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Notes critiques

Maeck J. et Steinle M. (dir.), 2016, L’image d’archives. Une image en devenir, PUR, 339 p.

Françoise F. Laot
Bibliographical reference

Maeck J. et Steinle M. (dir.), 2016, L’image d’archives. Une image en devenir, PUR, 339 p.

Full text

1Cet ouvrage collectif rassemble une vingtaine de contributions d’auteur·e·s venu·e·s pour la plupart de l’histoire contemporaine, de l’histoire de l’art, des études visuelles ou cinématographiques, mais aussi de l’anthropologie, des sciences de l’information et de la communication, de la documentation et des archives. Il fait suite à un colloque interdisciplinaire qui s’est tenu en 2012 à l’Université libre de Bruxelles. Au passage, remarquons l’intérêt des universités belges pour la recherche historique mettant l’image au centre puisque, deux ans plus tard, en 2014, celle de Namur a accueilli un autre colloque : Quand l’image (dé)mobilise, iconographie et mouvements sociaux au XXe siècle (Rochet, Bettens, Gillet, Machiels, Roekens, 2015).

2L’image d’archives propose à la fois une réflexion pointue et un éventail très ouvert de thématiques. Bien qu’international, l’ouvrage présente une variété d’approches issues de travaux menés, pour une grande majorité, dans des universités ou institutions françaises. Six grandes parties organisent les textes, certains théoriques, d’autres rendant compte de recherches sur des institutions ou sur des corpus, d’autres encore analysant des œuvres précises ou bien relatant des expérimentations de création-formation-recherche à partir d’images. L’ouvrage se termine par deux doubles entretiens menés par les coordonnateurs auprès, d’une part, de Marc Ferro et Pierre Sorlin : deux défricheurs de l’histoire prenant l’image pour source ; d’autre part, de Sylvie Lindeperg et Laurent Véray : deux représentants de « la génération d’historiens qui consacre la totalité de ses travaux aux images filmées » (p. 298).

3Mais qu’est-ce au juste qu’une « image d’archives » ? Comment une image devient‑elle archive ? Ces questions, trompeusement simples, sont sans cesse remises sur le métier à partir d’angles et de points de vue très diversifiés.

Image 1. Première de couverture de l'ouvrage

Image 1. Première de couverture de l'ouvrage

1. Devenir archive par le travail du temps : un temps social

4L’image d’archives serait très récente. Du moins si l’on s’en tient à la lettre de l’expression. Celle-ci daterait au plus des années 1980, portée par la vague mémorielle, le développement du « goût de l’archive » (Farge, 1989) et le début de la numérisation des documents. Elle entre officiellement en 1983 dans la terminologie des archives comme l’équivalent de l’anglais stock-shot : « images d’actualité de cinéma ou de télévision empruntées à des documents d’archives et insérés dans une œuvre postérieure ». Cette définition, loin de tout résoudre, ne viserait que les images animées. Or l’image d’archives intéresse depuis bien plus longtemps, notamment les historiens médiévistes, mais sous des appellations différentes : iconographie, sceaux, estampes, gravures, imagerie populaire, art profane…

5L’invention de la photographie dans les années 1830, puis du cinéma en 1895, entraine un changement majeur dans la perception sociale des « objets visuels ». Selon le mythe scientiste de l’enregistrement de « faits de vérité », de plus en plus d’images sont dès lors conçues, dès l’origine, pour être des archives. Pour les conserver pour le futur, il faut inventer des institutions. Éléonore Challinne et Laureline Meizel reviennent sur trois d’entre elles créées au tournant du XXe siècle : le Musée des photographies documentaires (1894-1907), le Dépôt cinématographique de Matuszeschi (1898) et les Archives de la planète (1912-1931). Les auteures démontrent que la photographie puis le cinématographe sont alors bien pensés comme de nouvelles sources, comme « des outils de lecture mais aussi de fabrication de l’histoire » (p. 73). Pour autant, les historiens du XXe siècle ont mis bien longtemps à s’y intéresser.

6Une image peut devenir archive à condition d’avoir été archivée dans une institution, disent les uns, ou du moins d’avoir été conservée par « quelqu’un », selon d’autres. Mais qui décide de la conservation ? Une image non jetée ni détruite avant trois mois est-elle « conservée » ? Et dans ce cas, toute image n’est-elle pas archive ? Non, explique Gil Bartholeyns, certaines images archivées ne sont pas des « images d’archives », tout simplement parce qu’elles sont classées parmi d’autres documents dans des fonds traditionnels (ex. les images sur des supports publiés). Et puis, les images dormantes dans des fonds sont-elles véritablement archives ou bien simplement « potentiellement » archives ? Certaines ne le deviendront jamais…

7Patrice Marcilloux souligne, quant à lui, l’ambiguïté de la notion même d’« image », tant le milieu des archivistes l’a élargie à toute numérisation « en mode image » de documents qu’ils soient de nature textuelle ou figurée. Quant aux pratiques récentes de sauvegarde en ligne de milliards d’images, elles requestionnent fondamentalement la conservation. En outre, toute image est-elle document ? Certaines ne sont-elles pas totalement inintéressantes ? Afin de résoudre cette équation impossible, Marc Ferro propose de considérer image d’archives « ce dont on ne peut pas dire que ce n’est pas une image d’archives » (p. 295).

8Un accord semble plus facile à trouver sur le processus par lequel une image devient archive. C’est le regard porté sur elle qui la fait advenir. Le document, résume François Niney, n’a aucune valeur en soi, tout dépend des questions qu’on lui pose c’est un travail de « reprise de vue, de remontage des films » et « de relance du sens » (p. 49). Il illustre son propos par une anecdote de Chris Marker qui avait cru, en 1952, filmer un cavalier chilien médaillé des Jeux Olympiques. Mais il avait découvert, quelques années plus tard, qu’il avait en fait filmé le général Mendoza, l’un des 4 généraux de la junte de Pinochet. Cette « théorie de l’après-coup », comme l’appelle Teresa Castro, s’applique bien aux images coloniales sur lesquelles elle travaille : le trouble temporel fait advenir un sens ignoré au moment de la prise de vue.

2. Création, usages et mésusages de l’archive : le travail des professionnels de l’image

9Les créateurs d’images fabriquent, parfois intentionnellement, des archives. C’est le cas d’Éli Lotar lorsqu’il filme l’habitat insalubre avant sa démolition dans son Aubervilliers (1946). Christa Blümlinger, qui analyse ce court-métrage emblématique, souligne la « variété des plis temporels » qui le constitue archive, tout en l’amenant aux « limites du fictionnel, du fantastique ou du surréel » (p. 98). D’autres opérateurs, comme les photographes qui ont couvert le génocide du Rwanda, voyant qu’aucun cliché ne pourra jamais rendre compte de l’horreur ni de l’ampleur du désastre, ont reconfiguré leurs images, le plus souvent prises a posteriori, dans le cadre de processus créatifs (murs d’images, installations…) dans des espaces culturels. Selon Nathan Réra, ils se sont mués de reporters en archéologues, en détectives, en montreurs de preuves judiciaires… Le lien entre archives et création artistique est encore mis en valeur par Nathalie Boulouch explorant la performance en tant que « mise en boîte » (d’enregistrement). Photos et films deviennent les traces qui se constituent en archives de la performance, par essence éphémère.

10Michèle Lagny et Sylvie Rollet analysent quant à elles le « devenir archive » d’un documentaire de Carma Hinton, Morning Sun (2003), sur la révolution culturelle chinoise. Structurant son film par la reprise de séquences de plusieurs « sources », dont une fiction-comédie musicale chinoise de 1964, la cinéaste brouille les frontières entre mémoire et histoire pour mieux développer son discours subversif.

11Les images d’archives peuvent aussi être manipulées à travers des techniques. Chris Wahl s’intéresse aux ralentissements ou arrêts sur images, utilisés dans maints documentaires. Ils permettent, selon lui, de raviver ou créer de la mémoire, de montrer l’invisible (comme déjà dans les décompositions d’Étienne-Jules Marey) ou encore de « perturber l’illusion cinématographique » et ce faisant, de mettre le spectateur à distance.

12D’autres manipulations, sociales celles-là, s’avèrent beaucoup moins heuristiques. Jean-Stéphane Carnel décrit ainsi les utilisations de plus en plus répandues d’archives « qui ne disent pas leur nom » et qui constituent une bonne proportion des images (res)servies, là où on les attendrait le moins, dans les journaux d’actualité télévisées. Il s’agit d’images recyclées, décontextualisées, recontextualisées, détournées donc, car déplacées dans l’espace-temps. Elles coûtent moins cher que la fabrication d’images nouvelles. La question économique joue également dans le développement de « marchés » autour de l’archive. Car, en effet, le goût du passé se vend et se vend bien comme le montre Bénédicte Grailles. Authentiques photos de famille dans des cadres, objets achetés à la brocante, sont convoqués pour servir de décor rappelant le « bon vieux temps », dans des enseignes de restaurants franchisées, ainsi que le demande leur cahier des charges. Ces « archives » ont pour vocation de plonger les clients dans un délicieux passé largement fantasmé. Franziska Heller, enfin, revient sur la restauration d’œuvres labellisées comme « venant des archives ». C’est le cas de deux récentes productions en DVD : le Peter Pan de Disney et le Voyage dans la lune de Georges Méliès. C’est essentiellement leur rapport au passé qui donne, aujourd’hui, de la valeur commerciale à ces films.

3. Transformer l’archive par le travail de recherche

13Deux recherches présentées dans cet ouvrage mettent particulièrement en lumière l’intervention des chercheur·e·s sur la production de sens et le renouvellement du statut des images d’archives.

14Travaillant sur la grande grève de 1960-1961 en Belgique, Anne Roekens s’appuie en partie sur leur couverture médiatique : des images alors largement montrées et, depuis, souvent remontrées à la télévision. Il s’agit d’images « ressassées », « sémantiquement essorées, appauvries par l’usage ». Dans une perspective archéologique, son travail consiste à les recontextualiser, à les dater précisément, à les réattribuer à des opérateurs précis, processus qu’elle nomme reconstitution de la généalogie de l’image. Son enjeu est de démontrer que le document audiovisuel peut être considéré comme archive dans la mesure où, par recoupement avec d’autres sources, ses caractéristiques intrinsèques permettent d’identifier précisément les faits filmés et de dater l’enregistrement de l’événement. Elle insiste sur un point trop souvent ignoré : « si les documents tendent à occulter la présence d’opérateurs, c’est pourtant bien ce dont ils attestent par leur seule existence » (p. 192). Or le nombre des opérateurs envoyés sur place, les endroits d’où ils filment, le type de matériel utilisé, etc. donnent des indications sur l’importance politique accordée à l’événement.

15Dans une toute autre perspective, cette fois anthropologique, Marίa Fernanda Troya a monté tout un projet autour d’archives visuelles coloniales, aujourd’hui considérées comme une production d’un pouvoir oppressif. Elle propose un détournement du fonds de photographies de Paul Rivet sur les Kichwas d’Équateur. Montré aux descendants des personnes photographiées sous forme d’exposition, ce fonds subit une transformation radicale de sens. Les mêmes images, qui étaient produites au départ pour nier le caractère singulier des peuples, deviennent des documents clés pour leur reconstruction identitaire et historique (p. 147).

16Mais il arrive que les images d’archives, en retour, soient, elles aussi, germes de transformations. Les témoignages recueillis par entretiens confirment les rencontres humaines qui peuvent se produire entre elles et les chercheur·e·s : le rapport au sensible, à l’émotion et à l’imaginaire joue son rôle dans la manière dont certaines images sont choisies comme source et étudiées. Elles changent a minima leur regard. C’est d’ailleurs bien l’objectif de la formation à la réalisation des étudiants de Sorlin : « L’important n’est pas que l’historien devienne cinéaste », mais qu’il ou elle comprenne ce qu’il est possible de faire avec une image, comment les travailler pour les rendre significatives (p. 287).

17Les deux coordonnateur·e·s soulignent en conclusion la part importante prise par les femmes dans la promotion de l’archive dans les œuvres cinématographiques. La russe Esther Choub a été la première, en 1927, à réaliser un film entièrement à partir d’images d’archives. Cet intérêt des femmes pour ce type de production, confirmé par la suite par Germaine Dulac, Nicole Vedrès, Denise Tual… vient de leur expérience de monteuses, « travail féminin par excellence dans une profession dominée par les hommes » (p. 324).

18Le vaste panorama proposé par l’ouvrage, l’ouverture aux différentes approches et la constance du questionnement et de l’effort de définition au fil des pages pourraient faire de ce volume un ouvrage de référence sur la question traitée. Tous les textes, de statuts et de longueurs variés, ne proposent certes pas le même niveau de réflexion ou de rigueur scientifique, mais cette diversité donne à l’ensemble un aspect work in progress assez plaisant. Néanmoins, signalons ici quelques regrets. Si les textes sont accompagnés d’une iconographie significative, celle-ci est malheureusement souvent présentée dans des formats tout petits, à peine lisibles. La logique de la construction de l’ouvrage, à partir d’un découpage en six catégories peu discriminantes, n’apparaît pas de manière flagrante. Certaines contributions auraient tout aussi bien pu, et même peut-être mieux, trouver leur place ailleurs. Enfin, bien que plusieurs auteur·es s’y réfèrent parfois, les travaux anglo-saxons ne sont pas du tout représentés, ce qui limite tout de même la portée internationale de la publication. Il reste qu’au terme de cette lecture, l’image d’archives (avec ou sans S, l’usage tantôt du singulier, tantôt du pluriel du mot archive n’a pas été explicité) a pris de l’épaisseur et s’est complexifiée et c’est le sentiment d’avoir appris qui domine.

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Bibliography

Farge A. (1898), Le goût de l’archive, Paris, Seuil.

Rochet B., Bettens L., Gillet F., Machiels C., et Roekens A. (dir.), 2015, Quand l’image (dé)mobilise. Iconographie et mouvements sociaux au XXe siècle, Namur, Presses Universitaires de Namur.

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Title Image 1. Première de couverture de l'ouvrage
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/916/img-1.jpg
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References

Electronic reference

Françoise F. Laot, “Maeck J. et Steinle M. (dir.), 2016, L’image d’archives. Une image en devenir, PUR, 339 p.”Images du travail, travail des images [Online], 5 | 2018, Online since 01 February 2018, connection on 12 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/916; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itti.916

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About the author

Françoise F. Laot

Françoise F. Laot, socio-historienne, est professeure à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, membre du Cérep (EA 4692). Elle est également président du Groupe d’étude – Histoire de la formation des adultes (Gehfa).Ses recherches portent sur l’histoire de l’éducation et de la formation des adultes (XIXe-XXe siècles). Dans ses derniers travaux, elle s’est intéressée à l’analyse sociohistorique de documents filmés et aux revendications internationales pour la formation des travailleuses. Dernier ouvrage : Un film comme source pour l’histoire de la formation des adultes hommes… et femmes. Retour à l’école ? (Nancy, 1966), PUN, Éditions universitaires de Lorraine, 2014.

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