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Comptes rendus

Fabrique de la déclamation antique (controverses et suasoires), Rémy Poignault, Catherine Schneider (éd.)

Françoise Lecocq
p. 153-155
Référence(s) :

Fabrique de la déclamation antique (controverses et suasoires), Rémy Poignault, Catherine Schneider (éd.), Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée (CMO ; 55. Série littéraire et philosophique ; 21), 2016, 443 p.

Texte intégral

1Sous une belle couverture illustrant la Déclamation 8 de Choricius de Gaza : Praxitèle se défendant d’avoir pris la courtisane Phryné pour modèle de sa statue d’Aphrodite (un tableau de Gérôme), nos collègues Rémy Poignault, spécialiste (entre autres) de Fronton, et Catherine Schneider, traductrice du Pseudo-Quintilien, offrent un volume international qui fait suite à leur Présence de la déclamation antique (controverses et suasoires), paru à Clermont-Ferrand en 2015 dans la collection « Caesarodunum – Présence de l’Antiquité ». Les deux ouvrages sont issus d’un colloque qui s’est tenu dans leurs universités respectives, à Clermont-Ferrand en 2011 et à Strasbourg en 2012. Le second est entièrement consacré aux auteurs anciens.

2Ces experts de la rhétorique latine, qui n’ont ici contribué qu’à la préface, ont rassemblé vingt et un articles. Les participants sont principalement étrangers, à la différence du premier ouvrage, beaucoup plus francophone ; chaque article est précédé de résumés en français et anglais, et l’avant-propos des éditeurs scientifiques en livre également une synthèse de quelques lignes (p. 10-15). Outre la France, l’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Canada et les États-Unis sont représentés tant par des savants émérites que par de jeunes chercheurs, cités ici alphabétiquement : Andrea Balbo, Bé Breij, Graziana Brescia, Thorsten Burkard, Gualtiero Calboli, Marion Faure-Ribreau, Pascale Fleury, Erik Gunderson, Fotini Hadjittofi, Nicholas A.E. Kalospyros, Mario Lentano, Giovanna Longo, Ida Mastrorosa, Estelle Oudot, Lucia Pasetti, Fabrice Robert, Pablo Schwartz Frydman, Antonio Stramaglia, Michael Trapp, Christopher Van den Berg et Gianluca Ventrella.

3La première partie de ce livre, sous le thème du « miroir de la déclamation », regroupe les articles sur « le déclamateur d’après / dans la déclamation », « la poétique de la déclamation » et la déclamation comme « ludus entre instruction et distraction des élites ». Dans la seconde partie, sous le thème des « valeurs et figures », sont étudiées les « valeurs culturelles » des déclamations, leur côté « scabreux » et leur relation à la politique (« Déclamations politiques, politique de la déclamation »). Seize articles traitent d’un auteur spécifique, les cinq autres abordent des sujets transversaux.

4Le corpus des douze auteurs principalement étudiés couvre une bonne part du champ de la rhétorique antique et se répartit équitablement entre grec et latin : Aelius Aristide, Choricius de Gaza, Dion Chrysostome, Philostrate, le Pseudo-Denys d’Halicarnasse et Sopatros d’une part, Calpurnius Flaccus, Lucius Cestius Pius, Fronton, Quintilien et le Pseudo-Quintilien, Sénèque le Rhéteur d’autre part, dans un éventail chronologique qui va du Ier siècle av. J.-C. au VIe siècle apr. J.-C. Le mieux représenté est le Pseudo-Quintilien (quatre articles), suivi par Sénèque le Rhéteur et Aelius Aristide (trois articles).

5Les sujets abordés chez ces auteurs sont d’ordre plus ou moins technique et littéraire (lexique, langue, style, composition, intertextualité, concepts de color, divisio, sententia et status : Balbo, Burkard, Calboli, Faure-Ribreau, Kalospyros, Pasetti), ou bien d’ordre thématique, pour les discours mettant en scène tyran, riche et pauvre, père et fils, belle-mère, jeune fille et séducteur, perversions et travestissements sexuels (Breij, Brescia, Hadjittofi, Longo). L’étude de la métarhétorique des discours (Stramaglia) nous introduit dans le processus de la fabrique de la déclamation, comme l’annonce le titre de l’ouvrage. Les œuvres livrent des aperçus sur le « je » du rhéteur, mis en scène comme au théâtre (Pasetti), et sur la haute conception qu’il a de son activité, comparée à celle d’une ruche (Van den Berg).

6Un des concepts les plus opérants pour le sujet est celui du jeu, qui tire son origine de l’ambiguïté du mot latin ludus, signifiant à la fois « école » et « jeu, loisir », un lieu d’apprentissage (tant pour les gladiateurs que pour les élèves), et aussi une activité ludique ou scénique (Gunderson). Le corpus des déclamations qui nous sont parvenues balance en effet entre exercice scolaire et spectacle public, « instruction et distraction », passant du statut de « moyen » à celui de « fin », sans que la ligne de démarcation soit toujours claire (Robert).

7La perspective choisie par les contributeurs peut aussi être éthique, juridique et historique. Car la rhétorique a certes son propre univers fictionnel, mais elle parle également du monde dans lequel elle s’exerce. Malgré le relatif dédain dans lequel a été tenu ce genre littéraire par les Modernes (autant que les Anciens) jusqu’à une date récente, par rapport à la grande éloquence, la déclamation livre aussi des témoignages indirects sur son temps, par exemple sur le culte de Vesta (Mastrorosa), sur la politique augustéenne de la mémoire de Cicéron (Lentano) ou sur l’évolution des mentalités en matière sexuelle (Longo). Elle traite bien sûr du droit (Calboli), mais elle peut aussi récrire l’histoire d’Athènes (Ventrella) et le meurtre de Cicéron (Lentano) ou bien polémiquer contre Domitien (Ventrella). Loin d’être coupée du monde réel, la déclamation peut interagir avec son environnement selon le temps et le lieu où elle s’exerce. Grecque ou latine, et aussi artificielle qu’elle puisse sembler, elle est inséparable de son contexte culturel : la littérature, l’éloquence, la poésie, le théâtre et la philosophie (Thucydide : Oudot, Cicéron et Virgile : Schwartz Frydman, Sénèque : Breij), ainsi que de son contexte historique : l’empire de Rome. Dans l’air du temps, elle peut être en phase avec le lieu géographique de son énonciation (Trapp), avec des personnages contemporains (Fleury), avec une campagne de moralisation des mœurs (Longo, Mastrorosa), ou bien elle peut encore abonder dans le sens de la propagande officielle (Lentano, Oudot). Elle peut même s’engager politiquement (Ventrella). La sophistopolis est en effet un univers aux valeurs principalement romaines (Hadjittofi, Schwartz Frydman), malgré une tentative de réaction atticisante (Kalospyros).

8Le profane butinera par exemple la contribution de Pasetti sur les échos internes de l’ego du rhéteur, ou les articles pluridisciplinaires de Lentano sur la réécriture augustéenne de l’assassinat de Cicéron, et de Van den Berg sur la ruche comme image de la structure et de la culture d’une déclamation.

9Le spécialiste fera son miel de la haute technicité des études de Burkard, Calboli et Fabre-Ribeau sur la définition de notions fondamentales, des conclusions de Balbo sur la datation et l’identification de Calpurnius Flaccus, et de celles de Robert sur la réévaluation du statut et de la destination des discours d’Aelius Aristide.

  • 1 In tenui labor, at tenuis non gloria (Géorgiques IV, 6, traduction de Maurice Rat).

10Les articles de ce beau et riche volume sont pour la plupart courts : une dizaine de pages (sans doute sur la consigne des éditeurs, comme trop souvent de nos jours), mais, comme l’écrivait Virgile dans son poème sur les abeilles : « Mince est le sujet, mais non mince la gloire »1.

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Notes

1 In tenui labor, at tenuis non gloria (Géorgiques IV, 6, traduction de Maurice Rat).

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Pour citer cet article

Référence papier

Françoise Lecocq, « Fabrique de la déclamation antique (controverses et suasoires), Rémy Poignault, Catherine Schneider (éd.) »Kentron, 33 | 2017, 153-155.

Référence électronique

Françoise Lecocq, « Fabrique de la déclamation antique (controverses et suasoires), Rémy Poignault, Catherine Schneider (éd.) »Kentron [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 09 janvier 2018, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/kentron/1078 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/kentron.1078

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