Croix A. et Nerrière X. (2017), Le peuple d’Hélène Cayeux. L’œuvre d’une photographe nantaise, Nantes, Éditions du centre d’histoire du travail, 185 p.
Croix A. et Nerrière X. (2017), Le peuple d’Hélène Cayeux. L’œuvre d’une photographe nantaise, Nantes, Éditions du centre d’histoire du travail, 185 p.
Texte intégral
1Hélène Cayeux, née à Paris, photojournaliste à l’AFP puis à Ouest France à Nantes pendant plus de vingt ans, a récemment légué 40 000 photographies au Centre d’Histoire du Travail (CHT), qui a, grâce à ce fonds, conçu une exposition et cet ouvrage… Ouvrage que la photographe n’aura pas vu fini, étant décédée quelques jours avant sa parution. Ces circonstances, qui n’ont pas permis aux auteurs de réaliser des entretiens approfondis avec Hélène Cayeux, ont orienté la forme et le contenu de cet ouvrage très illustré qui ne porte pas sur une photographe célèbre et reconnue mais sur une photojournaliste ordinaire, attachée à montrer le quotidien de gens ordinaires notamment au travail. Il s’agit tout autant de rendre compte d’un regard et d’une œuvre que de retracer l’histoire récente de la mutation industrielle de la région nantaise, secouée depuis plusieurs décennies par les fermetures d’usines et les conflits sociaux. C’est ce qui fait l’originalité de cet ouvrage rédigé par Alain Croix, professeur d’histoire moderne à l’Université de Rennes, et Xavier Nerrière, animateur au CHT, en charge des fonds iconographiques et spécialiste des images du travail.
2Née en 1946 à Paris et ayant suivi une formation qui l’orientait vers la photographie industrielle (publicité, commande d’entreprise), Hélène Cayeux sera profondément influencée par deux photographes de la génération précédente : Robert Doisneau avec lequel elle partage un fort attachement au Paris populaire et François Kollar dont elle hérite l’intérêt pour le monde du travail. Ses clichés montrent, au delà d’une proximité avec les luttes et le mouvement social, une volonté d’immersion dans le quotidien, d’interaction et de compréhension des personnes qu’elle photographie. Son sujet de prédilection est moins le travail que celles et ceux qui le réalisent au quotidien quel que soit le type d’activités, le lieu ou la situation : à l’usine, au champ, sur un bateau, dans un laboratoire, un bureau, un chantier ou un magasin.
3Comme le montre ce cliché, l’éclectisme apparent de la photographe cache en fait un intérêt particulier et plutôt original pour le poste de travail dans des espaces industriels en train de disparaître. Ce que saisit Hélène Cayeux, femme dans un métier qui en compte peu, c’est la relation intime des humains à la machine et plus particulièrement des ouvrières. Elle nous a laissé un grand nombre de photographies de femmes au travail dans des secteurs féminisés comme le textile ou l’industrie agro-alimentaire mais aussi dans des métiers d’hommes. On est frappé par sa capacité à saisir dans le même cliché la relation intime au (poste de) travail et l’immensité des installations industrielles qui participent à la production.
4Hélène Cayeux se révèle être une photographe des foules, capable en un cliché de rendre compte de « L’esprit d’une manifestation » comme l’expliquent Alain Croix et Xavier Nerrière dans le chapitre V. Dans nombre de ses photographies, elle s’attache à montrer dans leur unité l’individu et le groupe. Elle présente aussi une étonnante capacité à articuler images et textes, en soulignant la cohérence ou au contraire le décalage entre ce que donnent à voir les individus à travers leur regard et leur corps, et ce que laissent entendre les slogans, les pancartes ou autres banderoles. Une autre compétence d’Hélène Cayeux est sa capacité à capter la complicité. Complicité entre femmes dans des luttes de longue durée telle celle des ouvrières de Chantelle, symbolisant noblesse et dignité du travail. Complicité qui reflète en fait celle existant entre la photographe et ses modèles.
5On touche là au cœur du travail d’Hélène Cayeux, à l’importance qu’elle accorde aux regards des personnes photographiées. Ainsi, toute la tension des luttes, des manifestations et de leur répression est résumée, transcendée par cette confrontation des regards entre un gendarme et un jeune ouvrier lors d’un conflit à Carquefou en février 1979.
6De même, cet ensemble de regards inquiets lors de la fermeture des chantiers Dubigeon à Nantes rend compte, plus qu’un long discours, de la lassitude, de l’échec et du tournant historique pour l’industrie nantaise qui perd son dernier chantier naval. Cette capacité à saisir un regard fait aussi tout l’intérêt de cette image plus que banale de ce que les journalistes appellent des « marronniers », c’est à dire des sujets bateaux qui reviennent régulièrement. Le regard complice de la jeune cueilleuse de muguet, sans doute saisonnière, et le petit geste qu’elle esquisse, comme pour nous offrir cette image, font toute la différence.
7L’intérêt pour des détails, des petits riens pourtant significatifs au delà de l’anecdotique, semble marquer le travail d’Hélène Cayeux. On le retrouve dans ce cliché mettant en scène un travail banal et répétitif de construction d’une maison et en particulier de pose d’un grillage à béton. Deux éléments attirent l’attention de l’observateur attentif. Le premier renvoie aux mouvements des corps qui suggèrent une chorégraphie harmonieuse, presque aérienne, en contradiction avec les présupposés bien ancrés sur le travail dans le bâtiment et la virilité qu’implique cette activité. Le second correspond à une sorte de surgissement du réel qui s’impose comme en contrebande : malgré la dangerosité du travail et la dureté des matériaux, les ouvriers n’ont pas d’équipement de protection et en particulier pas de gants.
8Le lecteur aimerait savoir comment Hélène Cayeux construisait ses images et, de ce point de vue, il reste un peu sur sa faim. Au total, l’ouvrage d’Alain Croix et de Xavier Nerrière présente les qualités de ses limites. Ce n’est pas une biographie détaillée de la démarche et de l’œuvre d’Hélène Cayeux, faute d’entretiens approfondis avec cette photographe de presse et compte tenu du fait que les témoignages recueillis auprès des confrères, des amis voire des modèles restent limités, quelquefois anecdotiques voire un peu hagiographiques. L’accent est délibérément mis sur l’iconographie : environ 170 photographies, souvent de grande qualité et présentant une diversité remarquable. On a l’impression de pénétrer et de voyager à travers l’œuvre d’Hélène Cayeux qui aimait faire parler ses photographies, en jouant sur la relation entre textes et images. Choisies avec astuces, elles se confrontent, se répondent et soulignent ainsi l’existence d’un regard quelque soit le thème, le sujet ou l’époque des clichés. Ce que les auteurs nomment « l’œil d’une photographe » (chapitre VI).
9Empathie, œil de la photographe et complicité des sujets photographiés font la richesse de clichés comme celui, pourtant on ne peut plus banal voire trivial, de la file d’attente devant les WC publics lors d’une manifestation en novembre 1983 en faveur de l’école publique. Les sourires complices des manifestant·e·s, qui renvoient sans doute au sourire de la photographe, donnent un sens fort et inattendu à cette image, souligné par les auteurs : « Nous avons compris votre intention : et oui, nous sommes si nombreuses qu’il faut faire la queue même ici. »
Table des illustrations
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Référence électronique
Jean-Paul Géhin, « Croix A. et Nerrière X. (2017), Le peuple d’Hélène Cayeux. L’œuvre d’une photographe nantaise, Nantes, Éditions du centre d’histoire du travail, 185 p. », Images du travail, travail des images [En ligne], 5 | 2018, mis en ligne le 01 février 2018, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/919 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itti.919
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