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Comptes rendus

B. Louden, Homer’s Odyssey and the Near East

Christine Dumas-Reungoat
p. 156-160
Référence(s) :

B. Louden, Homer’s Odyssey and the Near East, Cambridge, Cambridge University Press, 2011 (isbn : 978-0-521-76820-7).

Texte intégral

1L’ouvrage de Bruce Louden (BL) comporte treize chapitres qui procèdent chacun à une étude comparée entre un ou plusieurs passages de l’Odyssée et des textes de la littérature mésopotamienne ou des livres bibliques. Si les comparaisons de textes mythologiques grecs avec les textes du corpus suméro-akkadien sont devenues relativement courantes – quoiqu’elles ne soient pas très répandues dans la recherche française –, elles le sont moins avec les textes bibliques. Dans son introduction, l’auteur pose la question de savoir pourquoi les commentateurs omettent généralement les comparaisons importantes que l’on peut établir entre les mythes homériques et ceux de l’Ancien Testament. Il propose, comme élément de réponse, l’hypothèse suivante : il se peut qu’en raison de la longue domination exercée par le judaïsme et le christianisme sur l’Occident, une majorité des publics occidentaux modernes, consciemment ou inconsciemment, lisent ces textes en fonction de leur foi et opposent, de ce fait, les récits bibliques et homériques, considérant les uns comme « vrais », « fondés », les autres comme une fiction, donc « faux » (p. 5). C’est une attitude dont il faut se garder, avertit l’auteur, si l’on veut considérer avec le plus d’objectivité possible les rapprochements et les parallèles qu’il met en évidence dans son ouvrage.

  • 10 « By a genre of myth I mean that myths can be seen as falling into, or existing, in spe (...)

2L’auteur relève ensuite un autre obstacle auquel se heurte le chercheur qui compare les mythes grecs à ceux du Proche-Orient : la théorie selon laquelle l’épopée homérique vient d’un prototype indo-européen ou reflète largement un héritage indo-européen. S’il n’est pas question pour BL de remettre en cause l’appartenance du grec aux langues indo-européennes et l’héritage indo-européen de quelques motifs de l’épopée homérique, il est évident à ses yeux que considérer l’épopée homérique comme essentiellement indo-européenne entrave l’étude de parallèles plus nombreux et plus profonds que présente l’épopée homérique avec les mythes et les épopées du Proche-Orient. L’auteur est ainsi fermement convaincu que, même si les mythes indo-européens et proche-orientaux emploient de nombreux motifs similaires, les combinaisons spécifiques de motifs comprenant des « genres of myth »10 dans l’Odyssée ont plus de points communs avec les mythes proche-orientaux qu’avec les mythes indo-européens.

3L’ouvrage de BL s’inscrit donc dans une tradition d’études comparatistes de la littérature grecque avec les littératures du Proche-Orient. Mais pourquoi encore un livre sur l’Odyssée, demande l’auteur lui-même dans son propos introductif ? Selon lui, l’Odyssée comporte un grand nombre de motifs mythiques variés que l’on rencontre dans différentes cultures du Proche-Orient et en particulier, et de manière inattendue, c’est avec des passages de l’Ancien Testament, qui font appel à de semblables combinaisons de scènes typiques, que l’Odyssée offre le plus grand nombre de rapprochements. Étudier ces parallèles permet au lecteur de renouveler sa façon de lire l’épopée homérique.

  • 11 BL fait appel ici (p. 11) à la distinction établie par K.L. Sparks, Ancient Texts for the Stu (...)

4La difficulté, comme toujours dans ce genre d’études comparatistes avec les littératures du Proche-Orient ancien, est de savoir comment s’est diffusée cette matière mythique d’une culture à l’autre. BL pense que le scénario le plus plausible est celui d’un contact entre les Grecs et la culture phénicienne, soit en ancienne Syrie, soit à Chypre, ou dans le monde grec, les anciens Israélites et les anciens Grecs utilisant une source commune ou bien participant d’une tradition commune11.

5BL montre que la trame narrative de l’Odyssée combine dix-huit « genres of myth » différents, qu’il analyse tour à tour dans les différents chapitres de son ouvrage en procédant à des comparaisons très nombreuses, par exemple :

  • la création : chapitre 5, « Odyssey 5 : Ogygia and creation myth ; Kalypso and Ištar », p. 124-134 ;

  • les monstres marins et le voyage fantastique : chapitre 7, « Odysseus and Jonah : sea monsters and the fantastic voyage », p. 164-179 ;

  • le combat : chapitre 8, « The combat myth : Polyphêmos and Humbaba », p. 180-196, où Humbaba est le monstre, le gardien géant de la forêt des cèdres dans l’Épopée de Gilgameš, tout aussi effrayant que le cyclope ;

  • la descente aux Enfers : chapitre 9, « Catabasis, consultation, and the vision : Odyssey 11, I Samuel 28, Gilgameš 12, Aeneid 6, Plato’s Allegory of the Cave, and the Book of Revelation », p. 197-221, où le motif se combine avec celui de la consultation de l’ombre d’un devin et celui de la vision, et où le retour d’Ulysse à Ithaque présente des ressemblances avec le retour du philosophe dans la société dans l’allégorie de Platon ;

  • le retour du roi, non reconnu et maltraité dans son royaume : chapitre 12, « Odysseus and Jesus […] », p. 258-281, et dans ce cas la comparaison est établie avec le Nouveau Testament. L’auteur signale beaucoup de points communs entre les figures d’Ulysse et du Christ, mais il indique également une différence d’importance : si Ulysse est descendu aux Enfers et a « triomphé de la mort » avant son retour à Ithaque, pour Jésus, la victoire sur la mort a lieu après les mauvais traitements subis à Jérusalem.

6Attardons-nous sur quelques autres. Dans le premier chapitre, intitulé « Divine councils and apocalyptic myth », p. 16-29, l’accent est mis sur les scènes d’assemblée des dieux, telles celle du chant I de l’Odyssée sur le Mont Olympe (v. 26-96) ou celle de l’épopée d’Ugarit, Aqhat, ou celle de Gilgameš (VII, I : Enkidu rêve d’une assemblée des dieux). Dans la plupart de ces scènes, deux dieux seulement prennent la parole dans une assemblée divine, le dieu du ciel (Zeus, El, Samaš) qui dialogue avec le dieu guide du héros (Athéna, Baal, Anu) ou bien avec le dieu en colère, et se met alors en place un type de mythe appelé « apocalypse », c’est-à-dire que le dieu, en proie à la colère vis-vis d’hommes irrespectueux, les détruit en grand nombre (cf. chapitre 10 « Thrinakia and Exodus 32 : Odysseus and Moses, the people disobey their leader and rebell against gods », p. 222-243, et chapitre 13 « Contained apocalypse : Odyssey 12, 13, 22 and 24 ; Exodus 32 (and Gen. 18-19) », p. 283-313. Au chapitre 11, « The suitors and the depiction of impious men in wisdom literature », p. 244-257, sont relevés différents comportements inopportuns qui entraînent la mort de leurs auteurs) : par exemple, dans l’Épopée de Gilgameš, quand Ištar, irritée par le héros qui refuse ses avances, demande à Anu, son père, d’envoyer le Taureau céleste pour tuer le héros et provoquer une sécheresse de sept ans dans la contrée d’Uruk : 600 ou 1 200 personnes sont mortes. Elle a menacé Anu de faire se lever les morts pour qu’ils dévorent les vivants, s’il n’acceptait pas d’envoyer sur terre le Taureau céleste, ce qui aurait conduit à une dévastation bien plus grave. Le motif de la menace de destructions de plus en plus terribles se rencontre encore dans le récit du Déluge de Noé ou des récits mésopotamiens (Poème d’Atrahasis), tout comme celui de la destruction entière d’une ville se rencontre fréquemment (Troie, Sodome, Gomorrhe, la cité des Phéaciens). La destruction limitée qui ne fait pas périr la population totale, mais seulement une partie importante, apparaît trois fois dans la structure de l’Odyssée : Hélios exige la destruction de l’équipage d’Ulysse à Thrinacie ; Poséidon pétrifie le bateau des Phéaciens (au lieu de leur cité complète) ; Athéna élabore un plan pour anéantir les prétendants. Bien évidemment, dans l’Ancien Testament, ces assemblées divines prennent une autre tournure, Yahvé tient le rôle du dieu père du ciel et du dieu conseiller du héros, tandis que Satan occupe le rôle du dieu en colère, comme on le voit dans le Livre de Job. Le motif est donc adapté, et même renouvelé lorsque ce sont Abraham ou Moïse, des mortels, patriarches et prophètes, qui dialoguent avec Yahvé. L’autre innovation consiste à donner à ces mortels d’exception le rôle du dieu qui propose une solution tempérée pour éviter la destruction totale d’une population ou d’une cité. La scène de l’assemblée des dieux, en définitive, peut se subdiviser en deux, selon qu’elle est placée vers le début d’un récit épique pour augurer d’actions d’envergure – et c’est le dieu conseiller qui s’entretient avec le père du ciel –, ou qu’elle a pour but de conclure ces actions souvent par la destruction totale – et l’interlocuteur du père du ciel est alors le dieu en colère.

7Au chapitre 2, intitulé « Theoxeny, Odyssey 1, 3, 13-22, and Genesis 18-19 », p. 30-56, est étudiée la scène d’hospitalité, si importante dans l’architecture de l’Odyssée. Dans le cas particulier de la théoxénie, un dieu se cache derrière le visage de l’étranger à l’identité inconnue qui se présente pour être accueilli. L’Odyssée et la Genèse offrent une présentation nuancée de cette scène, qui peut être positive quand la communauté accueille l’hôte divin selon les usages, ou négative quand elle viole les règles de l’hospitalité. L’Odyssée, dans sa seconde partie, innove en donnant à Ulysse le rôle normalement joué par la divinité outragée. Substitut du dieu, Ulysse va agir comme l’instrument de la « colère divine » d’Athéna à l’encontre des prétendants (« virtual theoxeny »). De ce fait, le massacre des prétendants devient un acte héroïque, et non un châtiment venu du ciel, comme dans Gen. 19. Et ce motif, qui n’est pas propre au type de mythe héroïque, est intégré à l’intrigue de l’Odyssée de manière à enrichir l’action héroïque.

8Dans le chapitre 3, « Romance. The Odyssey and the myth of Joseph (Gen. 37, 39-47) ; Autolykos and Jacob », p. 57-104, BL explique ce qu’il entend par « romance » : un récit dont le protagoniste, protégé du dieu suprême, est, de son propre fait, séparé de sa famille pour de longues années, piégé dans une contrée étrangère et merveilleuse ; emprisonné, il fait penser au personnage retenu aux Enfers. En raison de sa piété, le dieu va œuvrer pour ses retrouvailles avec sa famille, qui le croyait mort. Et son retour va ressembler à un triomphe sur la mort. La scène de reconnaissance constitue l’acmé de ce type de récit, puisque le héros retrouve un membre de sa famille qui lui est particulièrement cher, dans des circonstances chargées d’émotion. Les bons sont récompensés et les déloyaux sont punis. La fin du récit renvoie à l’état de départ et clôt un cycle. BL montre que le mythe de Joseph est celui avec lequel on peut établir le parallèle ancien le plus pertinent concernant l’usage de ce type de récit dans l’Odyssée.

9Au chapitre 4, « Odyssey 4. Helen and Rahab (Josh. 2) ; Menelaus and Jacob (Gen. 32 : 22-32) », p. 105-123, l’auteur s’intéresse à des histoires racontées par des personnages autres qu’Ulysse, qui reflètent seulement la structure générale de l’Odyssée et ont un impact plus localisé. Il s’agit en particulier des deux récits faits à Télémaque, hôte de Ménélas : celui qu’Hélène donne de l’entrée d’Ulysse dans Troie déguisé en mendiant, et celui de Ménélas rapportant son combat contre le dieu Protée. Ces histoires emploient des thèmes centraux à l’Odyssée : le déguisement, l’espionnage, les errances et les prédictions, constituant des « moments-clés miniatures » de l’histoire plus vaste contée par l’épopée. BL montre que ces deux récits ont des liens à ne pas négliger avec des récits de l’Ancien Testament également : lorsque Josué envoie dans Jéricho deux espions, qui rencontrent la prostituée Rahab, celle-ci s’efforce de les sauver et de ne rien dévoiler de leur identité ; de même Hélène accueillant Ulysse déguisé en mendiant jure de ne pas révéler qui il est. Dans les deux cas aussi, la femme se place du côté des envahisseurs qui projettent de détruire la cité. Le récit de Ménélas qui reçoit l’assurance de gagner l’île des Bienheureux peut être rapproché de celui de Jacob combattant Elohim et recevant de lui une bénédiction. En comparant ces deux groupes de récits, l’auteur essaie de montrer ce qui est traditionnel dans ces récits et quels détails sont plus spécifiques à la construction narrative de l’Odyssée.

10Au chapitre 6, « Odyssey 6-8, 10-12, 13. 1-187 ; Genesis 28-33 ; Argonautic myth. Odysseus and Nausikaa / Kirke ; Jason and Medea ; Jacob and Rachel », p. 135-163, BL étudie le troisième type de mythe le plus important dans l’Odyssée avec ceux qu’il a intitulés « theoxeny » et « romance », et qui sont présents pareillement dans le livre de la Genèse. L’intérêt de ce chapitre est qu’il rapproche de façon éclairante les héros et héroïnes des récits grecs du récit de l’Ancien Testament qui met en scène Jacob et Rachel : le héros doit quitter sa maison pour aller prendre femme ; Rachel sera son épouse ; il rencontre des difficultés de la part de son beau-père Laban et doit travailler pour lui de longues années ; il a recours à la magie pour accroître ses troupeaux ; enfin, Rachel dérobe les Teraphim (idoles du foyer) de Laban au moment de quitter sa maison. On reconnaît dans cette trame des éléments du récit odysséen et des aventures de Jason et Médée, que l’auteur analyse avec précision.

11Cette étude parvient donc à montrer que dans l’Odyssée sont associés des « genres de mythe » distincts, qui sont également présents dans les cultures proche-orientales. Si des parallèles peuvent s’établir avec plusieurs traditions, mésopotamienne (en particulier avec l’Épopée de Gilgameš), égyptienne et ougaritique, c’est cependant avec l’Ancien Testament – et en particulier avec le livre de la Genèse – que la perspective choisie par BL pour analyser ces récits a mis en évidence le plus grand nombre de rapprochements. Son travail permet donc de contextualiser des éléments mythologiques de l’Odyssée et ainsi de faciliter leur compréhension ou d’éclairer leur insertion dans l’épopée homérique. À ce titre, il sera très utile à tout chercheur intéressé par ce type d’études comparées.

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Notes

10 « By a genre of myth I mean that myths can be seen as falling into, or existing, in specific categories, each usually consisting of a few interconnected type-scenes », p. 2.

11 BL fait appel ici (p. 11) à la distinction établie par K.L. Sparks, Ancient Texts for the Study of the Hebrew Bible, Peabody, Hendrikson Publishers, 2005, p. 4 : « At least four basic types of diffusion are distinguishable : direct connection (A is dependent upon B), a mediated connection (A knows about B from source C), a common source (A and B utilized a common source, C), and a common tradition (A and B have no immediate connections but participate in a common tradition) ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Christine Dumas-Reungoat, « B. Louden, Homer’s Odyssey and the Near East »Kentron, 27 | 2011, 156-160.

Référence électronique

Christine Dumas-Reungoat, « B. Louden, Homer’s Odyssey and the Near East »Kentron [En ligne], 27 | 2011, mis en ligne le 02 mars 2018, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/1306 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.1306

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