Le corps en travail : des "portraits à la Despatin/Gobeli"
Texte intégral
- 1 Comme les photographes eux-mêmes, nous n’utiliserons pas leur prénom.
Figure 1 : Autoportrait
Source : Mission Photographique de la Datar Bourges 1984 - série « Vêtements et parures » Mission Photo Datar.
- 2 Entretien réalisé le 6 décembre 2021 dans le studio-photo de Despatin, à Paris.
- 3 https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpd89007953/francois-despatin-et-christian-gobeli-portrai (...)
- 4 http://expositions.bnf.fr/paysages-francais/grand/pay_f1_029a.php
Plusieurs raisons nous ont poussées à réaliser un grand entretien2 avec ce couple de photographes, Despatin et Gobeli. D’abord, parce qu’ils ont photographié nombre de personnes au travail sans pour autant vouloir représenter une activité en cours, notamment lors de la mission à la DATAR en 1984, pour laquelle ils ont produit une série en Noir et Blanc : « Portraits de Français3 », poursuivie par une autre série en couleurs intitulée « Vêtements et parures »4 ; ce qui nous permet d’enrichir les réflexions proposées par les différents contributeurs ayant participé à ce numéro de la revue dédié aux apparences au travail.
Nous nous intéressons ainsi à la façon dont Despatin et Gobeli ont, de leur côté, abordé la thématique et surtout conçoivent leurs productions photographiques.
Puis, parce qu’ils ont mené ces projets de concert au fil des années, 50 ans de collaboration sans faille. Il nous paraissait important de comprendre comment, dans ce contexte, opérait l’éventuelle division du travail entre eux alors que leur style, non pas intellectualisé, mais de nature presque artisanale, s’est échafaudé au cours du temps.
Enfin, parce que leur parcours atypique se nourrit de rencontres qui racontent, autant que leurs clichés, une période riche de recherches, loin des photographies de mode et de celles affectionnées par les galeries.
Figure 2 : Autoportrait- photo de groupe avec Ipoustéguy
Source : Groupe au « 35 rue Chevreul » Choisy-le-Roi 1979.
De gauche à droite François Despatin, Christian Gobeli, Ghedalia Tazartes, Ipoustéguy, André Glucksmann, Françoise Prenant.
Mais commençons tout d’abord par leur parcours et leur rencontre. Despatin et Gobeli nous expliquent.
Gobeli : « Je suis né en 1949 à Strasbourg. J'ai vécu toute mon enfance à Annecy, mon père André Gobeli était photographe. Aux dires de mes parents, je ne me suis jamais intéressé à la photographie quand j'étais très jeune enfant, contrairement à mon frère et à ma sœur qui demandaient d’aller au labo pour faire des tirages. En revanche, j’accompagnais souvent mon père lors de ses reportages, photo ou cinéma le week-end : beaucoup de compétitions de ski, bob etc. (il était correspondant pour la Haute Savoie de la télévision régionale et des journaux régionaux : le Dauphiné Libéré, l’Essor Savoyard, le Messager, Le Progrès…).
Mon choix de la photographie a été un choix par défaut. En effet ayant eu un parcours scolaire difficile avec plusieurs redoublements, arrivé en fin de seconde sans pouvoir passer en première et devant l’interrogation de ma famille face à mon avenir, j’ai saisi l’opportunité de la photographie. J'ai fait un an chez moi par correspondance et ensuite une école à Paris, l’Institut Français de Photographie (IFP) et me suis fait la main avec mon père. »
Despatin : « Je suis né à Dijon en 1949, mes parents étaient profs… On est parti en Guinée où nous sommes restés un an. Puis ils sont partis à la Réunion, j’y suis resté 3 ans, eux 10. Comme je ne faisais pas grand-chose, ils m’ont collé en pension à Pontoise. Ça a été les plus belles années de ma vie, et ce n’est pas une blague. Je me suis retrouvé dans un lycée privé à Paris. ».
Tous deux ont un parcours scolaire marqué par des échecs. L’un n’a pas réussi son bac. L’autre a raté son CAP. Et ils découvrent chacun à sa manière la pratique de la photographie.
- 5 Jean-Marie Hatier est photographe. Despatin et Gobeli l'ont connu à l'automne 1968. Ils l’ont perdu (...)
- 6 Nous l’appelions gentiment la patronne : c’était une grande et belle femme, dont le mari le colonel (...)
Gobeli fait ses premières armes d’étudiant photographe alors qu’il est en foyer : « J’étais dans un foyer, rue Jean-Jacques Rousseau, avec Jean-Marie Hatier5 inscrit dans la même école photo. Nous avions des exercices de pratique photographique à faire à la maison (tirage, développement). Pour ce faire, la direction du foyer nous avait octroyé un local qui servait pour les femmes de ménage. Il y avait de l'eau et une baignoire. Nous y avions installé nos agrandisseurs, bacs, cuves, en contrepartie la « patronne6 » du foyer nous demandait d’organiser un mini Club Photo que l’on animait le week-end, car on ne quittait Paris que pendant les vacances scolaires. C'est comme ça que Despatin, bien que n’étant pas inscrit dans notre école, mais passionné de photo, s'était inscrit à notre club photo. »
Malgré des difficultés, son intérêt pour la photographie se confirme : « J'ai passé mon CAP rue de Vaugirard. J'ai loupé mon portrait à la chambre d’entrée de jeu, flou de bougé d’une épreuve éliminatoire. Donc je n’ai pas passé la théorie, rien. J'étais un peu furax parce que j’avais bossé ce qui était pour moi rédhibitoire l’abstraction, la théorie. ». Et il ajoute : « J'étais mauvais élève, mais tout d'un coup la photo, donc la géométrie, tous ces trucs-là m'ont intéressé justement parce qu'il y avait un côté pratique alors qu'au collège j'en avais rien à faire de tout ça. Je ne voyais pas le lien avec la réalité. Ça m'intéressait les histoires d'optique appliquées à la photo. La chimie, enfin, ce n’est pas de la chimie très compliquée la photo, mais ça m'intéressait, je pense que j'aurais eu une bonne note si j’avais pu passer l’examen théorique ».
Cette similarité des parcours et leur envie de faire de la photographie va servir de socle à leur collaboration au long cours.
Despatin nous raconte sa rencontre avec Gobeli au foyer déjà mentionné plus haut : « Oui, je peux raconter comment on s'est connu, comment dire, c'était un soir où il y avait des gamins qui avaient réussi à faire sauter les plombs. Je ne sais pas comment ils s'étaient débrouillés et donc on était dans le noir. J'étais couché, j'allais dormir, et tout d'un coup il y a une porte qui s'ouvre violemment, un jeune homme rentre avec sa valise. Je lui indique son lit, puis je l'entends qui râle, il cherchait quoi ? Ces mouchoirs… Il engueulait sa mère parce qu'il ne trouvait pas ces mouchoirs. Je fumais à l'époque et donc je suis venu avec des allumettes. Je l'ai éclairé. Et il m'a vu. ».
Ils partageaient donc la même chambre, et Despatin s’est inscrit au Club Photo….
Gobeli : « Lui il avait déjà un appareil photo. »
- 7 https://fr.wikipedia.org/wiki/Zenit_(entreprise)
Despatin : « Un Zenit7, appareil photo russe, acheté en Guinée !!! Souvent, le week-end, on allait faire les manifs et des promenades, des fêtes. C'était bien. Et puis moi je me suis dit, tiens, ce n’est pas mal parce qu'en quelque sorte c'est un boulot possible. ».
Ils se lancent donc dans un premier essai de créer un atelier photo (Atelier 135) avec inscription à la chambre des métiers à Annecy, dans les pas du père. L’essai sera infructueux.
- 8 https://www.choisyleroi.fr/wp-content/uploads/2016/03/Le-35-rue-Chevreul.pdf
Gobeli : « Je me suis dit avec Despatin : « on va aller à Annecy », pour monter un studio de photographe. C’était en 1972-73. On y est resté un an. On faisait des photos de mariage, du portrait, des photos industrielles, pour l’entreprise MAPED (fabrique de compas, règles, équerres…) par exemple, du reportage photo journalistique pour Michel Causse correspondant de divers journaux pour la Haute Savoie, mais ça n’a pas marché suffisamment pour en vivre, impôts, URSSAF etc., du coup on est revenu sur Paris. Et là on a retrouvé Jean-Marie Hatier photographe, on s'était connu en septembre 1968 car on était tous les trois dans le même foyer… Il nous a proposé de loger chez Ipoustéguy, le sculpteur. Dans un lieu qui appartenait à la galerie Claude Bernard, rue Guyton de Morveau Paris 13ème. La galerie y entreposait sculptures et peintures de ses artistes. Vivaient là des artistes, plein de gens qui passaient, qui circulaient. On est venu y habiter, quelques mois. Puis un jour, on a entendu quelqu'un parler très fort, c'était Ipoustéguy qui revenait de Berlin. Il avait eu une grosse rentrée d’argent en vendant une de ses sculptures en Australie (La Mort du Père), ce qui lui a permis en 1973 d’acquérir une maison avec des ateliers à Choisy-le-Roi. Il louait plusieurs d’entre eux au fond du jardin à la famille Chaplet – Lenoble, céramistes reconnus (un des ateliers contenait un vieux four à céramique)8. Il nous y a tous embarqués. Au départ pour restaurer la maison : plâtre, peinture, isolation, travail qu’il nous payait largement. Nous avons passé 10 ans chez lui, de 1974 à 1984. »
- 9 http://ipousteguy.com/quelques_images.html
En 1974, les photographes François Despatin et Christian Gobeli s'installent dans la grande maison d'Ipoustéguy à Choisy-le-Roi. « Cette maison et ses ateliers étaient le refuge d'une dizaine d'artistes : des photographes, comédiens, peintres, sculpteurs et même des musiciens. Ipous mettait gratuitement à notre disposition des ateliers ainsi que des chambres. Et si l'un d'entre nous était fauché, il y avait toujours de quoi manger, ce qui nous a permis de pouvoir nous consacrer à notre travail », se souvient Gobeli. Pendant 10 ans, les deux photographes vont suivre à leurs initiatives les étapes de la réalisation d'un grand nombre des sculptures les plus importantes d'Ipoustéguy. Leurs photographies posent un regard artistique et intime sur le sculpteur et ses œuvres. Elles sont un témoignage unique sur l'homme et son travail.9 |
Mais ils ne vont pas faire seulement des photos du sculpteur au travail. Leur projet ne porte plus sur la création d’un studio, ils veulent faire des photos ensemble qui leur seront propres, à leur image.
Gobeli : « Je ne voulais pas faire comme mon père, devenir photographe artisan, mais surtout je voulais rester à Paris où je pensais pouvoir réaliser mes projets photographiques. Mon père a d’ailleurs respecté ce choix, ce besoin de liberté et ne m’a pas poussé à reprendre avec lui son affaire. En revanche chaque année, j’allais l’aider, au début avec Despatin, puis plus tard seul, à couvrir le Festival du Film d’Animation d’Annecy dont il était le photographe officiel et ce jusqu’en 2011.
Mon idée, c'était de me caler sur ce qui faisait référence : Doisneau, Cartier Bresson, Joseph Koudelka des gens comme çà. Pour cela, il me fallait avoir du temps pour faire des photos sans avoir à m’occuper de l’intendance. J’ai bien dû faire quelques petits boulots au laboratoire Central Color (Paris 16ème), puis Plateau Sud studio de photographie d’ameublement situé à Rungis. Chez Ipoustéguy, à Choisy-le-Roi, on avait des ateliers pour faire ce qu'on voulait, donc on est parti sur l'idée d’y photographier les gens du quartier. ».
Il n’est pas question alors pour eux de faire un reportage journalistique, et surtout – expliquent-ils – des photos volées à la façon de ce type de reportages.
Despatin : « Qu’on soit resté 10 ans à Choisy-le-Roi, nous a permis d'améliorer notre vie et de chercher ce qu'on voulait faire exactement. »
Gobeli : « Ipous, il avait galéré en étant jeune... Donc il voulait soutenir les jeunes, nous étions trois photographes (Despatin, Hatier et moi), les autres (Patrick Varnier, Miquet Tinguely, Diane Gude, Milano Biancu, Brigitte Millet, Zoë Whittier de l’Isle…), c’était plutôt des peintres et des sculpteurs… Il y avait aussi des amis d’Ipous de passage au 35 rue Chevreul, pour des fêtes ou des repas souvent le week-end : Robert Lesbounit peintre et professeur d’Ipous, André Glucksmann philosophe (Gluglu), Françoise Prenant (Fanfan) et sa cousine Françoise Prenant (Franssou) cinéaste, Jacques Kébadian cinéaste, Ghédalia Tazartes musicien (Gégé), Marcel Bozonnet comédien, Bertrand Renaudineau cinéaste, Roland Diens musicien.
Dans tous les cas, il y avait une chose qu'on ne voulait pas, même si Doisneau, Cartier Bresson étaient nos références, on voulait faire autrement, on ne voulait pas faire des photos sur le vif. Jean-Marie Hatier avait une chambre en bois, on s'est dit, moi et Despatin, on va lui emprunter cette chambre en bois, et puis on va faire des portraits à l'ancienne, donc on a fait venir des gens du quartier dans l’atelier. »
Despatin : « Les gens venaient, venaient, ils venaient, et en plus c'était gratuit. Et puis, ils étaient curieux, car cette maison avec tous ces jeunes artistes avait un côté sulfureux. »
Gobeli : « Parce qu’on était jeune con rebelle, on a fait l'inverse de ce qui se faisait à l'époque : « faire comme si on n’était pas là, le photographe devait se faire oublier, photographier avec des appareils légers et discrets : Leïca, Nikon ». On a pris le contre-pied de Cartier Bresson. On s’imposait, on voulait que le photographié et celui qui regardera la photo, sachent qu'il y avait un photographe. D’où un appareillage imposant ; chambre grand ou moyen format, éclairage studio, tout un cérémonial. Il fallait que les gens soient présents, donc on avait inventé un système : une caisse posée sur un chariot à roulettes, un manche à balais, une planche. Les modèles étaient sur ce truc totalement instable, et il ne fallait pas qu’ils bougent, on s'est aperçu rapidement que cela faisait des photos formidables parce qu'ils étaient super attentifs, tendus. Voilà comment s’est élaboré peu à peu notre fabrique, notre façon de faire, notre signature en quelque sorte.
Ils ont ensemble une certaine conception de la relation avec les personnes qu’ils photographient.
Gobeli : « On s'est toujours amusé en faisant de la photo, peut-être qu'on rigole moins maintenant (l’esprit de sérieux, la maturité sans doute !) mais quand on photographie les gens, c'est vraiment un plaisir. On était très timide, lui et moi. En fait, la photographie, c'était le moyen d'aborder les gens et de leur parler. La photographie était le prétexte. On ne voulait pas faire des photos à la sauvette, des gens dans la rue à la volée. »
Despatin : « Les gens ont une image d’eux-mêmes. Si lors d’une prise de vue, on leur donne quelques directives, ils imaginent tout de suite une situation catastrophique dont ils sont le centre : mal coiffés, mal habillés. Nos exigences sont pour eux déstabilisantes et pas naturelles : montrer les mains, garder la pose, ne pas sourire. Lorsque l’on travaille avec une chambre à l’intérieur sans éclairage, les temps de pose sont de l’ordre de la seconde et la profondeur de champ est quasi nulle. On insiste sur l’importance de ne pas bouger, sinon la photo sera floue (flou de bougé ou de mise au point). Ces impératifs techniques créent des tensions, donnent de la présence aux modèles. Cela se voit à l’image. »
Ils ont aussi une certaine conception de la pratique photographique qu’ils exercent dans un soutien mutuel.
Despatin : « un autre truc, on n’avait qu’une chambre. Donc il n’y avait pas d’intérêt à ce que chacun fasse des photos de son côté. L’idée s’est imposée de faire ce travail à deux, un travail en commun avec une chambre. La préparation se fait ensemble. »
Gobeli : « On était assistant l'un de l'autre. C'est aussi ce qui nous a permis d'avancer dans la photographie sans jamais gagner beaucoup d'argent. On faisait tout nous-mêmes. Et il faut dire que pendant 10 ans nous n’avons pas eu de problèmes financiers. Et puis on était juste après 68, et l’esprit communautaire nous avait touchés : communauté de vie et de création ».
Questionnés sur les problèmes entre eux que cela peut engendrer, ils répondent.
Gobeli : « Il y en a sans arrêt, mais nous savions pertinemment que nous ne pouvions pas faire mieux sans l'autre. Mais on peut s’engueuler, et comment ! Ce qu’il a de bien dans le travail à deux, c’est que l’égo doit se mettre en sourdine pour que cela puisse perdurer ».
Despatin : « Au vu du résultat des images, on voyait bien celui qui avait raison. »
Gobeli : « Bien souvent on s'est aperçu que c'était des images loupées qui nous permettaient d'avancer. »
L’absence de spécialisation des tâches est également une caractéristique de leur collaboration. Cette affirmation est cependant nuancée à la marge.
Despatin : « Oui, pendant une époque, c'est moi qui faisait tous les développements. »
Gobeli : « Et maintenant c’est moi. Donc il y a des cycles … »
- 10 Il y a aussi facétie dans la manière de présenter les trajectoires familiales. Despatin dit : « Gob (...)
Ces ajustements tiennent plutôt au respect des trajectoires familiales (enfants en bas âge etc.) qu’au métier proprement dit. Mais il y a aussi quelque facétie dans le couple10. Despatin aimait transporter le matériel dans une malle bien grosse, c’était donc lui qui la portait. Gobeli a suggéré de remplacer la malle par une valise à roulette. Dès lors, Despatin l’a laissé porter la valise à roulette.
Leur travail est par ailleurs marqué par divers essais techniques pour obtenir des rendus particuliers. À travers leur parcours, ce sont les évolutions techniques en photographie qui se lisent.
Gobeli : « Ipous avait besoin de photos pour ses archives…du coup, c’est lui qui nous a permis d’acheter une chambre Sinar 13-18cm en nous avançant l’argent. »
Despatin : « Et moi, j’avais acheté une Mamiya RB 67 à Maurice lors de vacances familiales. »
- 11 http://www.atelier-fresson.com/technique.htm
Gobeli : « Le fait de travailler avec une chambre grand format nous permettait d’explorer d’anciens procédés pigmentaires utilisés par les pictorialistes. En effet, nos grands négatifs nous permettaient de tirer directement par contacts des images à la gomme bichromatée ou au charbon, façon Fresson11… mais c’était un travail de fou, aussi j’ai arrêté, Despatin a continué, en particulier il a mis au point un tirage photo sur céramique. »
C’est la réalité d’un marché auquel ils doivent se plier qui est donné à voir. La façon dont les artistes détournent les conditions qui leur sont offertes par les galeristes montre surtout leur manière de trouver des solutions pour s’en sortir.
Gobeli : « Nous avions fait de nombreuses photos sur le travail d’Ipoustéguy. À un moment donné, la galerie Claude Bernard a voulu acheter nos négatifs. Chose qui ne se fait pas. On achète des droits. De plus, il voulait les acheter pour pas grand-chose. Pour Ipous, Claude Bernard, c'était comme un frère. Finalement, à sa demande pressante, nous avons obtempéré, mais on a doublé nos prises de vue pour avoir une trace de nos images. »
Un détour permet en fait d’arriver à la Mission DATAR.
- 12 Bibliothèque Nationale
Gobeli : « Toujours dans l’idée de protéger la paternité des photos dont nous cédions les négatifs originaux à la galerie Claude Bernard, nous avons eu l’idée de proposer à Beaubourg – musée d’Art Moderne – une copie de notre travail autour de l’œuvre d’Ipoustéguy, diapos et noir et blanc. À Beaubourg, ils ont choisi certaines diapos, mais pour les noirs et blancs, ils nous ont incité à aller voir Jean-Claude Lemagny conservateur de la photographie contemporaine à la BN12. Ils étaient sûrs que ça allait l’intéresser. Un rendez-vous fut pris, et on est allé le voir. Nous lui avons montré une sélection de photographies noir et blanc sur Ipous et ses sculptures et aussi à la fin de la présentation quelques portraits d’habitants du quartier des Gondoles à Choisy-le-Roi, série que nous venions de commencer. Lemagny nous a alors dit : « Ce qui m'intéresse, c’est le travail sur les portraits. Ipousteguy non »
Depuis et jusqu’à sa retraite, presque tous les ans, nous faisions un dépôt légal de nos meilleures dernières photos. Nous avons continué, mais de manière moins suivie avec ses successeurs. Ce que nous apprécions chez Lemagny, c’était son regard et ses commentaires sur notre travail. Cela nous a beaucoup apporté.
- 13 Photographe belge, vivant et travaillant en France, il a été le directeur artistique et technique d (...)
Despatin : « Il fut à l’initiative de notre participation à la Mission Photographique de la DATAR. Elle était jusque-là axée sur le paysage, mais désirait y mettre un peu d’humain. Ils ont demandé conseil à Jean-Claude Lemagny qui leur a répondu : il vous faut DESPATIN GOBELI. C’était donc en 1983 que j’ai eu François Hers13 au téléphone… »
Gobeli : « C’est bien tombé. Nous venions de quitter le 35 rue Chevreul chez Ipous et nous avons eu la mission…. J’habitais à Thiais un atelier dans un HLM avec Colette Le Gallou, nous avions une fille de 3 ans. Despatin louait avec sa copine un appartement dans un vieil immeuble. Sinon, nous aurions été dans la merde, car pour la première fois on payait chacun un loyer. La mission nous a demandé de faire des portraits à la Despatin/Gobeli comme on avait fait avec les gens du quartier des Gondoles. »
Despatin : « En fait, les photographes de la mission avaient carte blanche et se devaient d’être exemplaires. »
Gobeli : « Et puis François Hers voulait qu'on fasse le portrait de Français comme on le faisait avec les gens du quartier. Bon, avec une petite explication quand même. Il fallait qu'on tienne un journal de bord pour indiquer nos choix. Un fonctionnaire de la DATAR servait d’intermédiaire… En cas de problème, si on n’avait pas les autorisations de photographier, il passait un coup de fil… et ouvrait les portes … ».
Despatin : « Ça marchait pour les services publics, pour l’armée, la justice, la banque de France, mais pas pour le privé, pas pour les banques (par exemple nous n’avons pas eu accès aux ateliers des usines Rosières (environ de Bourges), seulement accès au bâtiment administratif et aux employés de ce bâtiment. Nous n’avons pas pu photographier les ouvriers. Quant aux usines Michelin de Bourges se fut un non catégorique.) C’était en 84, sous le gouvernement Mitterrand, on avait pourtant une lettre de recommandation du Premier ministre ».
Ils commencent leur mission non sans difficultés. La rencontre avec les habitants ne se fera pas forcément aisément.
Figure 6 : Centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly
Source : Juillet 1984 - série « Portraits de Français » Mission Photo Datar.
Gobeli : On a fait un projet. On voulait aller dans le centre de la France. On voulait des industries de pointe, on voulait Bourges…ou voulait des agriculteurs, mais on a eu du mal dans le Berry. Dès qu'on montrait le papier de la mission, on voyait que ce n’était pas la peine d'insister. Alors on a changé de région. Mon grand-père, originaire de Petit-Bornand les Glières, fils d'agriculteur, connaissait tous les agriculteurs du coin, et puis mon père était photographe dans le coin, il connaissait du monde, donc on a pu photographier des agriculteurs sans trop de problème. »
Despatin : « Dans le Berry, nous n’avons pas eu de problèmes avec les viticulteurs. Ils nous ont ouvert les portes, ce sont des commerçants, qui ont l'habitude d'accueillir des gens, sans difficultés. »
Gobeli : « Nous avions fait le centre de la France (l’industrie, le commerce, l’artisanat… un peu le vignoble), la Haute-Savoie (agriculture), la région parisienne (la jet set) mais il nous manquait le littoral. Nous aurions aimé faire une série de photos à Boulogne-sur-Mer. Mais nous n'avons pas eu de prolongation pour entreprendre cette série sur la pêche. »
Les exigences de la DATAR se précisent au fur et à mesure. Despatin et Gobeli mettent en place un dispositif original pour saisir à leur manière les postures, les tenues des personnes photographiés.
Gobeli : « Pour compléter notre série noir et blanc « Portraits de Français », la mission nous a imposé une série en couleur sur « Vêtements et parures ». Il tenait à ce que nous préservions l’anonymat des modèles en leur cachant la face. Nous avons imaginé un dispositif : nos modèles juchés sur un socle, éclairé de chaque côté par des flashs. Le socle permettait de bien voir les chaussures. Pour rester anonymes, les modèles tenaient un masque (même forme que le socle) devant leur visage. Nous avions aussi prévu d’installer un fond photo pour les détacher du contexte.
Figure 8 : Garage
Source : Berthot Bourges 1984 - série « Vêtements et parures » Mission Photo Datar
La première fois qu’on est allé sur les lieux de prises de vue (usine, école, hôpital, garage…), on s'est aperçu que notre fond amovible était moins intéressant que le décor que l’on trouvait sur place. C’est ce fond ou décor que nous devions d’abord repérer, avant de mettre en place notre installation.
Pour nous, le visage et le corps sont essentiels. Photographier une personne masquée nous perturbait, ainsi au cours des prises de vue, nous avons commencé à demander aux personnes qui le voulaient, de faire une prise sans masque. Lors d’une réunion de la mission, force fut à François Hers de reconnaitre le bien-fondé de nos choix et il nous a dit Ok. Voilà ça a mis du temps ».
Despatin : « On a fait 1000 photos pour Vêtements et Parures, mais ce n’est pas la série sur laquelle nous avons le plus travaillé. »
Il y a donc eu des réorientations des missions, des discussions en cours, et puis parfois poursuite des deux missions en parallèle.
Gobeli : « Après on cumulait les deux, c'est-à-dire le matin, on allait dans une entreprise, on faisait des portraits. Et l’après-midi, on faisait Vêtements et parures. »
Despatin : « Parce que tous ces dispositifs nous prenaient beaucoup de temps. »
Gobeli : « Il fallait plutôt que ça soit des grosses entreprises. Pour 2-3 personnes, ça ne valait pas le coup de tout installer. C'était un peu compliqué, on l'a fait quelquefois, mais c'était beaucoup de travail et du temps pour peu d’images. »
L’entretien se recentre alors sur le dispositif Vêtements et parures, et notamment sur le socle qui en était une pièce maîtresse.
Gobeli : « Le socle… Chez Ipous, nous étions entourés de sculptures sur des socles de toutes formes ; Ipous y accordait beaucoup d’importance. Le socle qui nous a servi de modèle est celui du « Val-de-Grâce ». Les personnages étaient isolés sur un socle, éclairés de la même manière à gauche et à droite par des flashs, avec un éclairage constant. C'était net, on voyait bien les vêtements, il n’y avait pas d'effets. L’inclinaison du socle permettait de bien voir les chaussures. »
Figure 10 : Ipoustéguy sculptant le « Val-de-Grâce »
Source : Dans le jardin du 35 rue Chevreul (à gauche « l’Hydrorrhage »), Choisy-le-Roi 1977.
Peut-on alors parler d’un travail documentaire sur les vêtements et parures ?
Gobeli : « Non, là encore nous avons défendu un point de vue. Si on avait voulu travailler la thématique des vêtements, il fallait faire tourner les gens, les voir de face, de profil, de dos. Ce n’est ni de la photo documentaire, ni de mode.
Despatin : « D’ailleurs un directeur artistique de « Vogue Homme » nous a approché pour une série de photographie de mode. Il avait eu entre les mains notre petit passeport rouge sur les sportifs de Haut Niveau édité par Paris Audio. Après un premier entretien, le projet n’a pas abouti… Nous pensons qu’il a pris peur devant notre candeur et méconnaissance du milieu. On a aimé ce dispositif des socles. On en faisait en bois, on les peignait, on changeait la couleur, on faisait des essais…on aimait bien ce travail manuel. ».
Gobeli : « Et puis le socle donne un maintien différent aux personnes. Nous l'avons appris au théâtre par la scène, parce que certaines scènes de théâtres, sont en pente, 4% d’inclinaison pour celle de la Comédie-Française. Et cela permet de voir les pieds. Lorsqu’ils sont sur le socle, les modèles ont une position qui n'est pas celle de tous les jours, ils sont en recherche d’un autre équilibre. Finalement, le socle fait travailler autrement le corps. ». D’ailleurs, lors d’une répétition à La Comédie-Française de « La Comtesse d’Escarbagnac » et « Georges Dandin » en 1992, que nous photographions pour le programme, Jacques Lassalle, metteur en scène, a fait remarquer à un acteur l’importance de la pente de la scène de la salle Richelieu sur le maintien et le jeu des comédiens. »
Figure 11 : Roland Bertin dans le rôle de l’évêque « Le Balcon » de Jean Genet
Source : Mise en scène par Georges Lavaudant, La Comédie-Française 1985.
Les clichés de Despatin et Gobeli ne montrent pas que des femmes et des hommes au travail ils les captent aussi à d’autres moments de leur quotidien. Quelle en est la raison ?
Gobeli : « Oui on a travaillé à l’intérieur mais aussi à l’extérieur. Pour la mission, on s'était débrouillé avec le maire de Bourges, communiste, pour avoir un appartement dans un HLM. On y est resté six mois. Souvent les week-ends, on restait à Bourges, la semaine, on avait nos rendez-vous dans les entreprises, et le week-end, on parcourait les lieux de balades avec la chambre sur le dos. Au hasard des rencontres, on bloquait quelqu'un : « Est-ce que ça vous intéresse qu’on fasse votre portrait ? ». Il est vrai que l'on aime bien photographier les gens en intérieur aussi pour des raisons d'éclairage. Les éclairages dans les intérieurs sont pour le portrait plus intéressants que ceux en extérieur. La lumière du jour y arrive par des sources étroites : fenêtres, portes, baie etc. et en quantité plus faible, créant des jeux d’ombre et de lumière plus harmonieux que l’éclairage dur en plein soleil ou doux par soleil voilé. ».
Despatin : « On essayait d’appréhender les personnes dans toutes leurs activités, dans leur vie quotidienne. C’est un premier glissement. Un autre glissement, c’est le passage de la photo noir et blanc à la photo couleur. Si nous appréciions tant le noir et blanc, c’est que nous gérions tout le processus : les prises de vues, les développements, les tirages sont contrôlés. »
Gobeli : « Mais autrement, nous, quand on photographie des gens, ce n'est pas le vêtement qui nous intéresse, ce sont les gens. Ce n’est pas le lieu non plus. »
Et pourtant le contexte apparaît parfois, le paysage ou le lieu de travail….
Gobeli : « Quand on travaille à la chambre, notre travail premier et principal est de cadrer, de faire attention à ce que la personne ne soit pas lésée par le fond (architecture, paysage etc.). Quand vous avez des modèles, des travailleurs, ils ne sont pas pris sur le vif. Nous les voulons très attentifs au moment de se faire photographier. »
Despatin : « Quelqu’un qui saute à la perche, ne sera pas pris en train de sauter à la perche, mais dans son cadre avec sa perche à la main ».
Gobeli : « C’est pareil avec les écrivains, ils veulent nous donner rendez-vous dans un bistrot. Mais on évite, on veut aller chez eux. Le décor, c'est chez eux, et dans la pièce où la lumière est la plus belle, pas forcément devant la bibliothèque ou le bureau. Ce peut être le couloir, la cuisine, une chambre, mais chez eux. Comme les politiques ou les acteurs, ils ont une image très précise de leur représentation et comment ils doivent se présenter. Il faut convaincre… ».
Leur souci apparaît clairement dans la focale qu’ils choisissent pour faire leur photographie, des photos en pied.
- 14 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/Georges_de_La_Tour._The_Old_Man.JPG
Gobeli : « Nous privilégions le portrait en pied. La Chambre permet de réaliser des portraits en pied de très bonne qualité : la surface du négatif importante, le redressement des lignes grâce au décentrement et la bascule du corps arrière et avant de la chambre. Il en résulte une perspective exacte dont les points de fuites sont décentrés par rapport à un appareil photo 24x36 ou moyen format, cela n’entraîne aucune déformation. On voit précisément les vêtements, mais on voit aussi les pieds, de grands pieds, ils sont justes… Quand on travaillait pour Le Magazine Littéraire, le rédacteur en chef Jean-Jacques Brochier nous disait toujours : « Vous faites de grands pieds aux gens. ». Mais Regardez – lui avait-on dit – les tableaux de De La Tour14, vous verrez les pieds qu’ils ont. ».
Despatin : « La vraie perspective, c'est Picasso, l'enfant à la colombe. Voilà, il a les pieds gigantesques parce qu'ils sont en perspective. Et la Chambre, c'est un instrument qui permet de redresser les lignes et d’avoir des perspectives justes. ».
Gobeli : « Lors d’une prise de vue chez quelqu'un, on fait 8 plans films, 4 photos en pied et 2 autres photos en plan moyen et 2 en gros plan. Pas d'éclairage flash ou tungstène. Les journaux publient surtout des portraits en gros plan. Les photos en pied, dans la presse, il y en a très peu. Pour cela, il leur faut consacrer une pleine page. Nous avons eu cette chance avec Lire, Le Magazine Littéraire et parfois Le Monde qui nous offrait une pleine page pour un portrait en pied. Ce dernier, Le Monde, nous avait fait travailler sur les hommes politiques. Nous étions soutenus par des iconographes et directeurs artistiques de l’époque : Sophie Malexis pour Le Monde, Jacques Gaïotti pour le Magazine Littéraire, Jean-Pierre Cliquet pour Lire… qui nous commandaient des portraits en pied et noir et blanc. Nous avions carte blanche. Puis, cela s’est terminé quand ces directeurs artistiques ont pris leur retraite et que tout est passé au numérique.
Comment vous désignez-vous alors ? artistes ? artisans ?
Gobeli : « Nous sommes des artisans de la photo avec des visées artistiques sur nos productions. »
Despatin : « Nous sommes des besogneux ».
- 15 https://www.lamaisondesartistes.fr/
Gobeli : « Nous tenons ça d’Ipous, il a toujours travaillé comme ça. On l’a toujours vu travailler avec des bouts de ficelles, des bouts de bois, des machins…. On a joué aussi sur la carte « artistes », nous n’étions pas inscrits à l’AGESSA, mais à la Maison des Artistes15. »
Si l’on revient sur les corps au travail, qu’avez-vous retenu de tout çà sur l’apparence au travail ? Comment réagissent les personnes que vous photographiez au moment de la pose ?
Gobeli : « Le problème qu'ont les gens quand on les photographie, c’est qu’ils veulent toujours faire semblant d’agir, de travailler, de jouer leur rôle. Alors les prendre comme ça, sans qu'ils bougent, ça les terrorise, parce qu'ils veulent qu'on les voit en mouvement, riant et bougeant. Le nombre d’images publicitaires au sourire béat est impressionnant. »
Despatin : « En action, ils veulent qu'on les voit en action en train de planter un clou, en train de scier du bois, et caetera. On leur demande de ne pas bouger, d'être à côté du marteau et du clou, ça les déstabilise. Ça fait partie de notre système, en les déstabilisant, on cherche à leur rendre leur dignité naturelle, et ça marche. Chasser le naturel… »
Gobeli : « Quand on leur montre le tirage, ils sont comme on dit en Suisse : « déçus en bien », c'est-à-dire qu'ils ne sont pas si mécontents que cela, même s’ils avaient imaginé le pire. Ce sont des photos qui sont très nettes. Par exemple, un des premiers portraits qu'on a fait dans dans notre atelier c'était un type âgé « Tatave » ayant bien vécu, qui était toujours au bar « Le Chamonix » rue Chevreul. Et c'est vrai qu'on l'avait bien photographié. Il était très ridé. On voyait tout précisément. Il ne se trouvait pas vraiment à son avantage sur la photo, mais il nous a dit : « Je suis super content parce que quand je serai mort, je serai là quoi, pour mes enfants. ». Sur la photo, il est comme il est, comme il se voit dans la glace, un portrait réaliste, et pas un portrait Harcourt, sinon on aurait enlevé toutes les rides. On laisse les gens comme ils sont. Finalement, en dernier recours, c’est eux-mêmes au moment du clic qui décident de leur apparence. ».
Certes vous avez photographié l’élite, mais ce qui ressort des portfolios, c’est le type populaire, il y a beaucoup de photos de gens du peuple.
Despatin : « C’est normal, les gens du peuple sont plus nombreux que l’élite. »
Gobeli : « Mais on a aussi beaucoup photographié des sportifs, des gens du cirque, des politiques, des hommes de théâtre… Il y a eu de belles rencontres, Georges Dumézil, Adolpho Byo Casarès, Jacques Jouet, Paul Fournel, Michel Palmier etc. »
Au fil du temps les commandes changent et les manières de travailler pour la presse changent aussi.
- 16 Notamment, la Gazette du Français n° 14, mars 1985.
- 17 http://despatin.gobeli.free.fr/theatre/cf.aveline.beaulieu.htm
Gobeli : « Pendant la mission, nous devions à Paris photographier la haute société (Despatin : la jet society). Christiane Germain, que nous avions photographiée dans le cadre de la mission et qui écrivait des articles pour la Gazette du Français16, nous a proposé de présenter un projet qui serait publié dans cette revue : au lieu de photographier des gens (acteurs, machinistes, décorateurs…), on a proposé de photographier la statuaire du Français17.… C’est ainsi que l’on a commencé à travailler pour la Comédie-Française. Ensuite ils nous ont passé commande pour suivre une pièce tous les ans. On a par exemple photographié l’élaboration et la mise en scène du « Balcon » de Jean Genet. Les photos servaient à illustrer le programme.
Figure 15 : « Saint val Aimée »
Source : Par Ricourt Paris 1985 - série « Statuaire à la Comédie-Française ».
Le numérique prend place dans leur travail.
Despatin : « Depuis quelques années nous ne faisons plus de tirages argentiques, en revanche nous faisons toujours nos prises de vue en argentique et les développements, ensuite nous numérisons les négatifs et faisons des impressions numériques. C’est un travail artisanal… par manque d’argent, nous évitons de passer par des labos. Et en plus, on ne dépend ainsi que de nous. »
Et les expos ? en avez-vous faits ?
- 18 http://despatin.gobeli.free.fr/bienvenue-expo-despatin-gobeli.html
- 19 La Maison Européenne de la Photographie.
Gobeli : « Peu. On aime toujours mettre en scène nos expos18, bien que l’on ne fasse pas beaucoup d'expos personnelles. La dernière, 1993 c'était les sportifs à Paris Audiovisuel aujourd’hui la MEP19, on a fait notre mise en scène. Ils ont accepté qu’une partie du mur soit peint d'une couleur et le reste en blanc. On a demandé à ce qu'il y ait des triptyques grand format (0,90x1,80m). Au minimum, il fallait que ça soit du 50x60cm. Là, ils avaient les moyens, nous avons été payés pour les tirages, ils ont payé les encadreurs et en fin d’exposition, ils nous ont acheté plusieurs tirages et triptyques. ».
Figure 16 : Exposition « Sportifs de haut niveau »
Source : Paris Audiovisuel, Espace Photograhique de la Ville de Paris, 1993. Triptyques « Les Pistards » et « Les Egyptiennes ».
Despatin : « Peu d’expos parce qu'on ne nous en demande pas, peut-être parce que nos photos ne sont pas trop comme celles dans les magazines et ils ne veulent pas trop terroriser les gens, j'en reste persuadé. »
Gobeli : « Oui on n'a pas de galerie, on n'est pas contre l’idée d’être en galerie, mais ça ne les intéresse pas de montrer nos images. »
Despatin : « Peut-être parce que ce n’est pas très vendable. Peut-être dans 70 ou 80 ans. On continuera à photographier tant qu’il y aura l’envie et qu’on pourra porter les valises. »
Ils nous précisent alors, en réponse à la question sur leurs conditions de travail, qu’ils vivent aujourd’hui avec une retraite minimum. L’un d’eux a donné des cours de photographie ce qui améliore un peu la retraite. Durant toute leur carrière, ils n’ont jamais eu de gros salaires, sauf lorsqu’ils travaillaient pour la mission à la DATAR. Ils expriment alors quelques regrets.
Gobeli : « Avec le temps, on aurait pu quand même penser que notre travail soit mieux reconnu et que ça nous permette de gagner un peu plus. Mais c'est un risque, c'est une passion… et puis le fait d'être à deux, ça peut aider, ça peut aussi desservir… ».
- 20 https://www.bnf.fr/fr/christian-gobeli-morne-plaine-reportage-nomade
Despatin : « Mais il a fallu que Gobeli fasse le malin et présente le projet d’une grande commande photographique 2022-2023 parrainée par la BNF20 et qu’il obtienne la bourse. Donc adieu tranquillité… ».
Notes
1 Comme les photographes eux-mêmes, nous n’utiliserons pas leur prénom.
2 Entretien réalisé le 6 décembre 2021 dans le studio-photo de Despatin, à Paris.
3 https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpd89007953/francois-despatin-et-christian-gobeli-portrait-de-francais
4 http://expositions.bnf.fr/paysages-francais/grand/pay_f1_029a.php
5 Jean-Marie Hatier est photographe. Despatin et Gobeli l'ont connu à l'automne 1968. Ils l’ont perdu de vue à la fin des années 1970.
6 Nous l’appelions gentiment la patronne : c’était une grande et belle femme, dont le mari le colonel Campocaso possédait une magnifique voiture américaine garé dans la cours du foyer. Leur fils un peu plus âgé que nous était nimbé du prestige de photographe de mode. À l’occasion, il nous a embauchés, moi comme tireur dans son laboratoire situé également dans le foyer et Jean-Marie Hatier plus extraverti comme assistant prise de vue.
7 https://fr.wikipedia.org/wiki/Zenit_(entreprise)
8 https://www.choisyleroi.fr/wp-content/uploads/2016/03/Le-35-rue-Chevreul.pdf
9 http://ipousteguy.com/quelques_images.html
10 Il y a aussi facétie dans la manière de présenter les trajectoires familiales. Despatin dit : « Gobeli a une belle-mère et trois enfants, et moi, trois belles-mères et un enfant. »
11 http://www.atelier-fresson.com/technique.htm
12 Bibliothèque Nationale
13 Photographe belge, vivant et travaillant en France, il a été le directeur artistique et technique de la mission photographique de la DATAR. https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesphotographiques/3549
14 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/Georges_de_La_Tour._The_Old_Man.JPG
15 https://www.lamaisondesartistes.fr/
16 Notamment, la Gazette du Français n° 14, mars 1985.
17 http://despatin.gobeli.free.fr/theatre/cf.aveline.beaulieu.htm
18 http://despatin.gobeli.free.fr/bienvenue-expo-despatin-gobeli.html
19 La Maison Européenne de la Photographie.
20 https://www.bnf.fr/fr/christian-gobeli-morne-plaine-reportage-nomade
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Figure 1 : Autoportrait |
---|---|
Légende | Source : Mission Photographique de la Datar Bourges 1984 - série « Vêtements et parures » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 261k |
Titre | Figure 2 : Autoportrait- photo de groupe avec Ipoustéguy |
Légende | Source : Groupe au « 35 rue Chevreul » Choisy-le-Roi 1979. De gauche à droite François Despatin, Christian Gobeli, Ghedalia Tazartes, Ipoustéguy, André Glucksmann, Françoise Prenant. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 218k |
Titre | Figure 3 : Photos sur le quartier des Gondoles : |
Légende | « Le père et le fils » Source : Choisy-le-Roi 1979 - série « Les Gondoles ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-3.png |
Fichier | image/png, 63k |
Légende | « Le garagiste » Source : Choisy-le-Roi 1983 - série « Les Gondoles ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-4.png |
Fichier | image/png, 56k |
Légende | « Les coiffeuses » Source : Choisy-le-Roi 1986 - série « Les Gondoles ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-5.png |
Fichier | image/png, 75k |
Titre | Figure 4 : Miquet Tinguely comme modèle |
Légende | Source : Atelier au 35 rue Chevreul, Choisy-le-Roi 1977. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 112k |
Titre | Figure 5 : « Dédé le Truand » |
Légende | Source : Choisy-le-Roi 1977 - série « Les Gondoles ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 242k |
Titre | Figure 6 : Centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly |
Légende | Source : Juillet 1984 - série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 90k |
Titre | Figure 7 : série de photos mission Photo Datar |
Légende | Directeur, super marché Carrefour Source : Bourges 1984 - série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-9.png |
Fichier | image/png, 63k |
Légende | Secrétaire, EFAB (usine d’armement) Source : Bourges 1984 - série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-10.png |
Fichier | image/png, 125k |
Légende | Employée station-service, Source : Sancerre 1984 - série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-11.png |
Fichier | image/png, 68k |
Légende | Fendeurs de merrain, Source : Méry-ès-Bois 1984 - série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-12.png |
Fichier | image/png, 65k |
Légende | Peintres en bâtiment Source : Thiais 1987 - série « la Vallée Verte ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-13.png |
Fichier | image/png, 106k |
Légende | Madeleine et Auguste Hudry, Chapeiry (Haute Savoie) 1984 – Source : série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-14.png |
Fichier | image/png, 65k |
Légende | Aéroport de Bourges 1984 Source : série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-15.png |
Fichier | image/png, 81k |
Titre | Figure 8 : Garage |
Légende | Source : Berthot Bourges 1984 - série « Vêtements et parures » Mission Photo Datar |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-16.jpg |
Fichier | image/jpeg, 288k |
Titre | Figure 9 : ATV (contrôleur) gare de Bourges |
Légende | Source : 28 mai 1984 - série « Vêtements et parures » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-17.png |
Fichier | image/png, 263k |
Légende | Source : 28 mai 1984 - série « Vêtements et parures » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-18.png |
Fichier | image/png, 254k |
Titre | Figure 10 : Ipoustéguy sculptant le « Val-de-Grâce » |
Légende | Source : Dans le jardin du 35 rue Chevreul (à gauche « l’Hydrorrhage »), Choisy-le-Roi 1977. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-19.png |
Fichier | image/png, 286k |
Titre | Figure 11 : Roland Bertin dans le rôle de l’évêque « Le Balcon » de Jean Genet |
Légende | Source : Mise en scène par Georges Lavaudant, La Comédie-Française 1985. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-20.jpg |
Fichier | image/jpeg, 380k |
Titre | Figure 12 : Camping à Villeneuve sur Cher |
Légende | Source : 1984 - série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-21.png |
Fichier | image/png, 71k |
Légende | Source : 1984 - série « Portraits de Français » Mission Photo Datar. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-22.png |
Fichier | image/png, 81k |
Titre | Figure 13 : Carte « Meilleurs Vœux » |
Crédits | Vœux 2005© Despatin & Gobeli |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-23.jpg |
Fichier | image/jpeg, 93k |
Titre | Figure 14 : Portraits dans les journaux |
Légende | Georges Dumézil Source : Paris 23 juin 1986 - Pour Lire. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-24.png |
Fichier | image/png, 167k |
Légende | Dominique Bertinotti et Jean Louis Bianco Source : Institut François Mitterrand Paris, le 29 février 2000 - Pour Le Monde. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-25.png |
Fichier | image/png, 116k |
Titre | Figure 15 : « Saint val Aimée » |
Légende | Source : Par Ricourt Paris 1985 - série « Statuaire à la Comédie-Française ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-26.jpg |
Fichier | image/jpeg, 275k |
Titre | Figure 16 : Exposition « Sportifs de haut niveau » |
Légende | Source : Paris Audiovisuel, Espace Photograhique de la Ville de Paris, 1993. Triptyques « Les Pistards » et « Les Egyptiennes ». |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/3315/img-27.jpg |
Fichier | image/jpeg, 362k |
Pour citer cet article
Référence électronique
François Despatin, Michèle Dupré, Christian Gobeli et Anne Monjaret, « Le corps en travail : des "portraits à la Despatin/Gobeli" », Images du travail, travail des images [En ligne], 13 | 2022, mis en ligne le 05 décembre 2022, consulté le 07 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/3315 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itti.3315
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