 242. Il contient aux f. 16-17v la première partie d’une lettre dont les correspondants sont désignés uniquement par leurs initiales : B, l’auteur, W, le destinataire. En préambule, B explique que c’est uniquement par amitié pour W qu’il a rédigé, malgré son incompétence, les notices explicatives de deux instruments : un quart de cercle, quadra astrolabii, et un instrument simplement dénommé horologium. Un court traité de construction et d’usage d’un quart de cercle suit immédiatement le prologue. Dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, il manque la fin de la lettre qui devait concerner le second instrument, l’horologium, et le schéma qui accompagnait à l’origine la notice du quart de cercle. Cependant, le fragment conservé est assez explicite pour qu’on puisse rapprocher l’instrument décrit du quadrant reproduit dans le manuscrit London, BL Royal 15 B IX, f. 60v. La confrontation des deux témoignages permet de reconnaître dans l’instrument désigné par B sous l’appellation de quadra astrolabii un quadrant, qu’on qualifiera de vetustior par référence aux quadrants vetustissimus et vetus analysés par J. M. Millàs Vallicrosa3. Le témoignage de Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, f. 16-17v, est donc précieux puisqu’il enrichit d’un élément supplémentaire la panoplie d’instruments d’origine arabe dont disposaient les clercs latins vers le milieu du XIe siècle.
- 4 Le texte de la première partie de la lettre de B à W, établi à partir de Vaticano, BAV (...)
2Après un prologue adressé à W [1]4, l’auteur, B, indique à son correspondant le protocole de construction d’un quart de cercle dont on peut identifier les différents éléments, selon la progression suivante :
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construction de l’écliptique [2]
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tracé des arcs des cercles de déclinaison du soleil [3]
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tracé du diagramme horaire [4]
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construction et mode d’emploi du système de visée [5]
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construction et usage du carré géométrique [6]
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table des hauteurs angulaires du soleil pour une latitude de 47° [7].
- 5 Les schémas illustrant cet article ont été réalisés par J. Potier et C. Leclerc, sur (...)
3Le quart de cercle décrit dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, est caractérisé par le double rabattement des projections stéréographiques des cercles célestes. L’auteur propose une construction graphique tout à fait originale (fig. 15).
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Il trace une droite horizontale ABC de longueur quelconque, avec le segment AB égal à BC. Il divise AB en cinq parties égales et place sur AB le point D tel que AD = 1 / 5 AB, puis le point E tel que DE = EB. E est le centre des projections stéréographiques des cercles de déclinaison du soleil. Enfin il construit le point F à la perpendiculaire de E tel que DF = BF = AB. F est le point équinoxial [2].
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Il trace le premier arc du zodiaque, FG, en prenant D pour centre ; G, sur la droite ABC, est le point solsticial d’été. Il trace le deuxième arc du zodiaque, FC, en prenant B pour centre ; C est donc le point solsticial d’hiver. Il mène l’arc de cercle du tropique d’été de centre E et de rayon EG, puis celui de l’équateur de centre E et de rayon EF et celui du tropique d’hiver, de centre E et de rayon EC [3].
4Cette construction remarquable implique pour l’obliquité de l’écliptique (ε) une valeur approchée excellente ε = 23°35 (fig. 2).
5B procède ensuite à la graduation inégale du zodiaque et à la construction au compas des dix arcs restants des signes du zodiaque et des mois (fig. 3a, b et c).
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Le limbe du quart de cercle porte une graduation en quatre-vingt-dix degrés, avec une signalisation particulière tous les cinq degrés. B conseille de reporter cette graduation sur chacun des cercles concentriques qui seront construits, afin de faciliter la gravure et la lecture des lignes horaires [3].
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Dans le double rabattement du cercle zodiacal, le début du Capricorne est fixé à l’extrémité droite de la ligne horizontale supérieure de l’instrument.
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- 6 Voir l’édition du traité (sigle h’, Millàs V) par Millàs Vallicrosa 1931, (...)
- 7 Sur les graduations erronées du zodiaque dans les traités latins de (...)
Pour placer sur les deux arcs brisés du zodiaque les limites des mois et des signes, B fait pivoter une règle autour du centre du quart de cercle, E ; tous les quinze degrés (lus sur le limbe), il note l’intersection de la règle et des deux arcs brisés du zodiaque [3]. Cette méthode suppose donc que les douze signes du zodiaque et les douze mois aient tous une ascension droite de trente degrés. B réitère la même faute que l’auteur du traité Philosophi quorum sagaci studio6, Hermann de Reichenau, Rodolphe de Bruges ou Raymond de Marseille7.
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- 8 Par exemple, la Vierge et le Bélier partagent le même intervalle puisque l’augmenta (...)
La graduation des deux arcs brisés du zodiaque délimite six intervalles attribués aux signes du zodiaque (fig. 3b). Les signes du zodiaque sont répartis par paires de signes semblables sous le rapport de l’augmentation ou de la diminution du jour8. À partir de cette graduation zodiacale, B trace les cercles de déclinaison du soleil correspondant au début et à la fin de chaque signe zodiacal.
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- 9 Selon les termes de l’auteur, ils ne sont semblables qu’à eux-mêmes : (...)
Entre les intervalles des signes zodiacaux s’intercalent les six intervalles attribués aux mois, les mois prenant leur début au milieu des signes zodiacaux (fig. 3c). Les mois sont aussi répartis par paires selon le même critère. Juin et décembre, au milieu desquels prennent place les solstices, font exception9 et occupent leur propre intervalle rabattu sur lui-même à partir des points solsticiaux fixés sur la ligne horizontale supérieure [4]. À partir de cette graduation zodiacale, B trace les cercles de déclinaison du soleil correspondant au début et à la fin de chaque mois.
6Le quart de cercle décrit par B comporte un diagramme des heures inégales, construit empiriquement [4]. B utilise un tableau des hauteurs angulaires du soleil à chaque heure de la journée, notées au début de chaque signe et chaque mois, et calculées pour une latitude donnée, ici 47° [7].
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Les chiffres relevés dans la table de B vérifient la formule
sin(h) = cos(ф). cos(τ).cos(δ) + sin(ф). sin(δ),
où h est la hauteur angulaire du soleil à l’horizon, ф est la latitude, τ est l’angle horaire par rapport à midi, et δ la déclinaison du soleil.
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- 10 À la même heure, la hauteur du soleil est la même début décembre et début janvier, (...)
Le tableau et le diagramme sont simplifiés du fait que les signes, les mois et les heures peuvent être répartis en paires d’éléments symétriques10.
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- 11 Par exemple, pour dessiner la ligne commune à la première et à la douzième (...)
B construit chaque ligne horaire à partir des données du tableau (fig. 4). En utilisant la graduation en degrés du limbe et des cercles, il reporte chacune des hauteurs angulaires indiquées dans le tableau sur le cercle de hauteur correspondant au début du signe ou du mois voulu11. Il trace la ligne horaire en reliant entre eux tous les points reportés ; pour ce dernier tracé, il semble utiliser le compas, mais à partir de tâtonnements expérimentaux [4].
7Deux pinnules avec des trous de visée sont prévues le long de la ligne verticale du quadrant. Le système doit être complété par un fil à plomb accroché à un clou fixé au sommet du quart de cercle (B ne mentionne pas la présence d’un curseur mobile sur le fil à plomb) [5].
8Enfin, dans l’espace resté libre entre le sommet du quart de cercle et le petit cercle du tropique d’été, B inscrit un carré des ombres qui permet un usage géométrique du quart de cercle semblable à celui de l’astrolabe (fig. 5). Le carré des ombres peut aussi être inscrit sur le dos de l’instrument [6].
9Le protocole de construction défini par B présente au moins deux particularités remarquables, que nous signalons simplement, mais qui méritent d’être approfondies par une enquête ultérieure :
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la construction graphique de l’écliptique, qui n’a pas d’équivalent dans les traités latins des XIe et XIIe siècles, est excellente : est-elle le résultat chanceux d’une démarche empirique de B ou le souvenir d’une procédure géométrique de source arabe ?
-
- 12 Les notices des instruments astronomiques établies par Al-Marrakaschi (XIIIe siècle (...)
la table des hauteurs angulaires du soleil enregistre des données d’une grande exactitude, très difficile, sinon impossible à atteindre par lecture des instruments dont disposaient alors les clercs latins (quadrant des sinus vetustissimus ou astrolabe) ; les valeurs transmises ont été très vraisemblablement obtenues par calcul, mais le texte latin ne livre aucun renseignement sur ce point12.
10Lorsqu’un observateur veut utiliser le quart de cercle pour déterminer l’heure, il adopte la procédure indiquée par l’auteur [5]. Il oriente le quadrant pour que la lumière du soleil passe par les deux pinnules de visée, et il mesure ainsi la hauteur angulaire du soleil sur l’horizon. La position du fil lesté sur le diagramme horaire lui donne le moment de la journée de la façon suivante :
-
l’observateur considère l’arc de cercle des signes ou des mois qui correspond à la date de l’observation
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il repère sur quel lieu de l’arc approprié le fil à plomb se superpose, et compare ce lieu avec les marques des lignes horaires
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il obtient ainsi l’heure inégale correspondant au moment de l’observation (voir fig. 5). Un curseur coulissant sur le fil à plomb, qui serait réglé préalablement sur le rayon de l’arc des signes ou de mois, faciliterait la lecture du diagramme des heures, mais le texte n’en fait pas mention.
11En l’état actuel de notre enquête, il n’a pas été répertorié d’instrument ancien qui corresponde au quart de cercle décrit dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631. Mais on peut relever des instruments ou des dispositifs qui lui sont apparentés. De plus, le schéma isolé de quadrant reproduit dans le manuscrit London, BL Royal 15 B IX, f. 60v, et analysé jusqu’alors, faute d’indices complémentaires, comme une représentation embryonnaire de quadrant novus13 correspond exactement à la notice de construction développée dans la lettre de B à W.
- 14 Maddison 1997, 167 sq. et planche 8.
12Le monde arabe connaissait un type de quadrant qui comportait un réseau d’heures saisonnières établi pour une latitude donnée et, au-dessus de la graduation du limbe, une échelle zodiacale, c’est-à-dire les arcs de cercle concentriques de déclinaison du soleil. Deux quadrants de ce type ont été conservés, difficiles à dater (entre le Xe et le XIe siècle), dont l’un se trouve au Metropolitan Museum de New York et a été analysé par F. Maddison14. Le quart de cercle décrit dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, semble bien n’être qu’une variante plus sophistiquée de ces quadrants horaires à échelle zodiacale, qui sont très rudimentaires. Il partage avec ces instruments le même principe de base, c’est-à-dire la lecture de l’heure sur un réseau d’heures saisonnières établi pour une latitude donnée et gravé à l’aide d’une échelle zodiacale. Mais, alors que, dans le quadrant horaire du Metropolitan Museum de New York présenté par F. Maddison, les cercles des signes sont simplement équidistants, la construction indiquée dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, repose sur une distribution des cercles de déclinaison du soleil selon la projection stéréographique. L’ajout d’un carré des ombres à usage géométrique, soit sur la face, soit au dos, semble être aussi une spécificité de l’instrument.
- 15 Al-Biruni, The Book of Instruction in the Elements of the Art of Astrology, ch. 325 ( (...)
- 16 Voir, par exemple, Turner 1985, 22, 84 ; Mouliérac 1990, 98, 101, 104, 106.
13Un des dispositifs couramment gravés au dos de l’astrolabe offre des points communs avec la construction du quart de cercle exposé dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631. Dès le début du XIe siècle, selon le témoignage d’Al-Biruni15, un des quadrants du dos de l’astrolabe pouvait comporter un tracé des arcs concentriques des signes avec un graphique des hauteurs du soleil à midi pour différentes latitudes. Ce type de quadrant est bien attesté dans les instruments conservés16. Il implique, comme le quadrant de Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, le principe d’un réseau horaire inscrit sur une échelle zodiacale, mais avec des différences sensibles de construction : le plus souvent les arcs des signes ne sont pas tracés selon les règles de la projection stéréographique ; le graphique des hauteurs du soleil sur le dos de l’astrolabe est tracé pour plusieurs latitudes, et il ne contient que les valeurs des hauteurs méridiennes.
- 17 Sur la théorie du quadrant nouveau, on se reportera à l’analyse de Poulle 1983, (...)
14Le quart de cercle de Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, possède en commun avec le quadrant nouveau quelques éléments : le carré des ombres, le double rabattement de la projection stéréographique de l’écliptique et donc le tracé caractéristique des deux arcs brisés du zodiaque. Cependant, la finalité et la complexité des deux instruments ne sont évidemment pas de même nature. La théorie du quadrant nouveau dérive de l’astrolabe et repose donc sur la représentation des mouvements célestes quotidiens ; mais le principe du double rabattement de la face de l’astrolabe interdit l’utilisation d’une araignée, si concrète et facile à manipuler, et implique une modélisation du mouvement quotidien beaucoup plus abstraite que dans l’astrolabe. L’utilisateur du quadrant nouveau devait donc bien maîtriser les propriétés de la projection stéréographique et bien connaître l’astronomie du mouvement quotidien17. Il n’en est rien avec le quadrant de Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, qui reste un simple quadrant horaire, même si la construction du diagramme des heures repose sur le principe du double rabattement de la projection stéréographique de l’écliptique.
15Il existe une parenté indéniable entre l’instrument décrit par B à W et la figure de quart de cercle reproduite dans London, BL Royal 15 B IX, f. 60v (fig. 6). Ce dessin n’est accompagné d’aucune notice explicative, mais nous pouvons y reconnaître exactement les principaux éléments du protocole de construction rédigé par B :
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le quart de cercle avec sa graduation en quatre-vingt-dix degrés sur le pourtour et sa signalisation supplémentaire tous les cinq degrés
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la ligne supérieure horizontale (coraustus), qui porte les points A, D, E, B, G, C construits comme le veut le protocole défini par B
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la perpendiculaire (cathetus) qui porte, à la verticale de E, le point F, mais situé approximativement
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les deux arcs brisés du double rabattement du cercle zodiacal
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les arcs des tropiques et l’arc médian de l’équateur, mais avec une erreur de construction puisque l’arc de l’équateur ne part pas de F
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les arcs de cercle concentriques des signes et des mois
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le fil à plomb fixé au point E
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les pinnules de visée portées sur la verticale
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et, peut-être (mais alors très approximatif), le carré géométrique dans l’espace vacant à l’intérieur du cercle du tropique d’été.
16On peut donc légitimement penser que le copiste de London, BL Royal 15 B IX, a bien reproduit au f. 60v la figure explicative qui manque dans la lettre de B à W ; en revanche, de toute évidence, il s’est contenté de reproduire le dessin qu’il avait sous les yeux, sans chercher à le reconstruire lui-même suivant les instructions édictées par B.
- 18 Hermann de Reichenau, De utilitatibus astrolabii (Pez 1721, c. 107-140, (...)
17Cette identification est confirmée par la composition même du f. 60v. London, BL Royal 15 B IX, contient, f. 58v-60v, une partie importante de la compilation publiée dans la patrologie de Migne (PL 143, c. 405-412), d’après l’édition de Pez18, comme livre II du De utilitatibus astrolabii :
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f. 58v Demonstratio componendi cum conuertibili sciothero horologici uiatorum instrumenti (PL 143 c. 405-412, De utilitatibus astrolabii II, 1)
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f. 59v Quamuis Ambrosii Theodosii auctoritate (PL 143, c. 408, De utilitatibus astrolabii II, 2)
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f. 59v Eratosthenes philosophus geometra sagacissimus (PL 143, c. 408-409, De utilitatibus astrolabii II, 3)
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f. 60 Ambitus terreni orbis (PL 143, c. 409, De utilitatibus astrolabii II, 4)
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f. 60 Circuli quadram in XC (PL 143, c. 409-410, De utilitatibus astrolabii II, 5)
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f. 60v Ad mensurandam quamlibet in plano stantem altitudinem per suam ipsius umbram (PL 143, c. 410-411, De utilitatibus astrolabii II, 6).
18Le chapitre intitulé Ad mensurandam quamlibet in plano stantem altitudinem per suam ipsius umbram, que nous désignerons par son incipit : Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris, est transcrit au f. 60v, et il précède immédiatement la figure de quart de cercle qui occupe le bas du folio. Or, ce fragment, qui traite de l’usage géométrique de l’astrolabe, est rédigé presque exactement dans les mêmes termes que la fin de la lettre de B à W consacrée à l’usage géométrique du quart de cercle. Il n’est donc pas aberrant de rencontrer à cet endroit du manuscrit le schéma du quart de cercle. La source de London, BL Royal 15 B IX, a pu comporter à la fois et le chapitre écrit pour l’astrolabe, Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris, largement attesté dans la tradition manuscrite, et la lettre de B à W encore accompagnée de sa figure. L’illustrateur, trompé par la conclusion identique des deux textes, aurait alors inséré par erreur le schéma correspondant à la lettre de B à W à la fin du chapitre Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris. Des discordances entre texte et illustration se constatent à d’autres reprises dans London, BL Royal 15 B IX.
- 19 Voir la deuxième partie de cet article « Trois témoins fragmentaires d’une source uni (...)
- 20 La suite de problèmes géométriques connue aujourd’hui sous le nom de Geometria Incert (...)
- 21 Les écrits publiés sous le titre De utilitatibus astrolabii sont rangés parmi les écr (...)
- 22 Sur les quadrants vetustissimus et vetus, voir les éditions suivantes : Hermann de Re (...)
19Le témoignage de London, BL Royal 15 B IX, aide à ancrer le fragment isolé rapporté par Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, dans un contexte historique précis. En effet, on peut établir que les lignes consacrées à l’utilisation du carré géométrique dans la lettre de B à W sont la source du chapitre Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris19. La lettre de B à W est donc antérieure à la constitution des deux collections médiévales qui contiennent le chapitre Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris et qui sont bien attestées dans la tradition manuscrite dès le XIe siècle : la compilation géométrique éditée par Bubnov comme « livre III » de la Geometria Incerti Auctoris20 (Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris = GIA III, 6) et la compilation astronomique éditée par Migne, à la suite de Pez, comme « livre II » du De utilitatibus astrolabii (Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris = De utilitatibus II, 6)21. Puisque cette deuxième collection est communément rapportée à la mouvance d’Hermann de Reichenau, le quart de cercle décrit dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, a donc été connu en Occident latin au milieu du XIe siècle, à la même époque que le cadran solaire cylindrique et dans le même milieu, le cercle d’Hermann de Reichenau. En tenant compte, non de sa date d’invention dans le monde arabe, mais de sa date d’introduction dans le monde latin, on peut le situer comme quadrant vetustior : il apparaît peu après le quadrant vetustissimus, c’est-à-dire le quadrant de sinus à curseur, dont les premières descriptions sont insérées dans le corpus des plus anciens traités latins sur l’astrolabe, et avant le quadrant vetus attesté aux XIIe et XIIIe siècles22.
20Le fragment conservé de la lettre de B à W offre des parentés indéniables avec, d’une part, le chapitre Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris (GIA III, 6 et De utilitatibus astrolabii II, 6) et, d’autre part, le traité De horologio viatorum, attribué traditionnellement à Hermann de Reichenau. Ces derniers rapprochements imposent de réexaminer la collection publiée comme De utilitatibus astrolabii II et de discuter la paternité du De horologio viatorum en se demandant s’il ne constitue pas la seconde partie de la lettre adressée par B à W.
21Les chapitres identiques GIA III, 6 et De utilitatibus astrolabii II, 6 sont rédigés dans les mêmes termes que la fin de la lettre de B à W. Comme le prouve la confrontation des textes ci-dessous, les seules différences constatées résident dans l’adaptation des mêmes usages au quadrant vetustior (lettre de B à W) ou à l’astrolabe (GIA III, 6 / De utilitatibus astrolabii II, 6).
Lettre de B à W, d’après Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, f. 17 |
GIA III, 6, d’après Bubnov 1899, 321 sq., De utilitatibus astrolabii II, 6 d’après PL 143, c. 410-411 |
Estat adhuc quadratus orthogonius aequilaterus, aut in ultra tropicum estivum spatio vacante, aut similiter vestri astrolabii, sic etiam in dorso quadrae mensurandus. Cujus non ingrata utilitas, itidem ut alhidada in astrolabio, ita in quadra perpendiculo, erit exequenda hoc modo. |
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Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris seu cujusquam talium in plano dumtaxat loco altitudinem per umbram ipsius invenire, |
Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris vel cujusquam talium, in plano dumtaxat loco stantis, altitudinem per umbram ipsius invenire, |
verso contra solem quadrae praedicto katheto |
suspenso astrolabio |
solisque radio per utraque pinnularum foramina directim inmisso, |
solisque radio per utraque foramina halhidadae directim immisso, |
vide in qua parte lateris quadrati, quod in XII divisum est, directa ipsius perpendicularis linioli stet regula |
vide in qua parte lateris quadrati, quod in XII divisum est, directa ipsius halhidadae stet linea |
et, quamcumque proportionem numerus partium ad XII, |
et quamcumque proportionem numerus partium supra halhidada aparentium ad XII, |
id est ad totum latus quadrati, habuerit, |
id est ad totum latus quadrati, habuerit, |
eandem procul dubio proportionem altitudo quam invenire voluisti ad umbram in planitie a se factam habebit. |
eandem procul dubio proportionem altitudo quam invenire voluisti ad umbram in planitie a se factam habebit. |
Verbi gratia : si duae supra apparent, ad quas XII sesciplam habent proportionem, sescupla quoque erit umbra ad altitudinem ; si III, quadrupla ; si IIII, tripla ; si V, duplex superbipartiens quintas ; si VI, dupla ; si VII, superbipartiens septimas ; si VIII, sesqualtera ; si VIIII, sesquitercia ; si X, sesquiquinta ; si XI, sesquiundecima ; si XII, aequa erit altitudo et umbra. |
Verbi gratia : si duae partes supra apparent, ad quas XII sescuplam habent proportionem, sescupla quoque umbra ad altitudinem ; si tres apparent, quadrupla ; si IV, tripla ; si V, duplex superbipartiens quintas ; si VI, dupla ; si VII, superquinquepartiens septimas ; si VIII, sesqualtera ; si VIIII, sesquitercia ; si X, sesquiquinta ; si XI, sesquiundecima ; si omnes, aequa erit altitudo et umbra. |
Et omnino cujuscumque proportionis trianguli perpendiculi liniolus in quadrato, quasi hipotenusa |
Et omnino cujuscumque proportionis triangulum halhidada in quadrato ipso |
effecerit, ejusdem proportionis triangulum umbra cujuslibet erecti corporis in planicie stantis formabit. |
effecerit, ejusdem proportionis triangulum umbra cujuslibet erecti corporis in planitie stantis formabit. |
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In quo videlicet triangulo ipsa inumbrata planities basis est, erecta altitudo cathetus, |
radius solis umbram tranversim limitans hipotenusae vicem dinoscitur habere. |
radius solis umbram tranversim limitans hipotenusae vicem dinoscitur habere. |
22L’emprunt est ici évident, mais dans quel sens a-t-il joué ? Quel est le contexte initial du chapitre ? la collection De utilitatibus astrolabii II ? la collection GIA III ? la lettre de B à W ? Il faut relativiser, dans un cas pareil, l’existence de lacunes ou de fautes dans l’une des deux versions. En effet, le début de la lettre de B à W n’est aujourd’hui connu que par un seul témoin et peut donc présenter de mauvaises leçons ou des oublis qui ne sont pas imputables à l’original.
23La collection connue depuis les éditions de Pez et Migne comme « livre II du De utilitatibus astrolabii », et parfois désignée sous le titre de son premier chapitre, consacré à la construction d’un cadran solaire cylindrique, De horologio viatorum, est une compilation hétérogène dont l’attribution est problématique.
24La patrologie de Migne, après l’édition de Pez, attribue à Hermann de Reichenau une trilogie bien représentée dans la tradition manuscrite :
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le traité de construction De mensura astrolabii (sigle h, Bubnov 1899)
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le traité d’usages Quicumque astronomice discere (sigle J, Bubnov 1899) publié comme livre I du De utilitatibus astrolabii
-
et une collection de chapitres éditée comme livre II du De utilitatibus astrolabii.
25Seul le traité De mensura astrolabii (h) peut être attribué avec certitude à Hermann, qui se désigne nommément dans la préface : Herimannus, Christi pauperum peripsima et philosophiae tironum asello, imo limace, tardior assecla, B suo jugem in Domino salutem (PL 143, c. 381).
- 23 La collection a reçu le sigle k dans Bubnov 1899 et le sigle hv dans (...)
26Il est aujourd’hui communément admis que les livres I et II du De utilitatibus astrolabii, publiés par Pez et, après lui, par Migne, ont été réunis artificiellement et qu’ils ne présentent aucune unité réelle de ton et de projet. Depuis l’édition des Gerberti opera mathematica de Bubnov, qui classa le traité Quicumque astronomice discere (J) parmi les opera dubia de Gerbert, la datation et l’attribution de J ont fait, et font encore aujourd’hui, l’objet de vives discussions. Quoi qu’il en soit, le traité J a une cohérence interne indéniable. Il n’en est pas de même pour la collection éditée comme livre II du De utilitabus astrolabii, qui comporte une série de huit chapitres de sujet et de facture hétéroclites23 :
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Demonstratio componendi cum convertibili sciothero horologici viatorum instrumenti (Componitur quodam simplex… PL 143, c. 405-412)
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De magnitudine ambitus universi orbis (Quamvis Ambrosii Theodosii auctoritate… PL 143, c. 408)
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Eratosthenis de eadem re sententia (Eratosthenes philosophus geometraque… PL 143, c. 408-409)
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Item aliis verbis (Ambitus terreni orbis… PL 143, c. 409)
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De distributione quadrantis ita ut certas diei horas possis invenire (Circuli quadram in XC… PL 143, c. 409-410)
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Ad mensurandam quamlibet in plano stantem altitudinem per suam ipsius umbram (Si vis alicujus arboris uel columnae… PL 143, c. 410-411, similaire à GIA III, 6)
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Alius modus altitudinem rerum metiendi (Est et alia ratio altitudinem… PL 143, c. 411, similaire à GIA IV, 48)
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Quomodo circuli asmut depigendi sint (Post almucantarath qui describantur… PL 143, c. 411-412).
27La nature hétérogène de la collection est évidente et rend son attribution au seul Hermann de Reichenau problématique, comme le montre une brève revue de la bibliographie.
- 24 De utilitatibus astrolabii II, 6 = Geometria Gerberti 21 = GIA III, 6 ; De utilitatib (...)
28Dans la patrologie de Migne elle-même, les chapitres De utilitatibus astrolabii II, 6 et 7 ne sont pas considérés comme des textes authentiques d’Hermann de Reichenau, mais ils sont repérés comme des emprunts à la Géométrie de Gerbert [à la partie publiée depuis comme GIA par Bubnov]24.
29Dès 1905, V. Rose25 a jugé que la collection publiée comme De utilitatibus astrolabii II était constituée de fragments variés et hétérogènes.
- 26 Van de Vyver 1931, 272 sq. et n. 22-25.
30En 1931, A. Van de Vyver26 appuie son analyse sur le témoignage du manuscrit Paris, BNF, n. acq. lat. 229. Ce manuscrit, fiable par ailleurs, inscrit le chapitre consacré au cadran solaire cylindrique, De utilitatibus astrolabii II, 1, sous le nom d’Hermann, mais laisse anonyme le chapitre géométrique De utilitatibus astrolabii II, 6, et ne contient pas les autres textes de la compilation. A. Van de Vyver estime donc que seul le premier chapitre sur le cadran solaire cylindrique revient à Herman et que les chapitres suivants, De utilitatibus astrolabii II, 2-7, lui ont été rapportés secondairement.
- 27 Oesch 1961, 171.
- 28 Une lettre de Meinzo de Constance à Hermann de Reichenau sur l’utilisation des fracti (...)
- 29 En effet, De utilitatibus astrolabii II, 3 offre des affinités certaines avec GIA IV, (...)
31En 1961, H. Oesch, dans son étude de la tradition manuscrite des œuvres d’Hermann de Reichenau27, considère, d’une part, que le texte publié par Pez et Migne comme « De utilitatibus astrolabii, livre II » n’a aucun lien avec le « De utilitatibus astrolabii, livre I » et, d’autre part, que le « livre II » n’est lui-même qu’un assemblage de fragments d’origines diverses. Il retient comme très vraisemblable l’attribution du premier chapitre sur le cadran solaire cylindrique à Hermann, mais reste réservé sur l’origine des chapitres De utilitatibus astrolabii II, 2, 3, 4 sur la circonférence de la terre. Selon son analyse, ces chapitres rejoignent les centres de préoccupation d’Hermann sans, pour autant, compter nécessairement parmi ses œuvres authentiques28. H. Oesch estime plus vraisemblable qu’Hermann ait ici réuni, pour les travailler, des chapitres de provenances diverses, venant, en particulier, de la Géométrie du pseudo-Gerbert (c’est-à-dire la GIA publiée par Bubnov)29.
- 30 Bergmann 1985, 168-173.
32W. Bergmann, en 198530, conserve à Hermann de Reichenau un rôle non négligeable dans la rédaction du traité Quicumque astronomice discere (J) (= De utilitatibus astrolabii I), puisqu’il lui attribue la recension et l’organisation finales du traité en vingt et un chapitres. Il ne conteste pas non plus l’authenticité des chapitres réunis sous le titre De horologio viatorum, qu’il fait remonter à Hermann de Reichenau, sans toutefois aborder le problème de leur hétérogénéité.
- 31 Borst 1984, 452 sq. et n. 168-169.
- 32 Borst 1989, 81 sq.
33A. Borst, en 198431, accorde une grande importance, comme A. Van de Vyver, au témoignage de Paris, BNF, n. acq. lat. 229, qui contient seulement le chapitre De utilitatibus astrolabii II, 1, sous la mention « Item Herimannus de quodam horologio », f. 25v-28, et immédiatement après, le chapitre De utilitatibus astrolabii II, 6, introduit par un titre spécifique, mais anonyme, « Ad inveniendam cum quadrato astrolabii altitudinem per umbram ipsius altitudinis in plano stantis », f. 28-28v. A. Borst analyse, à son tour, le texte De utilitatibus astrolabii II, 6 comme un emprunt à la GIA (GIA III, 6), mais souligne l’originalité de la recension donnée par Paris, BNF, n. acq. lat. 229. En effet, le copiste a enrichi l’emprunt en lui adjoignant le chapitre GIA III, 7, et en le complétant d’un tableau inédit qui met en relation, dans une série complète, l’ombre d’un objet et sa hauteur angulaire, mesurée avec l’astrolabe (f. 28v-29v). Pour A. Borst, on peut reconnaître la patience et la rigueur d’Hermann dans cette addition, d’autant plus qu’elle réitère la précision déjà donnée dans le chapitre dédié au cadran solaire cylindrique sur la latitude de référence (48°) : jam vero sole in nostro clymate, scilicet septimo, ultra sexagesimum sextum gradum non ascendente. Le copiste de Paris, BNF, n. acq. lat. 229, aurait donc ici transcrit des notes de travail d’Hermann qui n’étaient pas destinées à la publication. A. Borst confirme son jugement en 198932 : la compilation éditée par Pez et Migne comme De utilitatibus astrolabii II répondrait à l’intérêt d’Hermann, à la fin de sa vie, pour les questions de géométrie transmises par la GIA. Il s’agirait d’un dossier resté inachevé à la mort d’Hermann, mais recopié et publié par les moines de Reichenau.
34Les analyses qui viennent d’être rappelées sont donc unanimes à considérer le chapitre De utilitatibus astrolabii II, 6 comme une interpolation, un emprunt à la GIA. Il est impossible de les contester, car, à l’intérieur du De utilitatibus astrolabii II, le fragment n’a aucun rapport direct avec son contexte immédiat. Si l’on excepte l’étude de W. Bergmann, elles montrent la même unanimité à considérer le De utilitatibus astrolabii II comme une compilation de fragments hétérogènes, même s’ils rejoignent, de toute évidence, les préoccupations d’Hermann de Reichenau. Comme A. Borst le propose, il faut donc reconnaître dans le De utilitatibus astrolabii II une collection de notes de travail qui a circulé dans un cercle de familiers d’Hermann de Reichenau.
35En revanche, le témoignage de Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, empêche désormais de tenir GIA III, 6 pour la source obligée de De utilitatibus astrolabii II, 6, et le chapitre GIA III, 6 semble bien n’être lui-même qu’une interpolation à l’intérieur de la GIA.
36Le livre III de la GIA est une compilation hétérogène de problèmes de géométrie pratique dans laquelle on peut déceler plusieurs strates rédactionnelles33, avec au moins :
-
un noyau ancien (chapitres GIA III, 20 à 25)
-
une collection de chapitres de même facture propres à la classe E des manuscrits (chapitres GIA III, 18, 2, 8, 1, 16, 17, Add. 3, 10, 14, 11, 19, 5, 15, 3, 26)
-
la compilation récente attestée dans la classe D des manuscrits et caractérisée par la réorganisation des ensembles précédents et l’addition de trois nouveaux chapitres (GIA III, 6, 7 et 9).
- 34 Cette particularité a été signalée oralement par M. le Professeur E. Poulle lors de s (...)
37Le chapitre GIA III, 6 ne possède aucune des particularités rédactionnelles (syntaxiques ou stylistiques) ni de la strate la plus ancienne de la compilation, ni de la strate correspondant à la classe E des manuscrits. Il n’offre pas non plus de parentés rédactionnelles avec GIA III, 9 ni GIA, III, 7, les deux autres additions propres à la classe D. De plus, alors que les chapitres consacrés à l’astrolabe (chapitres GIA III, 1-5) ont tous la particularité d’employer exclusivement le terme mediclinium pour désigner la règle de visée de l’astrolabe, seul GIA III, 6 utilise le terme alhidada pour renvoyer à la même réalité. Le chapitre GIA III, 6 doit donc être considéré comme une addition, une interpolation à l’intérieur de la collection GIA III34.
38Le livre III de la GIA et le livre II du De utilitatibus astrolabii sont des compilations réunissant des chapitres hétérogènes.
39En revanche, le fragment qui a été conservé de la lettre de B à W dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, forme un ensemble tout à fait cohérent, qui possède une grande unité rédactionnelle et structurelle. On ne repère aucune rupture logique, syntaxique, lexicale ou stylistique entre la description des usages géométriques du quadrant et le début de la lettre de B à W. Rien ne permet de suspecter ici une interpolation.
40Le chapitre De utilitatibus astrolabii II, 6 / GIA III, 6 n’est que la transposition à l’astrolabe de la notice primitivement conçue pour le quadrant vetustior et conservée dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, f. 16-17v ; la lettre de B à W elle-même, qui souligne la similitude d’emploi des carrés des ombres du quadrant vetustior et de l’astrolabe, invitait à cette transposition, que confirme la méprise de l’illustrateur du manuscrit London, BL Royal 15 B IX, f. 60v.
41Ainsi, Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, f. 16-17v, nous fournit la source des chapitres GIA III, 6 / De utilitatibus astrolabii II, 6 qui ont été tirés de la lettre de B à W. Il nous donne, par conséquent, un précieux élément de datation relative puisque la collection reproduite dans la classe D de la GIA et la compilation De utilitatibus astrolabii II sont nécessairement postérieures à la rédaction de la lettre de B à W.
42Mais, une fois établi ce premier point, il nous faut prendre en compte des faits plus complexes. La lettre de B à W dans Vaticano, BAV Ott. lat. 1631, est mutilée : il manque le passage qui concernait le deuxième instrument de mesure, et illius quod jusseras mensuris horologii, annoncé dans le prologue. Or, la collection De utilitatibus astrolabii II s’ouvre sur un chapitre consacré à un cadran solaire cylindrique, dénommé horologium viatorum. Ce premier chapitre (désigné maintenant sous le titre De horologio viatorum et le sigle hv) présente des affinités certaines avec la lettre de B à W : il pourrait donc en avoir constitué primitivement la deuxième partie.
43Le De horologio viatorum (hv) présente une bizarrerie : l’apostrophe charissime frater Werinheri n’est annoncée ni justifiée par aucune dédicace ; on peut donc soupçonner qu’il manque le début du texte qui expliciterait la mention charissime frater Werinheri. L’initiale W du destinataire de la lettre rédigée par B, Ergodiocti suo dulcissimo W, est cohérente avec l’apostrophe de hv : charissime frater Werinheri. D’autre part, on peut relever des similitudes remarquables entre les deux textes, qui tiennent à la fois dans les explications données sur le fonctionnement des instruments et dans les pratiques rédactionnelles des deux auteurs.
- 35 Sédillot 1834, 433-437.
- 36 Sur le cadran solaire cylindrique, voir en particulier la mise au point (...)
44Le cadran solaire cylindrique décrit dans le De horologio viatorum est un instrument d’origine arabe, bien connu et bien attesté dans le monde occidental, souvent désigné sous le nom d’horloge ou de montre des bergers, par référence à son utilisation par les bergers des Pyrénées jusqu’au début du XXe siècle. Dans le monde arabe, Al-Marrakaschi (XIIIe siècle), dans son traité consacré aux instruments astronomiques utilisés en terre d’Islam, a laissé une description précise du cadran solaire cylindrique et expliqué le principe de sa construction pour une latitude donnée35. En l’état actuel des connaissances, le De horologio viatorum est la plus ancienne mention et notice de construction de l’instrument dans le monde latin36.
45Le cadran solaire cylindrique est constitué d’un petit cylindre sur lequel est fixée perpendiculairement une petite tige mobile, qui fait office de gnomon, et lorsque le cadran est exposé aux rayons du soleil, il projette une ombre sur le cylindre, de longueur différente selon l’heure et selon la date de l’observation (fig. 7). Le cylindre porte plusieurs lignes de graduations horaires calculées pour différents jours de l’année (dans hv, le début de chaque mois et de chaque signe zodiacal) en fonction d’une latitude donnée (dans hv, 48°). La tige, qui tourne autour du cylindre, est placée au-dessus des graduations horaires appropriées au jour de l’observation ; la portée de l’ombre sur les graduations permet la détermination de l’heure ; l’instrument comporte une graduation supplémentaire adaptée aux usages géométriques.
46Les deux notices insistent longuement sur des points de construction communs aux deux instruments et exposés dans des formulations voisines.
-
Les signes zodiacaux sont distribués par couples d’éléments symétriques par rapport à l’augmentation et à la diminution du jour.
- Lettre de B à W |
nomina signorum seu mensium XXIV suis quisque intervallis inscribantur et, juxta comparitatem incrementi dierum, II simul consocientur ab hiemali tropico, unde dierum crescentiae ordiuntur : CAP AQ PIS <…> cum Tauro, Virgo <cum> Ariete, Libra cum Piscibus, Scorpius cum Aquario, Sagitta cum Capricorno, copulati quique duo simul compares, duo etiam ex XII interstitia simul non divisa, id est VI integra, a primo per totum, conpossidentes rescribantur. |
- hv |
inprimis itaque circuitum ejus in sena intervalla ductis a summo deorsum lineis divido, et his senis signis, in quibus dies crescunt, id est Capricorno, Aquario, Piscibus, Ariete, Tauro et Geminis, inscribo, et inde revertens reliqua decrescentium itidem dierum signa in quantitate diebus comparibus compleo. Cancrum videlicet Geminis, Tauro Leonem, Virginem Arieti, Piscibus Libram, Aquario Scorpium, Sagittario Capricornum (PL 143, c. 405B). |
-
La distribution des mois, également répartis par paires, s’intercale dans celle des signes.
- Lettre de B à W |
Mensium, uti signorum, paria, bina ex XII intervalla simul continuantia, exceptis decembre et junio, conscribantur. Quorum december, primo suo singillatim intervallo solus, exin januarius cum novembre, cum octobre februarius, martius cum septembre, aprilis cum augusto, maius cum julio… |
- hv |
sequenti bino intervalla januario ejusque compari novembri tribuo. Quartum cum quinto februario et octobri ; sextum et septimum martio et septembri, in quorum medietatibus bina equinoctia veniunt Ariesque et Libra initium sumunt (PL 143, c. 406A). |
-
Les mois de juin et décembre, qui contiennent en leur milieu les points solsticiaux, occupent une place qui leur est propre.
- Lettre de B à W |
Qui duo, ut praedictum est, soli sine socialibus, nisi quantum ipsi ad se invicem, ceteris, tamen dispariter remanent, quia neuter eorum, neque in incremento neque in detrimento totus, ut ceteri, transfigitur, sed, partim crescentes partimque decrescentes, in medio sui, hoc est in initio Capricorni et Cancri, dant locum, ut fertur, positure solstitii. |
- hv |
[intervallum] primum horum, quod videlicet Sagittarii postrema et Capricorni principia continet, decimo mensi, in cujus medio solstitium hiemale contigit, deputo… Duodecimum, quod restat, quod videlicet et Geminorum extrema et Cancri prima gestat, junium cum aestivo in medio solstitio accipiat (PL 143, c. 406A). |
-
Les lignes horaires sont tracées d’après l’ascension du soleil sur l’horizon selon des principes semblables et tout à fait remarquables, si on les compare aux œuvres contemporaines. Le rédacteur de la lettre sur le quadrant vetustior et celui du De horologio viatorum ont recours exactement à la même méthode. Ils tracent le diagramme des lignes horaires en utilisant un même matériel astronomique : des tables de hauteurs angulaires du soleil sur l’horizon, notées en fonction de l’heure aux mêmes dates (début de chaque signe et de chaque mois). La qualité des chiffres reportés dans le tableau qui accompagne le traité sur le cadran solaire cylindrique est du même ordre que celle des données enregistrées dans la lettre de B à W : les résultats sont fiables et précis au demi-degré près.
-
Les tables de hauteurs angulaires du soleil, qui fournissent aux rédacteurs les données préétablies pour une latitude précise, ont été construites ou vérifiées (?) grâce à leur pratique « astrolabique », astrolabica experientia / astrolabii experientia :
- Lettre de B à W |
Post hec, quia horarum certus in mensibus singulis terminus, juxta astrolabicam dumtaxat regulam, non nisi graduum solis ascensus difinito potest inveniri numero […] videlicet VI postmeridianas autem incipientes, juxta subscriptam hanc graduum normulam. Et nisi astrolabica nos fallat experientia parum errati in hac invenitur regula. |
- hv |
quot gradus in fine cujuslibet horae, in climate nostro, sol, in uniuscujusque signi vel mensis initio ascendat, breviter, sicut per astrolabii experientiam comprehendere potero, in formula subjecta describam (PL 143, c. 406B). |
47La lettre de B à W reproduit une table de mesures établies pour une latitude de 47°, alors que celle du De horologio viatorum correspond à une latitude de 48°. Les deux tables offrent aussi une différence de présentation. Le rédacteur B a associé la 1re et la 12e heure… la 6e et la 7e, considérant que la hauteur angulaire du soleil était identique à la fin de la 1re heure et au début de la 12e… à la fin de la 6e heure et au début de la 7e. En revanche, dans la version du De horologio viatorum qui a été conservée, le rédacteur du tableau a associé la 1re heure et la 11e, la 2e heure et la 10e, considérant que la hauteur angulaire du soleil était identique à la fin de la 1re heure et à la fin de la 11e, à la fin de la 2e et à la fin de la 10e… Il est donc obligé de traiter isolément les données correspondant à la fin de la 6e heure.
48Dans l’hypothèse où le De horologio viatorum faisait à l’origine partie de la lettre de B à W, ces particularités font difficulté, mais elles peuvent s’expliquer. Le De horologio viatorum ne restitue pas littéralement le texte original de la lettre de B à W ; c’est une recension détachée de son contexte initial, adaptée à une publication autonome. Nous avons vu qu’à la même époque, une version modifiée a été également tirée de la première partie de la lettre avec une adaptation à l’astrolabe des usages géométriques du quadrant vetustior. Le texte primitif a donc pu subir des modifications, en particulier :
-
des changements apportés à la présentation de la table qui la rendent conforme à la distribution des heures inégales présentée au chapitre 7 du traité Quicumque astronomicae peritiam disciplinae (J)
-
des données adaptées à une nouvelle latitude (48°, à la place de 47° ; il s’agit de la latitude de référence mentionnée dans le De mensura astrolabii de Hermann de Reichenau).
49Le tracé des lignes horaires obéit dans les deux cas au même principe. B, pour tracer la première ligne horaire, reporte, une par une, sur chacun des cercles des mois ou des signes, les hauteurs angulaires notées dans le tableau, et il renouvelle le procédé pour chacune des autres lignes horaires. Exactement de la même manière, l’auteur du De horologio viatorum reporte, une par une, sur chacune des lignes des signes et des mois, les hauteurs angulaires inscrites dans le tableau, puis relie les points ainsi établis pour tracer la première ligne horaire ; il procède de même pour chacune des lignes horaires suivantes (fig. 8). Le cadran cylindrique des voyageurs ne mesure pas directement la hauteur angulaire du soleil sur l’horizon, mais il mesure la longueur de l’ombre du gnomon mobile sur son pourtour ; une étape intermédiaire est donc nécessaire pour établir les équivalences entre les hauteurs angulaires et les longueurs de l’ombre du gnomon, mais elle ne doit pas nous masquer la similitude foncière des deux procédures.
- Lettre de B à W [4] |
Tandem igitur inventis primo horarum singularum, ut subjecta monstrat figura, pro ascensu solis gradibus seu minutiarum particulis et, juxta eorum quantitatem, singulis mensium seu signorum circulis, ubi a regula tangitur per idem E centrum posita, diligenter signatis, circinus tali in loco figatur ut duas simul horarum, per loca notata […] complectatur […] |
- hv |
in singulis initiis signorum et mensium uniuscujusque horae certum terminum inveniens punctis designo ; sicque in cujusque horae fine a punctis ad puncta obliquas lineas, ut videlicet incrementa et detrimenta dierum postulant, decedendo totius horologii hujus mensuram consummabo (PL 143, c. 407A). |
50Les deux instruments peuvent recevoir des ajouts permettant un usage géométrique.
- Lettre de B à W [6] (GIA III, 6) |
Estat adhuc quadratus orthogonius aequilaterus, aut in ultra tropicum estivum spatio vacante, aut, similiter vestri astrolabii, sic etiam in dorso quadrae mensurandatus. Cujus non ingrata utilitas itidem, ut alhidada in astrolabio, ita in quadra perpendiculo erit exequenda hoc modo. Si vis alicujus arboris aut columnae vel turris seu cujusquam talium in plano dumtaxat loco altitudinem per umbram ipsius invenire […] |
- hv |
In hoc etiam horologio si duodecim praetaxatis signorum et mensium intervallis tertium decimum velis adjicere, ipsumque mensura qua dicam distinguere, cujuslibet erecti corporis in plano stantis altitudinem per umbram ipsius facile poterit investigare […] (PL 143, c. 407D) |
51Les procédures géométriques utilisent les rapports de similitude existant entre les côtés de deux triangles semblables : le triangle formé par la hauteur à mesurer, son ombre et le plan horizontal, et le triangle formé soit par les côtés du carré des ombres et le fil à plomb (ou l’alidade), soit par le gnomon, le rayon solaire et l’ombre du gnomon. Les deux textes possèdent la particularité remarquable de fournir la justification théorique de la procédure indiquée.
- Lettre de B à W [6] (GIA III, 6) |
Et omnino cujuscumque proportionis triangulum perpendiculi liniolus in quadrato quasi hipotenusa effecerit, ejusdem proportionis triangulum umbra cujuslibet erecti corporis in planicie stantis formabit. <In quo videlicet triangulo, ipsa inumbrata planities basis est, erecta altitudo cathetus,> radius solis umbram tranversim limitans hipotenusae vicem dinoscitur habere. |
- hv |
cum enim cujusvis in planitie erecti corporis umbra triangulum orthogonium effingat, cumque nihilominus in hoc instrumento triangulam umbram sciotherus ad umbram a se factam habuerit, eamdem sine dubio inumbrata planities obtinebit ad corpus quodlibet quod umbram iacit (PL 143, c. 407C). |
52Les deux chapitres géométriques se concluent sur une énumération des rapports de proportionnalité (désignés par le même terme proportio) qui peuvent être rencontrés :
- Lettre de B à W [6] (GIA III, 6) |
Verbi gratia : si duae supra apparent, ad quas XII sesciplam habent proportionem, sescupla quoque erit umbra ad altitudinem ; si III, quadrupla ; si IIII, tripla ; si V, duplex superbipartiens quintas ; si VI, dupla ; si VII, superbipartiens septimas ; si VIII, sesqualtera ; si VIIII, sesquitercia ; si X, sesquiquinta ; si XI, sesquiundecima ; si XII, aequa erit altitudo et umbra. |
- hv |
[…] quam proportionem ipse et umbra ejus invicem habeant statim possit apparere. Nam si ad sextam sciotheri partem umbra ipsius pervenerit, planities inumbrata ad altitudinem quae umbram jacit sescupla erit ; si ad quartam, quadrupla ; si ad tertiam, tripla ; si ad dimidiam, dupla ; si ad totam longitudinem sciotheri pertigerit, aequalis erit ; si ad duplam, dupla ; si ad triplam subtripla, et ita in caeteris (PL 143, c. 408A). |
53On peut ajouter à ces éléments au moins deux particularités rédactionnelles communes à B et à l’auteur du De horologio viatorum. Ils partagent un même goût pour les termes rares et recherchés : par exemple, ergodioctes, crescentiae, horoscopus, dans la lettre de B à W, circumvertibilis, sciotherus, dans le De horologio viatorum. Ils témoignent d’un même souci de la précision, souligné par l’emploi récurrent de id est :
- Lettre de B à W |
hujus parte una AB, id est ab quinque, A contigua, ablata, ibique illic orthogonus, id est rectus angulus, consequitur sic etiam ex XII interstitia simul non divisa, id est VI integra a primo per totum proportionem numerus partium ad XII, id est ad totum latus quadrati habuerit denique in hunc statum circinum ut A B, id est quinque illa contractu simul ejusque ad te arcum uertens, kathetum, id est F E lineam, tam directum contra solem arbitrio in longum ducatur quae coraustus, id est superius jacens, ut aiunt |
- hv |
his senis signis, in quibus dies crescunt, id est Capricorno, Aquario, Piscibus, integerrime describo, ejusque arcum, id est curvam lineam, in tria partior, ab ipso centro A ubi coraustus et kathetus, id est superjacens et deorsum pendens linea secerno quantum longitudinem sciothero, id est gnomoni, juxta quantitatem |
54Ces rapprochements suggèrent l’hypothèse que B, l’auteur de la lettre de B à W, ne fait qu’un avec l’auteur du De horologio viatorum. Mais ils ne seraient pas suffisants, s’ils n’étaient pas étayés par des témoignages externes, en particulier par les notices des manuscrits Oxford, BL Digby 174 (f. 210v), et Berlin, SBPK, lat. fol. 307 (f. 14b), déjà signalées par Bubnov. En effet, dès la parution des Gerberti opera mathematica en 1899, Bubnov a émis l’hypothèse que le De horologio viatorum pourrait revenir à un familier d’Hermann nommé Bérenger, qui se confondrait avec B, le destinataire du De mensura astrolabii (h) d’Hermann.
55C’est cette hypothèse de Bubnov qui sera maintenant réexaminée en tenant compte des éléments nouveaux offerts par Vaticano, BAV Ott. lat. 1631. Si on considère et les rapprochements suggérés par Bubnov et les similitudes constatées entre la lettre de B à W et le De horologio viatorum, il est possible d’avancer l’hypothèse suivante : Hermann rédige à l’intention d’un de ses familiers, Bérenger, le De mensura astrolabii, et plus tard, Bérenger lui-même adresse à un correspondant, Werhiner, les notices de construction de deux instruments, un quadrant vetustior et un cadran solaire cylindrique.
56Cette reconstruction s’appuie sur des indices variés qui s’articulent dans un ensemble cohérent.
57Hermann dédie explicitement son traité de construction de l’astrolabe à l’un de ses familiers, qu’il désigne sous sa seule initiale, B, et c’est cet ami qui l’a pressé d’entreprendre ce travail utile que tous réclamaient (PL 143, c. 407-408A) :
-
Herimannus […] B suo jugem in Domino salutem
-
cum a plurimis saepe amicis rogarer […] tandem a tui potissimum instantia perpulsus, prout inertia desidiaque permittente potui, diu seposito more mendacium fabrorum operi cunctabundam deses manum applicui
-
Tu igitur, tu, anime mi, utcunque alii ferant haec scripta legentes, gratanter, ut amicum decet, quomodocunque descriptam simplicem praefati instrumenti accipe mensuram
- 37 Welborn 1931.
- 38 Brunhölzl 1996, 396.
58Les noms de plusieurs clercs de l’entourage d’Hermann peuvent répondre à cette initiale B : Bernon, l’abbé de Reichenau, qui meurt en 104837 ; Berthold, son élève, qui, après la mort de son maître, poursuivra la rédaction de la Chronica commencée par Hermann38 ; mais aussi un certain Berengarius, que signale la notice recopiée au f. 210v du manuscrit Oxford BL Digby 174 :
Nota quod Girbertus quendam librum de astrolabio composuit, qui in hoc volumine secundo loco ponitur et nimis implicitus est et instrumentum facere non docet sed artem exercere. Quo perlecto, Berengarius artem quidem exercere, sed instrumentum componere non noverat. Ideo Hermannum, amicum suum, rogavit ut doctrinam astrolabium componendi praeberet. Hujus igitur rogatu Hermannus hunc primum librum composuit, secundo loco librum Girberti ordinavit. Prologum praemittit, in quo benivolentiam Berengarii captat et suam inbecillitatem insinuat.
- 39 Bubnov 1899, 109 sq., n. 1 ; 113 sq. et n. 5-7.
- 40 Oesch 1961, 168.
- 41 Borst 1989, 81.
- 42 Poulle 1996.
59Si l’on excepte l’attribution à Gerbert du traité Quicumque astronomice discere (J), les renseignements fournis par cette note du XIIe siècle permettent une reconstruction cohérente des faits, qu’ont adoptée N. Bubnov (dès 1899)39 et, plus récemment, H. Oesch40, A. Borst41 et E. Poulle42. Un familier d’Hermann, nommé Bérenger, qui connaît parfaitement le traité d’usages de l’astrolabe Quicumque astronomice discere (J) – peu importe ici son auteur réel –, demande à Hermann des éclaircissements sur la construction de l’instrument. Hermann conçoit donc son traité comme le complément indispensable du traité antérieur sur les usages de l’astrolabe. Ainsi, Bérenger et Hermann se trouvent à l’origine de la tradition manuscrite qui associe le De mensura astrolabii (h) au traité Quicumque astronomice discere (J).
60Bubnov, en même temps qu’il portait à la connaissance du public la notice d’Oxford BL Digby 174, signalait une note contenue dans le manuscrit Berlin SBPK, lat. fol. 307, f. 14B, où un certain Berengarius revendiquait « l’invention » du cadran solaire cylindrique reproduit schématiquement sur le même folio. Il rapprocha les deux témoignages et proposa d’identifier B, destinataire du De mensura astrolabii, avec Berengarius, mentionné dans le manuscrit de Berlin, et de le considérer comme auteur plausible du traité De horologio viatorum :
- 43 Bubnov 1899, 113, n. 5.
Hic Berengarius idem esse videtur atque is quem in cod. Berlin 307 fol. 14r deprehendi, ubi in margine post figuram horologii haec nota legitur : « Hec est demonstratio componendi cum conventibili sciothero horologici viatorum instrumenti, quam ego Berengarius inveni. Poterit enim per istud instrumentum quicunque operando cum eo certas diei horas invenire », etc.43
- 44 Rose 1905, 1180B. Le manuscrit est abîmé, et l’examen que j’en ai fait sur microfilm (...)
- 45 Rose 1905, 1177-1181A.
- 46 Rose 1905, 1181A.
61V. Rose (1905)44, dans son examen codicologique de Berlin, SBPK, lat. fol. 307, a discuté l’authenticité des renseignements fournis par l’addition du f. 14B. Indépendamment des recherches de Bubnov, qu’il semble avoir ignorées, il avance des conclusions qui les rejoignent partiellement. L’expertise de Rose date le manuscrit Berlin, SBPK, lat. fol. 307, de la deuxième moitié du XIIe siècle et attribue à une main plus récente (XIIIe) la note additionnelle du f. 14B sur le cadran solaire cylindrique45. Rose souligne que l’instrument reproduit et évoqué au f. 14B correspond exactement au cadran solaire cylindrique décrit dans le De horologio viatorum. Comme Bubnov, il prend en considération la note additionnelle du f. 14B, qu’il analyse comme un bref résumé du De horologio viatorum, qui serait l’œuvre de Bérenger46.
62Les hypothèses de Bubnov et de Rose se rejoignent donc sur l’attribution du De horologio viatorum au clerc dénommé Berengarius, qui revendique la paternité d’une méthode de construction d’un cadran solaire cylindrique dans la note de Berlin, SBPK, lat. fol. 307, f. 14B. Bubnov et Rose n’ont pas été suivis sur ce point, et les études récentes consacrées à l’œuvre d’Hermann (H. Oesch, W. Bergmann, A. Borst) se taisent sur cette éventualité. Cependant, l’attribution du texte à Hermann de Reichenau semble relever d’une tradition qui remonte aux éditions de Pez et de Migne plus que d’une argumentation réelle.
- 47 Bubnov 1899, 109-113.
- 48 Oesch 1961, 163-171.
63Seulement deux des dix-neuf manuscrits du De horologio viatorum recensés par N. Bubnov47 et H. Oesch48 mettent le texte sous le nom d’Hermann : München, BSB, Clm 13021 « Incipit liber Heremanni de compositione horologiorum », et Paris, BNF, n. acq. lat. 229 « Item Herimannus de quodam horologio ». Le reste de la tradition manuscrite laisse l’œuvre dans l’anonymat, en particulier le témoin le plus ancien, München, BSB, Clm, 14836 I° (XIe siècle). L’attribution à Hermann du De horologio viatorum n’est donc pas un fait acquis.
64Le témoignage de München, BSB, Clm 13021, et de Paris, BNF, n. acq. lat. 229, est suspect. Le titre de München, BSB, Clm 13021, ne répond ni à la nature des textes qu’il introduit (une compilation hétérogène et non une œuvre unitaire), ni à leur sujet (seuls les chapitres 1 et 5 du De utilitatibus astrolabii II traitent de la fabrication d’« horologia »). La mention de Paris, BNF, n. acq. lat. 229, est problématique, car elle se trouve dans un témoin fiable de l’œuvre d’Hermann, comme l’ont jugé A. Van de Vyver et A. Borst. Cependant, il n’est pas impossible que le copiste du XIIe siècle ait reproduit mécaniquement la formulation du titre précédent : « Item Herimannus de astrobio (sic) ». De plus, le texte qui suit ici immédiatement le De horologio viatorum est le chapitre GIA III, 6 / De utilitatibus II, 6, tiré de la lettre de B à W. Dans Paris, BNF, n. acq. lat. 229 lui-même, le De horologio viatorum est donc inclus dans une séquence qui ne comporte pas seulement des textes authentiques d’Hermann, mais qui témoigne plus vraisemblablement des recherches conjointes de Bérenger et d’Hermann.
- 49 Millàs Vallicrosa 1931 : collection de textes XIII, l. 1-88, le chapitre De utilitati (...)
65La collection De utilitatibus astrolabii II reflète selon toute apparence les centres d’intérêt d’Hermann, sans pour autant en réunir des textes authentiques. Une branche bien attestée de la tradition manuscrite transmet le chapitre De utilitatibus astrolabii II, 2, à l’intérieur d’une autre compilation, très cohérente, avec laquelle il présente bien plus d’affinités49 ; et les chapitres De utilitatibus astrolabii II, 6 (similaire à GIA III, 6 et à la lettre de B à W) et De utilitatibus astrolabii II, 7 (similaire à GIA IV, 48) au moins ne remontent pas directement à Hermann. Les recherches du maître étaient partagées par un certain nombre de ses familiers, parmi lesquels B, le destinataire du De mensura astrolabii (h), était particulièrement entreprenant : Hermann lui-même en témoigne dans la préface de son traité.
- 50 Berthold de Reichenau, Annales, MGH Script. V, 267.
- 51 Wiesenbach 1991.
- 52 Othlon de Saint-Emmeram, Summa dictorum de mysteriis numeri ternarii, PL 146, c. 136A(...)
- 53 Bernold de Constance, Chronicon, MGH Script. V, 451.
66Le disciple d’Hermann, Berthold, dans l’émouvant hommage qu’il lui rend, loue la compétence et le savoir-faire exceptionnels de son maître comme ingénieur : in horologicis et musicis instrumentis et mechanicis componendis50. Mais cette mention ne constitue pas une référence précise au cadran solaire cylindrique décrit dans le De horologio viatorum. Hermann n’est pas seul, parmi ses contemporains, à avoir éprouvé de l’intérêt pour les instruments de mesure du temps. Vers la même époque, à Saint-Emmeram de Ratisbonne51, Othlon fustige les moines qu’il voyait plus préoccupés de la science de l’astrolabe et des « horologia » que du service de Dieu52… Bernold de Constance évoque admirativement le cadran solaire conçu par Guillaume d’Hirsau : naturale horologium ad exemplum celestis hemisperii excogitauit53.
- 54 Par exemple, Hermann n’utilise pas les termes coraustus et cathetus employés dans la (...)
- 55 Je remercie très vivement M. le Professeur P. Fleury qui m’a fourni les (...)
- 56 On retrouve dans Hermann, par exemple, l’emploi répétitif de id est déjà constaté (...)
67L’étude des pratiques rédactionnelles du De horologio viatorum, de la lettre de B à W et du De mensura astrolabii permet de repérer quelques divergences54 ; cependant il ne s’en dégage pas des faits indiscutables qui, à eux seuls, infirmeraient ou confirmeraient l’authenticité ou la parenté des textes55. En effet, il s’agit de textes courts, sans doublets qui permettraient de comparer efficacement des traits stylistiques. Par ailleurs, Bérenger, dans l’hypothèse de Bubnov, est un familier d’Hermann de Reichenau, dont il partage la culture scientifique. Il n’est donc pas étonnant que deux clercs passionnés par les mêmes questions, formés aux mêmes textes de référence, partagent en partie un même lexique technique et scientifique et une même approche méthodologique56.
- 57 On peut voir une confirmation de cette hypothèse dans le fait que la note (...)
68Alors que les indices manquent pour attribuer avec certitude le De horologio viatorum à Hermann, il n’y pas vraiment de raison de suspecter l’authenticité des renseignements contenus dans la note de Berlin, SBPK, lat. fol. 307, f. 14B. Pourquoi refuser à Bérenger, alors qu’il la revendique explicitement, la paternité d’une explication sur le fonctionnement du cadran solaire cylindrique ? Le texte recopié au folio 14, même s’il est aujourd’hui difficile à déchiffrer, renvoie de façon suffisamment claire au cadran solaire cylindrique décrit dans le De horologio viatorum. La figure reproduite sur le même folio, complémentaire du schéma de construction qui accompagne le traité hv dans la tradition manuscrite, correspond exactement à l’instrument. La note additionnelle de Berlin SBPK, lat. fol. 307, appartient à la même tradition que les autres témoins du De horologio viatorum. Ainsi les termes employés se retrouvent dans les titres introducteurs du De horologio viatorum de London, BL Royal 15 B IX, et Salzburg, SBSP, a V. 7 : Demonstratio componendi cum convertibili sciothero horologici viatorum instrumenti. De plus, bien que Berlin, SBPK, lat. fol. 307, nous soit parvenu mutilé, l’index recopié à la fin du prologue de h au f. 11v indique qu’il contenait, sur des feuillets désormais disparus, des textes qui accompagnent régulièrement le De horologio viatorum : le De mensura astrolabii (h) et le traité Quicumque astronomice discere (J), suivis d’une série de chapitres de la GIA de la classe E. L’expertise codicologique, qui date la note du folio 14 du XIIIe siècle, interdit d’y voir un texte autographe de Bérenger : on doit supposer l’intervention d’un copiste qui a pris la peine de retranscrire et d’insérer à cet endroit du manuscrit une brève note de Bérenger dont il avait connaissance57. Enfin, alors qu’il existe des similitudes nettes entre la lettre de B à W et le De horologio viatorum, on doit noter que les initiales B et W des correspondants concordent exactement avec les prénoms Werinherus et Berengarius des destinataire et auteur supposés du De horologio viatorum.
69La conjonction de ces différents témoignages invite à la reconstruction suivante.
- 58 Comme le suppose la notice d’Oxford BL Digby 174, l’auteur de la lettre de B à W (...)
70Bérenger, un familier d’Hermann de Reichenau, connaît parfaitement le traité d’usages de l’astrolabe, Quicumque astronomice discere (J). Il obtient d’Hermann un traité de construction de l’astrolabe, le De mensura astrolabii, (h). Hermann et Bérenger imposent ainsi le couple, si bien représenté dans la tradition manuscrite, J + h. C’est la reconstruction des faits que suggèrent la note d’Oxford BL Digby 174, f. 210v, et la dédicace du De mensura astrolabii à B58.
71Bérenger rédige à l’intention d’un correspondant nommé Werinher une lettre contenant les notices de construction de deux instruments récemment importés du monde arabe : un quadrant vetustior et un cadran solaire cylindrique.
72La première partie de la lettre, qui concernait le quadrant vetustior, est connue par trois témoins :
-
le texte original transcrit dans le fragment du manuscrit Vaticano, BAV Ott. lat. 1631
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le schéma recopié dans London, BL Royal 15 B IX, f. 60v
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la recension partielle et adaptée aux usages de l’astrolabe, GIA III, 6 / De utilitatibus astrolabii II, 6.
73La seconde partie de la lettre sur le cadran solaire cylindrique, en l’état actuel de nos recherches, n’est pas connue sous sa forme primitive, mais on en repère deux témoins indirects :
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une brève notice, accompagnée d’un schéma, retranscrite dans Berlin, SBPK, lat. fol. 307, f. 14B, hec est demonstratio conponendi […] horologici viatorum instrumenti quam ego Berengarius inveni
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une recension adaptée à une publication autonome, le De horologio viatorum.
74La lecture du quadrant vetustior est difficile, ce qui explique sans doute qu’il ait été abandonné au profit du cadran solaire cylindrique, qui fournissait des renseignements exactement équivalents, mais avec un confort plus grand.
75Bérenger, l’auteur de la lettre sur le quadrant vetustior et sur le cadran solaire cylindrique, peut être identifié avec le destinataire du De mensura astrolabii (h) d’Hermann de Reichenau. C’est ce que suggèrent la notice du manuscrit Oxford BL Digby 174 et la tradition manuscrite qui associe régulièrement le De mensura astrolabii (h), le traité Quicumque astronomice discere (J) et la compilation éditée comme De utilitatibus astrolabii II.
- 59 Un premier état de la question du De statu mundi a été présenté dans C. Jacquemard, S (...)
76La collection publiée comme De utilitatibus astrolabii II et la strate finale de la compilation géométrique éditée par Bubnov comme GIA III et GIA IV sont nécessairement postérieures à la rédaction de la lettre de B à W, puisqu’elles en contiennent un extrait (GIA III, 6 / De utilitatibus astrolabii II, 6). Ces deux recensions doivent être attribuées au cercle d’Hermann et de Bérenger. L’œuvre imputable à Bérenger ne se limite sans doute pas à la publication de ces dernières collections. En effet, un court traité contenu dans London BL Royal 15 B IX, f. 72v-73, le De statu mundi, qui comporte quelques parentés rédactionnelles avec la lettre de B à W et qui décrit un cercle méridien tout à fait comparable au célèbre cercle méridien de Saint-Emmeram de Ratisbonne, nous invite à explorer l’hypothèse que les abbayes de Tegernsee et de Saint-Emmeram de Ratisbonne aient été, en dernier lieu, les centres où Bérenger et ses élèves ont exercé leur activité59.