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Notes
Tandis que l’allégorèse s’emploie à extraire une signification rationnelle de mythes déjà constitués, l’allégorie créatrice invente elle-même des discours porteurs d’une vérité seconde, des discours où le sens premier a pour seule fonction de donner accès à une signification autre. Sur ce double aspect de l’allégorie, voir Pérez-Jean & Eichel-Lojkine 2004 (introduction).
Voir Lauvergnat-Gagnière 1988, 65 et 288-289 : l’auteur évoque notamment la Mythologie de Natale Conti, parue à Venise en 1551 ; Lucien y est fréquemment cité pour source.
Les progymnasmata empruntaient volontiers leur matériau à la mythologie : les mythes servaient de support aux exercices de réfutation et de confirmation ; il existait aussi un exercice d’explication de mythe, comme le signale Pernot 1993, 767. Par ailleurs, les théoriciens recommandaient l’emploi du mythe pour la composition des discours épidictiques : Hermogène énumère les fables poétiques (enfances, combats et amours des dieux et des démons) que peut utiliser le panégyrique (Bompaire 1958, 197).
Les arguments de la pantomime étaient généralement mythologiques, comme nous le rappelle le traité de Lucien Sur la danse : s’employant à y définir « le savoir du danseur » (37 : ἡ τοῦ ὀρχηστοῦ πολυμαθία), Lucien énumère « toute la mythologie attique » (39), les fables de Thèbes, de Corinthe ou de Lacédémone, « ce que disent Homère, Hésiode et les meilleurs poètes, surtout les tragiques » (61). On a parfois suspecté l’authenticité du traité Sur la danse (cf. Bompaire 1958, 356-357) ; Anderson 1977 estime toutefois que rien dans les références mythologiques de ce texte, dans ses souvenirs littéraires ou son organisation n’est incompatible avec la pratique habituelle de Lucien.
L’œuvre de Lucien atteste l’importance des sujets mythiques dans le répertoire iconographique : il est question, dans le traité Comment il faut écrire l’histoire (10), de représentations figurées d’Héraclès aux pieds d’Omphale ; dans les Dipsades (6), d’images peintes de Tantale ; dans les Saturnales (10), d’images du dieu Cronos, que les peintres ont coutume de figurer « avec des entraves » et « plein de crasse », conformément aux « radotages » (λήρων) des poètes ; dans La Salle, un long passage est consacré à la description de fresques à sujets mythologiques (22-31). Divers parallèles iconographiques sont signalés par Ando 1975, 23, 29-31, 37.
Timon, 1.
Philopseudès, 2-3 : Tychiadès, que Lucien utilise ici comme porte-parole, conclut sa diatribe contre les mythes en déplorant que « le mensonge (τὸ ψεῦδος) exerce une telle domination ».
Dial. des morts, 11 (Diogène et Héraclès), 5 ; Saturnales, 6. Dans le Timon, Lucien classe Homère parmi « les poètes à la cervelle brûlée » (1) ; il le qualifie de « radoteur » (λῆρος) dans Le Coq (6), de « charlatan » (γόης) dans la Double accusation (1). Dans les Histoires véritables (1, 3), Lucien s’en prend non plus à Homère, mais à Ulysse, auquel il reproche d’avoir raconté des invraisemblances aux Phéaciens, et il l’accuse de βωμολοχία.
Dans le Philopseudès (4), Lucien fait dire à l’un de ses personnages que les poètes méritent notre indulgence « parce qu’ils mêlent à leurs écrits le charme de la fable, si plein de séduction » (τὸ ἐκ τοῦ μύθου τερπνὸν ἐπαγωγότατον ὄν) ; dans Zeus tragédien (39), il prête au philosophe épicurien Damis ce jugement en demi-teinte sur les fables des poètes : « Ils ne se soucient pas de vérité, selon moi, mais de séduire les auditeurs ; et c’est pourquoi ils enchantent grâce aux vers, captivent par les fables (μύθοις), bref inventent tout pour l’agrément (ὑπὲρ τοῦ τέρπνου) » (trad. Bompaire 2003). En formulant pareille affirmation, Lucien contredit le credo des Anciens, prompts à mettre en avant la valeur didactique des œuvres poétiques : ainsi Strabon affirme-t-il qu’Homère avait dessein d’instruire ses lecteurs et était « grandement préoccupé de la vérité » ; le mensonge de la fiction n’aurait été pour lui qu’un moyen de rendre son enseignement plus attractif (1, 2, 9).
Ménippe, 3 : « Pour ma part, tant que je fus au nombre des enfants, en entendant Homère et Hésiode raconter les guerres et les discordes, non seulement des héros, mais aussi des dieux mêmes, ainsi que leurs adultères, leurs actes de violence, leurs rapts, leurs procès, comment ils expulsaient leurs pères et se mariaient entre frère et sœur, je pensais que tous ces actes étaient bons et m’y sentais vivement incité. Mais quand je commençai à compter parmi les hommes, j’entendis au contraire les lois ordonner l’inverse des poètes, interdire adultère, discorde et rapt ; aussi me trouvai-je dans un grand embarras, ne sachant pas comment me comporter ».
Zeus confondu, 4 : « Je me souviens de ces vers d’Homère, où il t’a représenté en train de haranguer l’assemblée des dieux (Il. 8, 18 sq.) <…>. Assurément, tu me paraissais alors avoir une force admirable et je frissonnais tout en écoutant les vers. Mais en fait, c’est toi que je vois désormais, avec ta chaîne et tes menaces, suspendu à un fil ténu, comme tu en conviens » (trad. Bompaire 2003).
Platon reconnaît qu’il faut faire appel à la raison pour lutter contre le sortilège de la poésie homérique et ne pas « retomber dans cette passion qui est propre aux enfants et au commun des hommes » (République, 10, 608 a : εἰς τὸν παιδικόν τε καὶ τὸν τῶν πολλῶν ἔρωτα). On trouve un aveu similaire (mais présenté de manière plus personnelle) dans l’Héroïcos de Philostrate, où le narrateur, auquel un vigneron a demandé quand il avait commencé à trouver les mythoi incroyables, lui fait cette réponse : « Il y a longtemps, quand j’étais encore adolescent ; car, tant que j’étais enfant, je croyais à de telles histoires, et ma nourrice m’amusait de ces fables, en me les récitant de façon charmante » (7, 10).
MacMullen 1987, 25-26 : l’auteur note que l’élite lettrée de l’époque impériale se percevait comme un groupe « culturellement différent, parfois de manière agressive ». Le mépris avec lequel Hermotime parle du « vaste ramassis des profanes » (τῷ' πολλῷ' τῶν ἰδιωτῶν συρφετῷ) dans le dialogue éponyme de Lucien offre un bon exemple de cette attitude d’autodifférenciation agressive. Du « com-plexe de supériorité » de l’intelligentsia gréco-romaine, on trouve aussi l’écho chez Strabon, qui associe le goût des mythes à l’immaturité intellectuelle et y voit l’apanage obligé de « la foule » (1, 2, 8) : « Tout simple particulier (ἰδιώτης), tout homme sans instruction (ἀπαίδευτος) est d’une certaine façon un enfant et aime pareillement les fables (φιλομυθεῖ) ; il en va de même pour l’homme moyennement instruit (ὁ πεπαιδευμένος μετρίως), car lui non plus n’est pas solide dans son raisonnement, et à cela s’ajoutent les habitudes qu’il a héritées de l’enfance » ; à la différence de Lucien, Strabon insiste toutefois sur l’utilité pédagogique des mythes : « Il est impossible en effet de diriger par la raison philosophique une foule composée de femmes et d’une multitude d’individus vulgaires » (ὄχλον τε γυναικῶν καὶ παντὸς χυδαίου πλήθους).
Bompaire 1958, 492, parle de lieux communs d’origine essentiellement épicurienne. Dans le traité Sur la piété qui nous a été transmis sous le nom de Philodème (Ier siècle av. J.-C.), l’auteur, pour défendre Épicure de l’accusation d’impiété, s’emploie à montrer que la conception traditionnelle des dieux (celle véhiculée par les poètes et soutenue par les adversaires d’Épicure) est non seulement fausse, mais socialement nocive : associant μῦθοι et τερατεῖαι, il cite quantité d’exemples, tirés des auteurs les plus illustres, où les dieux sont dépeints de manière tout à fait malséante (Obbink 1996, 4, 254-255, 279-290, 578).
Dial. des morts, 7 (Ménippe et Tantale), 1 : « Mais, dis-moi, qu’as-tu donc besoin de boire ? Tu n’as pas de corps ; il est enseveli quelque part en Lydie, ce corps qui pouvait avoir faim et soif ; et toi, l’âme, comment pourrais-tu avoir encore soif et faim ? ».
Dial. des morts, 10 (Ménippe et Trophonios), 2.
Assemblée des dieux, 7.
République, 2, 380 d – 383 a. On remarquera toutefois que les critiques formulées par Platon et par Lucien à l’encontre des métamorphoses divines ne sont pas du même ordre : les griefs de Lucien sont d’ordre intellectuel – dans le neuvième Dialogue des morts (Ménippe et Tirésias), Ménippe refuse de se montrer crédule « comme un nigaud » (καθάπερ τινὰ βλᾶκα), en ajoutant foi aux métamorphoses de Tirésias (2) –, les griefs de Platon sont d’ordre religieux, il met en avant le souci de la grandeur divine : « Crois-tu que Dieu soit un magicien et que, comme s’il voulait nous induire en erreur, il se montre sous une forme ou sous une autre, tantôt en apparaissant en personne et en modifiant son aspect pour prendre différentes figures, tantôt en nous trompant et en nous inspirant ce genre d’illusions à son sujet ? » (380 d) ; « Dieu est un être absolument simple et vrai en actions et en paroles, il ne change pas de lui-même et il n’abuse les autres ni par des fantasmagories, ni par des discours, ni par l’envoi de signes adressés en état de veille ou en rêve » (382 e).
République, 2, 377 e – 378 b (atrocités commises par Ouranos et Cronos) ; 378 c-e (combats entre dieux) ; 3, 390 b-c (amours des dieux). Comme le remarque Buffière 1956, 17, le réquisitoire de la République rassemble les pièces essentielles du procès intenté à Homère : ces pages ont fourni l’arsenal où puisèrent les successifs détracteurs du poète. Dans Busiris, Isocrate consacre lui aussi un long passage (38-43) à dénoncer « les blasphèmes des poètes… qui sur les dieux eux-mêmes ont tenu des discours tels que nul n’oserait les tenir sur ses ennemis » : « Non seulement ils leur ont reproché des vols, des adultères, des emplois mercenaires chez les hommes, mais ils ont même imaginé à leur encontre des histoires d’enfants dévorés, de pères mutilés, de mères enchaînées et beaucoup d’autres actes contraires aux lois » ; il est possible que la dénonciation de Busiris fasse écho aux critiques de la République, car le discours d’Isocrate semble avoir été conçu en réponse au dialogue de Platon (cf. Livingstone 2001, 40-73 : lien possible entre Isocrate et Platon ; 173 : critique des mythes).
Scarcella 1988, 170.
Bompaire 1958, 387. On trouve des bêtisiers similaires dans Philopseudès, 2-4 ; Zeus confondu, 8 ; Sur les sacrifices, 5-7 ; Saturnales, 5.
Zeus tragédien, 40 (trad. Bompaire 2003).
Lucien suit la voie ouverte par Xénophane, chez qui l’on trouve une âpre remise en cause de l’anthropomorphisme de la religion populaire (trad. Dumont 1988) : « Des dieux, les mortels croient que comme eux ils sont nés, qu’ils ont leurs vêtements, leur voix et leur démarche » (B XIV) ; « Cependant si les bœufs, les chevaux et les lions avaient aussi des mains, et si avec ces mains ils savaient dessiner, et savaient modeler les œuvres qu’avec art, seuls les hommes façonnent, les chevaux forgeraient des dieux chevalins, et les bœufs donneraient aux dieux forme bovine : chacun dessinerait pour son dieu l’apparence imitant la démarche et le corps de chacun » (B XV) ; « Peau noire et nez camus : ainsi les Éthiopiens représentent leurs dieux, cependant que les Thraces leur donnent des yeux pers et des cheveux de feu » (B XVI).
Assemblée des dieux, 1 : « Qui veut prendre la parole parmi les dieux de plein droit, qui y sont autorisés ? L’examen porte sur les métèques et les étrangers » ; 14 : « Lors d’une assemblée régulière, le sept du mois, Zeus était prytane, Poséidon proèdre, Apollon épistate, Mômos, fils de Nuit, secrétaire. Sommeil a fait la proposition… ».
Traversée des Enfers, 4 (trad. Bompaire 1998).
Dial. des dieux, 14 (Hermès et Hélios), 2.
Dial. des dieux, 4 (Hermès et Maïa), 1.
Cf. Branham 1989, 141.
Branham 1989, 142-143.
Dial. des dieux, 15 (Zeus, Asclépios et Héraclès), 1. Dans le traité Sur les sacrifices (1), Lucien se demande s’il faut appeler pieux ou ennemis des dieux ceux qui, en prêtant aux dieux des sentiments humains, se représentent la divinité sous un jour « si bas et si dépourvu de noblesse ».
Le sujet des aventures amoureuses de Zeus (Zeus moichos) a souvent été traité dans la comédie ancienne, comme le signale Bompaire 1958, 194. Épicharme était célèbre pour ses parodies mythologiques, au nombre desquelles on peut citer Les Comastes ou Héphaïstos, Héraclès à la conquête de la ceinture, Les Noces d’Hébé, Les Sirènes…
Cf. Nestle 1940, 462-463 : les dieux d’Aristophane apparaissent très occupés à forniquer (πορνο-βοσκεῖν ) ; leur comportement est régi par l’égoïsme et la cupidité ; les railleries du poète visent aussi les représentations populaires de l’Hadès.
Le patron d’une taverne a fait représenter, dans le passage qui menait aux latrines, la déesse Isis-Fortuna aux côtés d’un « cacator » en position accroupie, flanqué de deux serpents – « comme s’il remplaçait l’autel usuel avec des offrandes » ; une inscription (« Cacator, cave malum ») confirme la dimension scatologique de cette peinture : cf. Tran Tam Tinh 1964, 108, 149 et pl. VII, 3.
D’après Picard 1954, le pavement de mosaïque d’El-Djem représente un banquet travesti, dont les cinq convives sont de joyeux fêtards déguisés en dieux ; l’un d’entre eux, visiblement éméché, suscite l’indignation de ses compagnons par son comportement indécent ; MacMullen, pour sa part, interprète cette scène comme une parodie mythologique et précise qu’il s’agit d’une « fantaisie plus ou moins publique » financée par un riche de la région (MacMullen 1987, 108).
Branham 1989, 163.
Telle est la thèse de Tate 1934 : les philosophes de l’époque archaïque, dit-il, exprimaient leurs doctrines dans un langage mythique ; ils ont probablement été les premiers à interpréter les traditions poétiques comme si elles étaient des allégories conscientes. Detienne souligne l’ancienneté de l’exégèse pythagoricienne des poèmes d’Hésiode ; il a consacré un chapitre entier aux « anthologies homériques » constituées par les Pythagoriciens (Detienne 1962, 23 sq. et 37-60).
Sur Platon et l’allégorèse, voir Tate 1929. Si Platon se montre méfiant à l’égard de l’interprétation allégorique des poètes, c’est tout d’abord parce que l’énormité de la tâche lui paraît sans commune mesure avec le bénéfice que l’on peut en retirer (Socrate, dans le Phèdre, 229 c – 230 a, parle de « travail de géant ») ; mais son hostilité possède aussi des raisons pédagogiques : il remarque en effet que l’interprétation allégorique est hors de portée des enfants, incapables de discerner, dans les fictions des poètes, ce qui est allégorique de ce qui ne l’est pas (République, 3, 378 d-e).
Sur l’exégèse stoïcienne, voir Decharme 1904, 305-353. Plutarque, bien qu’il ait souvent contesté les interprétations stoïciennes, fait lui aussi un usage massif de l’exégèse allégorique dans le traité Isis et Osiris, où toute la mythologie égyptienne est soumise à une interprétation symbolique (voir notamment le chapitre 11, 355 b-c, où Plutarque affirme hautement la nécessité d’un pareil décodage).
Auteur du Ier siècle après J.-C., héritier de cinq siècles d’exégèse, Héraclite « fait flèche de tout bois » pour protéger Homère contre les attaques de Platon (Buffière 1956, 68-69) ; considérant le poète comme un maître de vie, il loue à maintes reprises sa σοφία et sa φιλοσοφία (voir notamment Allégories, 3, 2 et 60, 1-3).
Pernot 1993, 764-765.
MacMullen 1987, 130-131. Voir aussi Pernot 1993, 766 : dans les deux traités de Ménandre le Rhéteur, les mythes sont considérés comme des récits allégoriques, « porteurs, kath’ hyponoian, d’une signification cachée et d’une “connaissance plus vraie” sur les dieux ». On trouve chez Lucien, dans l’Assemblée des dieux, une allusion ironique au succès « universel » de l’allégorèse : Zeus lui-même paraît en effet victime du goût pour les « significations cachées », lorsqu’il déclare à propos des dieux zoomorphes des Égyptiens (11) : « La plupart de ces choses-là sont des énigmes, et il ne faut absolument pas s’en moquer quand on n’est pas initié ».
Sur Palaiphatos, disciple d’Aristote, voir Decharme 1904, 403-409 ; Buffière 1956, 231-233.
Sur la danse, 19. Pareilles interprétations sont habituelles chez Palaiphatos : Decharme 1904, 406 cite en exemple son explication réaliste du mythe de Glaucos (c’est parce qu’il fut dévoré par un monstre marin que la fable le transforme en dieu de la mer). L’accumulation dans le traité Sur la danse d’explications de ce type suggère chez Lucien une intention parodique : Pernot 1993, 767 parle d’« amusante utilisation des procédés d’éxégèse allégorique à but encomiastique ».
On trouve chez Strabon des interprétations très similaires (cf. Decharme 1904, 397-398) : ainsi le mythe d’Héraclès affrontant l’Achéloos transformé en serpent, puis en taureau déchaîné refléterait-il le vaste travail de remblais et de canaux entrepris par le héros pour dompter le cours d’un fleuve que ses eaux mugissantes rendaient pareil au taureau, et ses courbes pareil au serpent (10, 2, 19).
Buffière 1956, 593-594, parle de « petit traité d’astrologie égaré dans les œuvres de Lucien ».
Hall 1981, 383 sq.
Les amours d’Arès et Aphrodite, par exemple, sont censés refléter la conjonction des deux astres de ce nom (De l’astrologie, 22).
Explications similaires au sujet d’Icare et de Pasiphaé (De l’astrologie, 15-16). Sur ce type d’exégèse, voir Buffière 1956, 206-212 (« L’astronomie d’Homère ») et 238 (où l’on apprend que Palaiphatos faisait d’Éole et d’Atlas des astronomes).
Voir Lévêque 1959.
Cf. Dial. des dieux, 1 (Arès et Hermès), 1 ; Zeus confondu, 4 ; Zeus tragédien, 45 ; Hermotime, 20 ; De la manière d’écrire l’histoire, 8 ; Astrologie, 22 ; Éloge de Démosthène, 72 ; Héraclès, 3. Sur Lucien et la chaîne d’or, voir Bouquiaux-Simon 1968, 136-142 et Camerotto 1996.
Platon, Théétète, 153 c-d ; Aristote, Mouvement des animaux, 4, 699 b 32 – 700 a 6.
Astrologie, 22 : « Quand <le poète> évoque la chaîne de Zeus et des bœufs du Soleil, j’en conclus qu’il s’agit des jours » ; interprétation similaire chez Eustathe de Thessalonique, Comm. ad Il. 8, 19 (éd. van der Valk 1976, 515) : « D’autres pensent que la chaîne d’or, ce sont les journées de la durée, qui sont comme mêlées d’or par la splendeur du soleil et sont suspendues les unes aux autres comme par une chaîne : elles forment de leurs liens notre vie » (trad. Lévêque 1959, 16).
Éloge de Démosthène, 13 : cf. Platon, Banquet, 180 d. Sur cette interprétation de la chaîne d’or, voir Lévêque 1959, 32.
Sur la chaîne d’Hermès, voir Lévêque 1959, 34-44.
Hermotime, 20. Emploi similaire dans Zeus tragédien, 45 et Héraclès, 3.
Pour une analyse détaillée des procédés satiriques mis en œuvre par Lucien dans son exploitation du motif de la chaîne d’or, voir Camerotto 1996 (commentaire de Dial. des dieux, 1, 1 ; Zeus confondu, 4 ; Zeus tragédien, 45 ; De la manière d’écrire l’histoire, 8 ; Hermotime, 20) : l’auteur montre que la satire lucianesque vise à la fois l’ἀλαζονεία de Zeus et l’ἀπιθανότης du poète lui-même. Dans Hermotime, le lien établi entre la chaîne d’or et les discours du maître d’Hermotime suggère la vantardise de ce prétendu philosophe.
Zeus confondu, 4 (trad. Bompaire 2003).
Cf. Buffière 1956, 404-409.
Dial. des morts, 11 (Diogène et Héraclès), 1 : « Est-il possible qu’on soit dieu par moitié et mort par moitié ? » ; 2 : « Comment donc Éaque, qui est si minutieux, n’a-t-il pas reconnu que tu n’étais pas Héraclès ? » ; 3 : « Dis-moi, au nom de ton Héraclès : quand il était vivant, étais-tu déjà uni à lui en tant qu’ombre (εἴδωλον), ou bien n’étiez-vous qu’un seul être pendant la vie, et avez-vous été séparés, une fois morts ? » ; 4 : « Alcmène, dis-tu, a engendré deux Héraclès en même temps ».
La paternité de cet opuscule a souvent été contestée à Lucien ; pour un état de la question, voir Nesselrath 1985, 1-8 : tout en laissant la discussion ouverte, Nesselrath penche visiblement en faveur de l’authenticité.
Dans l’Agôn d’Homère et Hésiode, ce passage est récité par Homère (7), et assorti du commentaire suivant (8) : « On dit que ces vers furent tellement admirés des Grecs qu’ils les appelèrent les vers d’or ; aujourd’hui encore, tous les récitent lors des sacrifices publics, avant les repas et les libations ». Sur la réception des « vers d’or », voir Kaiser 1964, 213-223.
Platon, République, 3, 390 a-b : « Faire dire au plus sage des hommes que ce qu’il trouve le meilleur au monde, c’est “que les tables soient dressées, chargées de pain et de viandes, et qu’un échanson, puisant le vin au cratère, l’apporte et le verse dans les coupes”, crois-tu qu’il sied à un jeune homme d’écouter cela pour devenir tempérant ? ».
Scholie à Od. 10, 28 (éd. Dindorf 1855) : « Sache que le philosophe Épicure a bien raison de dire dans sa doctrine que la meilleure fin de toute action est le plaisir : il a emprunté cette idée à Homère » ; Athénée, 12, 513 a : « L’Ulysse d’Homère semble avoir été pour Épicure l’initiateur (ἡγεμών) de ce plaisir dont on parle tant ». Sur cette prétendue dette d’Épicure à l’égard d’Homère, voir Buffière 1956, 319-321 ; Pépin 1958, 135-136 ; Kaiser 1964, 220-221.
Scol. T à Od. 10, 6 (éd. Dindorf 1855) ; voir aussi scol. Q à Od. 10, 5 (éd. Dindorf 1855) : Ulysse « veut complaire aux Phéaciens, dont il connaît l’attrait pour les plaisirs » (τὸ ἡδυπαθές) ; Athénée, 12, 513 b-c : « Megacleidès dit que, s’accommodant aux circonstances, Ulysse, pour sembler du même avis que les Phéaciens, approuve leur vie molle et efféminée, parce qu’il a, auparavant, entendu Alcinoos dire : “Toujours le festin nous est cher, la cithare, la danse, les vêtements de rechange, les bains chauds et les plaisirs du lit” » (cf. Od. 8, 248-249) ; Héraclite, Allégories, 79, 3 : « Les paroles qu’Ulysse prononce chez Alcinoos, en jouant la comédie, sont aussi peu sincères que sages : Épicure les prend au sérieux, et veut placer là le but de la vie » ; 79, 10 : « Cet ignorant d’Épicure prend pour fondement de sa morale ce que la nécessité a dicté occasionnellement au héros ; et ce qu’Ulysse, chez les Phéaciens, a déclaré le plus beau, il le plante dans ses vénérables jardins ! » (trad. Buffière 1989).
Parasite, 9 : pour prouver que bonheur et parasitique poursuivent la même fin, le parasite Simon invoque le témoignage du « sage Homère, qui admire la vie du parasite et la trouve seule heureuse et digne d’envie » ; après avoir cité Od. 9, 5-10 et 11, Simon ajoute : « D’après ces propos, <Homère> estime qu’il n’y a d’autre bonheur possible que de vivre en parasite. Et en vérité, ce n’est pas au premier venu qu’il a prêté ces propos, mais au plus sage de tous les hommes ». Sur ce passage, voir le commentaire de Nesselrath 1985, 299-311.
Ep. à Lucilius, 88, 5.
Lucien utilise ainsi, à plusieurs reprises, la fable de l’hydre (Phalaris, I, 8 ; Les Amours, 2 ; Anacharsis, 35), la fable des Sirènes (La Salle, 19 ; Ne pas croire à la légère à la calomnie, 30 ; Charon, 21 ; Sur la danse, 3-4), celle de la Gorgone (Portraits, 1 ; La Salle, 19), celle des Lotophages (Sur la danse, 3-4 ; Sur les salariés, 8). Dans les Fugitifs, Philosophie se réfère aux Hippocentaures pour exprimer de manière imagée la nature ambiguë des sophistes, « race composée et mélangée, qui vagabonde entre le charlatanisme et la philosophie » (10) ; dans Toxaris, c’est le triple Géryon qui sert d’emblème à l’étroite complicité de trois amis agissant toujours de concert (62). Les mythes utilisés ainsi, à titre de comparaisons, ont une fonction comparable aux paraboles figurant dans un certain nombre d’opuscules lucianesques : parabole de l’hôte généreux (image de Dieu) et du convive intempérant (image de l’homme aux désirs insatiables) dans Le Cynique (7-8) ; parabole du bon archer, symbole du philosophe qui sait choisir ses cibles et y planter solidement la flèche de ses discours dans Nigrinos (36-37).
Pernot 1993, 763 et 768 : les lettrés de l’époque impériale sont profondément convaincus que les récits du passé gardent une valeur actuelle et que le mythe constitue une référence applicable à la situation présente.
Ne pas croire à la légère à la calomnie, 30 (trad. Bompaire 1998, légèrement modifiée). Sur les diverses interprétations morales auxquelles a donné lieu l’épisode des Sirènes, voir Buffière 1956, 380-386 ; Kaiser 1964, 111-136.
Charon, 21 (trad. Bompaire 2008). Transposant lui aussi sur le plan de la philosophie les rapports d’Ulysse et de ses compagnons, Eustathe de Thessalonique voit dans la cire versée dans les oreilles des compagnons d’Ulysse les leçons du maître, qui forgent aux disciples une âme inébranlable, capable de résister aux sollicitations mauvaises : le maître doit savoir censurer, interdire aux disciples l’expérience du mal, les tenir à l’écart du fruit défendu ; Ulysse, pour sa part, écoute les Sirènes, pieds et mains liés ; ces liens qui le retiennent de s’abandonner au charme funeste, ce sont les liens de la sagesse (Comm. ad Od. 12, 200, éd. Stallbaum 1826, 3 ; texte commenté par Buffière 1956, 381).
Portraits, 1 : « Assurément, ceux qui voyaient la Gorgone éprouvaient à peu près la même émotion que j’ai éprouvée il y a un instant, Polystrate, en voyant une femme très belle. Cela s’est passé exactement comme dans la fable (αὐτὸ γὰρ τὸ τοῦ μύθου ἐκεῖνο) : j’ai failli, crois-moi, d’homme être changé en pierre, figé que j’étais sous l’effet de l’admiration ».
Sur l’épisode des Sirènes comme symbole des attraits de la poésie, voir par exemple Plutarque, Comment lire les poètes, 15 d : le bon éducateur doit non pas boucher les oreilles de ses élèves avec de la cire pour les empêcher d’écouter les poètes, mais « étay[er] leur jugement et l’enchaîn[er] à un raisonnement droit » (comme Ulysse attaché à son mât), pour qu’ils puissent goûter le charme des poètes sans être détournés du chemin de la vertu.
La Salle, 19 (trad. Bompaire 1993).
Il dit qu’après avoir multiplié « les tours et les détours » (στροφὰς καὶ περιαγωγάς) pour tâcher de louer dignement l’orateur, il craint de « subir finalement le sort de Protée » et de devenir « ce que celui-ci devint, dit-on, en cherchant à échapper au regard des hommes, quand il eut épuisé toutes les formes de bêtes sauvages, de plantes et d’éléments : faute d’apparence empruntée, il redevint Protée » (Éloge de Démosthène, 24). Comme le rappelle Anderson 1982, 82, Protée était une des figures de prédilection des sophistes : dans la biographie de Philostrate, Apollonios de Tyane est présenté comme un nouveau Protée (1, 4).
Veyne 1983, 65-66.
Mircea Éliade parle de « mythologie démythisée » (Éliade 1963, 193-195).
Il y a dans l’œuvre de Lucien plus de personnifications que chez aucun de ses contemporains, comme le signale Bompaire 1980, 82.
Strubel 2002, 174.
Le recours aux personnifications est un mode de pensée familier aux Grecs depuis l’époque archaïque, comme le soulignent notamment Webster 1964 et Sauzeau 2004. Chez Homère sont notamment évoqués la Crainte (Deimos), la Déroute (Phobos), le Sommeil (Hypnos), la Mort (Thanatos), la Discorde (Eris), l’Égarement (Atè), la Justice divine (Themis), les Prières (Litai), objet d’un développement (Il. 9, 502-512) qui était célèbre dans l’Antiquité (cf. Small 1948-1949, 425-426). Parmi les nombreuses abstractions personnifiées figurant dans la Théogonie d’Hésiode, citons « Tromperie et Tendresse, Vieillesse maudite et Discorde au cœur violent » (224-225), « Zèle et Victoire » (384), « Pouvoir et Force » (385), « Discipline, Justice (Dikè) et Paix la florissante » (902), « Richesse » (969-974). Comme le signale Sauzeau 2004, 110, les abstractions personnifiées étaient souvent associées aux « grandes » divinités qui, en raison de leur complexité, s’entouraient d’épiclèses exprimant les différentes virtualités de leur puissance religieuse.
Cf. Stafford 2000 (étude consacrée à six personnifications : Themis, Nemesis, Peithô, Hygieia, Eirènè et Eleos).
Faut-il voir dans cette multiplication des abstractions divinisées un signe du rationalisme croissant de la religion grecque ? D’après Hinks 1939, la tendance rationaliste s’exprime surtout, à partir de l’époque hellénistique, à travers les attributs censés illustrer la signification de telle ou telle personnification. Ménandre le Rhéteur, citant pour exemple de divinité inventée par des auteurs récents (τινὲς τῶν νεωτέρων) la figure de l’Envie (Ζηλοτυπία), précise que les auteurs en question ont attribué à cette déesse nouvelle la Jalousie (Φθόνος) pour voile et la Dispute (Ἔρις) pour ceinture (Peri tôn epideiktikôn, Traité 1, in Rhetores graeci, éd. Spengel 1856, 342).
En dehors de la Théogonie (214), le nom de Mômos n’apparaît guère, à l’époque classique, que chez Platon (République, 6, 487 a) et dans une fable du corpus ésopique, « Zeus, Prométhée, Athéna et Mômos » (Collectio Augustana, fab. 100). Sophocle avait composé un Mômos satyrikos (frag. 419-424 Radt), dans lequel Mômos conseillait, semble-t-il, à Zeus de déclencher la guerre de Troie pour alléger la terre de son surplus de population : il ne reste malheureusement presque rien de ce drame satyrique. Signalons quelques références au dieu du Sarcasme dans des épigrammes de l’Anthologie grecque (9, 356 et 613 ; 11, 321 ; 16, 7, 262, 265 et 266) ; parmi les poèmes datés, seuls trois émanent d’auteurs antérieurs à Lucien : l’un (16, 7) a été composé par Alcée (c. 200 av. J.-C.), un autre (11, 321) par Philippe de Thessalonique (début Ier siècle après J.-C.), et le troisième (9, 356) par Léonidas d’Alexandrie (contemporain de Claude et Néron). De toute évidence, c’est Lucien qui a assuré la célébrité de Mômos, en le mentionnant ou en le mettant en scène dans une dizaine de ses ouvrages (Dionysos, 8 ; Nigrinos, 32 ; Histoires véritables, 2, 3 ; Zeus tragique, passim ; Icaroménippe, 31 ; Jugement des déesses, 2 ; Sur la danse, 23 ; Comment il faut écrire l’histoire, 33 ; Hermotime, 20 ; Assemblée des dieux, 13-14). À la Renaissance, la redécouverte des écrits lucianesques valut à Mômos une grande faveur auprès des humanistes : Leon Battista Alberti (1404-1474) a fait de lui le héros d’une fable politique intitulée Momus ou le prince.
Zeus confondu, 11 (trad. Bompaire 1998).
Ménippe, 16 : « Souvent même, au milieu de la procession, elle change les costumes de quelques-uns, et ne les laisse pas participer à la procession jusqu’au bout, dans le rôle qui leur avait été attribué : ôtant son vêtement à Crésus, elle l’a forcé à endosser l’équipement d’un serviteur et d’un prisonnier ; en revanche, elle a fait revêtir la tyrannie de Polycrate à Maiandrios qui, jusqu’alors, défilait parmi les serviteurs et elle lui a permis de garder ce costume quelque temps. Mais quand le temps de la procession est passé, alors chacun rend son équipement et, dépouillant son costume avec son corps, redevient tel qu’il était avant de naître, en tous points semblable à son prochain ».
Formule de Bompaire 1980, 82.
Dans les Nuées d’Aristophane figurent les deux célèbres Arguments, Juste et Injuste ; Comédie apparaît dans la Bouteille de Cratinos, Musique dans Chiron de Phérécrate, Comodotragédie chez Anaxandridès ; Platon personnifie la Philosophie (Gorgias, 482 a-b), Aelius Aristide la Rhétorique (Or. 2 [Pour la rhétorique], 226-227)…
Relief de Priène (IIIe siècle av. J.-C.). Édifié à peu près à la même époque, le monument chorégique du Dionysion de Thasos portait les statues de Dionysos et des Muses, de la Comédie, de la Tragédie, du Dithyrambe et du Nyctérinos (Sérénade nocturne). Des peintres fameux ont, eux aussi, fait usage d’allégories littéraires : Pline nous apprend qu’Aétion (IIIe siècle av. J.-C.) avait représenté un Liber Pater accompagné de la Tragédie et de la Comédie personnifiées (NH, 35, 78). Sur les personnifications de l’Iliade et de l’Odyssée dans l’art de l’époque hellénistique et romaine, voir Seaman 2005. Sur la place des figures allégoriques en général dans les arts figurés, voir Hinks 1939 ; Shapiro 1993 (étude portant sur la période archaïque et classique, de 600 à 400 av. J.-C.).
Un cas particulier est à signaler : celui des personnifications intervenant dans des récits mythiques. Lucien évoque ainsi, à plusieurs reprises, mais toujours très fugitivement, le rôle joué par Eris à l’occasion des noces de Thétis et de Pélée (Le Banquet ou les Lapithes, 35 ; Dialogues marins, 7, 1). À titre de parallèle iconographique, on peut évoquer l’amphoriskos de Berlin, dit vase du Peintre de l’Heimarmenè (c. 430 av. J.-C.), où l’on voit Hélène entourée de Peithô et d’Aphrodite, Pâris en conversation avec Himeros, et quatre autres personnifications, Heimarmenè, Tychè, Nemesis, et une dernière figure non identifiée. Leader-Newby 2005, 232 qualifie les personnifications utilisées dans les scènes mythologiques de ce type d’« articulatory personifications », dont la présence offre un commentaire sur les événements représentés.
Dans le traité Ne pas croire à la légère à la calomnie apparaissent Calomnie, Ignorance, Suspicion, Embûche, Tromperie, Repentance, Vérité ; dans Timon, Ploutos, Orgueil, Folie, Vanité, Mollesse, Arrogance, Tromperie, Luxure, Trésor, Pauvreté, Labeur, Endurance, Sagesse, Courage, Faim ; dans Sur les salariés, Ploutos, Espérance, Erreur, Servitude, Travail, Vieillesse, Outrage, Désespoir, Repentir ; dans la Double accusation, Justice, Sagesse, Académie, Portique, Ivresse, Volupté, Vertu, Banque, Peinture, Rhétorique, Dialogue, Philosophie ; dans le Pêcheur, Comédie, Dialogue, Syllogisme, Philosophie et ses nombreuses compagnes, Vérité, Vertu, Tempérance, Justice, Instruction, Liberté, Franchise, Réfutation, Démonstration.
Comme le remarque Strubel 2002, 179, la personnification semble avoir la solitude en horreur et, lorsqu’elle est utilisée dans des textes littéraires, c’est le plus souvent en séries ou en listes. De même, sur les vases grecs, les figures allégoriques apparaissent fréquemment par groupes (nombreux exemples dans Shapiro 1993).
Aelius Aristide, lui aussi, se réfère à un tableau (mais sous forme de comparaison) pour tracer le portrait allégorique de Concorde et Discorde – souhaitant sans doute insister ainsi sur le caractère pictural de sa description (Or. 24 [Aux Rhodiens], 44).
C’est la présence d’un grave anachronisme dans le texte de Lucien qui a suscité la suspicion : la conspiration de Theodotos à laquelle notre auteur fait allusion eut lieu vers 219 avant J.-C., sous le règne de Ptolémée IV, alors qu’Apelle a vécu au IVe siècle : il faut donc supposer de la part de Lucien soit une erreur grossière (une confusion entre Ptolémée IV et Ptolémée Ier ?), soit une fraude délibérée, ce qui n’aurait rien de très surprenant de la part d’un auteur dont on connaît les goûts de faussaire et le talent pour l’affabulation.
Cf. Vasiliu 2005, 177 : l’allégorie cherche à s’approprier « la force d’impact du visible ».
L’opuscule Ne pas croire à la légère à la calomnie a servi de base au tableau de Botticelli, La Calomnie, conservé au Musée des Offices, à Florence : le peintre avait sans doute lu la description de Lucien dans le Traité de la peinture de Leon Battista Alberti, où figurait la traduction que Guarino de Vérone avait fait paraître vers 1406 (cf. Bompaire 1986).
Sur les définitions antiques de l’allégorie, voir Hahn 1967 ; Calvié 2002 ; Chiron 2004. Les théoriens de l’Antiquité associaient volontiers énigme et allégorie : dans la Rhétorique de Philodème de Gadara (110 – 40 / 35 av. J.-C.), l’allégorie est divisée en trois espèces, énigme, proverbe, ironie (Calvié 2002, 83-84) ; le grammairien Tryphon (Ier siècle apr. J.-C.), dans son traité Sur les tropes, traite successivement de l’allégorie et de l’énigme : dans l’allégorie, explique-t-il, c’est soit l’expression soit le sens qui est obscur, dans l’énigme l’un et l’autre (Rhetores graeci, éd. Spengel 1856, 193). Pour l’association récurrente de l’allégorie et de l’obscurité, voir Démétrios, Du style, 101 : « L’allégorie ressemble aux ténèbres et à la nuit ».
Ne pas croire à la légère à la calomnie, 5 (trad. Bompaire 1998).
On a beaucoup discuté de l’identité du personnage évoqué dans Héraclès : la description de Lucien a été rapprochée de monnaies gauloises dites « à la tête d’Ogmios », où figure une tête centrale entourée d’autres têtes plus petites, reliées à elle par des chaînettes ; d’assez nombreux chercheurs (Koepp 1919 ; Sjoestedt-Jonval 1936 ; Hafner 1958) dénient toutefois l’identification de cette figure énigmatique au dieu de l’éloquence évoqué par Lucien. Bader 1996 rapproche le nom d’Ogmios de celui du héros irlandais Ogma, inventeur de l’ogam ou écriture ogamique (écriture utilisée dans les inscriptions funéraires) : Ogmios serait le dieu de la poésie, et le mythe des prisonniers d’Ogmios se ferait l’écho de réflexions très anciennes sur la parole poétique, le « liage » évoqué étant celui de la poésie – un liage dont il est question aussi dans le mythe odysséen des Sirènes. Le Roux 1960, affirmant pour sa part que le théonyme Ogmios est d’origine grecque (elle le rapproche de ὄγμος, « ligne, sillon »), voit dans l’Héraclès-Ogmios de Lucien l’interpretatio graeca d’une divinité celtique à double ou triple visage (dieu de l’écriture sacrée et de l’éloquence, mais aussi dieu guerrier et psychopompe) – interpretatio qui aurait été élaborée par les Celtes eux-mêmes à l’époque romaine et transmise à Lucien par son interprète autochtone, sans doute un druide. À l’inverse de Le Roux, Hafner 1958 estime que le tableau décrit dans Héraclès n’a rien à voir avec la mythologie celtique (l’interprète gaulois mentionné dans la description est, selon lui, un personnage fictif) : l’Héraclès-Ogmios décrit par Lucien serait en réalité Geras (allégorie de la vieillesse) victorieux d’Héraclès (dont il porte les attributs, comme Omphale porte la peau de lion, signe de son triomphe amoureux) ; l’image symboliserait la supériorité de l’éloquence sur la force brutale, l’artiste ayant choisi de représenter la puissance de la parole sous la figure de Geras, en raison du lien fréquemment établi par les Anciens entre vieillesse et art du discours.
Divers artistes de la Renaissance ont tenté de reconstituer le mystérieux tableau décrit par Lucien : on possède des dessins de Dürer et d’autres émanant de l’école de Raphaël (cf. Koepp 1919, taf. IV, 1-2 ; Le Roux 1960, fig. 5).
Héraclès, 6 (trad. Bompaire 1993).
Sur le Tableau de Cébès, voir notamment Joly 1963 ; Flamand 1994 ; Trapp 1997. Joly insiste sur le caractère néo-platonicien de l’opuscule.
Cébès, Tableau de la vie humaine (trad. Meunier 1960). La plus ancienne représentation figurée du Tableau date de l’Antiquité : il s’agissait d’un relief de marbre, dont on a conservé deux copies réalisées par des humanistes, Giulio Clovio et Giovanni Antonio Dosio, à l’époque où l’objet était en la possession du cardinal Alessandro Farnese (1468-1549) ; on y voit trois hommes âgés, à la porte de la Vie ; à droite de la porte est représentée une femme drapée, désignée comme la figure d’ΑΠΑΤΗ (cf. Schleier 1973, Abh. 31-32). Sur la postérité du Tableau à la Renaissance et au début de l’époque moderne, voir Schleier 1973, où sont reproduites des illustrations d’Holbein (Abh. 5-8), Dürer (Abh. 11), Corrozet (Abh. 18-28).
Ici encore, la référence est explicite, puisque la description de Lucien s’ouvre en ces termes : « Mais je veux d’abord, comme le fameux Cébès (ὥσπερ ὁ Κέβης ἐκεῖνος), tracer un tableau (εἰκόνα)… » (Maître de rhétorique, 6).
Sur la postérité de cet apologue, raconté par Xénophon dans les Mémorables (2, 1, 21-34), voir notamment Waites 1912, 43-46 ; Bompaire 1958, 258-261 ; Panofsky 1999. Le texte de Xénophon a été très souvent cité et / ou imité par les auteurs anciens, grecs et latins, païens et judéo-chrétiens : si certains d’entre eux se sont contentés de paraphraser les Mémorables (cf. Cicéron, De off. 1, 32, 118 ; Clément d’Alexandrie, Pégagogue, 2, 10, 110 ; Strom. 5, 31, 1-2 ; Justin, Apologie, 2, 11, 2-8 ; Basile de Césarée, Aux jeunes gens sur la manière de tirer profit des lettres helléniques, 5), d’autres se sont livrés à des réécritures plus inventives – par exemple, Dion Chrysostome, Or. 1, 65-84 (Royauté et Tyrannie prennent la place de Vertu et Vice) ; Maxime de Tyr, Diss. 14 (Comment distinguer le flatteur de l’ami), 1 (après avoir résumé brièvement l’apologue de Prodicos, Maxime de Tyr crée son propre mythe en substituant l’ami à la Vertu et le flatteur au Vice) ; Thémistios, Or. 22 (De l’amitié), 27, 280 a – 282 c (l’opposition Vice – Vertu se double d’une opposition entre Amitié et Hypocrisie). La réécriture à laquelle Philostrate s’est livré dans la Vie d’Apollonios de Tyane est d’un intérêt tout particulier, car il y est question d’images représentant l’Héraclès de Prodicos (6, 10). Picard 1954 signale la présence d’une illustration de cet apologue sur un cippe funéraire d’Hadrumète (Sousse), œuvre datant de l’époque d’Hadrien, mais dérivant d’un prototype qui doit remonter à l’époque ptolémaïque : Aretè y a été remplacée par une Virtus romaine, allégorie armée apparentée au type de la Dea Roma ; l’autre apparition féminine symbolise le Destin, la Moira. Dans le domaine latin, les deux adaptations les plus dignes d’intérêt sont celle, métalittéraire, d’Ovide, où le Poète, endossant le rôle d’Héraclès, doit choisir entre Élégie et Tragédie (Amours, 3, 1) et celle, historicisante, de Silus Italicus, où Scipion l’Africain se substitue au héros mythique (Guerre punique, 15, 18-128).
Voir Quintilien, Institution oratoire, 9, 2, 36 : « Nous personnifions souvent aussi des abstractions, comme le font Virgile avec la Renommée, ou selon ce que rapporte Xénophon, Prodicos avec la Volupté et la Vertu, ou Ennius avec la Mort ou la Vie, qu’il met aux prises dans une satire » (trad. Cousin 1978).
Sur la façon dont Lucien a adapté dans le Songe l’apologue de Prodicos, voir Gera 1995.
Cf. Strubel 2002, 44-45. Sur songe et allégorie, voir aussi Quilligan 1979, 222 : « A paradigmatic form of allegory is the dream vision ».
Cf. Saïd 1993, 268-269 : « L’ironie de Lucien n’épargne pas plus Paideia que sa rivale ».
Le comportement initial des deux femmes apparaît très semblable chez Lucien : il précise qu’« elles faillirent [le] mettre en pièces dans leur rivalité » (Songe, 6).
Voir l’agitation de Tyrannie, dans le premier discours de Dion Chrysostome Sur la royauté (Or. 1, 80-81).
Cf. Gera 1995, 249-250 : la Paideia du Songe est une figure complexe et ambivalente ; à travers cette présentation ambiguë, Lucien indique « that he cannot celebrate his choice whole-heartedly ».
Songe, 7-8 : cf. Aristophane, Nuées, 990-1014. Au nombre des bénéfices que l’Ancienne Éducation est censée procurer figurent précisément une « poitrine robuste » et des « épaules larges » (v. 1012-1013 : στῆθος λιπαρόν… ὤμους μεγάλους).
Le terme ψυχρολογία est employé à propos des récits d’Homère dans le Dialogue des morts, 11, 5 ; et l’adjectif ἕωλος figure dans le Timon (2), pour décrire le foudre de Zeus, pareil à « une mèche de lampe allumée de la veille » (ἕωλον θρυαλλίδα).
Moreau 2004, 119-120, dénombre chez Eschyle cinquante-trois figures allégoriques différentes ; parmi les personae dramatis, il cite Force (Bia) et Pouvoir (Kratos) dans le prologue de Prométhée enchaîné, Folie (Lyssa) dans Xanthiai. Chez Euripide, la Folie apparaît sur scène dans Héraclès Furieux (843-874), la Nature dans Augê, la Paix dans Kresphontes, la Prospérité (Olbos) dans Phaéton…
Dans les comédies d’Aristophane, à côté de nombreuses personnifications muettes comme Eirènè, Theôra, Opôra dans la Paix, Basileia dans les Oiseaux, Diallagè dans Lysistrata, interviennent diverses figures allégoriques qui jouent le rôle de personnages parlants et agissants : c’est le cas du Peuple (Dèmos) dans les Cavaliers, de Raisonnement Juste et Raisonnement Injuste dans les Nuées, de Richesse et Pauvreté dans Ploutos ; Dèmos et Ploutos sont les deux personnifications qui occupent la place la plus importante et s’expriment le plus abondamment dans le théâtre d’Aristophane (cf. Newiger 1957). L’intérêt du théâtre comique pour les figures allégoriques pourrait s’expliquer par l’existence d’une ressemblance générique entre allégorie et comédie (cf. Quilligan 1979, 282 : les deux genres accordent une même attention au langage ; « Speech per se is the material of the comic form »).
Hermogène, Progymnasmata, 9 (éd. Rabe 1913, 20) : « Il y a prosopopée quand nous personnifions une chose, comme la Réfutation (Ἔλεγχος) chez Ménandre ». On retrouve la même référence chez Aphthonios, Progymnasmata, 11 (éd. Rabe 1926, 34).
Voir Hertel 1969, 7-41 (Aristophane) et 48-62 (Lucien) ; l’étude de Hertel montre que le Timon de Lucien a exercé sur la postérité une influence plus grande que la comédie d’Aristophane.
Ploutos est « livide, tout soucieux, les doigts contractés par l’habitude de compter » (Timon, 13 : trad. Bompaire 2003) ; il est non seulement aveugle, mais aussi boiteux (caractéristique inconnue d’Aristophane).
Timon, 24 : « Je circule en tous sens et j’erre, jusqu’à ce que je tombe sur quelqu’un sans m’en apercevoir » (trad. Bompaire 2003).
Timon, 20 : « Quand je vais trouver quelqu’un de la part de Zeus, je ne sais comment, je suis lent et boiteux des deux jambes. Si bien que je peine pour arriver au but, et parfois celui qui m’attend est devenu vieux auparavant. Mais quand il faut repartir, tu me verras ailé et beaucoup plus rapide que les songes » (trad. Bompaire 2003).
Timon, 27 : pour tromper les hommes, Ploutos met « un masque fort séduisant, brodé d’or et incrusté de pierres précieuses » (trad. Bompaire 2003).
Voir Sommerstein 2005, 163-164 et surtout Rosen 2000 : l’auteur insiste sur la dimension apologétique de la pièce de Cratinos, conçue en réponse aux attaques dont le poète avait été victime de la part d’Aristophane dans les Cavaliers. Lucien apparaît donc très fidèle à l’esprit de son modèle antique.
Bompaire 1980, 81, note que le Dialogue ici mis en scène est le dialogue socratique, et que le personnage allégorique incarne dans une certaine mesure Socrate lui-même, en combinant des traits empruntés aux Nuées d’Aristophane et au Phèdre de Platon.
Double accusation, 33 (trad. Bompaire 2008).
Double accusation, 31 (trad. Bompaire 2008). Dans les Cavaliers d’Aristophane, komododidaskalia (Mise en scène) est décrite comme une femme accordant ses faveurs aux auteurs dramatiques les mieux doués (517) ; dans les Grenouilles, la Muse d’Euripide apparaît sous les traits d’une joueuse de castagnettes (1305-1308) : elle est donc assimilée à une prostituée. Sur cette métaphore familière aux poètes comiques, voir Sommerstein 2005.
Selon Dubel 1994, 21-22, la personnalité même du Syrien symbolise le renouvellement du genre du dialogue ; sa qualité d’étranger (ξένος) illustre la nouveauté du genre créé par Lucien. Le Syrien lui-même serait donc une figure allégorique.
De ce personnage au nom parlant, Dubel 1994, 23, note qu’il est, comme le Syrien de la Double accusation, une « auto-définition de l’art de Lucien ».
Trad. Bompaire 2008. On retrouve la même opposition entre vraie et fausse philosophie dans les Esclaves fugitifs, où la Philosophie personnifiée vient se plaindre à Zeus des outrages que lui infligent les charlatans ; adoptant la pose de philosophes, ils prétendent recevoir les hommages dus à la philosophie véritable, et lui font le plus grand tort auprès des ignorants : « Voyant cela, les profanes (ἰδιῶται) méprisent désormais la philosophie, ils s’imaginent que tous les philosophes sont pareils <à ceux-là> et en accusent mon enseignement <…>. L’Ignorance (Ἀμαθία) et l’Injustice (Ἀδικία) se rient de moi » (21).
Cf. Quilligan 1979, 24 : « Allegory is the most self-reflexive and critically self-conscious of narrative genres ».
Cf. Quilligan 1979, 33 : « A sensitivity to the polysemy in words is the basic component of the genre of allegory » ; 42 : « More than any other creator of narrative, the allegorist begins with langage purely » ; 46 : « Wordplay is an organic part of the genre » ; 156 : « Allegories <…> are always fundamentally about language » ; 223 : Quilligan souligne « allegory’s primary concern with its own verbal medium ».
Cf. Quilligan 1979, 53 (« The allegorical author <…> writes a commentary on his own text ») ; 140 (« In allegories, there is a tendency for commentary to engulf narrative ») ; Whitman 1987, 2 (« In its obliquity, allegorical writing exposes in an extreme way the foundation of fiction in general »).
Sur les prolalies de Lucien, voir Branham 1985 ; Nesselrath 1990 (l’auteur considère comme des prolalies Dionysos, Héraclès, l’Ambre, les Dipsades, Hérodote, Zeuxis, Harmonidès, le Scythe ; il estime en revanche que le Songe n’est pas une prolalie, mais « a special-occasion piece »).
Branham 1985, 240 : « The prologues are used to mediate between Lucian the performing artist and his audience by highlighting important features of his art and defending them against potential criticism and misunderstanding ». Saïd 1994, 167 note que, dans ses prolalies, Lucien met volontiers l’exotisme au service de l’autoportrait : l’Héraclès gaulois, par exemple, est une représentation symbolique du sophiste.
À propos de l’ambre, 6 (trad. Bompaire 1993).
Voir Branham 1985, 241 : le but de cette prolalie est d’expliquer la nature et la fonction de la comédie dans les œuvres de Lucien ; Nesselrath 1990, 137 : « Lucian’s works may reveal on closer inspection something more serious than mere jokes ».
Cf. Camerotto 1998, 122-123.
Qualifiée de παράδοξος, ξένος, ἀλλόκοτος, τεράστιος, l’œuvre de Lucien viole les limites bien définies des différents genres littéraires – ce qu’exprime l’image du centaure, à mi-chemin entre cheval et homme (Camerotto 1998, 85 et 118).
Zeuxis, 2 : Lucien exprime son attachement aux « belles expressions » (ὀνομάτων… καλῶν) modelées « sur le canon ancien » (πρὸς τὸν ἀρχαῖον κανόνα).
Cf. Branham 1985, 238-239 ; Nesselrath 1990, 131-132 : l’histoire de Zeuxis illustre la réaction de Lucien « to someone praising novelty in his works ».
Camerotto 1998, 35.
Georgiadou & Larmour 1998.
La lecture allégorique du texte biblique préconisée par les Pères de l’Église repose sur la valorisation de cet effort de recherche : la connaissance de la vérité doit rester interdite aux indignes et aux indifférents (cf. Pépin 1987, 91-136 : « Saint Augustin et la fonction protreptique de l’allégorie »).
Fishbane 2005, 89 et 109. Strubel 2002, 251-252 dit de l’écriture allégorique qu’elle est un « mode de la subtilité ».
Chiron 2005, 35.
La proximité de l’allégorie et de l’ironie est indiquée, déjà, chez les rhéteurs anciens : cf. Calvié 2002, 85 (Philodème) ; Hahn 1967 (Quintilien, Institution oratoire, 8, 6, 54).
Formule empruntée à Branham 1989, 212-213 : l’auteur souligne « Lucian’s emphasis on literature as an interpretative game ».
C’est Ménippe lui-même qui dresse son propre constat d’échec, en déclarant à son ami (Icaroménippe, 2 : trad. Bompaire 2003) : « Il est clair que tu te moques de moi depuis un bon moment, et il n’est pas étonnant que tu considères le caractère extraordinaire de mon propos comme une sorte de fable » (σοὶ τὸ παράδοξον τοῦ λόγου μύθῳ δοκεῖ προσφερές).
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