Le choix à Grégoire
Texte intégral
1Le choix à Grégoire c’est aussi celui de Sébastien, d’Omilpha, d’Éloïse, d’Océane, de Jules… futurs militaires.
2J’ai réalisé cette image en décembre 2015. Elle fait partie du premier volet d’une série documentaire réalisée pour la mission photographique La France vue d’ici, menée par Mediapart et ImageSingulières. Je m’intéressais à trois choix de vie atypiques chez les jeunes : ceux qui veulent devenir militaires, ceux qui souhaitent être ordonnés prêtres et ceux qui s’installent en tant que paysans. J’avais choisi ces trois voies car elles convoquaient un imaginaire fort, des stéréotypes et des préjugés auxquels je voulais me confronter photographiquement et sociologiquement. Moi, athée, antimilitariste et citadine. Aussi, elles allaient me permettre de raconter visuellement, par leur puissance évocatrice, ce que c’est que de faire un choix.
3Alors, j’ai arpenté les CIRFA (Centres de Formation et de Recrutement des Forces Armées) de France à partir de 2013. J’ai photographié des visages, des rendez-vous, des silences, des regards, l’attente des corps, les signatures de contrats, des doutes, des sourires, de l’angoisse. J’ai attendu. Je connais bien la vidéo de présentation montrée aux jeunes qui poussent la porte du CIRFA pour la première fois. J’ai attendu avec eux. Un jour de décembre, assise sur les chaises face à la télévision diffusant la fameuse vidéo, j’ai vu entrer Grégoire. C’était la première fois qu’il se rendait au CIRFA. Il était venu avec sa mère, comme beaucoup d’autres. Il avait 17 ans. Il s’est assis sur une des chaises face à l’écran. Je l’ai regardé. Je savais ce qui allait se passer. J’ai attendu.
4Le recruteur est arrivé, d’un pas décidé, et s’est présenté à Grégoire. C’est à ce moment-là que j’ai déclenché. Deux fois. Puis ils sont partis dans son bureau. J’ai tout de suite regardé sur mon écran d’appareil. Je savais que j’avais quelque chose mais je ne savais pas exactement quoi. Deux images : une où Grégoire me regarde, seul ; et cette image.
5Elle contient tout. Tout ce que j’ai tenté de rassembler au cours de mes différentes rencontres et qui forment ma série photographique. En ce sens, elle est holistique. L’un assis, l’autre debout, la mollesse et la poigne, la virgule du jogging Nike et le motif guerrier du treillis, Grégoire, seul, entouré de cinq chaises vides, et l’amorce anonyme du militaire. L’un est dans la lumière, l’autre dans l’ombre. Le regard, légèrement flou, de Grégoire renseigne sur le degré d’inconnu du chemin qu’il s’apprête à prendre. Et c’est ce qui me fascine toujours quand je regarde cette image. Être heureux, c’est apprendre à choisir, sa voie, son métier, sa manière de vivre et d’aimer. Donner un sens à sa vie n’est pas facile. C’est prendre une direction. La photographie m’a permis de rendre visible ce moment de bascule, imperceptible à l’œil nu, racontant l’ordinaire de nos grandes décisions.
Table des illustrations
Titre | Le choix à Grégoire |
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Crédits | © Nadège Abadie |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/913/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 77k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Nadège Abadie, « Le choix à Grégoire », Images du travail, travail des images [En ligne], 5 | 2018, mis en ligne le 01 février 2018, consulté le 21 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/913 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itti.913
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