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Dossier thématique : Transferts, emprunts, réappropriations

Pisistrate au Lycée ou le temps de Cronos retrouvé

Francis Larran
p. 53-88

Résumés

D’après Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 7, les Athéniens auraient vécu, sous Pisistrate, comme au temps de Cronos. Le choix d’Aristote d’associer le tyran athénien à l’âge d’or s’explique en étant replacé dans le contexte intellectuel et politique de production de la Constitution des Athéniens. Si la formule « la tyrannie de Pisistrate était la vie au temps de Cronos » prolonge la légende dorée du tyran née sous la plume d’Hérodote et de Thucydide, elle fait aussi écho aux conceptions historiographiques du IVe siècle qui ont tendance, avec les Xénophon, Isocrate, Théopompe et les Atthidographes, à se focaliser sur des individus exceptionnels et à envisager le passé de la cité athénienne sous un angle nostalgique et partisan. Le portrait de Pisistrate dans la Constitution des Athéniens porte également les marques des méthodes d’investigation du Lycée, puise ses qualités dans le panthéon des vertus aristotéliciennes et entend sans doute aussi participer au débat sur le bon dirigeant ouvert au IVe siècle par Xénophon, Platon et Isocrate. Il semble enfin envisageable de comprendre la survalorisation légendaire de Pisistrate dans la Constitution des Athéniens par la volonté d’Aristote d’utiliser le portrait du tyran athénien comme un miroir princier destiné à guider les actions d’Alexandre ou bien à convaincre les Athéniens des bénéfices à tirer de leur mise sous tutelle macédonienne.

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Texte intégral

  • 1 Cf. Murray 1995, 148.

1Pour O. Murray, l’analyse de la tyrannie livrée par Aristote dans la Politique et nourrie par les informations collectées lors de la rédaction des 158 politeiai grecques menée par le Lycée reste « la plus fondée historiquement »1 parmi toutes celles proposées par les penseurs du IVe siècle. La remarque a de quoi surprendre, car Aristote peut lui aussi se livrer à des jugements anachroniques ou à des analyses partisanes. Il envisage même de prêter foi à l’opinion commune :

Il faut aussi se servir des maximes qui sont dans toutes les bouches et employées par le commun des hommes, si elles sont utilisables ; parce qu’elles sont communes, on les croit fondées sur le consentement unanime et d’une parfaite justesse ; […]

  • 2 Aristote, Rhétorique, II, 21, 1395 a (traduction Dufour 1938, 109).

χρῆσθαι δὲ δεῖ καὶ ταῖς τεθρυλημέναις καὶ κοιναῖς γνώμαις, ἐὰν ὦσι χρήσιμοι. διὰ γὰρ τὸ εἶναι κοιναί, ὡς ὁμολογούντων πάντων, ὀρθῶς ἔχειν δοκοῦσιν […]2.

  • 3 Depuis Hésiode, l’âge de Cronos fait figure d’âge d’or dans la littérature grecque. Les Tra (...)
  • 4 Aristote, Constitution d'Athènes, XIII, 1-2. Sur la solidité du régime de Pisistrate, son a (...)

2Comme exemple susceptible de contrarier la formule d’O. Murray, on compte, dans le corpus aristotélicien, l’élogieux portrait de Pisistrate, un tyran sous lequel les Athéniens auraient, disait-on, vécu comme à l’âge d’or3, car, en leur faisant retrouver la paix et la tranquillité, il mit fin à la stasis qui déchirait la cité après le départ de Solon4. La Constitution d'Athènes rappelle ainsi :

Il ne gênait la foule en rien pendant sa domination, mais il préparait toujours la paix et maintenait la tranquillité. C’est pourquoi [lacune : on répétait souvent ?] que la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos.

  • 5 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 7 (traduction Sève 2006, 84).

Οὐδὲν δὲ τὸ πλῆθος οὐδ’ ἐν τοῖς ἄλλοις παρ<ην>ώχλει κατὰ τὴν ἀρχήν, ἀλλ’ αἰεὶ παρεσκεύαζεν εἰρήνην καὶ ἐτήρει τὴν ἡσυχίαν˙ διὸ καὶ πολλὰ κλέ[α ἐ]θρ[ύλλο]υν ὡς ἡ Πεισιστράτου τυραννὶς ὁ ἐπὶ Κρόνου βίος εἴη‧5

  • 6 Sur le débat autour des qualités d’historien prêtées à Aristote, voir Gregorio 2001, (...)
  • 7 Selon N. Loraux, « Thucydide n’est pas un collègue », Quaderni di storia, 12, 1980, (...)
  • 8 À la différence de Zatta 2010, qui montre, à partir d’Aristote, Constitution d'Athènes, XVI (...)
  • 9 Sans prétendre donner une solution à l’épineuse question de l’identité de l’auteur de la Co (...)

3Plutôt que de prêter à Aristote des analyses susceptibles de répondre à nos canons contemporains de l’analyse historique6, la démarche la plus prudente reste de suivre l’appel à la vigilance lancé par N. Loraux7 et de considérer les sources littéraires anciennes dans leur singularité historique. Contre la tentation de voir dans la Constitution d'Athènes une archive taillée sur mesure pour les historiens d’aujourd’hui, il s’agira de replacer la formule « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » dans son contexte intellectuel de production pour en cerner l’origine et le sens8. On pourra ainsi comprendre dans quelle mesure la reprise de cette formule par Aristote9 est liée aux conceptions historiographiques du IVe siècle et à leurs enjeux mémoriels, combien elle dépend de la volonté du Stagirite de répondre aux polémiques du temps sur les traits à donner à la figure du monarque idéal. Cette formulation, enfin, nous invite à questionner les débats politiques qui agitent Athènes à l’heure de sa mise sous tutelle macédonienne.

  • 10 Pour la datation de la Constitution d'Athènes, nous privilégions l’hypothèse d’une période (...)

4La richesse du portrait de Pisistrate dans la Constitution d'Athènes n’est pas toujours là où l’on croit la trouver : plus qu’une simple compilation de données historiques passées au crible de la lucidité aristotélicienne, la figure du tyran athénien est surtout une pièce à replacer dans le puzzle des débats intellectuels des années 330-32010.

Pisistrate au temps de Cronos, une tradition venue de l’historiographie classique ?

  • 11 Sur la tradition légendaire entourant la figure de Pisistrate depuis la fin de l’époque a (...)
  • 12 Pour Day & Chambers 1962, 175, l’examen du chapitre XVI de la Constitution d'Athènes mont (...)
  • 13 Hérodote compte parmi les penseurs les plus estimés par Aristote. Considéré comme le type (...)

5Quel chemin explorer pour espérer remonter aux origines de la tradition assurant, dans la Constitution d'Athènes, que « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » ? Faut-il d’abord interroger les textes historiques de la seconde moitié du Ve siècle qui, les premiers, transmettent la légende dorée du tyran athénien11 ? Élogieux, le portrait aristotélicien de Pisistrate fait écho aux informations recueillies par Hérodote comme par Thucydide12. À chaque fois, il s’agit de vanter le gouvernement de Pisistrate pour sa capacité à respecter les lois de Solon. À l’instar d’Hérodote13, qui affirme que

Dès lors [Pisistrate] fut maître d’Athènes, mais sans rien changer dans les magistratures existantes et sans toucher aux lois ; il s’appuya sur les institutions en vigueur et son administration fut sage et bonne.

  • 14 Hérodote, I, 59 (traduction Barguet 1964, 73). Pour une mise en perspective critique des (...)

Ἔνθα δὴ ὁ Πεισίστρατος ἦρχε Ἀθηναίων, οὔτε τιμὰς τὰς ἐούσας συνταράξας οὔτε θέσμια μεταλλάξας, ἐπί τε τοῖσι κατεστεῶσι ἔνεμε τὴν πόλιν κοσμέων καλῶς τε καὶ εὖ14,

6Aristote rappelle que

[…] le plus important de tout ce qu’on a dit est qu’il était d’un caractère affable et bienveillant. Car en tout domaine il voulait tout administrer conformément aux lois, sans s’attribuer aucun avantage.

  • 15 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 8 (traduction Sève 2006, 85).

Μέγιστον δὲ πάντων ἦν τῶν ε[ἰρη]μένων τὸ δημοτικὸν εἶναι τῷ ἤθει καὶ φιλάνθρωπον. Ἔν τε γὰρ τοῖς ἄλλοις ἐβούλετο πάντα διοικεῖν κατὰ τοὺς νόμους15.

  • 16 Cf. Thucydide, I, 17.
  • 17 Cf. Thucydide, VI, 54, 6.

7Bien qu’il ait une mauvaise image de la tyrannie16, Thucydide estime également que, sous le régime de Pisistrate et de ses fils, la cité gardait les lois anciennes ([…] ἡ πόλις τοῖς πρὶν κειμένοις νόμοις ἐχρῆτο)17.

  • 18 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XIII, 4.

8La tradition positive du tyran athénien est ainsi prolongée par Aristote. Il manque cependant l’essentiel. Ni Hérodote ni Thucydide n’évoquent la tradition assurant que « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos », n’affublent Pisistrate de l’adjectif « proche du peuple » (dèmotikos)18 ou ne disent encore de lui que

[il] administrait avec modération les affaires de la cité, en citoyen plutôt qu’en tyran. Il était en général bienveillant et doux, et enclin au pardon envers les fautifs ; et en particulier, il avançait de l’argent aux indigents pour leurs activités, en sorte qu’ils tirent leur subsistance de l’agriculture.

  • 19 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2 (traduction Sève 2006, 83 sq.).

Διῴκει δ’ ὁ Πεισίστρατος, ὥσπερ εἴρηται, τὰ περὶ τὴν πόλιν μετρίως καὶ μᾶλλον πολιτικῶς ἢ τυραννικῶς˙ Ἔν τε γὰρ τοῖς ἄλλοις φιλάνθρωπος ἦν καὶ πρᾷος καὶ τοῖς ἁμαρτάνουσι συγγνωμονικός, καὶ δὴ καὶ τοῖς ἀπόροις προεδάνειζε χρήματα πρὸς τὰς ἐργασίας, ὥστε διατρέφεσθαι γεωργοῦντας19.

9Dans la quête des origines de la tradition mentionnée au chapitre XVI de la Constitution d'Athènes et de la survalorisation légendaire de Pisistrate chez Aristote, il semble nécessaire d’abandonner la piste de la tradition historique née au Ve siècle pour privilégier celle de la pensée historiographique du IVe siècle.

  • 20 L’influence d’Éphore sur Aristote est probable. Ses analyses sur la tyrannie de Pisistrat (...)
  • 21 Sur le travail de compilation d’Éphore et son goût du savoir encyclopédique, voir (...)
  • 22 Nous nous rangeons ici à l’avis de J. Souilhé, selon lequel le dialogue Hipparq (...)

10Tels Éphore20 et Timée, Aristote cherche-t-il à compiler, dans la Constitution d'Athènes, toutes les informations accessibles21, à bâtir une œuvre à partir d’autres œuvres et ainsi à enrichir le savoir historique ? Aux élèves du Stagirite de consulter, dans cette perspective, les différents écrits qui évoquent la tyrannie de Pisistrate, qu’ils soient l’œuvre d’historiens ou bien encore d’académiciens qui, soucieux d’essayer leurs talents, produisent des dialogues poursuivant l’entreprise philosophique de leur maître Platon. Le dialogue du Pseudo-Platon, Hipparque ou l’homme cupide, pourrait ainsi être à l’origine22 de la tradition sur Pisistrate, puisqu’il associe en 229 b 3-7, pour la première fois dans la littérature grecque ancienne, le tyran à l’âge de Cronos. En faisant sienne une tradition utilisée par le Pseudo-Platon pour présenter, dans une perspective oligarchique, Hipparque comme le modèle du chef d’État, Aristote cherche peut-être à compléter les informations recueillies par Hérodote et Thucydide.

  • 23 L’influence d’Isocrate sur Aristote est d’autant plus probable que le Stagirite est passé (...)
  • 24 Xénophon, Helléniques, V, 1, 4, considère ainsi que l’étude des personnalités marquantes (...)
  • 25 Xénophon est notamment l’auteur d’une histoire idéalisée de la jeunesse de Cyrus le Grand (...)
  • 26 On retiendra par exemple les éloges des rois Agamemnon et Évagoras (Panathénaïque [XII], (...)
  • 27 Sur le rôle historique majeur accordé à Philippe de Macédoine dans Les Philippi (...)
  • 28 D’une façon plus générale, on notera qu’Aristote s’intéresse aussi, dans la Constitution (...)

11Par la reprise d’une formule laudative ignorée ou délaissée par les historiens du Ve siècle, le portrait aristotélicien de Pisistrate s’inscrit-il dans la tradition du portrait moral et de l’éloge individuel lancée par Xénophon et Isocrate23 ? Fascinés par l’affirmation d’individus exceptionnels24, appelés à jouer, depuis la Guerre du Péloponnèse et avec la montée en puissance de la monarchie macédonienne, un rôle providentiel sur la scène internationale, les hommes de lettres du IVe siècle retiennent les vertus comme des armes décisives et célèbrent volontiers les hommes prompts à les utiliser pour guider le cours de l’histoire. Dans la galerie des éloges et des portraits moraux nés sous la plume de Xénophon25, d’Isocrate26, de Théopompe de Chios27 et des historiens d’Alexandre, le portrait du Pisistrate de la Constitution d'Athènes pourrait s’inscrire dans cette nouvelle orientation historiographique28.

  • 29 Selon Rhodes 1981, 189, l’anecdote sur la réaction de Solon face à la demande de Pisistra (...)
  • 30 Voir ici Jacoby 1949, 185 sq., et Day & Chambers 1962, 175.
  • 31 Hartog 2005, 69, remarque à ce sujet : les cités du IVe siècle « sont soucieuses de fixer (...)
  • 32 Voir ici Petre 2000.

12Éphore, Timée, Xénophon, Isocrate, Théopompe…, la liste est longue mais incomplète, car, parmi les inspirateurs probables du portrait aristotélicien de Pisistrate, il faut encore compter sur les Atthidographes. Outre quelques anecdotes29 et informations chronologiques précises30 qu’il puise dans les Atthis, Aristote s’engage, comme eux, dans une interprétation partisane et nostalgique du passé athénien31. Dans un siècle qui propose, depuis la Guerre du Péloponnèse, non plus une lecture commune de l’histoire athénienne, mais des interprétations plurielles et antagonistes du passé32, la figure de Pisistrate se pare, avec la tradition relative à l’âge de Cronos, d’une dimension mémorielle utile à Aristote pour faire valoir, dans l’agôn des conceptions historiographiques, sa conception d’une identité athénienne respectueuse de l’héritage législatif solonien.

  • 33 Sur la conception linéaire de l’histoire dans les Atthis, voir Hartog 1997, 133 notamment (...)
  • 34 Sur les Atthis comme chroniques articulées autour des règnes de rois et des magistratures (...)
  • 35 Symptomatique de l’intérêt que portent au passé des cités qui entreprennent au IVe siècle (...)
  • 36 Par exemple, Aristote, Constitution d'Athènes, XVII, 1-2, considère comme anachronique la (...)
  • 37 Sur la diversité des sources exploitées par les Atthis, cf. Harding 2008, 3 sq.
  • 38 Aristote, Constitution d'Athènes, XIII, 5, exploite ainsi des listes de citoyens révisées (...)
  • 39 Aristote, Constitution d'Athènes, XIX, 3, et XX, 5, utilise ainsi d’anciennes chansons de (...)
  • 40 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 8 : « Ce qu’on citait le plus, c’éta (...)
  • 41 Il partage ce souci avec les Atthidographes : cf. Harding 2008, 3.

13La tentation est donc grande de voir dans les Atthis la source de la tradition associant Pisistrate à l’âge de Cronos, même si les preuves concrètes manquent tant les textes des Atthidographes sont conservés à l’état fragmentaire. Effectivement, les similitudes entre leurs travaux et la Constitution d'Athènes se donnent, nombreuses, à lire jusque dans le portrait de Pisistrate. Comme les Atthis33, Aristote voit dans le régime pisistratique une étape mémorable dans l’histoire linéaire et continue de la cité athénienne. À l’image des Atthidographes34, il utilise avec minutie des listes d’archontes35 comme trame chronologique pour traquer les anachronismes de ses prédécesseurs36. Comme les Atthidographes enfin, Aristote met à profit des sources de tout type37 pour cerner au plus près la mémoire collective athénienne de la tyrannie de Pisistrate et de ses fils : des sources matérielles38, des chansons de table39 et des traditions orales40. Elles permettent à Aristote d’expliquer certains aspects du présent athénien41 et de détailler la carte de ses lieux de mémoire :

C’est au cours d’une de ces sorties, dit-on, qu’arriva à Pisistrate l’anecdote de l’homme qui cultivait sur l’Hymette le champ appelé plus tard le “champ non imposable”. Avisant donc quelqu’un qui piochait et travaillait une terre qui n’était que pierres, par étonnement, il chargea son esclave de demander ce qui poussait dans le champ : “Rien que des maux et des douleurs”, dit l’autre, “et il faut que Pisistrate prenne la dîme de ces maux et de ces douleurs”. L’homme avait répondu sans le connaître, et Pisistrate, ravi de sa franchise et de son ardeur au travail, l’exempta de tout impôt.

  • 42 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 6 (traduction Sève 2006, 84). Voir encore la (...)

Τοιαύτης γάρ τινος ἐξόδου τῷ Πεισιστράτῳ γιγνομένης συμβῆναί φασι τὰ περὶ τὸν ἐν τῷ Ὑμηττῷ γεωργοῦντα τὸ κληθὲν ὕστερον χωρίον ἀτελές. Ἰδὼν γάρ τινα παντελῶς πέτρας σκάπτοντα καὶ ἐργαζόμενον, διὰ τὸ θαυμάσαι τὸν παῖδα ἐκέλευσεν ἐρέσθαι τί γίγνεται ἐκ τοῦ χωρίου˙ ὁ δ’ « ὅσα κακὰ καὶ ὀδύναι, ἔφη, καὶ τούτων τῶν κακῶν καὶ τῶν ὀδυνῶν Πεισίστρατον δεῖ λαβεῖν τὴν δεκάτην ». Ὁ μὲν οὖν ἄνθρωπος ἀπεκρίνατο ἀγνοῶν, ὁ δὲ Πεισίστρατος ἡσθεὶς διὰ τὴν παρρησίαν καὶ τὴν φιλεργίαν ἀτελῆ πάντων ἐποίησεν αὐτόν42.

  • 43 Comme le rappellent Lycurgue, Contre Léocrate, 95 sq., et son anecdot (...)

14À l’instar de la tradition associant Pisistrate à l’âge d’or, l’anecdote sert sans doute l’identité d’une cité qui cherche, déstabilisée par la défaite de Chéronée (338), à se rassurer par une relecture patriotique des vestiges d’un passé grandiose43.

  • 44 Alors que Thucydide, VI, 54, 5, estime que Pisistrate exigeait des Athéniens le vingtième (...)

15La conclusion semble s’imposer d’elle-même : à l’instar des analyses des Atthidographes ou bien encore des remarques du Pseudo-Platon, la représentation aristotélicienne du tyran Pisistrate pourrait s’inscrire dans une voie politique partisane. Les similitudes sont nombreuses entre les Atthis et la Constitution d'Athènes, les partis pris d’Aristote apparents. Sans doute, mais le détail du texte se montre rétif. À l’image des autres développements de la Constitution d'Athènes, les chapitres consacrés à Pisistrate pourraient se distinguer par leur manque de cohérence politique. Si la tradition conservatrice domine, elle cohabite souvent avec des analyses de tendance démocratique défavorables au tyran athénien. Comment, par exemple, expliquer qu’Aristote puisse tout à la fois louer, grâce à des traditions orales, Pisistrate pour son humanité à l’égard du peuple athénien et considérer qu’il lui impose une taxe, la dîme, plus lourde que celle mentionnée par Thucydide44 ?

  • 45 Voir respectivement ici : le compte rendu par H. Diels de F. G. Kenyon, Aristotle, On the (...)
  • 46 Cf. J. de Romilly 1991.
  • 47 Cf. Mathieu 1915, V-VI.

16Déroutants, les paradoxes du texte n’ont de cesse d’alimenter les débats historiographiques sur le positionnement politique de la Constitution d'Athènes. On a tout essayé : un traité aristocratique ou oligarchique, un manifeste en faveur des idées modérément conservatrices d’Isocrate ou d’Androtion, un ouvrage conduit par les idées politiques de l’école platonicienne, une œuvre démocratique inspirée par la réaction patriotique qui suit l’affaire d’Harpale45… Le foisonnement d’hypothèses trahit à lui seul nos difficultés à appréhender le sens de la démarche d’Aristote : la présence de traditions politiques antagonistes dans son œuvre signe-t-elle son incapacité à porter un regard critique sur les sources consultées ? Traduit-elle, au contraire, une neutralité politique ou un désir d’objectivité46 ? Cherche-t-il encore à fusionner des traditions politiques différentes47 pour livrer un point de vue personnel sur l’histoire athénienne ?

17De la vivacité des controverses et de l’incapacité des historiens contemporains à trouver une solution consensuelle, il faut sans doute conclure au défaut du questionnement posé. La solution du débat historiographique n’est peut-être pas tant à trouver dans le texte d’Aristote que dans notre représentation de l’intellectuel des mondes anciens. Plutôt que d’envisager la Constitution d'Athènes dans une perspective politique anachronique et la tradition associant Pisistrate à l’âge de Cronos comme une donnée au service d’une étude historique, il est sans doute plus prudent de les considérer d’abord pour ce qu’elles sont fondamentalement : des arguments mis au service du projet philosophique aristotélicien.

Pisistrate au temps de Cronos, une tradition au cœur des polémiques intellectuelles du IVe siècle

18Acceptons dès lors d’éclairer la tradition célébrant Pisistrate sous un jour nouveau et de voir en lui le fruit de l’historia aristotélicienne.

  • 48 Sur l’influence des recherches biologiques sur le vocabulaire et la pensée poli (...)
  • 49 Sur l’absence de prétention encyclopédique de la zoologie aristotélicienne, voir (...)
  • 50 Aristote, Politique, IV, 4, 1290 b 25 sq., rappelle combien la méthode comparative des co (...)

19Produit de la nature, animal politique, Pisistrate est susceptible, comme tout être vivant, d’être l’objet d’une enquête empirique48. Plus ramassé que son précédent hérodotéen, le portrait aristotélicien du tyran tend, comme les analyses biologiques du Stagirite, moins à l’encyclopédisme qu’à la démonstration théorique49. Pas plus qu’il ne faut dénombrer de façon exhaustive tous les animaux pour les classer en grandes familles, il n’est question, dans la Constitution d'Athènes, de conter dans le détail les vicissitudes du parcours de Pisistrate. Sans céder entièrement à une vision téléologique de l’histoire, Aristote entend probablement composer un dossier sur Pisistrate utile pour comparer les tyrannies grecques50 entre elles et ainsi servir ses théories politiques.

  • 51 Cf. Jaeger 1997, 341 ; I. Düring, Aristoteles, Darstellung und Interpretation seines (...)
  • 52 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XIII, 5 (sèmeion).
  • 53 Il en va ainsi du nom du « champ non imposable » (cf. Aristote, Constitution d'Athènes, (...)
  • 54 Cf. Larran 2011, 216-219.
  • 55 Cf. Aristote, Rhétorique, II, 21, 1395 a.

20Menée à partir des investigations des disciples du Lycée51, l’enquête sur Pisistrate suit également la voie méthodologique empirique ouverte par les traités aristotéliciens de sciences naturelles. Elle se fie ainsi surtout aux sens pour sélectionner des informations : il faut relever des indices52, repérer les traces visibles du legs pisistratique53 et écouter les traditions orales. Réhabilitée par Isocrate54, régulièrement mise à profit par Aristote, la consultation des traditions orales comme celle affirmant que « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » est considérée comme une étape sur le chemin menant à la vérité. Les rumeurs, les légendes, les proverbes, les maximes ont eux aussi leur intérêt, car ils expriment la pensée de la majorité55.

  • 56 Par exemple Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 4, 2-4 ; De l’âme, II, 1, 403 b ; (...)
  • 57 Cf. S. Mansion, « Le rôle de l’exposé critique des philosophies antérieures chez Aristote (...)
  • 58 Pour Aristote, Topiques, I, 1, 100 b 21, un endoxon est une opinion (doxa) admi (...)
  • 59 Pour Aristote, les hommes du commun comme les philosophes peuvent avoir part à la vérité (...)
  • 60 Pour Crubellier & Pellegrin 2002, 134 sq., « Il est important de remarquer que cette list (...)
  • 61 La Constitution d'Athènes cherche à suivre les interprétations historiques les plus vrais (...)
  • 62 Au sujet du portrait de Pisistrate dans la Constitution d'Athènes, Rhodes 1981, 180, 185 (...)
  • 63 Pour la ruse du char de Pisistrate, Aristote, Constitution d'Athènes, XIV, 4, p (...)
  • 64 Pour Aristote, Métaphysiques, II, 1, 993 a 30-b 5, le progrès de la connaissance scientif (...)
  • 65 Pour Mathieu 1915, 50 sq., Aristote fusionne ainsi des versions contradictoires dans son (...)

21Comme les autres traités aristotéliciens56 qui commencent par une doxographie dont la légitimité repose sur la conviction que les opinions des autres portent une part de vérité57, il s’agit, avec le portrait de Pisistrate, de repérer tous les endoxa58, qu’ils appartiennent au commun – les on-dit59 – comme au plus savant, de les hiérarchiser en fonction de leur audience60, de leur vraisemblance61, et non de leur orientation politique, de les critiquer62, de les épurer63, de les compiler64 et de les fusionner65 pour espérer avancer sur le chemin de la connaissance,

car celui qui est apte à trouver les endoxa est dans la même disposition que celui qui est apte à trouver la vérité.

  • 66 Aristote, Rhétorique, I, 1, 1355 a 16 sq. Voir aussi Aristote, Métaphysiques, I (...)

διὸ πρὸς τὰ ἔνδοξα στοχαστικῶς ἔχειν τοῦ ὁμοίως ἔχοντος καὶ πρὸς τὴν ἀλήθειάν ἐστιν66.

  • 67 Les œuvres d’Aristote se composent de deux sortes de traités : les traités exotériques, (...)
  • 68 Cf. Crubellier & Pellegrin 2002, 29-35.
  • 69 Voir ici Hadot 1995, 139-141, et Darbo-Peschanski 2007, 125-132. Ober 1998, 353-358, cons (...)

22Écouter les traditions orales populaires et d’une façon générale les différents endoxa sur le sujet traité relève ainsi chez Aristote d’une démarche méthodologique propre aux œuvres ésotériques67, parmi lesquelles il faut ranger la Constitution d'Athènes. Texte conçu pour l’usage interne du Lycée, rédigé sans souci littéraire, composé d’une série de notes destinées à être retravaillées à plusieurs reprises et à plusieurs mains68, le portait de Pisistrate ne souffre pas ainsi de ses contradictions. Il en vit. Parce que l’élaboration de la connaissance aristotélicienne est le fruit de discussion collective, de jugement, d’arbitrage et de lente maturation intellectuelle69, il faut, dans le cadre d’une recherche ouverte, mettre sans cesse les endoxa à la question pour en retenir les meilleurs, indépendamment les uns des autres, sans chercher à les fondre préalablement dans une argumentation cohérente. Dans un siècle ouvert par les leçons de Socrate, la vérité ne s’impose pas d’elle-même, évidente ou inspirée par les dieux, elle est parole partagée, conclusion consensuelle et vraisemblable, affaire de débat et de discussion. Les contradictions de la figure de Pisistrate ne sont pas ainsi les stigmates d’une pensée prise en défaut, mais bien la marque du procès de production du savoir aristotélicien.

  • 70 Pour l’ensemble de ces qualités, voir Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2-8. Sur l’i (...)

23Passée au crible de la méthode d’investigation du Stagirite, la tradition orale du chapitre XVI de la Constitution d'Athènes célèbre un tyran qui puise ses qualités dans le panthéon des vertus de l’éthique aristotélicienne : doux (praos), humain (philanthrôpos), indulgent (suggnômonikos), modéré (mètrios), juste, généreux, proche du peuple (dèmotikon)70… Le tableau héraldique des qualités de Pisistrate reprend presque terme pour terme les vertus retenues dans la Rhétorique :

Les parties de la vertu sont la justice, le courage, la tempérance, la munificence, la magnanimité, la libéralité, la douceur, la sagesse pratique, la sagesse spéculative. Les plus importantes sont nécessairement les plus utiles à autrui, puisque la vertu est la faculté d’être bienfaisant.

  • 71 Aristote, Rhétorique, I, 9, 1366 b 1-5 (traduction Dufour 1932, 108). Voir aussi Aristote (...)

Mέρη δὲ ἀρετῆς δικαιοσὐνη, ἀνδρεία, σωφροσύνη, μεγαλοπρέπεια, μεγαλοψυχία, ἐλευθεριότης, πραότης, φρόνησις, σοφία. Ἀνάγκη δὲ μεγίστας εἶναι ἀρετὰς τὰς τοῖς ἄλλοις χρησιμωτάτας, εἴπερ ἐστὶν ἡ ἀρετὴ δύναμις εὐεργετική71.

  • 72 Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 5, 5. L’échec des Pisistratides confirme (...)
  • 73 Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 12, 1 ; VI, 12, 6.

24Pour aspirer au titre de bon dirigeant aristotélicien, il manque cependant encore à Pisistrate la prudence. Si la Constitution d'Athènes ne mentionne pas explicitement cette qualité, force est cependant de reconnaître que l’ensemble des vertus que le traité prête au tyran suggère qu’il appartient à la même espèce d’administrateurs que Périclès72. La formule « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » confirme d’ailleurs qu’il assure, comme les hommes politiques les plus prudents73, le bonheur des siens.

25Le portrait est flatteur, la sélection des informations orientée, l’intention délibérée. Porté par une légende dorée célébrant les vertus de sa tyrannie, Pisistrate s’offre à Aristote comme un exemple type de ses théories politiques. Loin de nos canons contemporains de l’analyse, il s’agit moins de brosser un portrait historiquement juste que d’élaborer une figure philosophiquement utile. Sa fonction est sans doute triple.

  • 74 Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 1, 8 ; V, 1, 13.
  • 75 Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, 1, 3-4, et J. de Romilly 1979, 190.
  • 76 Cf., respectivement, Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2 ; Politique, VII, 2, (...)
  • 77 Pour Aristote, Politique, VII, 13, 1332 a 31-33, une cité est vertueuse quand ses dirigea (...)
  • 78 Pour Aristote, la fin de la politique est le bonheur de la communauté civique (to eu zèn) (...)

26Elle rappelle tout d’abord à des contemporains, bercés par les bruits élogieux sur le tyran athénien, que le bonheur d’une communauté civique repose d’abord sur des qualités humaines, telles que la douceur, l’humanité et la justice74, toutes nécessaires pour renforcer la philia entre ses membres75. Par sa capacité à agir en citoyen (politikôs) et non en tyran despotique, Pisistrate « ne gênait en rien le peuple et veillait à sa tranquillité »76. Il montre alors l’exemple à suivre77 et ouvre ainsi, comme le rappelle la tradition orale étudiée, la voie aux Athéniens du VIe siècle vers l’idéal de la cité aristotélicienne, le bien vivre (to eu zèn)78.

  • 79 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XIV-XV.
  • 80 Cf. Aristote, Politique, V, 4, 1304 b 7-17, et Contogiorgis 1978, 227-230.

27La figure de Pisistrate s’offre également aux élèves du Lycée comme une démonstration concrète des théories politiques aristotéliciennes. Si l’exemple de ses prises de pouvoir79 valide l’idée selon laquelle les changements de politeia s’effectuent tantôt par la ruse tantôt par la violence80, les traditions orales retenues au chapitre XVI de la Constitution d'Athènes illustrent, en consacrant le succès de la politique menée par Pisistrate, le bien-fondé des conseils suggérés aux tyrans dans le livre V de la Politique. Aristote remarque ainsi :

Un moyen de maintenir la tyrannie, c’est de rendre son autorité plus royale […]. Tout d’abord, [le tyran] doit paraître se soucier des fonds publics, ne les gaspillant pas en cadeaux qui irritent les masses populaires, quand on arrache à leur travail et à leur peine, sordidement, un argent que l’on prodigue sans compter à des courtisanes, à des étrangers et à des artistes […]. Le tyran prendra un air, non pas sévère, mais grave, et, en outre, propre à inspirer à ceux qui le rencontrent, non pas la peur, mais plutôt le respect […]. Il ne doit donner prise, ni lui-même ni aucune personne de son entourage, au moindre soupçon d’outrage envers l’un de ses sujets, jeune homme ou jeune fille […]. Et comme les États se composent de deux groupes, les gens pauvres et les riches, ce qui importe avant tout pour les uns et les autres, c’est qu’ils comprennent que leur salut dépend du pouvoir […]. […] [le tyran doit montrer] aussi [que], dans toute sa vie, il recherche la mesure et non l’excès ; […].

  • 81 Aristote, Politique, V, 11, 1314 a 34-1315 b 3 (traduction Aubonnet 1973, 87-90).

[…] τῆς τυραννίδος σωτηρία ποιεῖν αὐτὴν βασιλικωτέραν […] πρῶτον μὲν δοκεῖν φροντίζειν τῶν κοινῶν, μήτε δαπανῶντα <εἰς> δωρεὰς τοιαύτας ἐφ’ αἷς τὰ πλήθη χαλεπαίνουσιν, ὅταν ἀπ’ αὐτῶν μὲν λαμβάνωσιν ἐργαζομένων καὶ πονούντων γλίσχρως, διδῶσι δ’ ἑταίραις καὶ ξένοις καὶ τεχνίταις ἀφθόνως […] καὶ φαίνεσθαι μὴ χαλεπὸν ἀλλὰ σεμνόν, ἔτι δὲ τοιοῦτον ὥστε μὴ φοβεῖσθαι τοὺς ἐντυγχάνοντας ἀλλὰ μᾶλλον αἰδεῖσθαι […] ἔτι δὲ μὴ μόνον αὐτὸν φαίνεσθαι μηθένα τῶν ἀρχομένων ὑβρίζοντα, μήτε νέον μήτε νέαν, ἀλλὰ μηδ’ ἄλλον μηθένα τῶν περὶ αὐτόν […] ἐπεὶ δ’αἱ πόλεις ἐκ δύο συνεστήκασι μορίων, ἔκ τε τῶν ἀπόρων ἀνθρώπων καὶ τῶν εὐπόρων, μάλιστα μὲν ἀμφοτέρους ὑπολαμβάνειν δεῖ σώζεσθαι διὰ τὴν ἀρχήν […] καὶ τὰς μετριότητας τοῦ βίου διώκειν, μὴ τὰς ὑπερβολάς81.

  • 82 Voir Vergnières 1995, 244 sq.
  • 83 D’après Aristote, Politique, V, 11, 1314 a 15-29, le tyran cherche à réduire la cohésion (...)
  • 84 Sur la volonté de Pisistrate de mimer la royauté, voir éventuellement Larran 2011, (...)
  • 85 Cf. Aristote, Politique, IV, 2, 1289 a 37-b 4 ; V, 10, 1310 b 1-7 ; voir aussi Petit 1993 (...)

28Longtemps considérés comme un machiavélisme avant la lettre, les conseils d’Aristote ont surtout comme objectif de tempérer les dérives tyranniques82 des dirigeants de son temps et ainsi de les empêcher de saper la communauté civique en ses fondements83. En jouant au roi84 vertueux, respectueux des lois et bienveillant à l’égard de son peuple, le tyran Pisistrate est là comme preuve de la possibilité de redresser la pire des constitutions déviées85. Pacificateur, il sait mener une politique à même de faire taire les différends entre le peuple et les notables et de réconcilier ainsi les deux groupes habituellement en lutte dans les cités :

[…] son pouvoir dura longtemps et, chaque fois qu’il était chassé, il le reprenait facilement. Car la plupart des nobles et des gens du peuple y consentaient : il attirait les uns par ses propos, les autres par ses secours pour leurs affaires privées, et il était par nature bien disposé envers les deux clans.

  • 86 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 9 (traduction Sève 2006, 85).

Διὸ καὶ πολὺν χρόνον ἔμεινεν <ἐν> τῆ ἀρχῇ, καὶ ὅτ’ ἐκπέσοι πάλιν ἀνελάμβανε ῥαδὶως. Ἐβούλοντο γὰρ καὶ τῶν γνωρίμων καὶ τῶν δημοτικῶν οἱ πολλοί˙ τοὺς μὲν γὰρ ταῖς ὁμιλίαις, τοὺς δὲ ταῖς εἰς τὰ ἴδια βοηθείαις προσήγετο, καὶ πρὸς ἀμφοτέρους ἐπεφύκει καλῶς86.

  • 87 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 9 ; XVII, 1, et Politique, V, 12, 13 (...)
  • 88 Cf. Aristote, Politique, II, 9, 1269 a 14-29.
  • 89 Cf. Vergnières 1995, 236 ; 244.
  • 90 Cf. Aristote, Politique, VI, 5, 1319 b 33-41.
  • 91 Alors qu’en matière éthique, l’éloge d’Aristote va à celui qui est prompt à adopter le ju (...)
  • 92 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XI, 2. – Aristote, Rhétorique, II, 23, 1398 b, rapp (...)
  • 93 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 8.
  • 94 Sur les continuités entre la démocratie solonienne et le régime de Pisistrate, cf. Day & (...)
  • 95 En faveur auprès d’Aristote, le régime de Solon mêle ainsi savamment des caractéristiques (...)

29Stabilisateur, il se maintient longtemps au pouvoir87 et évite ainsi le retour d’une stasis qui déchirait Athènes avant l’établissement de sa tyrannie. Il honore, de cette façon, l’objectif proposé à tout législateur de garantir durablement le respect des lois88 et, gage de sa qualité89, la survie du régime politique90. Souple et modéré comme les meilleurs dirigeants91, Pisistrate assure le bonheur des Athéniens en respectant les bonnes lois de Solon92 comme la justice de l’Aréopage93 et tend ainsi, en entrelaçant autorité monarchique et législation démocratique94, à construire un régime politique mixte qui a les faveurs d’Aristote95.

  • 96 Sur le caractère polémique de la littérature politique athénienne du IVe siècle, cf. Carl (...)
  • 97 Cf. Mossé 1963, 164 sq.
  • 98 Platon (La République, Le Politique), Xénophon (La Cyropédie, (...)
  • 99 D’après Aulu-Gelle, Nuits attiques, 14, 3, 3, et Diogène Laërce, III, 34, Xénophon aurait (...)
  • 100 Sur le réalisme aristotélicien, son opposition à l’idéalisme platonicien et sur sa remise (...)
  • 101 Sur l’opposition entre le Lycée d’Aristote et l’Académie de Platon, cf. Diogène Laërce, V (...)
  • 102 Le portrait aristotélicien de Pisistrate emprunte ainsi des traits au topos de la figure (...)

30Les traditions sur Pisistrate mentionnées dans la Constitution d'Athènes pourraient bien également servir la vocation polémique des conceptions politiques aristotéliciennes96. Spectatrice d’un mouvement de recrudescence des régimes tyranniques97, de l’affirmation de la monarchie macédonienne comme, d’une façon plus générale, de l’individu d’exception, la littérature savante du IVe siècle cristallise son attention sur la figure du monarque idéal98 et se divise sur la nature de ses qualités. Platon, Xénophon, Isocrate, Aristote…, chacun apporte sa contribution au débat et livre une œuvre qui, bien souvent, cherche à répondre à celle de ses prédécesseurs99. Indifférente à l’utilisation qu’en feront les philosophes et les historiens contemporains, la pensée aristotélicienne entend elle aussi participer, armée de son réalisme empirique100, à l’agôn intellectuel qui confronte les écoles de pensée athéniennes101. Structurée en fonction des questionnements majeurs de son époque, la figure de Pisistrate permet au Stagirite de prolonger102 ou bien de répondre, point par point, aux analyses de ses devanciers.

  • 103 Inscrite dans le prolongement des conseils de modération donnés par Xénophon au tyran dan (...)
  • 104 Cf. Platon, République, VIII, 562 a.
  • 105 Cf. Aristote, Politique, V, 12, 1316 a 1 sq ; 1316 a 35 sq.
  • 106 Cf. Aréopagitique (VII), 15-16 ; Panathénaïque (XII), 148.
  • 107 Cf. Constitution d'Athènes, XVI, 6 ; XVI, 8. Sur la tradition représentant Pisi (...)
  • 108 Même si Aristote, Constitution d'Athènes, XIV, 1, et XLI, 2, voit dans le régime institué (...)

31S’agit-il d’en découdre au sujet de la nature du régime tyrannique ? Contre le radicalisme des théories platoniciennes et la rigidité de son système de succession des politeiai, le bon gouvernement de Pisistrate célébré dans la Constitution d'Athènes est là pour rappeler que la tyrannie peut adopter des traits monarchiques103 et qu’elle est susceptible de naître, non pas de la démocratie extrême104, mais d’un régime modéré105. Contre la lecture isocratique du passé athénien106, la complexité du régime tyrannique du VIe siècle ne constitue pas, aux yeux d’Aristote, une parenthèse dans l’histoire de la démocratie athénienne107, mais un régime établi dans la continuité de l’entreprise législative solonienne108.

  • 109 Voir Platon, Politique, 276 e ; 301 a-c ; Xénophon, Mémorables, IV, 6, 12 ; Ari (...)
  • 110 Pour Platon, République, IV, 427 c-435 d, la cité parfaite compte quatre vertus cardinale (...)
  • 111 Cyrus : Anabase, I, 9, 16 (justice) ; I, 9, 22 (générosité) – Jason de Phères : Helléniqu (...)
  • 112 Démonicos : À Démonicos (I), 15, 20, 21 (modération, maîtrise de soi, douceur, justice) – (...)
  • 113 Pisistrate agit ainsi de la même façon qu’Évagoras (cf. Isocrate, Évagoras [IX], 46).
  • 114 L’obéissance consentie est généralement tenue comme la marque des bons dirigeants (cf. Xé (...)

32Faut-il s’affronter sur les qualités de l’homme tyrannique ? La tradition associant la tyrannie de Pisistrate au temps de Cronos invite à nuancer l’opposition établie au IVe siècle entre le bon roi et le mauvais tyran dominé par la satisfaction insatiable de ses intérêts personnels109. Chez Aristote, le tyran Pisistrate brille par les qualités prêtées au bon dirigeant par Platon110, Xénophon111 et Isocrate112. Prudent et sage, il tire profit d’un habile mélange des diverses sortes de régimes politiques113 et obtient l’obéissance librement consentie114 d’un peuple ignorant les dangers de l’oisiveté. Aristote rappelle à ce sujet :

Pisistrate […] avançait de l’argent aux indigents pour leurs activités, en sorte qu’ils tirent leur subsistance de l’agriculture. Il faisait cela pour deux raisons : afin qu’ils ne passent pas leur temps en ville, mais soient dispersés dans la campagne, et afin qu’ils aient une aisance suffisante et vaquent à leurs affaires sans désirer s’occuper des affaires publiques ni en avoir le loisir.

  • 115 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2-3 (traduction Sève 2006, 84) ; cf. aussi Constit (...)

[…] καὶ δὴ καὶ τοῖς ἀπόροις προεδάνειζε χρήματα πρὸς τὰς ἐργασίας, ὥστε διατρέφεσθαι γεωργοῦντας. Τοῦτο δ’ ἐποίει δυοῖν χάριν, ἵνα μήτε ἐν τῷ ἄστει διατρίβωσιν ἀλλὰ διεσπαρμένοι κατὰ τὴν χώραν, καὶ ὅπως εὐποροῦντες τῶν μετρίων καὶ πρὸς τοῖς ἰδίοις ὂντες μήτ’ ἐπιθυμῶσι μήτε σχολάζωσιν ἐπιμελεῖσθαι τῶν κοινῶν115.

  • 116 Cf. Xénophon, Cyropédie, I, 6, 17-18.
  • 117 Cf. Isocrate, Lettre à Timothée, 3.
  • 118 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 7 ; Isocrate, Aréopagitique (VII), 5 (...)

33En refusant l’oisiveté à ses sujets, Pisistrate agit finalement comme Cyrus116 ou comme le bon tyran chez Isocrate117 et permet à la cité athénienne de connaître une tranquillité civique118 célébrée par des traditions populaires.

  • 119 Cf. Platon, Lettres, VII, 326 a-b ; République, V, 463 a sq., 473 d ; Politique, 293 d-e, (...)
  • 120 Pour Xénophon, Mémorables, III, 9, et IV, 2, l’art du commandement s’acquiert par l’expér (...)
  • 121 Si Hippias semble avoir hérité des vertus de son père, on notera que la tyrannie se (...)

34Dans une perspective comparable, Aristote prend clairement parti dans le débat sur l’origine des vertus politiques du dirigeant idéal. Encore une fois, il s’agit de battre en brèche la pensée platonicienne et de s’écarter des conceptions politiques de Xénophon et d’Isocrate. Que faut-il au dirigeant ? Une solide éducation philosophique ? de savants conseils ? Contre le roi philosophe platonicien119, à la différence des dirigeants brillamment guidés chez Xénophon et Isocrate120, le Pisistrate d’Aristote montre que l’expérience et la prudence sont deux vertus politiques suffisantes pour mener une cité mais difficiles à transmettre durablement aux descendants du chef121.

  • 122 Pour une idée partielle des principaux enjeux de ce débat, cf. Xénophon, Cyropédie, VIII, (...)

35Est-il enfin nécessaire de poursuivre le débat classique sur le bonheur politique122 ? Le réalisme pragmatique d’Aristote prend une fois de plus le contre-pied des conceptions idéalistes. Les conceptions platoniciennes et aristotéliciennes de l’âge de Cronos s’opposent ainsi nettement. Dans Les Lois, Platon explique notamment :

Car les cités dont nous avons plus haut exposé la formation ont été encore précédées, et de fort loin, par le règne et le peuplement si prospères que la légende place au temps de Cronos et dont il y a un reflet dans les meilleures de nos organisations actuelles […]. Cronos, dit-on, savait, comme nous l’avons exposé, qu’aucun homme ne peut, de par sa nature, régler en maître absolu toutes les affaires humaines sans se gonfler de démesure et d’injustice ; et dans cette pensée il imagina de préposer alors à nos cités, pour rois et pour chefs, non pas des hommes mais des êtres d’une race supérieure et plus divine, des démons […]. […] et eux […] ils prirent soin de nous, et par la paix, le sens de l’honneur, la bonne législation et l’abondance de justice qu’ils nous procuraient, préservèrent des révolutions et établirent dans le bonheur l’espèce humaine. Or ce discours prétend, maintenant encore, et en cela il dit vrai, que dans les cités où règne non un dieu mais un mortel, les citoyens ne peuvent se soustraire aux maux et aux peines ; nous devons au contraire, pense-t-il, imiter par tous les moyens la vie légendaire du temps de Cronos et obéir à tout ce qu’il y a en nous de principes immortels pour y conformer notre vie publique et privée, administrer d’après eux nos maisons et nos cités, donnant à cette dispensation de la raison le nom de loi.

  • 123 Platon, Lois, IV, 713 b-714 a (traduction des Places 1951, 61 sq.). Voir encore Platon, P (...)

Τῶν γὰρ δὴ πόλεων ὧν ἔμπροσθε τάς συνοικήσεις διήλθομεν, ἔτι προτέρα τούτων πάμπολυ λέγεταί τις ἀρχή τε καὶ οἴκησις γεγονέναι ἐπὶ Κρόνου μάλ’ εὐδαίμων, ἧς μίμημα ἔχουσά ἐστιν ἥτις τῶν νῦν ἄριστα οἰκεῖται […]. Γιγνώσκων ὁ Κρόνος ἄρα, καθάπερ ἡμεῖς διεληλύθαμεν, ὡς ἀνθρωπεία φύσις οὐδεμία ἱκανὴ τὰ ἀνθρώπινα διοικοῦσα αὐτοκράτωρ πάντα, μὴ οὐχ ὕβρεώς τε καὶ ἀδικίας μεστοῦσθαι, ταῦτ’οὖν διανοούμενος ἐφίστη τότε βασιλέας τε καὶ ἄρχοντας ταῖς πόλεσιν ἡμῶν, οὐκ ἀνθρώπους ἀλλὰ γένους θειοτέρου τε καὶ ἀμείνονος, δαίμονας˙ […] ἐπιμελούμενον ἡμῶν, εἰρήνην τε καὶ αἰδῶ καὶ εὐνομίαν καὶ ἀφθονίαν δίκης παρεχόμενον, ἀστασίαστα καὶ εὐδαίμονα τὰ τῶν ἀνθρώπων ἀπηργάζετο γένη. Λέγει δὴ καὶ νῦν οὗτος ὁ λόγος, ἀληθείᾳ χρώμενος, ὡς ὅσων ἂν πόλεων μὴ θεὸς ἀλλὰ τις ἄρχῃ θνητός, οὐκ ἔστιν κακῶν αὐτοῖς οὐδε πόνων ἀνάφυξις. ἀλλὰ μιμεῖσθαι δεῖν ἡμᾶς οἴεται πάσῃ μηχανῇ τὸν ἐπὶ τοῦ Κρόνου λεγόμενον βίον, καὶ ὅσον ἐν ἡμῖν ἀθανασίας ἔνεστι, τούτῳ πειθομένους δημοσίᾳ καὶ ἰδίᾳ τάς τ’ οἰκήσεις καὶ τάς πόλεις διοικεῖν, τὴν τοῦ νοῦ διανομὴν ἐπονομάζοντας νόμον123.

  • 124 Pour Isocrate, Aréopagitique (VII), 15-16 ; 58-59, l’idéal est le retour à la constitutio (...)
  • 125 Voir Châtelet 1974, 167 ; Weil 1964, 180-182.
  • 126 Aristote, Politique, VII, 2, 1325 a 7-10, fixe ainsi les devoirs du législateur : « Et l’ (...)

36Contre l’idée platonicienne selon laquelle les communautés humaines ayant vécu à l’âge de Cronos appartiennent à un inaccessible passé idéal dirigé par des puissances divines (daimones), Aristote préfère suivre la voie isocratique de l’éloge d’un épisode historique athénien, celui de la patrios politeia124, associer l’âge d’or à la tyrannie de Pisistrate et rappeler ainsi qu’une communauté politique heureuse appartient au domaine du possible125 et du praticable126.

  • 127 Les conseils donnés par Aristote au livre V de la Politique en vue de modérer la (...)
  • 128 Déjà lors de son séjour à Atarnée, il cherche sans doute à influencer le tyran (...)

37Le bruit « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » sert manifestement les prises de position d’Aristote dans le débat intellectuel du IVe siècle sur la figure à donner au dirigeant idéal. Prompt à contrarier ses prédécesseurs, probablement sensible à l’idée de conseiller127 le dirigeant politique128, Aristote assigne un objectif clair à l’enquête sur les 158 politeiai grecques à la fin de l’Éthique à Nicomaque :

Tout d’abord, efforçons-nous de compléter tout ce qu’ont dit d’une manière satisfaisante, quoique fragmentaire, nos devanciers ; ensuite nous rassemblerons les différentes constitutions ; puis nous envisagerons les conditions favorables ou défavorables aux États en général et aux formes particulières de gouvernement, ainsi que les raisons qui font, ou non, la bonne administration des États. Ces considérations nous permettront de mieux discerner le meilleur gouvernement, les institutions, les lois et les mœurs qui lui assurent cette supériorité.

  • 129 Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 9, 23 (traduction Voilquin 1950, 509).

Πρῶτον μὲν οὖν εἴ τι κατὰ μέρος εἴρηται καλῶς ὑπὸ τῶν προγενεστέρων πειραθῶμεν ἐπελθεῖν, εἶτα ἐκ τῶν συνηγμένων πολιτειῶν θεωρῆσαι τὰ ποῖα σῴζει καὶ φθείρει τὰς πόλεις καὶ τὰ ποῖα ἑκάστας τῶν πολιτειῶν, καὶ διὰ τίνας αἰτίας αἳ μὲν καλῶς αἳ δὲ τοὐναντίον πολιτεύονται ˙θεωρηθέντων γὰρ τούτων τάχ' ἂν μᾶλλον συνίδοιμεν καὶ ποία πολιτεία ἀρίστη, καὶ πῶς ἑκάστη ταχθεῖσα, καὶ τίσι νόμοις καὶ ἔθεσι χρωμένη129.

  • 130 Sur le rôle de l’exemple historique dans l’élaboration des théories politiques (...)
  • 131 Les comparaisons historiques menées dans la Politique permettent notamment d’ap (...)
  • 132 Sur l’histoire comme règne de la contingence chez Aristote, cf. Poétique, XXIII, 1459 a 1 (...)
  • 133 En réaction probable aux histoires banales et annalistiques de l’Atthis, Aristote, Poétiq (...)
  • 134 Cf. Weil 1964, 162 sq. ; Vergnières 1995, 230 ; Darbo-Peschanski 2007, 130-132.
  • 135 Cf. Aristote, Rhétorique, I, 8, 1365 b : « Ce qu’il y a de plus important et de plus effi (...)
  • 136 Une connaissance approfondie des différentes constitutions est ainsi indispensa (...)

38C’est ainsi par la mise en parallèle d’exemples historiques130, de régimes politiques et de dirigeants131 qu’Aristote peut envisager de sortir l’histoire du contingent132 et du particulier133 pour la faire accéder au général134 et à l’utilité philosophique. La démarche semble nécessaire, car elle conditionne l’appréhension des phénomènes politiques et permet de tirer des enseignements à même d’éclairer la délibération du législateur135 et d’orienter le travail de l’homme d’État136.

Pisistrate au temps de Cronos, une invitation à l’action politique ?

  • 137 Tel est en tout cas l’avis de Plutarque (notamment Vie d’Alexandre, 7, 2).
  • 138 Sur l’ambition prêtée à Aristote de faire d’Alexandre un philosophe roi, cf. Lo (...)

39Après Socrate et Alcibiade, Platon et Denys l’Ancien, Isocrate et Philippe de Macédoine, faut-il associer Aristote à Alexandre le Grand dans la prestigieuse liste des philosophes éducateurs des hommes politiques et voir alors dans le portrait de Pisistrate un miroir princier et dans les traditions célébrant les vertus de son gouvernement des invitations à l’action politique ? La tentation de considérer le plus docte des philosophes comme l’inspirateur du plus grand137 des conquérants est forte138, mais sans doute dangereuse, car elle porte en elle le risque de la réécriture magnifiée. Contre le désir de placer les grands hommes aux commandes d’une glorieuse histoire ancienne, un examen détaillé des sources s’avère nécessaire pour séparer le bon grain historique de l’ivraie anachronique.

  • 139 Cf. Aréopagitique (VII), 78 sq. ; N. Loraux, L’invention d’Athènes. Histoire de l’oraison (...)
  • 140 Cf. Rhétorique, I, 9, 1368 a, et II, 20, 1394 a. Au IVe siècle, la représentation du pass (...)
  • 141 Aristote, Politique, V, 11, 1313 b 21-25, compare ainsi la politique tyrannique des phara (...)
  • 142 Aristote, Politique, V, 10, 1311 a 28-b 6, rappelle ainsi que l’outrage déclenche la révo (...)

40L’hypothèse selon laquelle Alexandre le Grand peut être considéré comme le destinataire du portrait de Pisistrate en général, et du bruit associant sa tyrannie à l’âge de Cronos en particulier, s’appuie sur deux arguments. Le premier relève de la conception aristotélicienne de l’histoire. Comme Isocrate139, le Stagirite considère le passé comme une source d’exemples utiles pour guider le présent140. L’histoire autorise notamment la mise en parallèle de dirigeants141, confrontés, tels Philippe de Macédoine et les Pisistratides142, à des problèmes politiques de même nature. De sa capacité à se reproduire d’un siècle à l’autre comme d’un monde à l’autre, le passé athénien offre à Alexandre la possibilité de guider son action. À lui dès lors d’écouter les traditions célébrant la geste pisistratique et de voir dans le tyran athénien l’étalon modérateur de sa conduite volontiers intempérante.

  • 143 Voir ici Diogène Laërce, V, 1 ; V, 4 ; Plutarque, Vie d’Alexandre, 7, 1-5 ; Louis (...)
  • 144 Cf. Jaeger 1997, 331.
  • 145 Cf. Jaeger 1997, 122, et Louis 1990, 95 sq.
  • 146 Voir notamment Goukowsky 1978, 22 sq. ; 25 ; Pédech 1984, 15 sq., et Mossé 2001, 78.

41Fondée en théorie, l’hypothèse est encore affermie par les faits. Aristote a bien été le maître d’Alexandre. Lié à la cour macédonienne par son père Nicomaque, qui fut le médecin du roi Amyntas, le Stagirite assura, encouragé par Philippe, la formation littéraire, scientifique et politique du jeune Alexandre143. Ces quelques années d’enseignement furent-elles cependant assez longues pour assurer une influence durable de la philosophie aristotélicienne sur le Conquérant ? Elles n’y auraient sans doute pas suffi sans le concours d’intermédiaires, qui ont maintenu Alexandre, tout au long de son règne, en contact avec la pensée d’Aristote. Les sources mentionnent trois noms. D’abord Nicanor, parent du Stagirite et courtisan suffisamment influent pour être placé à la tête de l’ambassade envoyée en 324 à Olympie afin d’annoncer aux Grecs l’exigence d’Alexandre de recevoir des honneurs divins144. Ensuite Antipater, proche d’Aristote et représentant tout puissant d’Alexandre en Grèce et en Macédoine145. Enfin Callisthène, neveu et disciple d’Aristote, historien officiel d’Alexandre, chargé de coucher par écrit sa geste glorieuse et ainsi préparer les Grecs à voir en lui un héros surhumain146.

  • 147 Cf. Plutarque, Vie d’Alexandre, 7 sq. ; 10 sq.

42Confortée par l’accumulation d’indices, l’envie est toujours plus forte de voir en Aristote le maître à penser d’Alexandre et de considérer le portrait aristotélicien de Pisistrate comme un miroir princier. Ami des lettres, de la philosophie et des sciences naturelles147, Alexandre aurait même affirmé, selon Plutarque, que

il n’aimait [Aristote] pas moins que son père, parce que, si l’un lui avait donné la vie, l’autre lui avait appris à bien vivre.

  • 148 Plutarque, Vie d’Alexandre, 8, 4 (traduction Flacelière & Chambry 1975, 38 sq.). Voir aus (...)

καὶ ἀγαπῶν οὐχ ἧττον […] τοῦ πατρός, ὡς δι´ ἐκεῖνον μὲν ζῶν, διὰ τοῦτον δὲ καλῶς ζῶν148.

43Qui croit-on cependant entendre ici ? Alexandre, admirateur d’Aristote ? Plutarque, maître ouvrier de la légende dorée du Conquérant ? La seconde solution risque, décevante, de s’imposer.

  • 149 Cf. Crubellier & Pellegrin 2002, 15.
  • 150 Cf. Louis 1990, 69. Les échanges épistolaires qu’on a pu leur prêter sont probablement ap (...)
  • 151 Pour Goukowsky 1978, 51-56, la Lettre d’Aristote à Alexandre sur la politique envers les (...)

44Projection anachronique incapable de plonger ses racines dans les strates les plus anciennes de la tradition, l’amitié entre Aristote et Alexandre n’a ni la grandeur ni la force que le moraliste souhaite lui prêter. Si Aristote a bien été le maître d’Alexandre, il est nécessaire de rappeler qu’il fut sans doute un second choix pour Philippe et qu’il n’était pas encore à cette époque le grand fondateur du Lycée149. Si Aristote est resté en contact avec Alexandre, force est de constater que leurs relations se sont distendues150. Contre les intentions présumées d’Aristote de le convertir en dirigeant modéré et respectueux des lois151, les tentations absolutistes d’Alexandre, sa divinisation et son projet de fusion entre les Gréco-Macédoniens et les peuples sous domination perse prouvent que le Conquérant s’est comporté en disciple plutôt rétif.

  • 152 Voir ici Pédech 1984, 15 sq.
  • 153 Sur la rivalité entre Callisthène et Anaxarque, voir Plutarque, Vie d’Alexandre, 52, 8-9  (...)
  • 154 Sur le meurtre de Cleitos et la différence de son exploitation politique par le (...)
  • 155 Sur la rivalité de Callisthène et d’Anaxarque au sujet de la proskynèse et de son (...)
  • 156 Callisthène tenait des conférences devant de hauts dignitaires comme devant de jeunes (...)
  • 157 Cf. Arrien, Anabase, IV, 10, 3-4, et Pédech 1984, 16 sq. Sur l’évocation du tyrannicide (...)

45La mise à distance critique de la tradition légendaire d’Alexandre interdit-elle pour autant de considérer le portrait aristotélicien de Pisistrate comme un miroir princier et la tradition célébrant son bon gouvernement comme une invitation stimulante à la modération politique ? Si Alexandre n’a probablement pas consulté la Constitution d'Athènes, qui est avant tout un outil de travail du Lycée, il n’est pas complètement exclu que Callisthène, neveu d’Aristote et historien officiel du Conquérant152, s’en soit inspiré pour vanter, à la cour macédonienne, les vertus de modération du tyran athénien. Tout au long de l’expédition asiatique, Callisthène choisit de lutter pied à pied contre les justifications de l’absolutisme royal avancées par son rival Anaxarque153 : le meurtre de Cleitos n’est pas exploité politiquement154, la proskynèse est refusée155 et le tyrannicide évoqué devant des pages révoltés156. Est-il possible qu’en cette occasion, Callisthène ait fait l’éloge des tyrannicides Harmodios et Aristogiton pour mieux légitimer la contestation des dérives tyranniques d’Alexandre157 ? Une certitude demeure : Callisthène paiera de sa vie la conception aristotélicienne du bon dirigeant.

***

  • 158 Sur la situation politique athénienne au temps d’Alexandre, voir Mossé 1963, 164 (...)
  • 159 Cf. Démosthène, Sur la couronne, 203-206.

46Quelle que soit sa pertinence, l’hypothèse suivant laquelle Callisthène aurait utilisé la figure de Pisistrate présente dans la Constitution d'Athènes pour orienter l’action d’Alexandre manque de preuve concrète. La prudence impose plutôt d’opter pour l’évidence en considérant les membres du Lycée comme ses principaux destinataires. Prise dans un débat politique158 qui divise la cité entre les partisans d’une indépendance acquise dans la douleur contre la Macédoine et ceux favorables à l’acceptation d’une tutelle tyrannique étrangère synonyme de servitude heureuse159, cette élite intellectuelle est sans doute plus à même qu’Alexandre d’entendre l’éloge aristotélicien d’un tyran qui aurait permis aux Athéniens de vivre comme au temps de Cronos.

  • 160 Sur la politique de Lycurgue visant à redonner force, grandeur et indépendance à la cité (...)
  • 161 Cf. Contre Léocrate, 98.
  • 162 Voir ici respectivement : Première Olynthienne, 3-4 ; Deuxième Olynthienne, 17-19 ; Premi (...)
  • 163 Voir respectivement : Seconde philippique, 21 ; 24 ; 25, et Sur la couronne, 65 (...)
  • 164 Cf. Pseudo-Démosthène, Sur le traité avec Alexandre, 4 ; 5 ; 6 ; 10 ; 12 ; 25 ; 29.
  • 165 D’une façon générale, le topos du mauvais tyran est régulièrement incarné, dans la second (...)

47Dans l’Athènes placée sous tutelle macédonienne, il est fréquent d’établir un parallèle entre la tyrannie de Pisistrate et la monarchie de Philippe et d’Alexandre le Grand. Habitués au Lycée à utiliser des exemples historiques comme clefs de lecture du présent, les disciples athéniens d’Aristote sont encore incités à se plonger dans l’histoire athénienne par Lycurgue, dont l’œuvre de régénération morale de la cité160 passe par la redécouverte de son grandiose passé161. Les membres de l’école aristotélicienne sont régulièrement invités par les orateurs athéniens à voir dans les monarques macédoniens de terribles tyrans. Démosthène présente ainsi Philippe comme un tyran absolu qui, esclave de ses vices et gonflé d’hybris162, ignore la paix, la liberté et la justice163. Critiqué pour sa violence liberticide, considéré comme « le tyran de la Grèce »164, Alexandre est encore associé aux Pisistratides165 par le Pseudo-Démosthène dans le discours Sur le traité avec Alexandre :

Supposons, Athéniens, que l’on vous demande quelle sorte de contrainte vous indignerait le plus, tous sans doute vous répondriez que, si les Pisistratides vivaient de notre temps et si quelqu’un prétendait les restaurer ici par la force, vous, plutôt que de les accueillir, vous saisiriez vos armes et vous affronteriez tous les dangers […]. Eh bien, lorsque, contrairement aux serments et aux stipulations écrites du traité de paix, Alexandre restaure à Messène les fils de Philiadès, qui sont bien des tyrans, a-t-il souci de la justice ? ou plutôt ne se conduit-il pas lui-même en tyran selon sa coutume, sans la moindre considération pour vous ni pour les engagements communs ?

  • 166 Pseudo-Démosthène, Sur le traité avec Alexandre, 3-4 (traduction de M. Croiset in Démosth (...)

Εἰ δή τις ἐρωτήσειεν ὑμᾶς, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, ἐπὶ τίνι ἂν μάλιστ’ ἀγανακτήσαιτ’ εἴ τις ἀναγκάζοι, εἴποιτ ᾽ ἄν, οἶμαι, πάντες, εἰ ἦσαν κατὰ τὸν νυνὶ χρόνον οἱ Πεισιστρατίδαι καί τις ἐβιάζετο κατάγειν αὐτοὺς δευρί, ἁρπάσαντας ἂν ὑμᾶς τὰ ὅπλα πάντα κίνδυνον ὑπομεῖναι ἀντὶ τοῦ παραδέξασθαι […]. Παρὰ τοὺς ὅρκους τοίνυν καὶ τὰς συνθήκας τὰς ἐν τῇ κοινῇ εἰρήνῃ γεγραμμένας Ἀλέξανδρος εἰς Μεσσήνην καταγαγὼν τοὺς Φιλιάδου παῖδας, ὄντας τυράννους, ἆρ’ ἐφρόντισε τοῦ δικαίου, ἀλλ’ οὐκ ἐχρήσατο τῷ αὑτοῦ ἔθει τῷ τυραννικῷ, βραχὺ φροντίσας ὑμῶν καὶ τῆς κοινῆς ὁμολογίας ;166

  • 167 Cf. Habicht 2000, 45-48.
  • 168 Pour une analyse de ces épisodes, voir Habicht 2000, 34 ; 39 ; 40 ; 46.

48En dépit des efforts des partisans d’une négociation avec la Macédoine, la cité athénienne, pourtant défaite à Chéronée, se laisse régulièrement emporter par des accès d’ardeur patriotique167. À chaque fois, il s’agit de secouer le joug de la tyrannie macédonienne : en 335, Athènes envisage de soutenir la révolte thébaine contre la Macédoine ; en 331, il faut encore irriter Olympias, la mère d’Alexandre, en parant à grands frais la statue de Dionè à Dodone ; en 331, on entend soutenir la révolte du roi spartiate Agis ; en 330, le procès de la Couronne sert de caisse de résonance à un patriotisme fervent, etc.168

  • 169 Cf. Athénée de Naucratis, IX, 398 e ; Élien, Histoire variée, IV, 19 ; Pline l’ (...)
  • 170 Cf. Diogène Laërce, V, 11, et Jaeger 1997, 323.
  • 171 Cf. Jaeger 1997, 323. Les Athéniens considéraient Aristote comme un homme lié à (...)

49Soutenu et financé par la Macédoine169, proche d’Antipater170, hôte d’une cité qui doit se résigner à supporter l’autorité d’Alexandre, Aristote cherche peut-être lui aussi à utiliser la légende dorée de Pisistrate pour atténuer les tensions politiques et convaincre les Athéniens des bénéfices à tirer de la mise sous tutelle macédonienne171. Clef de lecture partisane du présent, le portrait élogieux de Pisistrate pourrait s’offrir comme un miroir où les Athéniens sont susceptibles de retrouver le fils de Philippe de Macédoine : Alexandre n’est-il pas, comme Pisistrate, un tyran qui joue au roi et qui accepte de conserver leur régime démocratique pour mieux assurer le bonheur de la cité athénienne ? De cette mise en parallèle et des engagements politiques qu’elle laisse espérer, chacun peut tirer profit.

50Du côté d’Aristote, l’acceptation par les Athéniens de la tutelle macédonienne est la garantie qu'il se maintiendra à la tête du Lycée et poursuivra son travail philosophique. Du côté d’Alexandre, le contrôle politique de la communauté athénienne est le gage qu'il pourra mener, serein, son expédition en Asie.

  • 172 Entre 331 et 324, Athènes est effectivement touchée par une durable pénurie de blé (cf. P (...)
  • 173 Sur la prospérité économique athénienne au temps de Pisistrate, cf. Day & Chambers 1962, (...)
  • 174 Cf. Habicht 2000, 32.
  • 175 D’après Levi 1978, Alexandre donne, à la différence de son père, l’impression de recherch (...)
  • 176 Cf. Plutarque, Vie d’Alexandre, 16 ; 17-18 ; 34, 1-2 ; Arrien, Anabase, I, 16, 6 sq. ; 29 (...)
  • 177 Cf. Arrien, Anabase, III, 16, 7 sq., et Habicht 2000, 32.

51Du côté athénien, l’arrivée d’un nouveau Pisistrate a de quoi séduire. Athènes connaît-elle dans les années 320 une situation économique difficile172 ? À l’instar de Pisistrate, qui a permis à leurs ancêtres de vivre comme à l’âge de Cronos173, Alexandre propose aux Athéniens une paix souvent garante de prospérité. Athènes cherche-t-elle à soutenir les Grecs dans leur rébellion contre le pouvoir macédonien ? Dans le prolongement de la politique de Pisistrate respectueuse de la législation solonienne, Alexandre choisit de maintenir le régime démocratique athénien et refuse d’intervenir dans les affaires intérieures de la cité174. Comme Pisistrate, qui assure paix et tranquillité à son peuple, Alexandre se distingue par une politique bienveillante à l’égard de ses sujets athéniens : plus doux que son père175, il accepte, après l’écrasement de la révolte thébaine, en 335, de ne pas exiger la tête des huit Athéniens les plus compromis ; parti en guerre contre la Perse au nom de la défense de la liberté et de la lutte contre la tyrannie, il rétablit des démocraties en Asie, libère les Athéniens pris dans les rangs perses lors de la bataille du Granique, et envoie trois cents armures perses aux Athéniens pour venger les violences barbares perpétrées au temps des guerres médiques176… La politique bienveillante d’Alexandre à l’égard des Athéniens nourrira même la légende selon laquelle son expédition asiatique lui permit de rendre les statues des Tyrannoctones à leur cité d’origine177 !

  • 178 Sur le silence d’Aristote au sujet de l’œuvre politique d’Alexandre, voir notam (...)
  • 179 Cf. Châtelet 1974, 203 sq.
  • 180 Cf. Hadot 1995, 124.
  • 181 Sur l’idéal théorétique et ses conséquences éthiques et politiques, voir Hadot 1995, (...)

52Une fois de plus, les preuves explicites manquent. Aucun traité du Stagirite ne fait d’ailleurs la moindre allusion à l’actualité de son temps178. Il faut probablement reconnaître en cette absence la volonté d’Aristote de mener une observation suffisamment patiente et prudente pour éviter le piège d’un idéalisme trop directif, dont Platon fut victime179. À la conception platonicienne d’une philosophie entièrement impliquée dans la vie politique180 répond ainsi l’idéal théorétique aristotélicien, lequel, tourné vers la sagesse et le savoir, se borne seulement à former le jugement du législateur sans chercher à diriger son action et risquer ainsi de se laisser entraîner dans les turbulences de la vie politique181.

***

  • 182 Sur la construction des figures politiques par les hommes de savoir, voir R. Bodéüs, (...)
  • 183 Sur l’utilisation des figures mythologiques et historiques comme exemples paradigmatiques (...)
  • 184 Cf. Isocrate, Évagoras (IX), 37-39.
  • 185 Voir ici, par exemple, Jacoby 1949, 77.
  • 186 Cf. Platon, Lettres, VIII, 354 a-c.
  • 187 Cf. C. Mossé, « Comment s’élabore un mythe politique : Solon, père fondateur de la démocr (...)

53Ni véritablement historique, ni franchement politique, ni simplement philosophique, la figure aristotélicienne de Pisistrate semble se présenter, dans un siècle séduit par l’affirmation d’individus providentiels, comme un outil à penser. C’est bien à partir de figures individuelles, puisées dans les temps passés et relues à la lumière de préoccupations contemporaines182, que les penseurs athéniens proposent désormais de construire leurs analyses, de répondre à leurs devanciers et de guider leurs contemporains. Nourri de traditions populaires positives, le Pisistrate d’Aristote pourrait lui aussi tenir sa place parmi les personnages historiques revisités et instrumentalisés par Platon, Xénophon, Isocrate, les Atthidographes ou Aristote183. Menée à partir d’investigations historiques, leur description s’offre surtout comme une clef de lecture partisane d’un passé appelé à orienter le présent de la cité. Au IVe siècle, prendre parti pour Cyrus, tel Xénophon, ou pour Évagoras, tel Isocrate, conditionne non seulement la représentation du bon monarque, mais détermine aussi l’orientation des politiques à suivre pour mener correctement la cité184. Placer Thésée, Solon ou Clisthène à l’origine de la démocratie athénienne ne relève pas uniquement, dans les Atthis, d’une querelle d’historiens érudits, mais d’un débat engagé sur les choix politiques à prendre pour construire le régime athénien et guider son gouvernement185. Dans une perspective comparable, la reconstruction mythifiée d’un Lycurgue chez Platon186 comme celle d’un Solon chez Aristote187 ne signent pas leur incapacité à mener une enquête historique objective, mais offrent aux législateurs des sources d’inspiration. Replacée dans le contexte intellectuel du IVe siècle, la reprise des traditions sur Pisistrate dans la Constitution d'Athènes pourrait elle aussi avoir comme vocation de soutenir les positions aristotéliciennes dans l’arène des rivalités de son temps.

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Annexe

Le régime de Pisistrate d’après Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2-9 (traduction Sève 2006, 83-85)

2 […] Pisistrate administrait avec modération les affaires de la cité, en citoyen plutôt qu’en tyran. Il était en général bienveillant et doux, et enclin au pardon envers les fautifs ; et en particulier, il avançait de l’argent aux indigents pour leurs activités, en sorte qu’ils tirent leur subsistance de l’agriculture. 3 Il faisait cela pour deux raisons : afin qu’ils ne passent pas leur temps en ville, mais soient dispersés dans la campagne, et afin qu’ils aient une aisance suffisante et vaquent à leurs affaires sans désirer s’occuper des affaires publiques ni en avoir le loisir. 4 En même temps, il lui arriva que les ressources augmentèrent, puisque la campagne était cultivée : il percevait en effet la dîme des productions. 5 C’est pourquoi il créa les juges des dèmes, et lui-même sortait souvent dans la campagne pour inspecter et arbitrer les litiges, afin que les gens ne négligent pas leurs travaux en descendant en ville. 6 C’est au cours d’une de ces sorties, dit-on, qu’arriva à Pisistrate l’anecdote de l’homme qui cultivait sur l’Hymette le champ appelé plus tard le « champ non imposable ». Avisant donc quelqu’un qui piochait et travaillait une terre qui n’était que pierres, par étonnement, il chargea son esclave de demander ce qui poussait dans le champ. « Rien que des maux et des douleurs », dit l’autre, « et il faut que Pisistrate prenne la dîme de ces maux et de ces douleurs ». L’homme avait répondu sans le connaître, et Pisistrate, ravi de sa franchise et de son ardeur au travail, l’exempta de tout impôt. 7 Il ne gênait la foule en rien pendant sa domination, mais il préparait toujours la paix et maintenait la tranquillité. C’est pourquoi [lacune : on répétait souvent ?] que la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos. En effet, il arriva plus tard que, ses fils lui ayant succédé, la domination devint beaucoup plus rude. 8 Mais le plus important de tout ce qu’on a dit est qu’il était d’un caractère affable et bienveillant. Car en tout domaine il voulait tout administrer conformément aux lois, sans s’attribuer aucun avantage. Un jour, cité à l’Aréopage pour une affaire de meurtre, il se présenta lui-même pour assurer sa défense, mais l’accusateur, pris de peur, fit défaut. 9 C’est pourquoi son pouvoir dura longtemps et, chaque fois qu’il était chassé, il le reprenait facilement. Car la plupart des nobles et des gens du peuple y consentaient : il attirait les uns par ses propos, les autres par ses secours pour leurs affaires privées, et il était par nature bien disposé envers les deux clans.

*

Διῴκει δ’ ὁ Πεισίστρατος, ὥσπερ εἴρηται, τὰ περὶ τὴν πόλιν μετρίως καὶ μᾶλλον πολιτικῶς ἢ τυραννικῶς˙ Ἔν τε γὰρ τοῖς ἄλλοις φιλάνθρωπος ἦν καὶ πρᾷος καὶ τοῖς ἁμαρτάνουσι συγγνωμονικός, καὶ δὴ καὶ τοῖς ἀπόροις προεδάνειζε χρήματα πρὸς τὰς ἐργασίας, ὥστε διατρέφεσθαι γεωργοῦντας. Τοῦτο δ’ ἐποίει δυοῖν χάριν, ἵνα μήτε ἐν τῷ ἄστει διατρίβωσιν, ἀλλὰ διεσπαρμένοι κατὰ τὴν χώραν, καὶ ὅπως εὐποροῦντες τῶν μετρίων καὶ πρὸς τοῖς ἰδίοις ὄντες, μήτ’ ἐπιθυμῶσι μήτε σχολάζωσιν ἐπιμελεῖσθαι τῶν κοινῶν. Ἅμα δὲ συνέβαινεν αὐτῷ καὶ τὰς προσόδους γίγνεσθαι μείζους, ἐξεργαζομένης τῆς χώρας˙ ἐπράττετο γὰρ ἀπὸ τῶν γιγνομένων δεκάτην. Διὸ καὶ τοὺς κατὰ δήμους κατεσκεύασε δικαστάς, καὶ αὐτὸς ἐξῄει πολλάκις εἰς τὴν χώραν, ἐπισκοπῶν καὶ διαλύων τοὺς διαφερομένους, ὅπως μὴ καταβαίνοντες εἰς τὸ ἄστυ παραμελῶσι τῶν ἔργων. Τοιαύτης γάρ τινος ἐξόδου τῷ Πεισιστράτῳ γιγνομένης, συμβῆναί φασι τὰ περὶ τὸν ἐν τῷ Ὑμηττῷ γεωργοῦντα τὸ κληθὲν ὕστερον χωρίον ἀτελές. Ἰδὼν γάρ τινα παντελῶς πέτρας σκάπτοντα καὶ ἐργαζόμενον, διὰ τὸ θαυμάσαι τὸν παῖδα ἐκέλευσεν ἐρέσθαι, τί γίγνεται ἐκ τοῦ χωρίου˙ ὁ δ’ « ὅσα κακὰ καὶ ὀδύναι, ἔφη, καὶ τούτων τῶν κακῶν καὶ τῶν ὀδυνῶν Πεισίστρατον δεῖ λαβεῖν τὴν δεκάτην. » Ὁ μὲν οὖν ἄνθρωπος ἀπεκρίνατο ἀγνοῶν, ὁ δὲ Πεισίστρατος ἡσθεὶς διὰ τὴν παρρησίαν καὶ τὴν φιλεργίαν ἀτελῆ πάντων ἐποίησεν αὐτόν. Οὐδὲν δὲ τὸ πλῆθος οὐδ’ ἐν τοῖς ἄλλοις παρ<ην>ώχλει κατὰ τὴν ἀρχήν, ἀλλ’ αἰεὶ παρεσκεύαζεν εἰρήνην καὶ ἐτήρει τὴν ἡσυχίαν˙ διὸ καὶ πολλὰ κλέ[α ἐ]θρ[ύλλο]υν ὡς ἡ Πεισιστράτου τυραννὶς ὁ ἐπὶ Κρόνου βίος εἴη˙ συνέβη γὰρ ὕστερον διαδεξαμένων τῶν υἱέων πολλῷ γενέσθαι τραχυτέραν τὴν ἀρχήν. Μέγιστον δὲ πάντων ἦν τῶν εἰρημένων τὸ δημοτικὸν εἶναι τῷ ἤθει καὶ φιλάνθρωπον. Ἔν τε γὰρ τοῖς ἄλλοις ἐβούλετο πάντα διοικεῖν κατὰ τοὺς νόμους, οὐδεμίαν ἑαυτῷ πλεονεξίαν διδούς, καί ποτε προσκληθεὶς φόνου δίκην εἰς Ἄρειον πάγον, αὐτὸς μὲν ἀπήντησεν ὡς ἀπολογησόμενος, ὁ δὲ προσκαλεσάμενος φοβηθεὶς ἔλιπεν. Διὸ καὶ πολὺν χρόνον ἔμεινεν <ἐν> τῇ ἀρχῇ, καὶ ὅτ’ ἐκπέσοι πάλιν ἀνελάμβανε ῥᾳδίως. Ἐβούλοντο γὰρ καὶ τῶν γνωρίμων καὶ τῶν δημοτικῶν οἱ πολλοί˙ τοὺς μὲν γὰρ ταῖς ὁμιλίαις, τοὺς δὲ ταῖς εἰς τὰ ἴδια βοηθείαις προσήγετο, καὶ πρὸς ἀμφοτέρους ἐπεφύκει καλῶς.

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Notes

1 Cf. Murray 1995, 148.

2 Aristote, Rhétorique, II, 21, 1395 a (traduction Dufour 1938, 109).

3 Depuis Hésiode, l’âge de Cronos fait figure d’âge d’or dans la littérature grecque. Les Travaux et les Jours, 109-125 et 134-135, rappellent ainsi que les hommes vivant au temps de Cronos appartiennent à la race d’or et que, tels des dieux, ils mènent une existence tranquille à l’abri des maux, de la misère, de la vieillesse et, à la différence des hommes de la race d’argent, de la démesure. Sur l’âge d’or et son utilisation littéraire, cf. Baldry 1952.

4 Aristote, Constitution d'Athènes, XIII, 1-2. Sur la solidité du régime de Pisistrate, son acceptation par les Athéniens et l’apaisement des tensions politiques, voir Sancisi-Weerdenburg 2000, 1-15 (notamment 8 sq.).

5 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 7 (traduction Sève 2006, 84).

6 Sur le débat autour des qualités d’historien prêtées à Aristote, voir Gregorio 2001, notamment 71.

7 Selon N. Loraux, « Thucydide n’est pas un collègue », Quaderni di storia, 12, 1980, p. 55-81 (notamment p. 55, 56 et 70), l’historien ne doit pas s’incliner dans une crainte révérencielle devant les sources littéraires anciennes, dont la qualité est telle que bien souvent elles sont considérées comme « un monument, à jamais élevé dans le jardin des humanités, soustrait à la corrosion du temps comme à la relativité des lectures, et auquel on a rapport sous le signe de l’admiration : on en exalte la beauté […], on en proclame l’inaltérable actualité, celle même des chefs-d’œuvre qui savent dire ce que l’homme a d’humain ». Un travail de contextualisation historique est dès lors nécessaire pour les transformer en documents d’étude.

8 À la différence de Zatta 2010, qui montre, à partir d’Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 7, comment Pisistrate a pu utiliser le mythe de l’âge de Cronos pour asseoir son autorité et faire accepter son programme politique aux Athéniens du VIe siècle, nous préférons éviter tout risque de surinterprétation anachronique en retenant uniquement la lettre du texte d’Aristote et en proposant de comprendre le on-dit à la lumière des sources du IVe siècle qui le mentionnent pour la première fois.

9 Sans prétendre donner une solution à l’épineuse question de l’identité de l’auteur de la Constitution d'Athènes, nous proposons, par commodité, de l’attribuer à Aristote, tout en étant conscient que le Stagirite a présidé un travail d’équipe lors de la rédaction des 158 politeiai.

10 Pour la datation de la Constitution d'Athènes, nous privilégions l’hypothèse d’une période de rédaction assez longue (335-322).

11 Sur la tradition légendaire entourant la figure de Pisistrate depuis la fin de l’époque archaïque jusqu’à Plutarque, cf. M. V. Skrzinskaja, « The Oral Tradition about Pisistratus », VDI, 110, 1969, p. 83-96, qui dégage trois phases dans l’histoire de la tradition de Pisistrate (la première phase, orale et favorable à Pisistrate, serait née du vivant du tyran ; la deuxième, défavorable à Pisistrate, aurait duré de la chute de la tyrannie jusqu’au milieu du Ve siècle ; la dernière, littéraire, se baserait sur des récits à l’authenticité douteuse) ; Calabro 1984 estime, quant à elle, que la tradition d’anecdotes sur Pisistrate choisit, d’Hérodote à Plutarque, de le présenter comme un partisan de la véritable démocratie.

12 Pour Day & Chambers 1962, 175, l’examen du chapitre XVI de la Constitution d'Athènes montre qu’Aristote ne sait rien de l’administration de Pisistrate, à l’exception de ce qu’Hérodote et Thucydide peuvent lui en apprendre. Voir aussi Pesely 1995.

13 Hérodote compte parmi les penseurs les plus estimés par Aristote. Considéré comme le type même de l’historikos par Aristote, Poétique, 9, 1451 b 1-4, seul historien cité dans la Constitution d'Athènes (XIV, 4), il est utilisé comme source aussi bien des œuvres de sciences naturelles que des travaux de sciences humaines (cf. Weil 1960, 316). Le parcours de Pisistrate dans la Constitution d'Athènes s’inspire souvent d’Hérodote (pour l’automutilation, la ruse du char, la coalition des factions de Mégaclès et de Lycurgue, la durée du second exil, le durcissement du régime sous les Pisistratides, confronter respectivement Constitution d'Athènes, XIV, 1 ; 4 ; 3 ; XV, 1-2 ; XVI, 7, et Hérodote, I, 59, 19-24 ; I, 60, 9-29 ; I, 60, 1 ; I, 52, 1-2 ; V, 55, 5-7).

14 Hérodote, I, 59 (traduction Barguet 1964, 73). Pour une mise en perspective critique des relations entretenues par Pisistrate avec les institutions athéniennes existantes au VIe siècle, voir Sancisi-Weerdenburg 2000, 7-9.

15 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 8 (traduction Sève 2006, 85).

16 Cf. Thucydide, I, 17.

17 Cf. Thucydide, VI, 54, 6.

18 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XIII, 4.

19 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2 (traduction Sève 2006, 83 sq.).

20 L’influence d’Éphore sur Aristote est probable. Ses analyses sur la tyrannie de Pisistrate (Éphore FGH 70 F 181) pourraient notamment inspirer Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 6 (sur ce point, voir Rhodes 1981, 191 et 216).

21 Sur le travail de compilation d’Éphore et son goût du savoir encyclopédique, voir Van Effenterre 1967, 33-35, et Momigliano 1983, 28. Sur la collecte systématique des informations par Aristote dans la littérature qui le précède, voir I. Düring, « Notes on the History of the Transmission of Aristotle’s Writings », Göteborgs Högskolas Ǻrsskrift, 56, 1950, p. 35-70, notamment 57 sq.

22 Nous nous rangeons ici à l’avis de J. Souilhé, selon lequel le dialogue Hipparque ou l’homme cupide a été composé durant la première moitié du IVe siècle. Pour les débats historiographiques sur la datation du dialogue, voir Platon, Œuvres complètes. Tome XIII. Deuxième partie, Dialogues suspects, J. Souilhé (éd., trad.), Paris, Les Belles Lettres (CUF ; 57), 1930 (rééd. 1981), p. 54-58.

23 L’influence d’Isocrate sur Aristote est d’autant plus probable que le Stagirite est passé par son école en 367 avant de se diriger vers l’Académie de Platon (cf. Louis 1990, 25).

24 Xénophon, Helléniques, V, 1, 4, considère ainsi que l’étude des personnalités marquantes est « l’occupation la plus digne d’un homme ».

25 Xénophon est notamment l’auteur d’une histoire idéalisée de la jeunesse de Cyrus le Grand (Cyropédie) et de l’éloge du roi spartiate Agésilas.

26 On retiendra par exemple les éloges des rois Agamemnon et Évagoras (Panathénaïque [XII], 72-88, et Évagoras [IX]).

27 Sur le rôle historique majeur accordé à Philippe de Macédoine dans Les Philippiques de Théopompe, voir Duff 2003, 46 sq.

28 D’une façon plus générale, on notera qu’Aristote s’intéresse aussi, dans la Constitution d'Athènes, au caractère d’autres grandes figures politiques athéniennes (Solon, Thémistocle, Aristide, Cimon, Éphialte, Périclès) et qu’il structure l’Éthique à Nicomaque autour d’une galerie de portraits moraux (cf. Aubenque, 1963, 37).

29 Selon Rhodes 1981, 189, l’anecdote sur la réaction de Solon face à la demande de Pisistrate d’obtenir une garde (cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XIV, 2 sq.) serait tirée des Atthis.

30 Voir ici Jacoby 1949, 185 sq., et Day & Chambers 1962, 175.

31 Hartog 2005, 69, remarque à ce sujet : les cités du IVe siècle « sont soucieuses de fixer publiquement par écrit leur "généalogie" politique et de rendre ainsi manifestes l’ancienneté et la continuité de leur histoire. Présence du passé et massif appel à lui, instrumentalisation de ce passé par les orateurs, tel est le climat dans lequel les études sur le passé […] et les histoires locales vont prendre un grand essor. Participant de ce contexte, elles sont aussi une façon de répondre aux doutes du temps, en fournissant des rappels et des repères, à un moment où les destructions, les épreuves et les morts dues à la guerre du Péloponnèse devaient renforcer l’impression de rupture avec une époque désormais révolue. […] ».

32 Voir ici Petre 2000.

33 Sur la conception linéaire de l’histoire dans les Atthis, voir Hartog 1997, 133 notamment ; Hartog 2005, 85 sq., et Darbo-Peschanski 2001, 17 en particulier.

34 Sur les Atthis comme chroniques articulées autour des règnes de rois et des magistratures officielles, voir Harding 2008, 2.

35 Symptomatique de l’intérêt que portent au passé des cités qui entreprennent au IVe siècle de publier sur leurs murs des listes de magistrats afin de montrer la continuité et l’ancienneté de leur histoire (cf. Hartog, 2005, 83 sq.), le goût d’Aristote pour les chronologies officielles se retrouve encore dans son élaboration de la liste des vainqueurs des Jeux Pythiques (cf. Jaeger, 1997, 330 ; 338, et Louis 1990, 68) et confirme une fois de plus la proximité de son travail avec l’œuvre d’un Atthidographe, Hellanikos de Lesbos, qui, intéressé par les histoires régionales, a lui aussi publié des listes chronologiques de prêtresses d’Héra à Argos et de vainqueurs aux Karnea (cf. Harding 2008, 6).

36 Par exemple, Aristote, Constitution d'Athènes, XVII, 1-2, considère comme anachronique la tradition suivant laquelle Pïsistrate a été aimé par Solon. Sur l’attention de la Constitution d'Athènes aux détails chronologiques, consulter Pearson, 1942, 102 sq.

37 Sur la diversité des sources exploitées par les Atthis, cf. Harding 2008, 3 sq.

38 Aristote, Constitution d'Athènes, XIII, 5, exploite ainsi des listes de citoyens révisées après l’expulsion des Pisistratides pour comprendre la composition sociale de la faction des Diacriens menée par Pisistrate.

39 Aristote, Constitution d'Athènes, XIX, 3, et XX, 5, utilise ainsi d’anciennes chansons de table pour étayer ses analyses sur la résistance alcméonide aux Pisistratides.

40 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 8 : « Ce qu’on citait le plus, c’était son amour du peuple et son humanité ». Sur l’habitude de Phanodèmos, de Démon comme d’Éphore d’exploiter ce type de parole populaire, voir Rhodes 1990, 78 sq. notamment, et Pearson 1942, 96.

41 Il partage ce souci avec les Atthidographes : cf. Harding 2008, 3.

42 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 6 (traduction Sève 2006, 84). Voir encore la tradition légendaire de la réaction de Solon face à la demande d’une garde par Pisistrate (legetai) (Aristote, Constitution d'Athènes, XIV, 2).

43 Comme le rappellent Lycurgue, Contre Léocrate, 95 sq., et son anecdote sur l’origine du nom du Champ de la Piété en Sicile, les Athéniens, comme la plupart des Grecs du dernier tiers du IVe siècle, goûtent les relectures patriotiques de leur paysage quotidien, car elles sont à même de rappeler la grandeur et l’ancienneté de leur cité.

44 Alors que Thucydide, VI, 54, 5, estime que Pisistrate exigeait des Athéniens le vingtième de leurs revenus, Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 4, considère qu’il « prélève une dîme des produits ». Pour Aristote, les tyrans ont pour habitude d’appauvrir leurs sujets au moyen de taxes et de prélèvements afin d’entretenir leur garde et d’empêcher leurs sujets, absorbés par leur travail, de conspirer (Aristote, Politique, V, 11, 1313 b 18-28). Il en va ainsi des Pisistratides, mais aussi de Denys de Syracuse et de Cypsélos de Corinthe, lequel leva lui aussi une dîme sur ses sujets (cf. Aristote, Économique, II, 1 et 20 b). Sur les taxes de Pisistrate et l’épineuse question de leur prélèvement, voir Mathieu 1915, 41 sq. et Sancisi-Weerdenburg, « Solon’s hektemoroi and Pisistratid dekatemoroi », in De agricultura : in memoriam Pieter Willem De Neeve (1945-1990), H. Sancisi-Weerdenburg, R. J. van der Spek, H. C. Teitler & H. T. Wallinga (éd.), Amsterdam, J. C. Gieben (Dutch Monographs on ancient history and archaeology), 1993, p. 13-30.

45 Voir respectivement ici : le compte rendu par H. Diels de F. G. Kenyon, Aristotle, On the Constitution of Athens, Londres, British Museum – Longmans and Co, 1891, in Deutsche Literaturzeitung, 12, 1891, p. 240 ; U. von Wilamowitz-Moellendorff, Aristoteles und Athen, Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1893, p. 346 sq. ; Jacoby 1949, et Chambers 1993, 44 en particulier ; B. Niese, « Ueber Aristoteles Geschichte der athenischen Verfassung », Historische Zeitschrift, 69, 1892, p. 38-68 [38 sq.] ; F. Cauer, Hat Aristoteles die Schrift vom Staate der Athener geschrieben ? Ihr Ursprung und ihr Werth für die ältere athenische Geschichte, Stuttgart, Göschen, 1891, p. 76-78.

46 Cf. J. de Romilly 1991.

47 Cf. Mathieu 1915, V-VI.

48 Sur l’influence des recherches biologiques sur le vocabulaire et la pensée politiques d’Aristote, cf. Day & Chambers 1962, 38 sq. Sur le rapport chez Aristote entre l’enquête (historia) et l’expérience (empeiria), voir Premiers Analytiques, I, 30, 46 a 4-27, et Darbo-Peschanski 2007, 112-118.

49 Sur l’absence de prétention encyclopédique de la zoologie aristotélicienne, voir Crubellier & Pellegrin 2002, 286. Sur la visée théorique des traités aristotéliciens de sciences naturelles, cf. ibid., 265 sq.

50 Aristote, Politique, IV, 4, 1290 b 25 sq., rappelle combien la méthode comparative des constitutions politiques est similaire à celle utilisée pour classer les animaux. Voir aussi Weil 1960, 317 sq.

51 Cf. Jaeger 1997, 341 ; I. Düring, Aristoteles, Darstellung und Interpretation seines Denkens, Heidelberg, Universitätsverlag Winter (Bibliothek der klassischen Altertumswissenchaften, N.F., 2. Reihe ; 114) 1966 (20052), p. 524 sq. ; Lynch 1972, 87.

52 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XIII, 5 (sèmeion).

53 Il en va ainsi du nom du « champ non imposable » (cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 6).

54 Cf. Larran 2011, 216-219.

55 Cf. Aristote, Rhétorique, II, 21, 1395 a.

56 Par exemple Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 4, 2-4 ; De l’âme, II, 1, 403 b ; Politique, I, 3, 1253 b 15-21 ; I, 13, 1260 b 20-24.

57 Cf. S. Mansion, « Le rôle de l’exposé critique des philosophies antérieures chez Aristote », in Aristote et les problèmes de méthode, S. Mansion (dir.), Louvain-la-Neuve, Publications universitaires (Aristote. Traductions et Études), 1961, p. 35-56, et Crubellier & Pellegrin 2002, 27.

58 Pour Aristote, Topiques, I, 1, 100 b 21, un endoxon est une opinion (doxa) admise « par tout le monde, ou par la majorité des gens, ou par les plus réputés et ceux qui ont les opinions les plus valables ». Darbo-Peschanski 2007, 126 sq., traduit endoxa par « opinions communes » ; Crubellier & Pellegrin 2002, 112 et 134 sq., par « opinions valables ».

59 Pour Aristote, les hommes du commun comme les philosophes peuvent avoir part à la vérité (cf. Crubellier & Pellegrin 2002, 393).

60 Pour Crubellier & Pellegrin 2002, 134 sq., « Il est important de remarquer que cette liste des opinions qui comptent comme opinions valables a un ordre qui va du plus au moins. Une opinion qui reçoit l’agrément de tout le monde est plus valable que celles qui reçoivent celui d’une majorité de gens ou des sages. Ces dernières ne comptent comme opinions valables qu’en l’absence d’opinion valable de rang supérieur ». La Constitution d'Athènes accorde ainsi un grand crédit aux on-dit colportés par tous (cf. XVI, 7), retient les opinions partagées par tous les savants (cf. V, 3), se range souvent à l’avis de la majorité (cf. VI, 4 ; XII, 1) et accorde enfin une attention particulière aux historiens les plus réputés, tels Hérodote et Thucydide.

61 La Constitution d'Athènes cherche à suivre les interprétations historiques les plus vraisemblables (cf., par exemple, VI, 2-4, et IX, 2).

62 Au sujet du portrait de Pisistrate dans la Constitution d'Athènes, Rhodes 1981, 180, 185 et 189, note qu’Aristote donne, contre le récit d’Hérodote, une dimension politique à la faction de Pisistrate, modifie son nom (Diakrioi contre Hyperakrioi : cf. Constitution d'Athènes, XIII, 4 / Hérodote, I, 59, 3) et puise dans les Atthis des détails chronologiques en conflit avec l’Enquête. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 4 ; XVIII, 2 et 4, prend également le contre-pied de Thucydide au sujet de l’impôt prélevé par le tyran, du nombre de conjurés contre les Pisistratides et du désarmement des Athéniens par Hippias (cf., respectivement, Thucydide, VI, 54, 5 ; VI, 56, 3 ; VI, 56, 2).

63 Pour la ruse du char de Pisistrate, Aristote, Constitution d'Athènes, XIV, 4, présente ainsi une version moins poétique que celle d’Hérodote, I, 60 (cf. Larran 2011, 205 sq.).

64 Pour Aristote, Métaphysiques, II, 1, 993 a 30-b 5, le progrès de la connaissance scientifique résulte d’un processus cumulatif de contributions individuelles. La Constitution d'Athènes compile ainsi la version d’Hérodote et celle de l’Atthis pour livrer l’histoire la plus complète de la tyrannie de Pisistrate (cf. Rhodes 1981, 191 ; 203 ; 205).

65 Pour Mathieu 1915, 50 sq., Aristote fusionne ainsi des versions contradictoires dans son récit des dénonciations d’Aristogiton (cf. Constitution d'Athènes, XVIII, 4 sq.).

66 Aristote, Rhétorique, I, 1, 1355 a 16 sq. Voir aussi Aristote, Métaphysiques, II, 993 a 30-b 5.

67 Les œuvres d’Aristote se composent de deux sortes de traités : les traités exotériques, produits pour être publiés et qui sont aujourd’hui tous perdus ; les traités ésotériques, destinés à l’usage interne du Lycée.

68 Cf. Crubellier & Pellegrin 2002, 29-35.

69 Voir ici Hadot 1995, 139-141, et Darbo-Peschanski 2007, 125-132. Ober 1998, 353-358, considère ainsi qu’Aristote joue, dans la Constitution d'Athènes, le rôle d’arbitre et de modérateur entre les différentes interprétations partisanes de l’histoire athénienne.

70 Pour l’ensemble de ces qualités, voir Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2-8. Sur l’importance nouvelle de la douceur et de l’indulgence dans l’éthique d’Aristote, voir J. de Romilly 1979, 194 sq.

71 Aristote, Rhétorique, I, 9, 1366 b 1-5 (traduction Dufour 1932, 108). Voir aussi Aristote, Éthique à Nicomaque, III-VI, VIII-IX.

72 Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 5, 5. L’échec des Pisistratides confirme par ailleurs l’hypothèse d’Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 9, 18, selon laquelle la prudence n’est pas une qualité transmissible aux descendants. Voir aussi Aubenque 1963, 58.

73 Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 12, 1 ; VI, 12, 6.

74 Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 1, 8 ; V, 1, 13.

75 Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, 1, 3-4, et J. de Romilly 1979, 190.

76 Cf., respectivement, Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2 ; Politique, VII, 2, 1324 a 37-38 ; Constitution d'Athènes, XVI, 7.

77 Pour Aristote, Politique, VII, 13, 1332 a 31-33, une cité est vertueuse quand ses dirigeants le sont. Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 13, 2, pense que « l’homme véritablement apte à diriger la cité consacre, plus que quiconque, ses efforts à faire régner la vertu. Il désire en effet faire des hommes de bons citoyens, dociles aux lois » (traduction Voilquin 1950, 45).

78 Pour Aristote, la fin de la politique est le bonheur de la communauté civique (to eu zèn) (cf. Politique, I, 2, 1252 b 27-30 ; III, 10, 1281 a 34-35), lequel passe par l’existence vertueuse de ses membres (cf. Politique, III, 9, 1280 b 5-9 ; VII, 8, 1328 a 36-43).

79 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XIV-XV.

80 Cf. Aristote, Politique, V, 4, 1304 b 7-17, et Contogiorgis 1978, 227-230.

81 Aristote, Politique, V, 11, 1314 a 34-1315 b 3 (traduction Aubonnet 1973, 87-90).

82 Voir Vergnières 1995, 244 sq.

83 D’après Aristote, Politique, V, 11, 1314 a 15-29, le tyran cherche à réduire la cohésion sociale (philia) de sa cité et à détourner ses sujets de la sphère politique en avilissant leur âme et en leur retirant tout pouvoir d’agir. Voir ici Contogiorgis 1978, 132-136, et Petit 1993, 84 sq. notamment.

84 Sur la volonté de Pisistrate de mimer la royauté, voir éventuellement Larran 2011, 227-234.

85 Cf. Aristote, Politique, IV, 2, 1289 a 37-b 4 ; V, 10, 1310 b 1-7 ; voir aussi Petit 1993, 73.

86 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 9 (traduction Sève 2006, 85).

87 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 9 ; XVII, 1, et Politique, V, 12, 1315 b 11-39.

88 Cf. Aristote, Politique, II, 9, 1269 a 14-29.

89 Cf. Vergnières 1995, 236 ; 244.

90 Cf. Aristote, Politique, VI, 5, 1319 b 33-41.

91 Alors qu’en matière éthique, l’éloge d’Aristote va à celui qui est prompt à adopter le juste milieu en évitant l’excès et le défaut (cf. Éthique à Nicomaque, VI, 1, 1), dans le domaine politique, il revient aux dirigeants modérés capables, tel Solon, de mener une politique du juste milieu (cf. Constitution d'Athènes, V, 1-3 ; VI, 2-4 ; XII, 2) ou susceptibles, tel Théramène, d’agir en citoyen modèle en soutenant toutes les formes de gouvernement qui respectent les lois (cf. Constitution d'Athènes, XXVIII, 5).

92 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XI, 2. – Aristote, Rhétorique, II, 23, 1398 b, rappelle clairement que les Athéniens qui ont suivi les lois de Solon ont connu une existence heureuse.

93 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 8.

94 Sur les continuités entre la démocratie solonienne et le régime de Pisistrate, cf. Day & Chambers 1962, 67 sq. ; 92.

95 En faveur auprès d’Aristote, le régime de Solon mêle ainsi savamment des caractéristiques démocratiques, oligarchiques et aristocratiques (cf. Aristote, Politique, II, 1273 b 35-1274 a 17). La politie est, quant à elle, un heureux mélange d’institutions démocratiques et oligarchiques (cf. ibid., IV, 8-9, 1293 b 22-1294 b 41 ; et Moraux 1964, 143 sq. notamment).

96 Sur le caractère polémique de la littérature politique athénienne du IVe siècle, cf. Carlier 1995, 255.

97 Cf. Mossé 1963, 164 sq.

98 Platon (La République, Le Politique), Xénophon (La Cyropédie, Agésilas) et Isocrate (À Nicoclès, Évagoras) se penchent ainsi sur la question de la supériorité du pouvoir monarchique. Sur l’affirmation possible d’un courant idéologique monarchiste au IVe siècle, voir Carlier 1995, 254 sq., et Mossé 2001, 156 sq. ; 164.

99 D’après Aulu-Gelle, Nuits attiques, 14, 3, 3, et Diogène Laërce, III, 34, Xénophon aurait ainsi composé la Cyropédie pour répondre au système de gouvernement proposé par Platon dans la République.

100 Sur le réalisme aristotélicien, son opposition à l’idéalisme platonicien et sur sa remise en cause actuelle, voir Châtelet 1974, 180-183 ; Contogiorgis 1978, 160 ; Louis 1990, 53 ; Crubellier & Pellegrin 2002, 152 sq.

101 Sur l’opposition entre le Lycée d’Aristote et l’Académie de Platon, cf. Diogène Laërce, V, 2, et Crubellier & Pellegrin 2002, 20-22 ; 24 ; 46. Sur la rivalité entre Aristote et Isocrate, voir Isocrate, Lettre à Alexandre (cf. Mathieu 1925, 185) ; Denys d’Halicarnasse, Isocrate, 18 ; Diogène Laërce, V, 11.

102 Le portrait aristotélicien de Pisistrate emprunte ainsi des traits au topos de la figure tyrannique classique. Comme chez Platon (cf. République, I, 344 a ; Lois, X, 908 d) et Xénophon (cf. Mémorables, III, 9, 10), le tyran dépeint par Aristote accède au pouvoir par la ruse. Comme chez Platon (cf. République, VIII, 566 d-e ; IX, 577 a-b), il s’y maintient par son jeu d’acteur (chez Xénophon, Cyropédie, VIII, 1, 40, Cyrus assure également qu’il est nécessaire de jouer la comédie devant le peuple). Comme Platon, République, VIII, 565 d, Aristote, Politique, V, 10, 1310 b 8-31, constate que le tyran agit en démagogue. Comme la plupart des théoriciens du IVe siècle influencés par le portrait du tyran du livre VIII de la République de Platon, Aristote reproche à la tyrannie, d’une façon générale, son caractère arbitraire et despotique (cf. Politique, III, 8, 1279 b 17-18 ; et Mossé 1963, 169).

103 Inscrite dans le prolongement des conseils de modération donnés par Xénophon au tyran dans Hiéron, la position d’Aristote s’oppose ici, par sa souplesse et par son attention à la complexité historique, aux remarques de Platon, Lettres, VIII, 354 a-c, selon lesquelles le tyran doit nécessairement se convertir en roi pour aspirer au rang de bon dirigeant.

104 Cf. Platon, République, VIII, 562 a.

105 Cf. Aristote, Politique, V, 12, 1316 a 1 sq ; 1316 a 35 sq.

106 Cf. Aréopagitique (VII), 15-16 ; Panathénaïque (XII), 148.

107 Cf. Constitution d'Athènes, XVI, 6 ; XVI, 8. Sur la tradition représentant Pisistrate comme partisan de la démocratie, voir Calabro 1984.

108 Même si Aristote, Constitution d'Athènes, XIV, 1, et XLI, 2, voit dans le régime institué par Pisistrate la quatrième rupture (metabolè) de l’histoire athénienne, il rappelle qu’il se distingue par son respect du peuple et des lois de Solon (cf. Constitution d'Athènes, XVI ; Day & Chambers 1962, 67 sq. ; 92 sq.).

109 Voir Platon, Politique, 276 e ; 301 a-c ; Xénophon, Mémorables, IV, 6, 12 ; Aristote, Politique, III, 14, 1285 a 24-29 ; IV, 1295 a 17 sq. ; V, 10, 1311 a 2 sq. ; Rhétorique, I, 8, 1365 b 37 sq. ; Éthique à Nicomaque, VIII, 10, 2. Sur les notions de basileus et tyrannos chez Platon, voir M. Piérart, « Les figures du roi et du tyran dans les Lois de Platon », Ktèma, 16, 1991, p. 219-227 ; chez Isocrate : J.-P. Liou, « Isocrate et le vocabulaire du pouvoir personnel : roi, monarque et tyran », ibid., p. 211-217.

110 Pour Platon, République, IV, 427 c-435 d, la cité parfaite compte quatre vertus cardinales : la sagesse, le courage, la tempérance et la justice.

111 Cyrus : Anabase, I, 9, 16 (justice) ; I, 9, 22 (générosité) – Jason de Phères : Helléniques, VI, 1, 16 (tempérance) – Agésilas : Agésilas, III, (humanité et loyauté) ; IV (désintéressement) ; V (tempérance, justice) ; VI (courage) ; VII (respect des lois).

112 Démonicos : À Démonicos (I), 15, 20, 21 (modération, maîtrise de soi, douceur, justice) – Évagoras : Évagoras (IX), 23 (courage) ; 43 (humanité) ; 44 sq. (modération, maîtrise de soi, bienfaisance) ; 49 (douceur) ; 65 (prudence) – Nicoclès : À Nicoclès (II), 16 ; 20 ; 23 (justice) ; 26 et 29-32 (tempérance, maîtrise de soi, justice) ; 15-16 et 23-24 (douceur).

113 Pisistrate agit ainsi de la même façon qu’Évagoras (cf. Isocrate, Évagoras [IX], 46).

114 L’obéissance consentie est généralement tenue comme la marque des bons dirigeants (cf. Xénophon, Économique, IV, 19 ; Cyropédie, I, 1, 3 ; I, 6, 21 ; III, 1, 28, etc.).

115 Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 2-3 (traduction Sève 2006, 84) ; cf. aussi Constitution d'Athènes, XVI, 5. – Sur les prêts accordés par Pisistrate aux petits paysans pour résoudre la crise agraire athénienne, voir notamment L.-M. L’Homme-Wéry, « La législation de Solon : une solution à la crise agraire d’Athènes ? », Pallas, 64, 2004, p. 144-155.

116 Cf. Xénophon, Cyropédie, I, 6, 17-18.

117 Cf. Isocrate, Lettre à Timothée, 3.

118 Cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 7 ; Isocrate, Aréopagitique (VII), 51 sq. Sur l’interprétation de l’idéal de la tranquillité civique au IVe siècle, voir Demont 1990, 47-51.

119 Cf. Platon, Lettres, VII, 326 a-b ; République, V, 463 a sq., 473 d ; Politique, 293 d-e, 297 a-b ; Lois, III, 688 e, 690 b-c.

120 Pour Xénophon, Mémorables, III, 9, et IV, 2, l’art du commandement s’acquiert par l’expérience et par le conseil. Chez Isocrate, le bon souverain doit tirer son savoir politique de l’expérience, des conseils comme des spéculations théoriques (cf. À Nicoclès [II], 4 ; 10-13 ; 35).

121 Si Hippias semble avoir hérité des vertus de son père, on notera que la tyrannie se durcit après l’assassinat d’Hipparque et précipite ainsi sa fin (cf. Aristote, Constitution d'Athènes, XVI, 7 ; XVIII-XIX). Sur la question de la transmission héréditaire du pouvoir politique chez Aristote : cf. Politique, III, 15, 1286 b 22-27 ; V, 10, 1312 b 18-33.

122 Pour une idée partielle des principaux enjeux de ce débat, cf. Xénophon, Cyropédie, VIII, 1, 1 ; VIII, 1, 44 ; Agésilas, VII ; Hiéron, XI ; Platon, République ; Lois ; Lettres, VII, 327 d ; Isocrate, Nicoclès (III), 31-32 ; Évagoras (IX), 43 et 49 ; Aristote, Rhétorique, II, 23, 1298 b. Voir aussi Châtelet 1974, 161.

123 Platon, Lois, IV, 713 b-714 a (traduction des Places 1951, 61 sq.). Voir encore Platon, Politique, 271 d-272 c, 275 b-c. À la différence du Critias, 109 b-e, Platon renonce ici à présenter comme contemporains l’ordre non politique de Cronos et l’ordre politique du gouvernement de Zeus.

124 Pour Isocrate, Aréopagitique (VII), 15-16 ; 58-59, l’idéal est le retour à la constitution des ancêtres.

125 Voir Châtelet 1974, 167 ; Weil 1964, 180-182.

126 Aristote, Politique, VII, 2, 1325 a 7-10, fixe ainsi les devoirs du législateur : « Et l’office du sage législateur est de considérer, pour un État, une famille de peuples ou toute autre communauté, comment sera réalisée leur participation à une vie bonne, et au bonheur qu’il est leur possible d’atteindre » (traduction Tricot 1962, 477) ; voir encore Politique, VI, I, 3, 1288 b 37.

127 Les conseils donnés par Aristote au livre V de la Politique en vue de modérer la politique des tyrans de son temps s’inscrivent ainsi dans le prolongement de ceux prodigués par Platon à Denys l’Ancien (cf. Lettres, VIII, 354 a) ou bien encore par Xénophon (cf. Hiéron, IX-XI) et par Isocrate (cf. Hélène [X], 32 sq.).

128 Déjà lors de son séjour à Atarnée, il cherche sans doute à influencer le tyran Hermias, qu’il croit acquis aux idées de la philosophie : cf. Diogène Läerce, V, 3, 9, 10 ; Jaeger 1997, 112-117 ; Louis 1990, 50-53. Avec Diogène Laërce, V, 4, et Louis 1990, 80, on retiendra que des éléments légendaires assurent qu’Aristote a donné des lois à la cité de Stagire une fois refondée.

129 Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 9, 23 (traduction Voilquin 1950, 509).

130 Sur le rôle de l’exemple historique dans l’élaboration des théories politiques d’Aristote, voir notamment Gregorio 2001, 79 sq.

131 Les comparaisons historiques menées dans la Politique permettent notamment d’approfondir la connaissance des dirigeants tyranniques : cf. Politique, V, 10, 1310 b 8-31.

132 Sur l’histoire comme règne de la contingence chez Aristote, cf. Poétique, XXIII, 1459 a 17 sq. ; Châtelet 1974, 194 sq. ; 205 ; Vergnières 1995, 229 sq.

133 En réaction probable aux histoires banales et annalistiques de l’Atthis, Aristote, Poétique, IX, 1451 a 36-b 1, rappelle que la poésie a un caractère plus philosophique et plus intéressant que l’histoire, car la première traite du général, la seconde du particulier. Sur la célèbre opposition entre histoire et poésie chez Aristote, voir par exemple Gregorio 2001, 72 ; Hartog 2005, 41.

134 Cf. Weil 1964, 162 sq. ; Vergnières 1995, 230 ; Darbo-Peschanski 2007, 130-132.

135 Cf. Aristote, Rhétorique, I, 8, 1365 b : « Ce qu’il y a de plus important et de plus efficace pour pouvoir persuader et bien conseiller est de connaître toutes les constitutions, d’en distinguer les habitudes, les institutions et les intérêts » (traduction Dufour 1932, 106). Voir encore Rhétorique, I, 4, 1360 a 20-23 ; 30-36 ; Politique, II, 1, 1260 b 27-35 ; IV, 1, 1288 b 22-33 et 1289 a 11-23.

136 Une connaissance approfondie des différentes constitutions est ainsi indispensable au dirigeant politique pour connaître la constitution la mieux adaptée au réel et déterminer la marche à suivre pour redresser une constitution déviée (cf. Aristote, Politique, IV, 1, 1288 b 21-1289 a 10 ; IV, 14, 1297 b 37-38).

137 Tel est en tout cas l’avis de Plutarque (notamment Vie d’Alexandre, 7, 2).

138 Sur l’ambition prêtée à Aristote de faire d’Alexandre un philosophe roi, cf. Louis 1990, 64.

139 Cf. Aréopagitique (VII), 78 sq. ; N. Loraux, L’invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la « cité classique », Paris, Éditions de l’EHESS – La Haye, New York, Mouton (Civilisations et Sociétés ; 65), 1981, p. 120 ; F. Hartog, L’histoire, d’Homère à Augustin. Préfaces des historiens et textes sur l’histoire, Paris, Seuil (Points essais ; 388), 1999, p. 103 sq.

140 Cf. Rhétorique, I, 9, 1368 a, et II, 20, 1394 a. Au IVe siècle, la représentation du passé comme source d’exemples pour guider le présent est largement partagée : cf. Démosthène, Sur la couronne, 95 et 210 ; Lycurgue, Contre Léocrate, 100 ; Hartog 2005, 34 ; 43 ; 67-68.

141 Aristote, Politique, V, 11, 1313 b 21-25, compare ainsi la politique tyrannique des pharaons et celle des Pisistratides, car elles consistent toutes deux à appauvrir, par le biais de constructions monumentales, leurs sujets.

142 Aristote, Politique, V, 10, 1311 a 28-b 6, rappelle ainsi que l’outrage déclenche la révolte de Pausanias contre Philippe comme celle d’Harmodios et d’Aristogiton contre les Pisistratides.

143 Voir ici Diogène Laërce, V, 1 ; V, 4 ; Plutarque, Vie d’Alexandre, 7, 1-5 ; Louis 1990, 61 ; 65-67. Selon Dascalakis 1965, 175 notamment, et Louis 1990, 68, le traité d’Aristote Sur la royauté – dont il ne reste presque rien – aurait été destiné à l’éducation du prince Alexandre.

144 Cf. Jaeger 1997, 331.

145 Cf. Jaeger 1997, 122, et Louis 1990, 95 sq.

146 Voir notamment Goukowsky 1978, 22 sq. ; 25 ; Pédech 1984, 15 sq., et Mossé 2001, 78.

147 Cf. Plutarque, Vie d’Alexandre, 7 sq. ; 10 sq.

148 Plutarque, Vie d’Alexandre, 8, 4 (traduction Flacelière & Chambry 1975, 38 sq.). Voir aussi Sur la fortune d’Alexandre, I, 4 (Moralia, 327 F).

149 Cf. Crubellier & Pellegrin 2002, 15.

150 Cf. Louis 1990, 69. Les échanges épistolaires qu’on a pu leur prêter sont probablement apocryphes (pour le débat historiographique sur l’authenticité de la correspondance entre Aristote et Alexandre, voir notamment P. Carlier, « Étude sur la prétendue lettre d’Aristote à Alexandre », Ktèma, 5, 1980, p. 277-288, et R. Weil, « Sur la Lettre d’Aristote à Alexandre », in Aristoteles Werk und Wirkung. Mélanges P. Moraux, I, Aristoteles und seine Schule, J. Wiesner (éd.), Berlin – New York, de Gruyter, 1985, p. 485-498).

151 Pour Goukowsky 1978, 51-56, la Lettre d’Aristote à Alexandre sur la politique envers les cités (Texte arabe établi et traduit par J. Bielawski, commentaires de M. Plezia, Wroclaw – Varsovie – Cracovie, [Archivum Filologiczne ; XXIV], 1970) doit être considérée comme un authentique programme de gouvernement assorti de conseils relatifs à l’art de bien gouverner et d’une mise en garde contre l’influence nocive de certains flatteurs (Anaxarque). Alexandre doit ainsi préférer la gloire du législateur à celle du soldat (Préambule, 1, 1-4) et s’astreindre à respecter la justice pour éviter de se comporter en un tyran détesté (7, 5 et 9-10 ; 12, 1-9).

152 Voir ici Pédech 1984, 15 sq.

153 Sur la rivalité entre Callisthène et Anaxarque, voir Plutarque, Vie d’Alexandre, 52, 8-9 ; Arrien, Anabase, IV, 10, 1, et Goukowsky 1978, 267.

154 Sur le meurtre de Cleitos et la différence de son exploitation politique par le modéré Callisthène et le partisan de l’absolutisme Anaxarque, voir Plutarque, Vie d’Alexandre, 50-52 ; Goukowsky 1978, 46.

155 Sur la rivalité de Callisthène et d’Anaxarque au sujet de la proskynèse et de son utilisation politique par Alexandre, cf. Arrien, Anabase, IV, 10, 5-12, 6, et Goukowsky 1978, 47-49.

156 Callisthène tenait des conférences devant de hauts dignitaires comme devant de jeunes pages, attirés par le franc-parler de l’historien ainsi que par son refus des dérives tyranniques d’Alexandre, que certains d’entre eux auraient même tenté d’assassiner. Callisthène, impliqué dans l’affaire, est alors exécuté (cf. Plutarque, Vie d’Alexandre, 55, 2-9 ; Arrien, Anabase, IV, 13 sq., et Goukowsky 1978, 49 ; 55).

157 Cf. Arrien, Anabase, IV, 10, 3-4, et Pédech 1984, 16 sq. Sur l’évocation du tyrannicide par Callisthène chez Plutarque, voir Vie d’Alexandre, 55, 2-4.

158 Sur la situation politique athénienne au temps d’Alexandre, voir Mossé 1963, 164 notamment.

159 Cf. Démosthène, Sur la couronne, 203-206.

160 Sur la politique de Lycurgue visant à redonner force, grandeur et indépendance à la cité athénienne après Chéronée, voir notamment Habicht 2000, 26 sq. ; 41-43 ; 47 sq. Aristote montre un intérêt manifeste pour la politique de renouveau athénien menée par Lycurgue, comme le suggère la minutieuse description de l’éphébie livrée au chapitre XLII de Constitution d'Athènes (cf. Habicht 2000, 43).

161 Cf. Contre Léocrate, 98.

162 Voir ici respectivement : Première Olynthienne, 3-4 ; Deuxième Olynthienne, 17-19 ; Première Philippique, 3, 37 ; Sur l’Halonnèse, 44 ; Troisième Philippique, 32.

163 Voir respectivement : Seconde philippique, 21 ; 24 ; 25, et Sur la couronne, 65-66 ; 72 ; Seconde Philippique, 7.

164 Cf. Pseudo-Démosthène, Sur le traité avec Alexandre, 4 ; 5 ; 6 ; 10 ; 12 ; 25 ; 29.

165 D’une façon générale, le topos du mauvais tyran est régulièrement incarné, dans la seconde moitié du IVe siècle, par les Pisistratides. Tel est le cas chez les Athéniens comme chez les Macédoniens (cf. Démosthène, Lettre de Philippe, 6 sq.).

166 Pseudo-Démosthène, Sur le traité avec Alexandre, 3-4 (traduction de M. Croiset in Démosthène, Harangues II, Paris, Les Belles Lettres [CUF ; 26], 1925, p. 165).

167 Cf. Habicht 2000, 45-48.

168 Pour une analyse de ces épisodes, voir Habicht 2000, 34 ; 39 ; 40 ; 46.

169 Cf. Athénée de Naucratis, IX, 398 e ; Élien, Histoire variée, IV, 19 ; Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 8, 44 ; Lynch 1972, 83, et Louis 1990, 89.

170 Cf. Diogène Laërce, V, 11, et Jaeger 1997, 323.

171 Cf. Jaeger 1997, 323. Les Athéniens considéraient Aristote comme un homme lié à la Macédoine, comme le suggèrent les railleries dont il l’accablèrent (cf., par exemple, Plutarque, De l’exil, 10, 604 d) et la violente réaction anti-macédonienne qui le frappa à la mort d’Alexandre le Grand (cf. Diogène Laërce, V, 5 sq. ; Élien, Histoire variée, III, 36 ; Jaeger 1997, 30 ; Louis 1990, 100 ; Crubellier & Pellegrin 2002, 18 sq.).

172 Entre 331 et 324, Athènes est effectivement touchée par une durable pénurie de blé (cf. P. Garnsey, Famine and Food Supply in the Graeco-Roman World. Responses to Risk and Crisis, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 154-166, et Habicht 2000, 44 sq.).

173 Sur la prospérité économique athénienne au temps de Pisistrate, cf. Day & Chambers 1962, 175.

174 Cf. Habicht 2000, 32.

175 D’après Levi 1978, Alexandre donne, à la différence de son père, l’impression de rechercher l’alliance des Grecs plutôt que leur soumission.

176 Cf. Plutarque, Vie d’Alexandre, 16 ; 17-18 ; 34, 1-2 ; Arrien, Anabase, I, 16, 6 sq. ; 29, 5 ; III, 6, 2. Voir aussi Goukowsky 1978, 19 sq. ; 245 ; Habicht 2000, 34 ; 37, et Mossé 2001, 72.

177 Cf. Arrien, Anabase, III, 16, 7 sq., et Habicht 2000, 32.

178 Sur le silence d’Aristote au sujet de l’œuvre politique d’Alexandre, voir notamment Sinclair 1953, 222 ; Châtelet 1974, 199 ; Carlier 1995, 117.

179 Cf. Châtelet 1974, 203 sq.

180 Cf. Hadot 1995, 124.

181 Sur l’idéal théorétique et ses conséquences éthiques et politiques, voir Hadot 1995, 124-129 ; 142-144, et Crubellier & Pellegrin 2002, 111 sq. ; 187 ; 203-205.

182 Sur la construction des figures politiques par les hommes de savoir, voir R. Bodéüs, « Figures du politique », in Le savoir grec. Dictionnaire critique, J. Brunschwig, G. E. R. Lloyd et P. Pellegrin, Paris, Flammarion (Mille et une pages), 1996 (rééd. 2011), p. 198-222.

183 Sur l’utilisation des figures mythologiques et historiques comme exemples paradigmatiques au service des théories aristotéliciennes, voir notamment Aubenque 1963, 49 sq.

184 Cf. Isocrate, Évagoras (IX), 37-39.

185 Voir ici, par exemple, Jacoby 1949, 77.

186 Cf. Platon, Lettres, VIII, 354 a-c.

187 Cf. C. Mossé, « Comment s’élabore un mythe politique : Solon, père fondateur de la démocratie athénienne », Annales E.S.C., 34, 1979, p. 425-437.

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Pour citer cet article

Référence papier

Francis Larran, « Pisistrate au Lycée ou le temps de Cronos retrouvé »Kentron, 28 | 2012, 53-88.

Référence électronique

Francis Larran, « Pisistrate au Lycée ou le temps de Cronos retrouvé »Kentron [En ligne], 28 | 2012, mis en ligne le 12 décembre 2017, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/1108 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.1108

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Auteur

Francis Larran

Lycée Martin Luther King, Bussy-Saint-Georges – ArScAn (Maison René Ginouvès, Université Paris Ouest Nanterre La Défense)

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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