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Le hasard et la nécessité. Le jeu de l’oie comme moyen d’éduquer au risque radioactif dans les années soixante

Chance and necessity. The game of the goose as a means of educating about radioactive risk in the 1960s
Aurélien Portelli

Résumés

Le Service de Protection contre les Radiations (SPR) du centre nucléaire de Marcoule élabore en 1959 un programme d’éducation au risque radioactif, adressé aux travailleurs et au public. La mise en œuvre de ce programme bénéfice des talents artistiques de Jacques Castan, dessinateur-projeteur au SPR, qui réalise des affiches, des plaquettes, une peinture murale, une bande dessinée et un jeu de l’oie intitulé « Le noble jeu des lois de la radioprotection ». Cet article propose d’étudier ce jeu de société, objet médiateur entre les travailleurs et leur famille, en montrant son apport pédagogique à l’époque des pionniers de l’industrie nucléaire. À travers la pratique ludique, la version du jeu réalisée par Castan conduit le joueur à contempler les règles de la radioprotection, tout en s’impliquant activement dans le processus d’éducation qui lui est destiné. En même temps, le jeu contribue à apaiser les craintes liées à la radioactivité et à banaliser le travail en milieu nucléaire. Les images dessinées dans les cases montrent que la radioprotection ne doit rien au hasard, contrairement à la progression du joueur, qui dépend uniquement du résultat obtenu par son lancer de dés. Le jeu de Castan invite ainsi les travailleurs et le public à croire en l’efficacité des moyens préventifs déployés par le SPR, signification imaginaire cruciale pour le service car c’est sur elle que se fonde tout l’édifice de la radioprotection.

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Texte intégral

  • 1 G2 est mis en service en juillet 1958 et G3 en juin 1959. L’usine d’extraction du plutonium de Marc (...)
  • 2 Fondé en 1955, le SPR de Marcoule n’invente pas la radioprotection, mais se charge de la rationalis (...)

1Le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) choisit en décembre 1952 le site de Marcoule, dans le département du Gard, pour construire son premier centre de dimension industrielle et accueillir les premières piles à Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG), à finalité plutonigène et électrogène. Le réacteur G1 est mis en service en janvier 1956. Dans les années suivantes, les activités de Marcoule se développent avec la construction de nouveaux réacteurs et d’une usine d’extraction du plutonium1. En matière de sécurité, le CEA est alors confronté à des problèmes inédits, car il faut protéger les travailleurs de quantités croissantes de matières radioactives. Cette tâche incombe au Service de Protection contre les Radiations (SPR)2, dont le défi consiste à découvrir les risques dans le cours de l’exploitation et de mettre en œuvre des moyens de prévention, fondés sur la classification des lieux de travail selon le niveau de risque radioactif, l’utilisation de détecteurs fixes dans les installations, les contrôles effectués par les radioprotectionnistes durant leurs rondes quotidiennes, la distribution d’équipements de protection et de détecteurs individuels. Le service s’occupe également du contrôle de la radioactivité des effluents rejetés par le centre, ainsi que de la décontamination du matériel et du linge.

  • 3 Rodier J., Castan J. & Guérin C. « Information et éducation en matière de radioprotection », Bullet (...)

2Le SPR élabore une doctrine de radioprotection en milieu industriel, formalisée en 1965 dans un manuel intitulé « Consignes générales de radioprotection », diffusé dans tous les centres du CEA (Lamare et al., 2018). En complément des moyens de protection, le service conçoit en 1959 un programme d’éducation au risque radioactif. Pour les radioprotectionnistes, la question de l’éducation concerne à la fois les travailleurs du nucléaire et le grand public. Le SPR considère que le public a développé, depuis les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, une véritable psychose concernant l’énergie nucléaire3. Comme les travailleurs sont recrutés parmi le public, il est absolument nécessaire de le débarrasser de cette crainte pour ne pas entraver le développement du secteur nucléaire. Le SPR adapte ainsi son programme d’éducation selon les personnes ciblées. Le programme destiné aux travailleurs est constitué de cours théoriques et pratiques. Il est dispensé à la fois au personnel du CEA et aux entreprises extérieures. Pour le public, le SPR organise des visites guidées de Marcoule, participe à des projets de films pédagogiques ou à des expositions régionales sur le nucléaire.

  • 4 Cet entretien a été mené en 2016 par Claire Parizel, alors étudiante en Master 2 d’histoire des sci (...)
  • 5 Marie Bailer a réalisé cet inventaire en 2014 dans le cadre de son stage de Master 2 Patrimoine et (...)

3Cet ambitieux programme bénéficie des talents artistiques de Jacques Castan, un dessinateur-projeteur chargé de mettre en images les campagnes de sécurité du CEA. Castan réalise, de 1959 à 1968, des affiches et des plaquettes de prévention, une peinture murale monumentale dans le bâtiment du SPR, une bande dessinée sur Marcoule et un jeu de l’oie (cf. image 1). L’artiste reproduit des images tirées de ses créations précédentes pour illustrer les cases de ce jeu, qui présente à cet égard un condensé de son univers iconique. Cet article propose ainsi d’étudier le jeu de l’oie de Castan en montrant son apport pédagogique à l’aube de l’industrie nucléaire. Les archives du SPR restent muettes sur la réception de cet objet insolite et aucun témoignage sur son utilisation n’a pu être recueilli à ce jour. Nous proposons donc de procéder à l’analyse iconographique du jeu de l’oie pour déterminer sa valeur ajoutée en matière d’éducation au risque radioactif. Préalablement à cette analyse, nous avons examiné les sources imprimées du SPR afin de replacer le jeu dans son contexte de production. Les rapports du service ont été précieux pour saisir ses efforts de rationalisation de la radioprotection et les objectifs visés par son programme éducatif. Un entretien avec Françoise et Anita Castan, respectivement la fille et l’épouse de l’artiste, nous a apporté des précisions sur son travail d’illustrateur au sein du SPR4. L’inventaire des affiches et des documents d’éducation du SPR, présentant une datation et une description matérielle des créations de Castan, a également été particulièrement utile pour conduire notre étude5. Enfin, les échanges fréquents avec Frédérick Lamare, l’archiviste de Marcoule, et Marc Lafhid, l’adjoint au chef du SPR, ont été cruciaux pour décrypter les logiques à l’œuvre dans les images de Castan.

Image 1 : « Le noble jeu des lois de la radio-protection » (1966).

Image 1 : « Le noble jeu des lois de la radio-protection » (1966).

Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-120.

4La première partie de cet article resitue ainsi le jeu de l’oie de Castan dans l’ensemble de son œuvre. La deuxième partie retrace l’histoire du jeu de l’oie, avant de souligner son intérêt pédagogique et de décrire la version du jeu illustrée par Castan. La troisième partie examine enfin la fonction éducative du jeu, en lien avec l’imaginaire de la radioprotection saisi par l’artiste.

1. L’œuvre de Jacques Castan, illustrateur de la radioprotection

  • 6 Jean Rodier est le chef du SPR de 1958 à 1968.
  • 7 Castan arrête de dessiner pour le SPR en 1968. Il devient animateur dans le service Formation de Ma (...)

5Jacques Castan est né à Avignon en 1929. Passionné par le dessin depuis son enfance, il est engagé très jeune dans un cabinet d’architecte où il apprend le métier de dessinateur technique. À vingt ans, il se rend à Paris et devient dessinateur dans une entreprise de bâtiment et travaux publics. En 1957, il apprend que Marcoule recrute de nouveaux salariés. Souhaitant se rapprocher de sa terre natale, Castan postule et il est engagé comme dessinateur-projeteur au SPR. Il travaille d’abord sur le projet des fosses à déchets, avant que Jean Rodier, le chef du SPR6, ne remarque son coup de crayon et ne lui propose en 1959 d’illustrer le programme d’éducation au risque radioactif7.

  • 8 Gervais de Rouville M. « Le centre de production de plutonium de Marcoule », Énergie Nucléaire, n°4 (...)
  • 9 De Rouville dirige le centre nucléaire de Marcoule de sa création en 1955 jusqu’en 1968.

6Les illustrations de Castan témoignent de l’âge d’or du nucléaire et plongent le spectateur dans l’univers saisissant de la « mystique de Marcoule »8, selon l’expression forgée par Maurice Gervais de Rouville, le directeur du centre nucléaire9. Le dessinateur puise son inspiration dans des ouvrages sur l’art, la religion, la politique et les sciences, ou encore dans des romans. Pour réaliser ses dessins, il s’initie à la physique et s’immerge dans l’activité de Marcoule. Sur le terrain, Castan échange fréquemment avec les agents du SPR, observe le travail dans les ateliers et les laboratoires, où il circule librement. Il s’imprègne du discours des ingénieurs, saisit les réalités techniques, et essaie de traduire dans ses créations le sens profond de la radioprotection.

  • 10 Quelques affiches ont également été réalisées par deux autres dessinateurs, Guillemaud et Barbier, (...)
  • 11 Guérin C. « Formation et éducation du personnel en matière de radioprotection sur le centre de Marc (...)
  • 12 Rodier J., Castan J. & Guérin C. « Information et éducation en matière de radioprotection », op. ci (...)
  • 13 Trois plaquettes sont conservées par la Cellule Archives du CEA Marcoule : « Quelques conseils de r (...)

7De 1959 à 1968, Castan dessine quatre-vingt-sept affiches au format A310. Le SPR considère que ces illustrations, conçues comme des aide-mémoires, constituent le moyen le plus efficace pour rappeler aux travailleurs les consignes de protection et les principes d’hygiène radioactive11. Pour les radioprotectionnistes, le travailleur regarde une affiche surtout la première fois qu’il la découvre, avant de l’intégrer au décor12. Aussi, Castan veille-t-il à renouveler fréquemment les affiches. D’abord créées pour le centre de Marcoule, elles sont diffusées dès le début des années soixante dans les autres centres du CEA. Castan illustre également des plaquettes sur les consignes de radioprotection13. Le dessinateur utilise dans ces documents les mêmes procédés humoristiques que dans les affiches qu’il conçoit, et livre un monde peuplé de personnages issus de références culturelles disparates.

  • 14 Castan J. Sophie et Bruno au pays de l’atome, Paris, Fleurus, 1963.
  • 15 Le Courrier de l’UNESCO, publié en onze langues, reproduit en juillet-août 1968 des extraits de la (...)
  • 16 Timoléon enseigne à Sophie et Bruno des notions de sûreté nucléaire, montre aux deux enfants les éq (...)
  • 17 Commissariat à l’Énergie Atomique, Rapport annuel, 1957.

8Castan réalise en 1960 la bande dessinée Sophie et Bruno au pays de l’atome14. L’œuvre, publiée trois ans plus tard, évoque la visite de Marcoule par deux enfants, Sophie et son frère Bruno, instruits par un professeur loufoque prénommé Timoléon. Éditée à quinze mille exemplaires, la bande dessinée est distribuée aux familles des travailleurs et aux populations proches de Marcoule15. Les images flattent la puissance de l’atome et représentent des installations futuristes, qui témoignent du rayonnement technologique de la France (Portelli et al., 2015). Elles cherchent également à normaliser l’industrie nucléaire, en montrant que la sécurité du personnel et des installations est assurée16. L’œuvre sert ainsi pleinement les ambitions du CEA, qui soutient l’essor de la filière pour garantir le développement économique et l’indépendance énergétique du pays17.

  • 18 La peinture murale est organisée comme un parcours initiatique, qui mène le spectateur des installa (...)

9En 1962, Castan se lance dans un projet de grande envergure et exécute une peinture murale en trois parties dans la cage d’escalier du bâtiment du SPR. Par-delà sa fonction décorative, l’œuvre fait écho au programme d’éducation au risque radioactif (Portelli, 2022). D’une part, elle permet d’instruire les travailleurs sur les tâches menées par le SPR. D’autre part, la peinture s’adresse aux visiteurs de Marcoule. L’activité du centre préoccupe la population environnante, et en particulier les familles des travailleurs. En réponse, la composition montre que les risques sont maîtrisés. Par la sérénité dont elle témoigne, la peinture murale vise, comme Sophie et Bruno au pays de l’atome, à rassurer le spectateur et à faire du nucléaire une industrie socialement désirable18.

  • 19 Bailer M. « Affiches et documents d’éducation du personnel du service de protection contre les radi (...)

10Création plus modeste que la peinture murale, Castan réalise en 1966 un jeu de l’oie qu’il intitule « Le noble jeu des lois de la radioprotection », distribué au personnel de Marcoule. Un seul exemplaire de cet objet médiateur entre les travailleurs et leur famille est aujourd’hui conservé par la Cellule Archives du centre nucléaire. On ignore le nombre d’exemplaires édité du jeu et on ne sait pas non plus s’il contenait des pions ou des dés. Son titre, qui joue sur l’homophonie entre « lois » et « l’oie », associe les règles de la radioprotection à la noblesse attribuée à ce jeu. La version de Castan est imprimée en sérigraphie sur papier cartonné et mesure 53 cm sur 37 cm19. Le plateau est composé de soixante-deux petites cases formant une spirale qui aboutit à une grande case comportant le numéro 63 et précisant les règles du jeu. Sous-titré « Sophie et Bruno appliquent les lois de la radioprotection », le jeu se réfère aux personnages de la bande dessinée de Castan. Timoléon invite en effet Sophie et Bruno à se rendre sur la première case. Sur la case 63, le professeur félicite les enfants d’avoir terminé le parcours.

2. Du jeu de l’oie au jeu des lois de la radioprotection

11Selon la légende, le jeu de l’oie aurait été créé par les Grecs ou les Romains. La littérature montre toutefois que ce jeu fut inventé entre 1574 et 1587 à Florence par Francesco de Medici, duc de Toscane, tandis que l’exemplaire le plus ancien conservé à ce jour fut imprimé entre 1597 et 1601 (Depaulis, 1997). La version du jeu dessinée par Castan n’est cependant pas sans rapport avec ses origines mythiques. En effet, la légende nous dit que le jeu de l’oie fut inspiré par un incident survenu en 390 av. J.-C., durant lequel les oies du Capitole avertirent les soldats romains endormis que des Gaulois tentaient d’envahir leur citadelle (Leith, 1996). En donnant l’alerte, les oies de Junon rappellent ainsi aux soldats la nécessité de ne pas relâcher leur surveillance, comme le SPR demande aux travailleurs de toujours rester vigilant face au risque radioactif.

12Dès sa création, le jeu de l’oie connut une formidable renommée dans les cours européennes, avant de devenir une distraction familiale courante à partir du XIXe siècle. Encore joué de nos jours, il a su traverser les époques en adaptant ses thèmes à l’évolution des sociétés et de leurs attentes. Les règles du jeu ont toutefois subi peu de modifications au cours du temps. Le joueur lance deux dés et avance selon les points obtenus sur un parcours constitué de soixante-trois cases disposées en spirale. À l’instar des opérations menées par les travailleurs du nucléaire, le parcours du joueur se révèle périlleux, puisque des cases réclament son arrêt momentané ou son retour en arrière. Une fois les dangers évités, le joueur doit encore parvenir sur la dernière case, sous peine de rétrograder du nombre de points qui excède le but.

13Les pédagogues saisirent dès le XVIIe siècle l’intérêt didactique du jeu de l’oie. Ce dernier permet en effet de réunir les enfants comme les adultes autour d’un plateau de jeu, dont les cases peuvent présenter des connaissances utiles aux apprentissages (Chapron, 2019). Le jeu fut d’abord destiné à la formation des jeunes issus de la noblesse, avant d’être produit massivement à partir du XIXe siècle par des éditeurs, qui le déclinèrent en une grande variété de thèmes – le christianisme, la mythologie, l’histoire, la géographie, les sciences naturelles ou encore la politique – visant à éduquer toutes les couches sociales. Par sa capacité à développer le savoir et l’intelligence en recourant à l’image, le jeu de l’oie est considéré comme « le germe, sinon la base de nos meilleurs systèmes d’éducation moderne par la vision directe et la mémoire des sens » (Poirier, 1950, 40).

  • 20 Le trisecteur, ou trèfle radioactif, est un pictogramme symbolisant le risque d’exposition à des ra (...)
  • 21 Les films sont des dosimètres passifs, recouverts d’émulsions sensibles aux particules radioactives (...)

14Le jeu de l’oie renvoie au parcours initiatique du héros, figurant de manière idéalisée le labyrinthe de la vie, avec ses écueils et ses récompenses (Morel, 2004). Le joueur est récompensé si son pion parvient sur une case illustrée par une oie. Dans sa version du jeu, Castan remplace les oies par des cases à fond bleu, présentant une application correcte des lois de la radioprotection. Si le joueur parvient sur l’une de ces cases, il redouble ses points. Sur la case n° 26, marquée d’un dé en surbrillance, il rejoue. À l’inverse, le joueur est sanctionné si les dés le conduisent sur une case à fond noir, correspondant à une transgression des lois définies par le SPR. Dans un jeu traditionnel, la case n° 6 est illustrée par l’image d’un pont. Dans la version de Castan, elle devient une case noire accueillant un trisecteur rouge signifiant un passage interdit20. Si le joueur arrive sur cette case, il est contraint de retourner sur la case occupée précédemment. À la place de l’hôtellerie, sur la case n° 19, Castan représente Sophie blessée au doigt. Sur cette case, le joueur doit attendre que sa blessure guérisse pendant que les joueurs adverses jouent deux tours. La case n° 42 fait apparaître non pas un labyrinthe, mais un film dosimètre en train d’être piétiné21. Le joueur parvenu sur cette case doit retourner à la case n° 20 pour chercher un autre film. Castan remplace le puits de la case n° 31 et la prison de la case n° 52 respectivement par un coup de pied dans un masque respiratoire et une main contaminée par un gant. Si le joueur tombe sur l’une de ces cases, il doit attendre qu’un autre joueur vienne le remplacer.

  • 22 Dans plusieurs récits mythologiques, le vol spiralé de l’oie conduit le shaman ou le devin du monde (...)
  • 23 L’identification opère d’autant plus que Castan partage avec le personnage de Timoléon la même fonc (...)

15De manière symbolique, le puits relie dans un jeu de l’oie traditionnel le haut et le bas, le pont raccorde deux rives, tandis que la prison permet d’exclure le criminel de la société et l’hôtellerie d’écarter le malade des bienportants. Les éléments iconiques illustrent ainsi le thème de la dualité des mondes. L’oie, considérée dans de nombreux mythes comme un animal psychopompe, intervient d’ailleurs comme un élément de translation entre le monde terrestre et l’au-delà22. Dans le jeu de Castan, les images mettent également le joueur en présence de deux mondes qui coexistent dans la même réalité : le monde visible auquel renvoient les équipements de protection ou les instruments de dosimétrie, et le monde invisible auquel se réfèrent les particules radioactives. Castan joue quant à lui le rôle d’intermédiaire entre ces deux mondes, comme le signifie la case n° 58. Dans un jeu traditionnel, cette case est illustrée par une tête de mort. Si le joueur a la malchance de tomber sur elle, il doit recommencer la partie depuis le début. Castan remplace la tête de mort par une image de Timoléon dessiné de profil. Assis sur une boîte ornée d’un trisecteur rouge sur fond rouge, le personnage prend la pose méditative du Penseur d’Auguste Rodin. Cette sculpture, réalisée en 1880, représente Dante observant les cercles de l’Enfer. Mais Rodin, en sculptant l’auteur de La Divine Comédie, se représente également lui-même (Duby et al., 2002). La case n° 58 constitue en cela une mise en abîme. D’une part, Castan s’identifie à Timoléon comme Rodin à Dante23 ; d’autre part, Castan, à l’instar de Rodin, se représente en train de contempler son œuvre.

16Cette mise en abîme, en plus d’offrir une clé d’interprétation du jeu des lois de la radioprotection, exprime une certaine ambiguïté en reliant l’iconographie de l’industrie nucléaire et l’enfer de Dante. Or, d’autres éléments du jeu de société traduisent également un rapport ambigu au risque radioactif. Les cases n° 39 et 40 donnent ainsi à voir deux personnages tirés d’une affiche intitulée « Le masque vous préserve de la contamination par les voies respiratoires » (cf. images 2 et 3). Cette image représente des travailleurs siamois dessinés en noir sur fond bleu, chacun regardant dans une direction opposée. Le personnage situé à gauche ne porte pas de masque respiratoire et son poumon droit est attaqué par un crabe symbolisant le cancer, que Castan dessine en rouge, couleur du danger. Le personnage situé à droite porte un masque, protégeant ses poumons de la contamination. Un élément attire toutefois le regard : les trois fleurs qui poussent dans le poumon gauche de l’agent sont rouges, comme le crabe dessiné par l’artiste. Celui-ci ne reproduit pas de manière identique l’affiche dans le jeu de l’oie et les modifications qu’il apporte à l’image la rendent encore plus troublante. Si le crabe attaque toujours le poumon droit du premier personnage, les fleurs poussent cette fois dans le poumon droit du second personnage, et l’artiste représente non plus trois, mais deux fleurs rouges. L’analogie entre les pinces du crustacé et les fleurs n’en devient que plus saisissante.

Image 2 : « Le masque vous préserve de la contamination par les voies respiratoires » (1959).

Image 2 : « Le masque vous préserve de la contamination par les voies respiratoires » (1959).

Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-103.

Image 3 : Cases n° 39 et 40 du « Noble jeu des lois de la radioprotection » (détail).

Image 3 : Cases n° 39 et 40 du « Noble jeu des lois de la radioprotection » (détail).

Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-120.

17Pour comprendre le sens de cette représentation, examinons l’ensemble de l’œuvre de Castan et la manière dont il met en images le risque radioactif. Dans ses créations, le danger d’irradiation ou de contamination est tantôt répulsif tantôt attractif, et sa menace doit être mise à distance sans pouvoir jamais être éradiquée (Travadel et al., 2017). Cette ambiguïté est à rapprocher de la définition du sacré proposée par René Girard, autrement dit « tout ce qui maîtrise l’homme d’autant plus sûrement que l’homme se croit plus capable de le maîtriser » (Girard, 2010, 51). En ce sens, du sacré il ne faut pas trop se rapprocher, parce qu’il déchaîne la violence ; mais il ne faut pas trop non plus s’en éloigner, car il est le fondement des institutions, qui protègent de la violence (Dupuy, 2010).

  • 24 Travadel S. & Parizel C. « Entretien avec Françoise et Anita Castan », op. cit.
  • 25 Rodier J. « Éléments de sécurité tirés de six années d’exploitation de l’usine de traitement de com (...)
  • 26 L’imaginaire de maîtrise renvoie selon nous à une croyance en la possibilité d’une réduction déterm (...)
  • 27 Rodier J., Castan J. & Guérin C. « Information et éducation en matière de radioprotection », op. ci (...)

18Castan ne remet pas en cause la doctrine du SPR et les moyens de protection mis en œuvre par le service. Selon l’épouse et la fille de l’artiste, ce dernier estimait au contraire que « si les gens faisaient ce que les affiches recommandaient, tout irait bien »24. Castan a toutefois saisi la dimension inédite des risques liés au développement des activités du CEA à une échelle industrielle, ainsi que la part nécessaire de croyance en l’efficacité des moyens de protection, en constante amélioration selon le SPR25. En cela, les images de Castan traduisent les significations imaginaires sociales (Castoriadis, 1975) à l’intérieur desquelles prennent sens l’argumentaire et l’engagement des radioprotectionnistes. Ces significations permettent à ces derniers de définir tout à la fois leur identité professionnelle et ce qui fait sens dans leur monde, peuplé de travailleurs, d’objets techniques et de particules radioactives. Le SPR, organisme qui s’institue en même temps que la radioprotection, développe sa doctrine sur les fondements d’un imaginaire de maîtrise idéalisée, perceptible dans les tentatives de légitimation de son activité26. Pour les radioprotectionnistes, l’éducation des travailleurs et du public a pour objectif de « montrer comment l’homme, qui a su libérer des forces nouvelles, sait aussi s’en protéger efficacement »27. Ces forces, omniprésentes dans le centre de Marcoule, déploient cependant leurs effets insidieusement et se situent à la limite du mesurable. Le SPR doit en cela appréhender son activité comme un combat contre un ennemi redoutable et difficilement représentable. Élaborer la doctrine de radioprotection ne peut donc se réduire à une question d’ingénierie ou de traitement de mesures. L’exercice implique pour le service de radioprotection de façonner un ensemble de représentations de son activité sur des particules radioactives, imperceptibles et terrifiantes. Il s’agit pour le SPR de croire et de faire croire en sa propre puissance et en l’efficacité des objets techniques, intermédiaires dans les relations violentes avec les phénomènes naturels.

19De ce point de vue, l’analogie entre le cancer et les fleurs rouges dans le jeu de l’oie tend à signifier que le risque radioactif ne peut être complètement supprimé et reste toujours présent en milieu nucléaire. Toutefois le travailleur doit faire confiance au SPR et croire en l’efficacité du masque pour le protéger de la contamination par les voies respiratoires. Cette croyance en l’action efficace des radioprotectionnistes constitue une signification imaginaire cruciale pour saisir le sens du jeu de l’oie et décrypter sa fonction éducative, comme la suite de l’analyse tente de le montrer.

3. La fonction éducative du jeu des lois de la radioprotection

  • 28 Dosimètre électronique de poche. Il permet au travailleur de connaître par une lecture immédiate la (...)
  • 29 Castan s’inspire de la culture populaire des années soixante pour réaliser ses créations. On retrou (...)

20Le jeu de Castan présente une fonction éducative qui agit de deux manières. Premièrement, il rappelle au travailleur les consignes préventives reçues durant sa formation et résumées dans les plaquettes illustrées par l’artiste. Cette démarche pédagogique opère d’autant mieux que les ressorts iconiques du jeu se réfèrent à des situations de travail vécues au quotidien par les agents. Un dialogue intime s’instaure en effet entre les images et le travailleur, comme le souligne la case n° 3, qui reproduit une affiche intitulée « Votre sixième sens ! » (cf. images 4 et 5). L’œil du spectateur circule entre les lignes de la portée musicale, la fumée de la cigarette, les courbes du texte et les renvois chromatiques entre les mains, le visage et le fond. Cette circulation passe par tous les sens ; elle n’est interrompue que par le stylo dosimètre28, irradié par les particules radioactives et flottant entre les mains écartées du travailleur, dans une posture qui rappelle l’iconographie religieuse. En absorbant les rayonnements, le détecteur électronique paraît ici sanctifié, comme son halo ardent le montre. Le titre explique le contenu de l’image : le dosimètre perçoit le danger radioactif qui échappe aux cinq sens du travailleur. Un travailleur peu ordinaire en l’occurrence : oreilles décollées, cigarette à la bouche, notes de musique sur une portée, impossible de ne pas reconnaître Serge Gainsbourg. Mais Castan s’amuse aussi à blanchir le cou et le visage du musicien et à mettre ses mains en évidence, comme pour figurer le mime Marceau ; agencement improbable de deux grands artistes qui ont marqué leur époque29. Le travailleur, transcendé en artiste génial, rend grâce au stylo, qui garantit la sérénité à celui qui l’utilise consciencieusement. Replacée dans son contexte, la présence sur l’affiche de la cigarette et des notes de musique renvoie à un jeu de connivences entre le dessinateur et le destinataire de l’image. Celle-ci dit implicitement que le SPR sait que les agents fument en zone de travail et écoutent de la musique. Mais si ces incartades au règlement sont connues, les radioprotectionnistes demeurent intransigeants sur l’utilisation du dosimètre.

Image 4 : « Votre sixième sens ! » (1962).

Image 4 : « Votre sixième sens ! » (1962).

Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-035.

Image 5 : case n° 3 du « Noble jeu des lois de la radio-protection » (détail).

Image 5 : case n° 3 du « Noble jeu des lois de la radio-protection » (détail).

Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-120.

21En même temps qu’il rappelle les consignes du SPR, le jeu des lois de la radioprotection vise également à dédramatiser les activités menées dans un centre nucléaire et à apaiser les inquiétudes, en montrant que le risque radioactif est maîtrisé. En outre, le fait de voir Sophie et Bruno, les deux personnages tirés de la bande dessinée éponyme, appliquer les lois de la radioprotection, tend à montrer aux joueurs que le respect des consignes du SPR est simple comme un jeu d’enfants.

22Une autre façon de dédramatiser le travail dans l’industrie nucléaire consiste à recourir à l’humour. Castan reproduit ainsi dans la case n° 4 de son jeu de l’oie une affiche représentant le stylo et le film dosimètres de manière anthropomorphe (cf. images 6 et 7). La différence de corpulence entre les deux silhouettes, l’une renvoyant au stylo et l’autre au film, rappelle le célèbre duo comique composé de Stan Laurel et Oliver Hardy. Loin de vouloir décrédibiliser la radioprotection, ce type d’image à caractère humoristique doit être replacée dans son contexte de production. Nadia Blétry (2009) précise, dans son étude sur l’histoire des campagnes de prévention des risques professionnels, que les affiches du début du XXe siècle cherchent à culpabiliser et à effrayer le spectateur. Mais au tournant des années cinquante, les affichistes abandonnent cette approche pour recourir à des procédés humoristiques afin de saper la résistance aux consignes et de responsabiliser davantage les travailleurs. Cette évolution dans les représentations renvoie à la considération croissante du facteur humain dans le champ de la sécurité et au renforcement d’une conception collective de la prévention. Les réflexions du SPR en matière d’éducation s’inscrivent dans la même tendance. Le service estime en effet qu’une affiche sérieuse exposant de manière brutale le risque encouru a tendance à susciter l’ironie du spectateur. En revanche,

« Le travailleur, pendant son travail, regarde plus volontiers une affiche qui est en quelque sorte, pour lui, une récréation. L’observateur est sensible à la trouvaille amusante et à la comparaison, peut-être insolite, mais frappante. Ce sont les affiches de ce type dont les gens se souviennent le mieux et qu’ils citent lorsqu’on les interroge » (Rodier J., Castan J. & Guérin C. « Information et éducation en matière de radioprotection », p. 126).

23L’humour contribue ainsi à renforcer l’attrait visuel des affiches. Mais il constitue également un formidable moyen de rendre le travail en milieu nucléaire moins anxiogène. Le jeu des lois de la radioprotection, en conjuguant humour et activité ludique, vient quant à lui accroitre cet effet de dédramatisation que les images de Castan cherchent à produire.

Image 6 : « N’oubliez-pas vos anges gardiens » (1959).

Image 6 : « N’oubliez-pas vos anges gardiens » (1959).

Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-009.

Image 7 : case n° 4 du « Noble jeu des lois de la radio-protection » (détail).

Image 7 : case n° 4 du « Noble jeu des lois de la radio-protection » (détail).

Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-120.

24Sur le plan pédagogique, le jeu de Castan constitue en outre un outil plus complet que l’affiche, car il permet au joueur de regarder les images préventives tout en s’impliquant activement, par le truchement de la pratique ludique, dans le processus d’éducation au risque radioactif. Le jeu de l’oie présente également une autre spécificité, inhérente aux règles régissant les conditions de son déroulement. Dans ce jeu de société, la progression du joueur dépend uniquement du résultat obtenu par son lancer de dés. Le jeu de l’oie correspond ainsi à « un jeu de hasard tempéré par une fatalité à règles fixes » (Poirier, 1950, 29). Se pourrait-il dès lors que Castan associe la radioprotection à un jeu de hasard ? Cette hypothèse paraît peu crédible, car elle signifierait que le respect des règles de sécurité ne puisse préserver le travailleur d’un coup du sort. Et si l’objectif de l’artiste était plutôt de mettre en tension d’une part, la question de l’existence symbolisée par le jeu de l’oie – qui renvoie aux aléas, aux accidents et aux changements soudains de situation propres à tout parcours de vie (Fournier, 2019) – et d’autre part, l’efficacité des règles et des pratiques définies par le SPR ? Le contenu des cases illustrées par Castan indique en effet que la radioprotection ne doit justement rien au hasard, contrairement au jeu de société auquel participe le joueur. La spirale donne à voir des personnages qui appliquent le règlement du SPR, et d’autres qui les enfreignent. Comme le travailleur est responsable de ses actes, il ne tient qu’à lui de respecter les consignes de sécurité pour assurer sa protection et celle des autres. Si les dés décident de l’issue de la partie, les images montrent au joueur que la sécurité relève non pas d’un jeu aléatoire, mais de l’application des règles fixées par le SPR. L’inscription de la radioprotection dans le champ antinomique du hasard tend dès lors à renforcer le message apaisant que Castan diffuse dans son jeu de l’oie, invitant les travailleurs et le public à croire en l’efficacité de la radioprotection.

Conclusion

25Le jeu des lois de la radioprotection permet de rappeler au travailleur les consignes à suivre face au risque radioactif. En ce sens, il constitue un aide-mémoire, à l’instar des affiches réalisées par Castan. Le jeu représente également un moyen d’apaiser les craintes liées à la radioactivité. Comme Sophie et Bruno au pays de l’atome et la peinture murale, le jeu de société dédramatise, banalise le travail en milieu nucléaire. Si la radioactivité peut se révéler dangereuse, les résultats des radioprotectionnistes montrent que les risques rencontrés dans un centre nucléaire peuvent être maîtrisés. Les créations de Castan témoignent de cette croyance en l’efficacité de l’action du SPR, signification imaginaire sur laquelle se fonde tout l’édifice de la radioprotection.

26En tant qu’outil pédagogique, le jeu de Castan apporte une valeur ajoutée au programme d’éducation au risque radioactif. Il invite le joueur à contempler les moyens de prévention déployés par le SPR, tout en lui permettant de prendre une part active dans le dispositif éducatif dont il est le destinataire. Le joueur se retrouve en outre face à deux ensembles de règles. Le premier détermine le déroulement du jeu de l’oie, régi par le hasard. Le second correspond aux règles de la radioprotection, qui reposent sur des moyens d’action dont l’efficacité ne doit rien au hasard. Si ces deux ensembles s’opposent sur ce point, ils se rejoignent toutefois à travers la pratique ludique. David Graeber précise que « les jeux constituent une forme pure de l’action régie par les règles » (2015, 223). C’est ce qui explique, pour cet anthropologue, que les jeux sont drôles. Les règles que doivent suivre les individus dans les situations rencontrées au quotidien ne sont pas toujours explicites. Elles ne sont pas non plus toujours cohérentes les unes avec les autres. Aussi, les individus sont-ils contraints de négocier en permanence avec ces règles et de prédire la manière dont les autres vont le faire à leur tour. À l’inverse, un jeu dispense ses participants de devoir effectuer des tâches aussi délicates. Chaque joueur connait les règles qu’il doit suivre pour pouvoir gagner. « Là est la source du plaisir – d’autant plus qu’à la différence de la vraie vie, on s’est soumis à ces règles tout à fait volontairement. Donc les jeux sont une sorte d’utopie des règles » (Graeber, 2015, 224). À son tour, et de manière tout aussi utopique, Castan semble nous dire que la radioprotection, en renvoyant à un système de règles précises auquel le travailleur doit délibérément se soumettre, peut se révéler aussi plaisante que de jouer à un jeu de l’oie. En cela, l’étude de la fonction éducative du jeu des lois de la radioprotection est loin d’épuiser tout le potentiel de cet objet médiateur. En même temps qu’il éduque, le jeu de Castan présente en effet une fonction identitaire, qui concerne spécifiquement les agents du SPR. En mettant en images la radioprotection, il valorise le travail des radioprotectionnistes auprès de leur famille et de leur entourage. Dans cette perspective, le jeu contribue à la médiatisation d’un métier mal connu du public et au renforcement d’une identité professionnelle qui s’institutionalise dans les années soixante, époque pionnière de l’industrie nucléaire française.

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Bibliographie

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Notes

1 G2 est mis en service en juillet 1958 et G3 en juin 1959. L’usine d’extraction du plutonium de Marcoule (UP1) est quant à elle mise en service en janvier 1958.

2 Fondé en 1955, le SPR de Marcoule n’invente pas la radioprotection, mais se charge de la rationaliser. Le premier SPR du CEA est créé en 1951 dans le centre de Fontenay-aux-Roses (Saint Raymond, 2012). Il est ensuite divisé en deux services : le Service d’Hygiène Atomique et de Radiopathologie (SHARP), et le Service de Contrôle des Radiations et de Génie Radioactif (SCRGR). Francis Duhamel, le chef du SCRGR, définit les bases théoriques de la radioprotection au CEA (Duhamel, 1960).

3 Rodier J., Castan J. & Guérin C. « Information et éducation en matière de radioprotection », Bulletin d’Informations Scientifiques et Techniques, CEA Marcoule, 1962, p. 120-129. Cote : VRH 2009-043-282.

4 Cet entretien a été mené en 2016 par Claire Parizel, alors étudiante en Master 2 d’histoire des sciences et des techniques à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, et par son co-encadrant de mémoire de fin d’étude, Sébastien Travadel, professeur à Mines Paris – PSL. Cf. Travadel S. & Parizel C. « Entretien avec Françoise et Anita Castan », Uzès, 29 mars 2016.

5 Marie Bailer a réalisé cet inventaire en 2014 dans le cadre de son stage de Master 2 Patrimoine et archives historiques de l’Université d’Avignon, effectué au sein de la Cellule Archives de Marcoule, sous la direction de Frédérick Lamare, l’archiviste du centre nucléaire. Cf. Bailer M. « Affiches et documents d’éducation du personnel du service de protection contre les radiations du Commissariat à l’Énergie Atomique de Marcoule, 1959-1969 », Cellule Archives du CEA Marcoule, instrument de recherche mis à jour le 13 septembre 2016.

6 Jean Rodier est le chef du SPR de 1958 à 1968.

7 Castan arrête de dessiner pour le SPR en 1968. Il devient animateur dans le service Formation de Marcoule. Il coordonne en 1971 la mise en œuvre du système informatique du centre nucléaire. En 1974, Castan est nommé directeur du service Formation. Il part à la retraite en 1991 et décède en 2014.

8 Gervais de Rouville M. « Le centre de production de plutonium de Marcoule », Énergie Nucléaire, n°4, vol. 5, 1964.

9 De Rouville dirige le centre nucléaire de Marcoule de sa création en 1955 jusqu’en 1968.

10 Quelques affiches ont également été réalisées par deux autres dessinateurs, Guillemaud et Barbier, dont le travail n’a pas laissé de traces dans les archives du SPR.

11 Guérin C. « Formation et éducation du personnel en matière de radioprotection sur le centre de Marcoule », CEA Centre de Marcoule, SPR, 1964. Cote : VRH 2011-10-3178.

12 Rodier J., Castan J. & Guérin C. « Information et éducation en matière de radioprotection », op. cit.

13 Trois plaquettes sont conservées par la Cellule Archives du CEA Marcoule : « Quelques conseils de radio-protection », « La criticité » et « Notice d’information concernant les travaux sous rayonnements ionisants ».

14 Castan J. Sophie et Bruno au pays de l’atome, Paris, Fleurus, 1963.

15 Le Courrier de l’UNESCO, publié en onze langues, reproduit en juillet-août 1968 des extraits de la bande dessinée et indique que son tirage est alors épuisé. En juin 2015, Stéphane Sarrade (Département de Physico-Chimie, Direction de l’Énergie Nucléaire CEA Saclay) entreprend la réédition de l’œuvre de Castan en quatre cents exemplaires numérotés.

16 Timoléon enseigne à Sophie et Bruno des notions de sûreté nucléaire, montre aux deux enfants les équipements de protection individuelle utilisés par les travailleurs, et leur précise que les effluents rejetés par Marcoule ne représentent aucun danger pour l’environnement.

17 Commissariat à l’Énergie Atomique, Rapport annuel, 1957.

18 La peinture murale est organisée comme un parcours initiatique, qui mène le spectateur des installations de Marcoule à l’extérieur du centre, au milieu d’un paysage irradié de couleurs. Les trois panneaux peints par Castan expliquent en quoi consistent les activités effectuées au quotidien par le SPR. Les références artistiques mobilisées par l’artiste renvoient aux avant-gardes modernes de la première moitié du XXe siècle. Castan s’inspire de Mondrian, de Matisse et des Delaunay pour composer une œuvre spectaculaire exaltant tout à la fois la prouesse technique et la douceur de vivre méridionale. Sa peinture cherche ainsi à apaiser les craintes suscitées par la radioactivité, en montrant que les travailleurs et l’environnement sont protégés. En cela, elle participe de l’effort de rationalisation de la radioprotection entrepris par le SPR.

19 Bailer M. « Affiches et documents d’éducation du personnel du service de protection contre les radiations du Commissariat à l’Énergie Atomique de Marcoule, 1959-1969 », op. cit.

20 Le trisecteur, ou trèfle radioactif, est un pictogramme symbolisant le risque d’exposition à des rayonnements ionisants. La plaquette « Notice d’information concernant les travaux sous rayonnements ionisants », illustrée par Castan, précise que le trisecteur de couleur rouge signifie un franchissement interdit du fait d’un danger de contamination.

21 Les films sont des dosimètres passifs, recouverts d’émulsions sensibles aux particules radioactives. Ils sont développés par le laboratoire de dosimétrie du SPR. La mesure du noircissement des films indique les doses d’irradiation reçues par l’agent. Sur le plan individuel, les films sont fondamentaux car ils déterminent les rythmes de travail et les contraintes opérationnelles afin de limiter la contamination ou l’irradiation des travailleurs.

22 Dans plusieurs récits mythologiques, le vol spiralé de l’oie conduit le shaman ou le devin du monde des vivants vers l’autre monde (Fournier, 2019).

23 L’identification opère d’autant plus que Castan partage avec le personnage de Timoléon la même fonction d’éducateur.

24 Travadel S. & Parizel C. « Entretien avec Françoise et Anita Castan », op. cit.

25 Rodier J. « Éléments de sécurité tirés de six années d’exploitation de l’usine de traitement de combustibles irradiés du Centre de Marcoule », Rapport CEA, 1964, 10 p. Cote : R-2654 ; Rodier J., Chassany J.-P., Peyresblanques H., Estournel R. & Court R. « Expérience en matière de radioprotection tirée de huit ans de fonctionnement d’un centre de production du plutonium », Rapport CEA, 1966, 8 p. Cote : R-2654.

26 L’imaginaire de maîtrise renvoie selon nous à une croyance en la possibilité d’une réduction déterministe des phénomènes qui nous menacent, limitée au niveau de chacun par sa connaissance et sa compréhension.

27 Rodier J., Castan J. & Guérin C. « Information et éducation en matière de radioprotection », op. cit.

28 Dosimètre électronique de poche. Il permet au travailleur de connaître par une lecture immédiate la quantité de rayonnements reçus.

29 Castan s’inspire de la culture populaire des années soixante pour réaliser ses créations. On retrouve dans ses affiches des références à Astérix le Gaulois, au monstre Godzilla, à des actrices et des acteurs iconiques comme Brigitte Bardot, Diana Rigg, Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, ou encore au film de science-fiction La planète des singes. L’artiste dessine également dans la plaquette « Quelques consignes de radioprotection » l’humoriste Jerry Lewis pour figurer une incartade aux consignes d’hygiène radioactive. Hormis le visage de Gainsbourg dans la case n° 3 du jeu de l’oie, ce dernier ne présente pas d’autre référence notable à la culture des années soixante. Le jeu de société renvoie en revanche à d’autres univers culturels, comme celui de la fable. Les cases n° 47 et 48 reproduisent ainsi deux animaux anthropomorphes, inspirés du Lièvre et la tortue de Jean de La Fontaine, que Castan avait déjà représentés dans une affiche réalisée en 1962.

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Table des illustrations

Titre Image 1 : « Le noble jeu des lois de la radio-protection » (1966).
Crédits Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-120.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3741/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,0M
Titre Image 2 : « Le masque vous préserve de la contamination par les voies respiratoires » (1959).
Crédits Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-103.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3741/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Image 3 : Cases n° 39 et 40 du « Noble jeu des lois de la radioprotection » (détail).
Crédits Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-120.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3741/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 148k
Titre Image 4 : « Votre sixième sens ! » (1962).
Crédits Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-035.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3741/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 768k
Titre Image 5 : case n° 3 du « Noble jeu des lois de la radio-protection » (détail).
Crédits Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-120.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3741/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 132k
Titre Image 6 : « N’oubliez-pas vos anges gardiens » (1959).
Crédits Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-009.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3741/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 704k
Titre Image 7 : case n° 4 du « Noble jeu des lois de la radio-protection » (détail).
Crédits Source : J. CASTAN / CEA. Cote : VRH 2014-04-120.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3741/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 168k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Aurélien Portelli, « Le hasard et la nécessité. Le jeu de l’oie comme moyen d’éduquer au risque radioactif dans les années soixante »Images du travail, travail des images [En ligne], 14 | 2023, mis en ligne le 21 décembre 2022, consulté le 11 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/3741 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itti.3741

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Auteur

Aurélien Portelli

Aurélien Portelli est enseignant-chercheur au Centre de recherche sur les Risques et les Crises (CRC) de Mines Paris - PSL. Ses travaux de recherche portent sur les représentations des risques et des crises dans l’industrie. Il étudie en particulier l’imaginaire de la radioprotection et des situations extrêmes en contexte industriel. Il a corédigé des articles publiés dans Risk Analysis, les Cahiers de narratologie, Techniques & Culture et la Revue d’histoire culturelle. Il a également codirigé les ouvrages Masao Yoshida, directeur de Fukushima et L’accident de Fukushima : le Premier ministre du Japon face à la crise nucléaire, publiés aux Presses des Mines.

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