- 1 Le projet CRAVAT (« Consortium de Recherche Autour du Vêtement Au Travail), projet interne de l’Uni (...)
- 2 En droit, la terminologie d’usage sera d’évoquer les « secteurs professionnels » et non les « terra (...)
- 3 Nous nous réfèrerons aux textes juridiques mobilisables et pertinents : notamment l’article L 1121- (...)
1C’est l’histoire d’un projet1, qui commence par l’image, plus précisément par des photos de travailleurs de secteurs professionnels différents, en tenue de travail et sur leur lieu de travail, et finit par l’image : une exposition itinérante mettant en scène les principaux résultats de la recherche. La spécificité du projet CRAVAT était d’aborder le vêtement au travail à partir de photographies prises sur différents « terrains »2, afin de livrer une analyse interdisciplinaire, sociologique et juridique, de ces images. Cette approche méthodologique présentait un degré de complexité important pour des universitaires en sciences juridiques en raison de deux caractéristiques principales de ce projet qui entendait travailler à partir d’images et le faire de manière interdisciplinaire en laissant les sociologues choisir le terrain et les photos. La méthodologie a donc été construite, pour les juristes partenaires de la recherche, a posteriori et « sur-mesure » pour le projet. Il a fallu apprendre à « faire parler » les photos, exposer le discours que peut avoir le droit à partir de situations mises en images, rattacher les attitudes, les lieux, les vêtements bien entendu, à des règles juridiques. Le projet a débouché sur la rédaction de textes interdisciplinaires illustrant des photos sans utiliser les sources juridiques habituelles mais en s’y référant3.
2Notre analyse se devait de revenir sur le jeu entre ce que révèlent, ou parfois cachent, les images par rapport aux normes juridiques. La méthodologie suivie a démarré de manière classique, en référence avec les sources traditionnelles du droit et ses règles écrites, puis au fil du temps, une appropriation de l’image, de la seule photo, comme support d’un discours juridique sur la relation de travail à partir du vêtement au travail. Ce discours du droit évoque les conditions de travail, la subordination au pouvoir patronal, les hiérarchies entre travailleurs voire les carences des employeurs. L’analyse concerne alors les règles et leurs éventuelles transgressions : comment les photos rendent compte de la relation à l’organisation du travail (la relation salariale) et/ou à l’institution (l’entreprise/le milieu professionnel) ? Notre collaboration, en tant que juristes, dans le consortium CRAVAT, fut une mise à l’épreuve, et ce, pour au moins quatre séries de raisons différentes.
3Le projet constitue en premier lieu une mise à l’épreuve du fait de son objet même – le vêtement « de » et « au » travail. Le vêtement désigne tout élément servant à couvrir le corps humain pour le protéger, l’habiller ou le parer ; il constitue une composante essentielle de l’apparence physique (Mazuyer, 2015). Le vêtement au travail est rarement un objet d’étude par le droit en tant que tel parce qu’il reste généralement un accessoire dans la relation de travail. Il n’est finalement étudié, comme nous le verrons, que lors de contentieux spécifiques liés aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux ou d’analyses sur les prescriptions générales en matière de sécurité, d’hygiène et santé au travail.
4Mais survient un deuxième type de difficultés : travailler à partir de photographies, ou plus généralement d’images, reste compliqué pour des juristes, car le droit procède de sources écrites : la constitution, la loi, la jurisprudence, ou d’autres actes dits « privés » comme les conventions collectives, les règlements intérieurs, les contrats ou des « petites sources » tels les codes de conduite ou les chartes d’entreprise. Les questions ouvertes par l’image ou la photo en droit s’épuisent autour des thématiques du droit d’auteur, si l’on se place du côté de l’artiste et du photographe, ou du droit à l’image, si l’on endosse celle du sujet photographié. Très rarement, la photo peut induire des réflexions sur l’image comme mode de preuve en droit, notamment lors de contentieux judiciaires, mais là encore, la photo ne sera pas en tant que telle, une preuve recevable à moins d’être certifiée comme un acte authentique, par un expert ou une autre personne habilitée.
5Une troisième série de difficultés s’explique en raison de la dimension interdisciplinaire du projet basée sur une méthodologie empirique choisie par des sociologues sur des « terrains » là où les juristes raisonnent en secteur professionnel, comme précisé précédemment. Le thème bouscule encore l’identification rassurante des branches du droit et des disciplines juridiques. Le vêtement de travail fut ici celui porté par des soignants, des travailleurs de la chimie, des cuisiniers, des fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse, des musiciens ou des salariés dont le lieu de travail est multi-situé. Or ces terrains font éclater les approches classiques des spécialistes de notre branche du droit : les salariés subordonnés relèvent du droit du travail, les fonctionnaires du droit de la fonction publique, les travailleurs indépendants relèvent de règles générales de droit commun (civil ou commercial).
6Enfin, la quatrième et dernière série de difficultés tient dans la dimension artistique du projet, qui fait nécessairement appel à la sensibilité des enseignants-chercheurs, à leur individualité pouvant passer avant leur appartenance disciplinaire. Une mise à distance fut donc parfois indispensable, pour retrouver des réflexes scientifiques, des compétences disciplinaires et occulter ainsi les émotions suscitées par les contextes et les portraits que les photos donnent à voir.
- 4 Voir sur ces normes juridiques, (Mazuyer, 2021, 39-41 et 330-331). Les chartes d’entreprise et autr (...)
7Surmontant toutes ces difficultés méthodologiques, il faut encore, pour analyser juridiquement le vêtement au travail par la photographie, se confronter à la complexité de l’ordre juridique professionnel. Les règles saisissant le vêtement porté à l’occasion du travail nous confrontent au phénomène du pluralisme juridique, à la diversité des sources en droit. Sont évidemment mobilisables des dispositions du Code du travail mais aussi des normes européennes, des sources professionnelles – conventions et accords collectifs-, des normes d’entreprises comme les règlements intérieurs ou des codes de conduite4. La jurisprudence a aussi un rôle déterminant à jouer quant à l’effectivité et à l’interprétation des règles. Les contrats de travail doivent également intégrer certains aspects relatifs à une tenue vestimentaire exigée par la nature de la tâche à accomplir ou le contact avec la clientèle. Par ailleurs, recommandations et circulaires administratives conduisent à s’interroger sur la normativité des sources : tel énoncé signifie-t-il une règle de droit ? La démarche réalisée à partir de photographies met en défaut l’approche impérativiste du droit et questionne sur son effectivité. Le domaine, touchant à la santé et à la sécurité au travail, fait parfois place à des procédures de certification, d’évaluation de conformité, à des normes techniques… Pourtant, le terme « vêtement de travail » fait partie du langage du droit. Ce vêtement est objet de règles, le droit le saisit (par exemple Pousson, 2015). Sont en jeu la protection du corps du travailleur, de sa santé, de sa sécurité, sa liberté. Pour toutes ces raisons, les juristes ont quelque chose à dire sur le vêtement « de » et « au » travail et très certainement sur les fonctions que le droit lui fait porter. Nous en avons mis en évidence principalement deux que nous exposerons successivement. Les tenues vestimentaires, photographiées dans le cadre du projet, sur quatre terrains différents, retenues ici pour leur exemplarité, permettent ainsi de distinguer le « vêtement protection » (1.) dans des secteurs réglementés ou des professions à risque, du « vêtement apparence » (2.) vecteur et support des attentes d’une clientèle, d’un milieu professionnel.
8L’exposition du salarié à des risques pour sa santé ou sa sécurité dans le cadre de son activité de travail impose à l’employeur l’adoption de mesures préventives, dont le port de vêtements de protection. Le port d’un vêtement de travail ou d’un équipement de protection5 peut être requis pour préserver la santé et la sécurité de la personne dans le cadre de son activité professionnelle. Juridiquement, ces motifs imposent à l’employeur, débiteur d’une obligation de sécurité, de le fournir, de l’entretenir, de le réparer et légitiment l’obligation pour le travailleur de le porter. L’obligation dite « de sécurité de résultat » oblige l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires et efficaces pour assurer la sécurité et protéger la santé, physique et mentale, des travailleurs. Ainsi, l’employeur est tenu, envers ses salariés, de les protéger de la survenue d’accident du travail et de maladies professionnelles6. Une abondante jurisprudence a précisé l’étendue de cette obligation patronale. Il a par exemple été indiqué que l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés dont il doit assurer l’effectivité7. Par ailleurs, l’obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l’employeur lui impose d’adopter les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit en conséquence de prendre, dans l’exercice de son pouvoir de direction et dans l’organisation du travail, des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés8. La protection de la santé au travail a donc des implications vestimentaires lorsque les travailleurs sont confrontés ou exposent autrui à des risques. Le vêtement aura alors une fonction de « barrière » ou de « rempart » contre ces risques qui est bien mise en lumière par les deux clichés que nous avons choisis pour l’illustrer.
9Tel est le cas des soignants face aux risques biologiques ou infectieux puisque le personnel hospitalier est tenu de porter une blouse blanche renouvelée chaque jour afin d’éviter de propager ou de subir des infections (1.1.) ou des salariés de la chimie exposés à des risques chimiques et d’accidents du travail (1.2.).
Photographie 1 : Le vêtement barrière des sages-femmes
© David Desaleux
10La photo se rapportant au terrain analysé montre deux sages-femmes en tenue verte, avec chaussons, charlotte et masque jetables. On remarque d’ailleurs, en arrière-plan, les bacs de tri des différents accessoires composant la tenue portée. Cette tenue illustre en droit la fonction « rempart » du vêtement comme moyen de protection que nous avons évoquée, ici contre les risques biologiques et la transmission de microbes entre soignants et patientes (1.1.1) mais également ses possibles effets limitatifs dans les rapports humains (1.1.2).
- 9 L’article R4422-1 dispose que « l'employeur prend des mesures de prévention visant à supprimer ou à (...)
- 10 Voir le Décret n° 2010-1408 du 12 novembre 2010 relatif à la lutte contre les événements indésirabl (...)
11Les professionnels de santé sont exposés aux risques de contact, de projection, d’aérosolisation de sang ou de produits d’origine humaine. Le Code du travail contient des dispositions générales de prévention de ces risques biologiques9. Des textes de source et de nature différente, recommandations, « précautions standard », circulaires, décret précisent les mesures de prévention des infections associées aux soins10.
12C’est l’employeur qui doit veiller à cette prévention et l’article R. 4321-4 du Code du travail prévoit, de manière générale, que « l'employeur met à la disposition des travailleurs, en tant que de besoin, les équipements de protection individuelle appropriés et, lorsque le caractère particulièrement insalubre ou salissant des travaux l'exige, les vêtements de travail appropriés. Il veille à leur utilisation effective ».
13Les textes imposent aux soignants le port d’une tenue professionnelle propre, adaptée et dédiée à l’activité pratiquée. Il s’agit de limiter le risque infectieux lié à la transmission croisée des micro-organismes et d’assurer la protection du patient comme celle du soignant. Pour protéger ce dernier, l’employeur débiteur de l’obligation de sécurité doit fournir, en complément de la tenue de base, des équipements de protection individuelle (EPI), tels que gants, tablier ou sur-blouse à usage unique que l’on note bien sur la photographie. À noter que le même équipement, par exemple le masque chirurgical, vêtement de travail du professionnel de santé, est un dispositif médical en ce qu’il est destiné principalement à protéger le patient et un EPI (masque FFP) dès lors qu’il concerne la protection du soignant qui le porte. Les tenues portées sont jetables pour éviter tout risque de contamination.
14D’autres photographies apportent aussi des renseignements sur l’organisation du travail via les locaux dédiés aux vêtements dans le centre hospitalier et sur le manque de crédits pour certains aspects de l’activité professionnelle des sages-femmes dans une maternité d’hôpital public. Cette image tirée du projet collectif montre ainsi le désordre dans les vestiaires où sont entassés les effets personnels des soignants, car les locaux sont inadaptés et non rénovés.
Photographie 2 : Le stockage des vêtements des agents hospitaliers
© David Desaleux
- 11 Via un entretien relaté au cours d’une séance de travail du projet CRAVAT.
15Une autre photographie immortalise deux vestes posées sur des chaises dans le bureau où les sages-femmes font de l’administratif et passent leur temps de pause. Cette image a permis de mettre en lumière11 la nécessité qu’elles ont eu de se procurer, à leurs frais, contrairement aux prescriptions réglementaires, ces vestes à porter sur leur blouse lorsqu’elles restent assises, immobiles et ont, de ce fait, froid.
Photographie 3 : La nécessité de compléments vestimentaires
© David Desaleux
16Ce sont ainsi des éléments qui soulignent des aspects fondamentaux du travail dans le secteur public hospitalier où les restrictions budgétaires peuvent avoir des répercussions sur la santé et les conditions de travail des agents.
17La spécificité de la relation entre sages-femmes et patientes s’exerce dans un contexte humain très particulier, celui de la naissance, synonyme de moments exceptionnels de la vie, dans lequel la tenue exigée anonymise les sages-femmes et peut nuire à la qualité relationnelle du personnel soignant avec la patiente. Cet aspect dépasse en partie le cadre du projet CRAVAT mais il en découle et est important à souligner quant à la finalité professionnelle et l’exécution des tâches, encadrées en l’occurrence par des obligations vestimentaires.
18On note par ailleurs nettement sur la première photo que les deux sages-femmes, revêtues de la tenue imposée, peuvent se confondre, disparaître derrière le masque et la charlotte qui ne laissent à voir que les yeux et la silhouette. Le fait qu’elles exercent dans une maternité publique, dans laquelle, ces employées sont des agents du service public, donc avant tout, neutres, renforce aussi cette échangeabilité potentielle. Dans un tel contexte humain, certaines sages-femmes ont exprimé leurs regrets et, parfois leurs frustrations, d’être ainsi entravées dans leur relation personnelle avec leur patiente par la lourdeur de leur tenue vestimentaire et la dissimulation de la personne qu’elle induit. Certaines affirment préférer les autres moments de leur métier, notamment les cours de préparation à l’accouchement, où elles peuvent se vêtir en tenue de ville habituelle et confortable.
- 12 La charte de la personne hospitalisée constitue une actualisation de la charte du patient hospitali (...)
- 13 Le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens de France a ainsi créé un label de qualité po (...)
19Les prescriptions vestimentaires d’hygiène et de sécurité peuvent ainsi avoir des effets limitant la qualité humaine de la relation entre soignants et patients. Or on sait que, depuis quelques temps, la dénonciation des violences obstétricales longtemps subies par les femmes lors de l’accouchement implique une prise en charge plus spécifique. La Charte du patient hospitalisé12 insiste aussi sur les aspects de prise en charge relationnelle, et de la même manière, pour les patientes des maternités, certains droits sont maintenant revendiqués pour une prise en compte réelle de la dimension psychologique et humaine13. Le nécessaire équilibre entre protection de la santé, de la sécurité et de l’hygiène et de la qualité relationnelle entre patients et soignants est encore à trouver.
Photographie 4 : Le vêtement rempart dans le secteur de la chimie
© David Desaleux
- 14 Les strictes règles d’accès aux usines de la chimie ont empêché des prises de vue sur le terrain et (...)
20La photo support de l’analyse du secteur de la chimie met en scène une travailleuse14, dans un vestiaire, en vêtement de travail : bleu de travail trop large pour elle, chaussures de sécurité. Le casque et les gants qui complètent cette tenue sont déjà posés dans une armoire métallique.
21Ce cliché montre combien le vêtement imposé au travailleur dans le secteur de la chimie est le dernier rempart de protection du corps contre les risques qu’il encourt sur son lieu de travail. En effet, l’employeur doit auparavant s’assurer d’une organisation du travail et d’une mise aux normes des lieux de travail (ventilation, portes coupe-feu etc.) limitant les risques pour ses salariés. Ce sont les clauses des règlements intérieurs qui fixent les règles dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité, adaptant celles de la convention collective de branche. Dans les entreprises du terrain observé, dont on a pu collecter les règlements intérieurs, deux aspects complémentaires peuvent être soulignés à partir du cliché réalisé : la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs nécessitant des EPI (1.2.1.) et la mise à disposition de vestiaires, meubles, armoires pour déposer leurs effets personnels (1.2.2).
- 15 Des normes très strictes de composition des vêtements de travail dans les secteurs exposés à des ri (...)
22Aux termes de l’article R. 4311-8 du Code du travail, les équipements de protection individuelle (...) « sont des dispositifs ou moyens destinés à être portés ou tenus par une personne en vue de la protéger contre un ou plusieurs risques susceptibles de menacer sa santé ou sa sécurité́ ». L’équipement exigé peut sembler entravant, lourd et contraignant : pantalon et veste en tissu adapté15 casque, gants, chaussures de sécurité. Mais il est nécessaire en raison du risque lié à l’exposition de produits nocifs ou d’accidents. Dans ce secteur, l’extrême technicité des règles juridiques, la précision des énoncés législatifs et réglementaires pour la prévention des risques chimiques ne laissent aucune marge de liberté à l’employeur, à la mesure des risques encourus.
- 16 Il dispose que « l'employeur met à la disposition des travailleurs, en tant que de besoin, les équi (...)
- 17 La convention collective applicable au secteur est la Convention collective nationale des industrie (...)
23Les équipements de protection individuelle et les vêtements de travail mentionnés à l'article R. 4321-416 sont fournis gratuitement par l'employeur qui assure leur bon fonctionnement et leur maintien dans un état hygiénique satisfaisant par les entretiens, réparations et remplacements nécessaires. L’article 24 de la convention collective de la chimie17 prévoit que « les dispositifs de protection nécessaires à l'exécution des travaux dangereux seront fournis par l'employeur. Il en sera de même pour les effets de protection nécessaires à l'exécution de certains travaux exposant les vêtements des ouvriers à une détérioration prématurée ». Cependant les salariés doivent respecter les consignes prises pour la prévention des accidents et maladies professionnelles, et notamment celles concernant le port de matériel de protection individuelle.
24On a pu se procurer, dans le cadre du projet CRAVAT, les règlements intérieurs de deux entreprises du secteur, qui, concernant les « Equipements de protection » énoncent que
« tout membre du personnel est tenu d’utiliser les moyens de protection individuelle ou collective mis à sa disposition et de respecter strictement les consignes particulières données à cet effet. Le port d’équipements de protection individuelle peut générer une restriction à la liberté vestimentaire qui, par le présent règlement intérieur, est réputée légitime au regard des activités de l’entreprise ».
25Selon l’article R 4323-91 du Code de travail, les équipements de protection individuelle sont appropriés aux risques à prévenir et aux conditions dans lesquelles le travail est accompli. Ils ne sont pas eux-mêmes à l'origine de risques supplémentaires. Ils doivent pouvoir être portés, le cas échéant, après ajustement, dans des conditions compatibles avec le travail à accomplir et avec les principes de l'ergonomie, ce qui ne semble pas être le cas vu la taille, trop grande et mal ajustée, de l’équipement porté par la personne sur la photographie.
- 18 Soc., 11 juillet 2012, n°11-21.192 qui estime que « les vêtements de travail destinés à protéger le (...)
26Par ailleurs, la photographie reproduite ci-dessus, prise à côté d’une armoire métallique, dans un vestiaire nous rappelle que les effets personnels des salariés doivent être déposés en toute sécurité. Les travailleurs exposés au plomb ou à ses composés, par exemple, doivent disposer de deux locaux aménagés en vestiaires collectifs, l’un pour les vêtements de ville, l’autre pour les vêtements de travail, selon l’art. R.4412-156. Ceux qui sont en contact avec des agents biologiques pathogènes, exposés aux rayonnements ionisants, à l’amiante ou lorsque existe un risque de contamination par des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques, doivent en outre porter un équipement spécial. Dans un arrêt du 11 juillet 2012, la Cour de cassation a retenu la nécessité de la mise à disposition des salariés d’armoires-vestiaires individuelles en cas d’utilisation de produits chimiques pour les besoins de l’activité18.
27Les temps d’habillage et de déshabillage peuvent être conséquents au regard de la complexité des vêtements de protection. L’article L.3121-3 du Code du travail prévoit que
« le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, fait l'objet de contreparties. Ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière ».
28Ce texte subordonne l’octroi de contreparties, repos ou indemnité, au respect de deux conditions : le port de la tenue de travail doit être imposé par un texte et l’habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l’entreprise ou sur le lieu de travail.
- 19 Soc. 26 mars 2008, Dalloz, 2008, 1049 obs. L. Perrin, RDT 2008, 395 obs. M. Vericel.
- 20 Soc. 28 octobre 2009, Les petites affiches, 19 octobre 2010, p. 12, note A. Etiennot ; Dr. soc. fév (...)
- 21 Soc. 10 juillet 2013, obs. G. Pignarre, RDT 2013, p. 635.
- 22 Soc. 21 novembre 2012, (Pontif, 2013, 114).
29La Cour de cassation en reste à une interprétation fidèle du texte dans des arrêts du 26 mars 200819 et 28 octobre 200920, et estime que “le temps nécessaire aux opérations d’habillage et de déshabillage ne peut être pris en compte dans la durée du travail”. Dès lors, le salarié qui se change pendant le temps de travail commet une faute susceptible d’être sanctionnée par son licenciement. La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 juillet 201321, a considéré que le fait de demander à un machiniste-receveur employé par la RATP de venir se changer au centre de départ des bus, aucun vestiaire n’étant prévu au terminus, après que sa journée de travail ait pris fin, n’était pas une atteinte à sa vie privée, la fin de la prestation de travail ne coïncidant pas avec le début de la vie personnelle. En revanche, dans un arrêt du 21 novembre 201222, les conditions d’insalubrité dans lesquelles était exercée l’activité ont permis au salarié de prétendre à des contreparties.
30La fonction protectrice du vêtement imposé par des contraintes sanitaires ou sécuritaires a ainsi bien été mise en lumière par les photographies réalisées dans le secteur hospitalier et de la chimie. L’autre fonction qui a pu être observée dans le travail en open-space ou lors de concours d’excellence dans la restauration est celle d’un vecteur d’image, d’apparence, celles attendues par le contexte de travail ou le milieu professionnel. La dualité entre les contraintes vestimentaires et les garanties des libertés et des droits des salariés se révèle alors indéniable face à des attentes patronales, sociétales ou professionnelles.
31Certaines photographies prises dans le cadre du projet CRAVAT montrent combien le vêtement porté au travail est le vêtement personnel avec lequel on se pare, marqueur de la personnalité, vecteur d’une apparence que l’on veut diffuser. La tenue vestimentaire est alors susceptible d'ingérences, plus ou moins explicites, liées à des normes vestimentaires ou à un code vestimentaire. Sont soulignées ici les contraintes, parfois non juridiques, d’un milieu professionnel. L’uniforme imposé par des usages professionnels du concours MAF (2.2.) et l’habit de ville pourtant très cadré par les usages et les habitudes d’entreprise (2.1.) en témoignent.
Photographie 5 : L’apparence, relais des attentes de l’entreprise
© David Desaleux
32L’analyse suivante est basée sur la photographie de salariés d’un grand groupe français travaillant en open-space. L’apparente décontraction affichée par les travailleurs d’un open-space que nous expliquerons infra peut être contrebalancée par des contraintes très fortes sur les comportements, prescrits de manière plus ou moins explicite par la direction. Ainsi, on peut trouver des injonctions comportementales, affichées sur les murs de ce même groupe, très intenses comme le montre ce cliché « des symétries d’attentions ».
Photographie 6 : Les prescriptions comportementales en images
© David Desaleux
33On note un contraste saisissant entre une apparence de décontraction et de décor similaire à un appartement privé et des injonctions, plus ou moins directes, de se conformer à des attitudes et une apparence dictées par l’entreprise et l’organisation du travail décidée par la direction (2.1.1.). Ces clichés nous démontrent que les attentes et les injonctions de tenue à la fois comportementale et vestimentaire semblent paradoxalement plus contraignantes que dans un cadre de travail classique et les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle sont de plus en plus floues autant que celles entre la personne et le travailleur (2.1.2.).
34Une approche juridique permet de mieux cerner les effets des aspects normatifs et institutionnels du travail. En effet, la subordination dans le cadre d’une relation de travail induit des obligations ou des interdictions portant, entre autres choses, sur l’habillement ou la tenue vestimentaire des salariés sur leur lieu de travail. Le port d’un badge, d’un uniforme ou d’une tenue vestimentaire spéciale afin de renforcer l’identification de la personne du travailleur à l’image de son entreprise est parfois également exigé et se révèle attentatoire à la liberté de se vêtir du salarié.
- 23 CA Nancy 29 nov. 1982, Morel c/ Siteco, D. 1985, Jur. p. 354, note Ch. Lapoyade-Deschamps, confirmé (...)
- 24 CA Versailles 19 décembre 1994, 5e ch. B, RG n° 93/6568
- 25 Décision de la CA d’Orléans confirmée par la Cour de cassation, Cass. Soc. 19 mai 1998 n° 96-41123 (...)
35Même lorsque de telles prescriptions n’ont pas été prévues explicitement, l’employeur peut aussi s’octroyer un droit de regard sur l’apparence vestimentaire de ses salariés. L’employeur peut interdire ou sanctionner le port de tenues considérées comme indécentes susceptibles de créer un trouble dans l’entreprise. A ainsi été jugé justifié le licenciement d'une salariée qui se déplaçait dans les bureaux de l'entreprise vêtue d’un chemisier transparent sans soutien-gorge23. Toutefois, dans ce cas-là, il est nécessaire pour l’employeur de rapporter la preuve que la tenue prétendument indécente caractérise un abus préjudiciable à l’entreprise. Dans cet ordre d’idées, le fait d’avoir sanctionné une salariée parce qu’elle portait des vêtements moulants a été jugé abusif, faute d’avoir pu justifier en quoi ce type de tenue portait préjudice24. Il a été jugé que la disposition d’un règlement intérieur imposant pour le personnel ambulancier le port obligatoire d’une cravate et précisant « pas de jeans ni de baskets » constituait une atteinte illégale à la liberté de se vêtir. Ces exigences du règlement intérieur étaient plus contraignantes que celles de la convention collective prévoyant pour le personnel ambulancier simplement une tenue soignée et le port obligatoire d’une blouse blanche25
- 26 Sur la question, voir l’étude d’E. Bernstein, S. Turban, « The impact of the open workspace on huma (...)
36Dans les clichés photographiques de ce terrain, on remarque des tenues de ville soignées et une attitude générale très joyeuse, sur-jouée, rappelant des spots publicitaires. D’ailleurs, une photo dans la photo du premier cliché reproduit ci-dessus représente les collaborateurs riant, dans une ambiance chaleureuse et positive, tels qu’on les attend. Les salariés immortalisés dans la réalité sont en revanche bien plus concentrés, prostrés, dans une attitude de concentration laborieuse qui révèle bien toute la subordination inhérente à la relation de travail. Les effets personnels sont posés sur les fauteuils de travail et on sait que l’absence de lieux réservés aux salariés liée au nomadisme peut engendrer stress et désorganisation26.
- 27 Nous entendons par « multi-situé » ici le travail réalisé en open-space, co-working ou télétravail (...)
37Depuis la crise sanitaire du Covid19, la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle est encore plus floue, notamment en cas de travail multi-situé et de télétravail à domicile, contextes qui font écho à la photographie analysée. Or, l’employeur n’a d’emprise sur la personne du salarié qu’au temps et sur les lieux d’activité, dans le cadre du rapport de subordination. Même si les frontières sont poreuses, la vie personnelle du salarié est protégée contre les risques d’intrusion de l’employeur. Au plan vestimentaire, l’employeur ne peut exiger de ses salariés qu’ils portent l’uniforme obligatoire en dehors des locaux de l’entreprise. Il ne peut, en général, exercer aucune censure sur l’apparence vestimentaire du salarié en dehors du temps de travail même si elle est de nature à rejaillir sur l’image de l’entreprise.
- 28 CA Chambéry 30 août 2012 n° 11/02198
38Pourtant, malgré l’ambiance qui se veut décontractée dans certaines entreprises qui se revendiquent libérées, imitant un domicile personnel, une tenue que la direction estimera indécente ou inappropriée peut toujours être de nature à justifier des sanctions disciplinaires. Ces exigences sont intégrées par les salariés. Selon une étude OpinionWay de juin 2015 pour le site de recrutement en ligne Monster, si 65% des salariés disent ne pas être confrontés à un code vestimentaire imposé au bureau, environ 58 % affirment veiller à leur tenue vestimentaire dans le souci de ne pas nuire à l’image de l’entreprise. Les codes vestimentaires sont liés à certaines fonctions et certains secteurs. La jurisprudence suit ces préceptes puisque le port du short et des tongs a pu être interdit aux chargés de clientèle au motif que ces vêtements et accessoires manquaient de sobriété et étaient inappropriés dans le secteur d’emploi28
39La contrainte vestimentaire peut être plus insidieuse et résulter d’une interprétation a contrario. Depuis quelques années, un relâchement de l’encadrement a lieu avec le développement de la pratique du « Friday wear » ou du « casual Friday », autrement dit de la tenue décontractée (jeans-polo, baskets…) de fin de semaine. Outre le fait que cette pratique s’implante difficilement en France, sa mise en œuvre postule que pour les autres jours la tenue classique est de rigueur. Car l’austérité rassure. En témoigne cette étude réalisée chez Ernst et Young qui révèle un codage implicite très fort :
- 29 M. Gin, La liberté de se vêtir à sa guise au lieu et au temps de travail, Mémoire M2 droit des affa (...)
« on adopte un style “low profile” (costume non coordonné et chemise à col boutonné) pour un client de la grande distribution et un look “high chuch” (costume de marque et chemise blanche) si le client audité travaille dans les métiers du luxe. A contrario, dans les secteurs à forte créativité, où l’originalité, l’ouverture d’esprit et l’intellectualisme sont valorisés, les tenues seront plus décontractées : la cravate n’est pas indispensable, les matières sont plus sensuelles, les coupes sont amples ou très moulantes, les couleurs diversifiées et sensibles à la mode »29.
40Concernant le télétravail, nous n’avons pas encore de recul sur de possibles contentieux relatifs à la tenue vestimentaire des salariés par exemple lors de réunions en visio-conférence. On peut parfaitement estimer que le rapport de subordination ne s’arrête pas à la dématérialisation des réunions et qu’une attitude indécente, négligée, attentatoire à l’image de l’entreprise, que ce soit au niveau du comportement ou de l’habillement des salariés, pourra être sanctionnée.
Photographie 7 : La tenue de cuisinier, support exigeant de l’excellence
© David Desaleux
41La photographie reproduite montre un jeune cuisinier, en tenue blanche et tablier, avec une toque et des chaussures de sécurité. Pour le projet CRAVAT, il s’agissait de jeunes candidats au Concours de meilleurs apprentis de France (MAF) de cuisine froide. Ils prétendent à l’excellence et doivent se conformer aux attentes de leurs milieux professionnels que l’on présente souvent comme très exigeants. Au-delà de l’attitude stricte du sujet photographié, la photographie permet de bien mettre en évidence les caractéristiques juridiques relatives aux tenues vestimentaires dans le secteur de la restauration en général. Ainsi, les règles vestimentaires obéissent à deux sortes de préoccupations vis-à-vis des consommateurs et de la clientèle : la protection de l’hygiène pour les consommateurs (2.2.1.) et le respect de l’image de l’établissement vis-à-vis de la clientèle (2.2.2.).
- 30 Entrée en vigueur au 1er janvier 2006, la réglementation européenne relative à l’hygiène des alimen (...)
- 31 Guide de bonnes pratiques d’hygiène et d’application de l’HACCP – Restaurateur, version 2015, Editi (...)
42Les exigences en matière de vêtements en cuisine reposent sur la nécessité de protéger le consommateur, tout comme on l’a vu précédemment pour les soignants celle de protéger la santé des patients. Des mesures d’hygiène très strictes sont édictées : blouse, gants, coiffe sont exigés. En effet, le travailleur lui-même est, dans l’exécution de ses tâches, une source possible de contamination des denrées. Les règles européennes de ce que l’on nomme le « Paquet hygiène »30 lui imposent à ce titre de respecter un niveau élevé de propreté corporelle et de porter des tenues adaptées et propres. En France, le Guide de Bonnes Pratiques d’Hygiène de la Restauration31 souligne que le personnel en contact avec les aliments peut être en mauvais état de santé, porteur asymptomatique de germes ou avoir une hygiène corporelle insuffisante, ce qui impose une tenue de travail adéquate et propre, complète et renouvelée, réservée aux périodes de travail. Cette tenue doit être correctement portée et couvrante. Ainsi, la coiffe, qu’il s’agisse d’une toque, vêtement de travail emblématique en cuisine, ou d’une charlotte, empêche de se passer les mains dans les cheveux, évite leur chute dans les aliments, absorbe la transpiration.
- 32 Voir le dernier règlement du 36ème Concours « Un des meilleurs apprentis de France », Cuisine Froid (...)
43Lors d’un concours d’excellence culinaire, les participants, placés sous le regard immédiat des juges, cherchent à se conformer le plus parfaitement possible à la norme de la profession, qu’elle soit écrite ou implicite. À cet égard, le règlement du Concours MAF prévoit que le « candidat s’engage à respecter (…) les consignes de sécurité hygiène ainsi que le règlement du concours »32. La photographie montre ici un vêtement de travail irréprochable, d’un blanc immaculé du tablier à la toque, dont le port se justifie en ce qu’il met les aliments à l’abri du corps de celui qui les cuisine.
- 33 Cass. Soc. 18 février 1998, n° 95-43.491 ; Cass. Soc., 20 juin 2006, n° 04-43.067.
- 34 Cass. Soc. 3 juin 2009, n° 08-40346, pour des agents de surveillance dont l’activité consistait à v (...)
- 35 Voir Cass. Soc. 29 février 1984, Bertulo c/ Colette et autres.
- 36 Cass. Soc. 13 février 2008, n° 06-43784.
- 37 CA de Nîmes 10 septembre 2013, n° 12/00015 ; v. également CA de Nîmes 18 mai 2010 n° 08/03441.
- 38 CA de Toulouse, 28 février 2003, n°02-3428.
- 39 P. Lyon-Caen, « L’atteinte portée à la liberté de se vêtir à sa guise constitue-t-elle un trouble m (...)
- 40 Cass. Soc. 28 mai 2003, Monribot c / Sagem, Dr. Ouv. 2003, 224, note P. Moussy.
44Les mêmes exigences se retrouvent dans les activités de service ou de représentation en salle en raison du contact avec la clientèle. Dans certains contrats de travail ou certains règlements intérieurs, il est expressément prévu que les salariés, en contact avec la clientèle, doivent porter une tenue ou des accessoires particuliers. Le droit garantissant à l’individu une sphère d'autodétermination, de liberté, la protection de sa dignité, le port d’une tenue vestimentaire peut être exigé seulement s’il est justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché33. Ces critères seront interprétés en fonction du contexte concret de l’activité professionnelle et des textes garantissant les droits fondamentaux des travailleurs. L’obligation de porter un uniforme au travail ne peut être imposée aux salariés affectés à des postes sans contact avec la clientèle, selon un arrêt du 3 juin 2009 de la Cour de cassation34. Dans le secteur alimentaire, le licenciement d’un ouvrier charcutier dont la tenue malpropre avait fait l’objet de remarques désobligeantes de la part de la clientèle est en revanche justifié35. De même, le fait pour une assistante de réservation d’un grand hôtel de refuser de porter son uniforme de travail est constitutif d’une faute grave36. A également été admis par les tribunaux le fait d’adresser un avertissement à une serveuse qui portait une tenue considérée comme inadaptée et inappropriée dans le cadre de l’hôtellerie (laissant apparaître des tatouages, tee-shirt moulant rouge avec un large décolleté, pantalon corsaire)37. Dans ces affaires, les juges prennent toujours en compte, in concreto, les conditions matérielles et contextuelles du travail. L’employé d’une chaîne de restauration rapide ne sera pas soumis aux mêmes exigences que celui d’un restaurant gastronomique ou d’un hôtel de luxe. Le caractère justifié de telles restrictions semble devoir être apprécié au regard du « créneau de gamme » de l’enseigne. Elles pourront par exemple être légitimement plus strictes dans un restaurant gastronomique que dans un établissement de restauration rapide en cas de contact avec la clientèle38. En revanche, le salarié, même en état de subordination, conserve la jouissance et l’intégrité des droits fondamentaux attachés à sa personne. Les juges évalueront, dès lors, toujours in concreto, si les sanctions sont justifiées à l’aune de l’article L. 1121-1 du Code du travail, protecteur des droits des personnes et des libertés individuelles et collectives dans l’entreprise39, mais aussi sur les articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Cette liberté de se vêtir n’est pas fondamentale et peut être limitée comme nous l’a appris « l’affaire du bermuda ». Mr. Moribot, agent technique des méthodes dans une société de défense sécurité, est venu plusieurs fois travailler en bermuda sous sa blouse. Malgré les rappels à l’ordre de sa hiérarchie, il continua à venir à son travail en tenue estivale. Sa hiérarchie le licencia pour non-respect des consignes de sécurité et plus largement le non-respect des valeurs véhiculées par l’entreprise. La Cour de cassation valide son licenciement au motif que sa tenue n’était pas décente et compatible avec sa fonction en lien avec la clientèle40. Par ailleurs, depuis 2016, le règlement intérieur peut
- 41 Article L. 1321-2-1 du Code du travail.
« contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droit fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché »41.
- 42 La lettre de licenciement énonçait expressément « votre statut au service de la clientèle ne permet (...)
- 43 Sur cette question, voir par exemple France Rivard, « Le code vestimentaire sexualisé peut-il être (...)
45En revanche, le licenciement d'un chef de rang de restaurant gastronomique, motivé par le port de boucles d'oreille par un homme, a été jugé discriminatoire et annulé. Les textes du Code du travail condamnant la discrimination interdisent à un employeur de tenir compte du sexe et de l’apparence physique. Dans cette affaire, les juges ont considéré que l'apparence physique rapportée au sexe, puisqu’une femme n’aurait pas été sanctionnée de la même manière, ne pouvait valablement motiver le licenciement du chef de rang. Le fait de licencier un homme parce qu’il porte des boucles d’oreilles pendant son service est discriminatoire, dès lors que la lettre de licenciement fait référence au sexe et à l’apparence physique du salarié42. A contrario, la pratique, répandue dans les restaurants et les bars, d’exiger des femmes qu’elles portent une tenue vestimentaire sexualisée, tels les décolletés, mini-jupes et/ou talons hauts, pour accéder à un emploi ou pour le conserver, est susceptible de caractériser une pratique discriminatoire en plus d’une atteinte au droit à la sauvegarde de la dignité et au droit au respect de la vie privée43.
- 44 Sur cet aspect voir (Pousson, 2015, p. 175-250)
46Autant de statuts juridiques (fonctionnaires, salariés du privé, indépendants, artisans…) que de secteurs professionnels (hôpitaux publics, industrie de la chimie, entreprises de services, restauration…) ont été l’objet de photographies dans le cadre de la présente analyse. Ils ont constitué les terrains de départ du traitement de la question du vêtement de travail en droit nécessitant de rechercher les règles applicables aux différentes situations mises en lumière par les images. Les prescriptions du droit relatives aux vêtements de travail dans les contextes professionnels analysés ont pu être exposés ainsi que parfois les écarts entre ces prescriptions et leur mise en œuvre. Cette analyse par les photographies aboutit à retenir deux fonctions principales du vêtement au travail : celle de rempart et de barrière, quand le vêtement protège le travailleur et celle de relais d’une apparence attendue par un secteur, un milieu ou un type de clientèle donnés. Si le vêtement au travail résonne ainsi en droit dans un premier temps avec la liberté du salarié de se vêtir comme il l’entend44, les clichés photographiques reproduits ici invitent dans un second temps à développer les réflexions quant à son rôle en tant que protection du corps. Cette protection est prescrite dans le cadre des obligations de l’employeur en matière de sécurité sur le lieu de travail. L’autre forte dimension qui apparaît ensuite est rattachée à l’image que veut renvoyer l’entreprise, lorsque ses salariés sont en contact avec la clientèle, via leur apparence vestimentaire. Les échanges interdisciplinaires à partir de photographies remettent ainsi au premier plan des préoccupations, communes à tous, sur les outils du droit et leur fonctionnement dans le champ du social.