1Lors des compétitions électorales, les candidats affichent leur portrait aux abords des bureaux de vote. La communication politique – professionnelle ou de circonstance – s’affaire à peaufiner l’image des candidats ce qui passe notamment par le choix des vêtements portés sur les affiches de campagne. Ces images sont le résultat d’un travail collectif – colistiers, militants, photographe, infographiste, imprimeur, etc. – permettant aux candidats de se donner à voir sous des traits éligibles. Cela renvoie aux activités de représentation (Briquet, 1994) et de mobilisation en période électorale (Lagroye et al., 2005). Les vêtements sont au cœur de cette activité de représentation politique. Ils entrent dans la composition iconographique des affiches de campagne et l’observation de ces dernières constitue l’objet de notre contribution.
2Pour conduire cette recherche nous avons constitué un corpus de plus de 300 affiches de candidats couvrant les deux tours des élections municipales de 2020 – ce qui permet de comparer les éventuelles modifications – au sein d’une trentaine de communes couvrant une douzaine de départements de toutes tailles : de la capitale découpée en arrondissements jusqu’au village de moins de 100 habitants. Ces affiches ont été photographiées par nous-mêmes ou bien par des connaissances mobilisées à cette occasion, en situation, c’est-à-dire collées sur des panneaux d’affichage. Ce corpus ne répond pas à des critères de représentativité, mais vise la diversité des configurations selon les contextes électoraux, les bastions, les alliances, les expériences des candidats et les habitudes de vote au sein des municipalités.
3Nous ne faisons pas une sociologie avec des images, nous portons un regard sociologique sur les images (Becker, 1974 et 2007 ; Chauvin, Reix, 2015 ; Meyer, 2017 ; Pina, Savarese, 2017). Nous analysons les règles de représentation vestimentaire. Il s’agit d’identifier les normes et les contraintes auxquelles sont soumis les candidats aux élections en matière vestimentaire. Même si chaque candidat cherche à se distinguer de ses concurrents, il n’en demeure pas moins qu’ils visent également à s’inscrire dans un cadre conforme. En matière vestimentaire, plusieurs sources normatives se conjuguent : celles issues du monde politique, celles qui répondent à des assignations vestimentaires genrées, celles prescrites par les organisations politiques qui agissent comme des marqueurs partisans, celles qui répondent aux attendus de l’électorat, celles qui permettent de mettre en cohérence diverses circonscriptions au prisme d’une esthétique vestimentaire partagée.
4Ce sont ces injonctions, transgressions, ajustements et combinaisons que nous explorons comme autant de répertoires vestimentaires propres au travail de représentation politique en période électorale.
5Les vêtements d’affiche de campagne – qui ne sont pas nécessairement les mêmes que les habits de travail politique au quotidien – visent la reconnaissance par les pairs, par l’organisation qui mandate et par les électeurs destinataires des images. Dans ce sens, les habits endossés pour la photographie de campagne constituent un moyen d’affirmer une prétention d’insertion ou une confirmation d’intégration dans le monde du travail politique pour lequel les candidats postulent, quitte à bousculer ou transgresser les codes.
6Les campagnes électorales sont une période durant laquelle les candidats développent un travail de représentation important qui s’exprime sous diverses formes : distribution de tracts sur les marchés, meetings, porte-à-porte (Poirmeur, Mazet, 1999 ; Catlla, 2014).
7Le code électoral prévoit que des panneaux d’affichages soient installés aux abords des centres de vote par la mairie. Durant les semaines qui précèdent le scrutin, les équipes collent des affiches qui représentent leur candidature. Ces dernières ont un format encadré par le Code électoral (Chapitre V : Propagande, articles R 27 à R 29), mais leur contenu reste à la discrétion de chaque équipe. Les candidats se donnent alors à voir sous des traits visant à rendre leur candidature crédible aux yeux de leurs colistiers, des électeurs, des sympathisants. Les slogans et les logotypes accompagnent cette quête (Catlla, 2021), tout comme la posture, le regard et les vêtements portés. L’ensemble de ces éléments contribue à la mayorabilité des candidats, c’est-à-dire à la recherche de crédibilité et de légitimité pour accéder au mandat municipal.
8L’apparence, notamment vestimentaire, est primordiale dans l’accession à l’emploi (Hanifi, 2011). Il en va de même pour l’accès aux mandats électoraux. Le temps de la séance photographique permettant d’élaborer les supports de propagande électorale les candidats se prêtent à un exercice vestimentaire visant à valoriser leur apparence selon diverses logiques. La première répond aux normes du monde du travail politique, normes qui s’avèrent être genrées et qui visent des finalités distinctes.
9Sur la base de notre corpus d’affiches de campagne, il apparaît que dans leur grande majorité les candidats endossent un vêtement semblable composé d’un costume, d’une chemise claire, généralement blanche, et d’une cravate. Les photographies étant recadrées pour obtenir des portraits de type à mi-corps, voire buste, il n’est pas possible de décrire le type de pantalon porté, ni les chaussures. Cette homogénéité vestimentaire est si forte que nous en déduisons une norme d’habillement politique en période de campagne électorale chez les hommes.
10Ces vêtements constituent bien des parures (Delaporte, 1980 ; Lanoë, 2021), qui contribuent à légitimer ceux qui se présentent face aux électeurs. Ce formalisme vestimentaire, bien que simplifié par comparaison avec d’autres périodes durant lesquelles il fallait invariablement exhiber des décorations militaires, des boutons de manchette, une pochette ou une montre, est parfois contrebalancé par la mise en scène photographique du candidat : tantôt le candidat fait seul face aux électeurs tel un portrait officiel (affiche 1), tantôt il est pris dans une intimité publique positionnant le candidat au milieu des siens (affiche 2).
11L’alignement à de telles normes ne vise pas à répondre à des contraintes d’ordre pratique, comme l’usage d’un tablier par exemple, ni de nature réglementaire, comme les tenues de sécurité ou les uniformes. Il s’agit plutôt de porter les apparats ou les ornements propres à une cérémonie et de puiser dans le vestiaire pour le composer. Les élections municipales constituent bien ce moment solennel qui invite les candidats à porter des vêtements particuliers pour cette occasion. Nous interprétons la tendance à l’uniformisation des pratiques vestimentaires parmi les candidats comme le signe vestimentaire permettant de faire la preuve d’une capacité à s’insérer dans le milieu de travail politique. Ces signaux sont adressés aux travailleurs politiques eux-mêmes – colistiers, militants, entourages – autant qu’à leurs électeurs.
12Les vêtements portés par les candidats sur les affiches, véritables apparats de propagande électorale, relèvent de vêtements de travail dans le sens où ils sont portés quotidiennement dans l’exercice de leurs mandats politiques pour certains les élus sortants ou de leurs activités professionnelles, tandis que pour d’autres il s’agit de vêtements de non-travail et renvoient à des vêtements portés exclusivement lors d’événements exceptionnels. Mais pour tous, il s’agit d’endosser le costume qui convient de façon ritualisée pour marquer le passage d’un statut à un autre, de citoyen en campagne à élu politique.
13En même temps que les candidats s’efforcent de répondre aux normes vestimentaires du milieu, ils essaient de se différencier pour se démarquer dans un contexte concurrentiel et ne pas sombrer dans l’invisibilité, voire la transparence (Monjaret, 2011, 105). Nous distinguons deux caractéristiques vestimentaires permettant de telles modulations différenciatrices : d’une part, la qualité des étoffes et les caractéristiques des coupes qui sont difficilement objectivables à la simple observation des affiches de campagne, et d’autre part, le choix des couleurs.
14À propos des teintes, nous notons que celles des costumes ne varient que dans le spectre des nuances de bleus : bleu céruléen, bleu cobalt, bleu de minuit, bleu marine, bleu roi, bleu lapis-lazuli, etc. Cette couleur omniprésente sur les affiches est relativement récente dans le vestiaire politique ce qui révèle la possibilité d’évolution des normes dans le domaine et plus généralement dans la mode masculine. En effet, les costumes en politique étaient essentiellement noirs ou gris il y a seulement une vingtaine d’années, couleurs davantage associées à la gestion administrative sans état d’âme, à la sobriété requise pour l’exercice d’un mandat, aux tenues bourgeoises, à la gravité des fonctions. Le bleu – quasi bleu de travail – est aujourd’hui la couleur politique. En même temps qu’elle adoucit l’image des candidats et qu’elle répond à des effets de mode, cette couleur symbolise en France la rigueur des officiers de marine (Roynette, 2012), et la capacité à piloter les affaires municipales. Cette couleur participe à l’identité visuelle immédiate des candidats.
15Quant aux chemises, elles sont blanches ou plus rarement bleu clair, toujours unies. Les cravates restent sobres, unies et sans motifs, même si les couleurs sont davantage diversifiées : marine, ébène, lie-de-vin, mauve, beige, etc.
16Les standards du costume du candidat type aux élections municipales de 2020 répondent à une série de normes du milieu qui demeurent relativement indépendantes de l’individu qui se présente. L’observation des affiches de campagne dévoile le savoir paraître des candidats comme aptitude professionnelle à se fondre dans un cadre vestimentaire politique masculin.
Affiche 1 : Kamy Nazarian, Montpellier
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Affiche 2 : Christian Estrosi, Nice
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17Parmi les candidats, il est possible d’identifier ceux qui souhaitent donner à voir un fait d’habillement (Barthes, 1957), plus personnel, moins encadré par le milieu politique et d’apparence plus authentique. Ce fait d’habillement se traduit concrètement par l’effacement d’une des pièces qui constituent le costume : la cravate n’est plus nouée et le premier bouton de la chemise est défait (affiche 3). Le candidat est représenté comme un homme politique qui comprend le quotidien des électeurs, il en est même proche par les habits. Par cet acte vestimentaire, il ne s’agit pas d’exprimer une volonté de s’extraire du monde politique mais plutôt d’adoucir la carapace de l’uniforme tout en conservant les apparences de l’éligible, voire de renouveler marginalement l’apparat de campagne en prolongeant l’abandon des pièces comme la veste et se donner à voir le plus dévêtu possible (affiche 4). Une telle stratégie vestimentaire est articulée à l’absence de logotypes de l’organisation politique qui soutient le candidat et au slogan davantage programmatique que partisan. Notons également que le port de la cravate est obligatoire en Assemblée nationale et retirer cette pièce de l’affiche est un moyen de rappeler la dimension locale de cette compétition électorale.
18De tels faits d’habillement sont mis en affiche par des candidats expérimentés, dotés d’une notoriété, soutenus par des structures partisanes, ceux qui n’ont plus à faire la preuve de leur insertion politique et qui peuvent se permettre de s’affranchir de la cravate comme signe d’indépendance vis-à-vis du milieu politique. Ce fait d’habillement par le retrait de pièces du costume type contribue – de manière réelle ou symbolique – à établir une forme de proximité par les vêtements entre le candidat et les électeurs (Le Bart, Lefebvre, 2005).
Affiche 3 : Grégory Doucet, Lyon
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Affiche 4 : Louis Aliot, Perpignan
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19Dans le milieu professionnel politique, les vêtements portés sont conformes aux codes internes du savoir-faire vestimentaire. Le port d’un costume cravate permet aux candidats de se positionner dans le groupe social des éligibles. Le respect des conventions vestimentaires propres aux campagnes électorales – même lorsque les candidats s’autorisent à ne pas porter de cravate – est également un signe adressé aux électeurs de connaissance des pratiques politiques et de maîtrise de savoir-faire. Les vêtements visibles sur les affiches contribuent à présenter les candidats et suggèrent que les compétences nécessaires à l’exercice d’un mandat électoral sont bien acquises.
20De plus en plus nombreuses dans la sphère politique, les femmes sont observées et fréquemment circonscrites à leur identité genrée ce qui en creux remet en question leurs compétences et leurs aptitudes à occuper des mandats électifs (Matonti, 2019).
21Pour les femmes, un positionnement vestimentaire entre deux postures se présente. D’un côté, les candidates peuvent opter pour des emprunts aux codes vestimentaires masculins pour renforcer une forme de crédibilité dans des environnements professionnels essentiellement masculins (Rucker, Anderson et Kargas, 1999). C’est en quelque sorte le pôle conservateur du vêtement de campagne. D’un autre côté, les candidates peuvent mettre en avant leur féminité au risque de sexualiser leurs vêtements et de perdre en capital de professionnalisme (Gottdiener, 1989). Pour les candidates, il s’agit bien de se positionner entre ces deux extrêmes afin de tenir compte des éléments qui fondent le jugement dans le milieu professionnel sans pour autant renoncer à se faire reconnaître en tant que femme dans un monde à dominance masculine.
22Pour faire face à cela, bon nombre de candidates optent pour des tenues leur assurant une crédibilité professionnelle. Elles cherchent avant tout à éviter un procès en futilité. Les femmes entrent en compétition électorale en tailleur.
23Les affiches mettent en scène des candidates en plan serré ce qui ne permet pas de distinguer celles qui portent un tailleur-pantalon et celles qui optent pour un tailleur-jupe. Dans tous les cas, les tailleurs sont noirs et assortis d’un chemisier clair, souvent blanc. Sur ce support de propagande électorale (d’autres tenues peuvent être attendues de la part des candidates qui tractent sur les marchés, qui déclament un discours en meeting ou qui assistent à des manifestations publiques), il ne s’agit pas d’afficher des couleurs chatoyantes, ni de porter des tenues trop flamboyantes, mais plutôt de se donner à voir dans une tenue à la fois sobre et épurée, loin des soubresauts de la mode. L’autocensure affichée relative à la couleur se prolonge sur la coiffure disciplinée, le maquillage modéré, les bijoux aussi rares que discrets. Cela pour éviter toute transgression des normes de genre.
24Le tailleur comme déclinaison féminine du costume trois-pièces masculin apparaît comme l’habit type des candidates en campagne. Ce vêtement est associé au power dressing (Molloy, 1975) ou au career woman (Entwistle, 1997) et en ce sens, il est typique de la recherche d’emploi en général et de l’accès à un mandat politique en particulier.
25Alors que les tenues vestimentaires masculines répondent à des injonctions du monde politique, les femmes sont vêtues selon les codes autorisant l’accès à la fonction politique. Ce qui se joue avec le port du tailleur c’est l’employabilité politique des candidates. En compétition électorale, à travers les vêtements il s’agit moins pour les femmes de faire la preuve de leur insertion dans le milieu politique, duquel elles occupent des positions périphériques (Achin, Lévêque, 2014), que de s’adresser aux électeurs et les convaincre de leurs aptitudes à exercer les fonctions électives.
26Le tailleur renvoie aux codes vestimentaires des milieux favorisés et autorise la promotion d’une forme de représentation de l’employée modèle au-delà des milieux d’affaire (Hanifi, 2008). Dans ce sens, le tailleur participe à l’employabilité des candidates en période de campagne électorale, il offre la possibilité aux candidates d’être prises au sérieux durant cette compétition (affiches 5 et 6).
27Comme pour les candidats masculins, le tailleur peut relever d’un habit habituel pour certaines candidates dans la mesure où ce vêtement fait partie intégrante de leur garde-robe et son usage régulier, tandis qu’il peut représenter un vêtement inaccoutumé pour d’autres candidates qui doivent acquérir cet apparat de campagne spécialement pour la séance de photographie ou se le faire prêter par une connaissance (amie, colistière, sœur, collègue, etc.).
28Le tailleur noir est aux candidates ce qu’était la robe ou la toge portée par la noblesse de l’Ancien Régime occupant des fonctions de gouvernement dans tout ce qu’il a de formel et de conservateur (Élias, 1975 ; Francequin, 2008). Il est également le signe d’une gestion de soi-même dans ce que ce vêtement professionnel véhicule comme représentations : exposer son grade, se distinguer des autres, être dans le contrôle de soi, afficher une appétence pour la compétition. Dans ce sens, au regard des vêtements endossés pour les affiches de campagne, les femmes candidates cherchent d’abord à intégrer un milieu avant d’accéder à une fonction.
29Le fait de porter le vêtement qui convient à la situation constitue une compétence professionnelle à part entière puisqu’il s’agit de faire la preuve de la capacité d’endosser le vêtement approprié à l’exercice d’une activité professionnelle (Form, Stone, 1955), soit-elle politique. Le tailleur permet aux candidates un effacement de soi, de ses préférences, de ses goûts, au profit des électeurs que l’on souhaite représenter dans leur globalité et des fonctions pour lesquelles elles postulent.
30Les femmes candidates sont soumises à un double standard (Wajcman, 1998) qui consiste à paraître professionnelles et rester féminines. Si le tailleur participe à l’entrée des femmes dans la compétition et à la consolidation de leur éligibilité, ce vêtement tend aussi à niveler les apparences vestimentaires. Comme les hommes en costume qui ne peuvent jouer que sur les nuances de bleu, le port de la cravate, l’ajout ou de retrait d’accessoires, etc. les femmes sont elles aussi « embastillées » dans un tailleur canonique. Un modèle unique de la féminité se donne alors à voir à travers les affiches de campagne électorale, celui de candidates blanches, issues de la classe moyenne, libérées et compétitives, en capacité de prendre seules des responsabilités.
Affiche 5 : Nadia Pellefigue, Toulouse
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Affiche 6 : Agnès Marion, Lyon
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31Comme observé chez les hommes, certaines candidates s’autorisent des faits d’habillement. Ces derniers se traduisent également par le retrait d’une pièce : la veste du tailleur. Les candidates apparaissent alors en simple chemisier blanc, ou en chemisier blanc lui-même couvert d’un léger pull également blanc (affiches 7 et 8), couleur typique de la féminité (Harvey, 1998 ; Cassagnes-Brouquet, Dousset-Seiden, 2012).
32Nous retrouvons ce type de vêtement dans le milieu religieux, signe de pureté et rites de passage comme le baptême ou le mariage. En politique, il faut remonter aux suffragettes qui portaient le blanc en signe de mécontentement pour obtenir le droit d’éligibilité (Elgan, 2008). C’est probablement dans cette double interprétation – candeur et revendication – qu’il convient d’interpréter ce fait d’habillement féminin, que les candidates le fassent en conscience ou pas.
Affiche 7 : Alenka Doulain, Montpellier
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Affiche 8 : Muriel Roques Etienne, Albi
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33L’observation attentive des affiches de campagne permet d’identifier certains habits porteurs d’une charge symbolique forte allant au-delà de l’événement électoral. Ils sont un signe distinctif et reconnaissable, une véritable empreinte identitaire faisant référence au positionnement des candidats sur l’échiquier politique.
34Alors que les précédents candidats s’habillent pour incarner une place dans un milieu professionnel ou des aptitudes à exercer une fonction, les affiches qui suivent donnent à voir des candidats qui s’habillent davantage pour matérialiser des idées : « il s’agit d’exprimer par des signes conventionnels, toujours fortement codés, un certain nombre de valeurs et d’en assurer les contrôles correspondants. Chacun doit porter le vêtement de son état et de son rang » (Pastoureau, 1995, 5).
35Ces vêtements permettent de répondre aux spécificités de leurs propres camps partisans et de leurs électeurs potentiels. Cela se traduit par l’usage de certaines pièces ou au contraire par le rejet de certains habits.
36Comme ailleurs, le monde du travail politique accepte une diversification des codes vestimentaires et un assouplissement des règles en matière d’apparence. Toutefois, cela ne se produit réellement que lorsque les chances de victoire sont minces et que les choix vestimentaires n’auront pas d’incidence réelle sur les résultats électoraux.
37Dans le corpus d’affiches, celles des candidats de Lutte Ouvrière sont remarquables dans la mesure où elles sont identiques quelle que soit la commune concernée. Elles ont toutes le même design, un slogan identique tel un leitmotiv reconduit quels que soient les enjeux locaux : « Faire entendre le camp des travailleurs ». Seuls changent les noms des candidats, leurs portraits et le nom de la commune (affiches 9 et 10). Une autre spécificité est la place réservée aux photographies des candidats, extrêmement réduite en comparaison aux autres. Peu d’éléments vestimentaires sont visibles ce qui traduit déjà un parti pris fort quant à la manière de donner à voir ces candidats difficiles à singulariser puisque toujours représentés en tandems paritaires.
38Les vêtements de ces candidats restent d’un point de vue vestimentaire volontairement anodins au regard d’habits civils du quotidien, mais en décalage vis-à-vis des standards contemporains des supports de campagne électorale : col roulé, pull camionneur, chemise à carreaux, polo, chemisier coloré à motifs, etc.
39En portant de tels vêtements, les candidats s’effacent des affiches, autant par la taille réduite des photographies que par le rejet des faits de costume. Ils passent au second plan, ils restent dans l’ombre de l’organisation partisane. Ce qui importe, c’est le parti et son mot de ralliement. Prendre soin des vêtements portés à l’occasion de la photographie de campagne c’est prendre le risque d’affaiblir le slogan déployé au niveau national.
40Les vêtements portés et le no look qui s’en dégage participent à l’expression d’une image de marque. Si certains candidats apportent une attention certaine aux choix vestimentaires, les candidats des listes Lutte Ouvrière définissent leur look en fonction de leur position sur l’échiquier politique, en fonction des signaux envoyés par les autres concurrents. Faire mine de ne pas prêter attention aux vêtements constitue un choix vestimentaire à proprement parler qui participe au contrôle de l’image de cette organisation partisane. Se tenir éloigné de ces considérations vestimentaires, probablement jugées futiles ou associées au luxe, permet de renforcer la dimension militante de ces listes.
41Ces vêtements, aussi discrets que triviaux, contribuent à l’identité politique des candidats de Lutte Ouvrière (Turell et al., 2008). Pour autant, ils manifestent une forme de loyauté portée au mouvement partisan et à l’engagement de celui ou celle qui s’habille de la sorte.
42Expression de l’attachement au parti politique et signe de la contrainte partisane sur les candidats désignés se confondent dans les vêtements portés sur les affiches de campagne électorale de Lutte Ouvrière. Dans tous les cas, les vêtements sont des vecteurs de communication partisane, ils soutiennent la structuration d’un collectif militant, ils sont au service d’une stratégie de communication identitaire. Il s’agit de faire la preuve d’orthodoxie idéologique et cela passe aussi par les vêtements.
Affiche 9 : Michel Piot, Lyon
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Affiche 10 : Farida Megdoud, Orléans
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43Les élections municipales de 2020 ont vu apparaître de nombreuses listes dites citoyennes composées en partie de candidats non professionnels. Elles sont le résultat de la volonté d’ouverture du champ politique, de la recherche d’amélioration de la représentativité et de la croyance en l’idée que l’exercice du pouvoir est aussi l’affaire de profanes.
44Ces affiches donnent à voir des candidats photographiés en groupe. Ils portent des vêtements dits décontractés ou quotidiens (jeans, T-shirt, baskets), amples, effaçant les formes des corps, renvoyant à certains milieux sociaux (dont sont issus les candidats et/ou électorats visés). En effet, les tenues renvoient davantage à des activités professionnelles du milieu sanitaire et social ou artistique où les apparences vestimentaires sont autant codées et structurantes que dans d’autres milieux professionnels, mais selon des règles distinctes du monde politique qu’il s’agit d’intégrer, voire de renouveler au moins d’un point de vue vestimentaire. L’enjeu consiste à s’adapter à son électorat prévisionnel sans pour autant éviter les clichés de goût et les faux pas vestimentaires.
45Ces habits font également référence au rapport à la fonction municipale dans le sens où les vêtements affichent clairement la légitimité de tous à exercer un mandat municipal : « le vêtement que l’on porte serait le reflet de la façon de faire son travail » (Monjaret, 2011, 116). Avec de tels habits semble s’exprimer le sentiment que la politique devient moins grave, davantage accessible, l’affaire de chacun. Le soin porté à l’apparence vestimentaire est refoulé comme si elle allait à l’encontre d’un idéal démocratique fondé sur exclusivement sur les idées et la délibération (Hourmant, 2021). Dans ce sens, valoriser l’apparence revient à se soucier d’éléments jugés anecdotiques, superficiels ou puériles, c’est afficher en habits une préoccupation de soi qui contrevient à l’éthique du désintéressement propre aux candidats en politique.
46Ces vêtements sont un marqueur temporel précisant que les attentes vis-à-vis des élus évoluent. L’électorat attend des candidats qu’ils soient proches des préoccupations du quotidien, qu’ils connaissent la « vraie vie », qu’ils parlent un langage ordinaire, qu’ils consomment – notamment des habits – comme tout le monde. Cette injonction à la normalité est traduite par certains candidats dans leurs tenues vestimentaires (affiches 11 et 12). Certains y répondent en endossant des habits inhabituels pour eux, notamment pour les élus sortants aguerris au travail politique, qui abandonnent leur tenue quotidienne et se fagotent en candidat normal le temps de la séance photographique : ils tombent la veste et la cravate, ils enfilent un T-shirt coloré et un jean, etc. Parce que ces candidats possèdent la maîtrise pratique de leur segment politique, ils parviennent à anticiper de façon correcte les attendus et adaptent leurs pratiques vestimentaires en conséquence. Tandis que d’autres candidats, moins expérimentés mais avec un véritable sentiment de légitimité à entrer en compétition, n’auront qu’à puiser dans leur vestiaire pour dénicher un T-shirt approprié. Pour ainsi dire, ce changement d’apparence lié aux attentes supposées des électeurs est tantôt subi, tantôt choisi, par les candidats selon leur positionnement dans le champ et leur parcours politique.
47Les corps des candidats sont montrés et les apparences vestimentaires sont mises en valeur dans le but de capter l’attention de leurs électeurs, les séduire et les fidéliser jusqu’au vote. Rien n’est neutre dans les vêtements : tissus, couleurs, formes, ornements ou motifs. Les vêtements affichés sur les listes citoyennes plagient la diversité par l’affichage d’une large gamme chromatique : blanc, rouge, vert, orange, bleu, jaune, violet, noir, etc. Cette mise en scène captée par l’affiche de campagne, contrairement à l’impression de spontanéité et de quotidienneté qu’elle cherche à véhiculer, fait l’objet d’un fin contrôle des apparences (Roche, 2007). Ces vêtements sont bien en phase avec leur posture politique affichée : décomplexée, diversifiée, renouvelée.
48Ce refus de séparatisme vestimentaire vis-à-vis des leurs électeurs pressentis semble paradoxal dans le sens où les habits portés signifient de prime abord des postures délivrées des codes vestimentaires du milieu politique alors qu’ils constituent un costume tout aussi codé pour cette frange de candidats. Alors que le discours vestimentaire indique que les habits de campagne servent avant tout à se couvrir et à travailler de manière confortable, ils servent surtout à s’exhiber. Cette manière de s’habiller tel que l’on est n’est pas autre chose qu’un paraître.
Affiche 11 : Coralie Mantion, Montpellier
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Affiche 12 : Mireille Damiano, Nice
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49Les vêtements sont des marqueurs identitaires, de véritables étiquettes (Becker, 1985), qui se combinent aux accessoires, aux postures des corps, à la mise en valeur de certains atouts (minceur, coupe de cheveux, couleur des yeux, etc.), aux regards, et à la mise en scène de l’apparence des candidats de manière plus générale.
50Certains candidats optent pour des tenues radicalement distantes des canons du milieu politique et se positionnent dans ce sens non pas aux marges des normes vestimentaires comme certains cherchant seulement à se démarquer, mais dans une forme de contre-culture vestimentaire en période de campagne électorale. Il y a la volonté de provoquer l’ordre établi, de choquer autant que de surprendre, mais dans tous les cas d’attirer les regards en apparaissant vêtu d’un Perfecto.
51Avec les blousons noirs, les rockers et les punks ont élaboré des codes vestimentaires complexes qui sont aussi au cœur de leur identité. Ces blousons de cuir sont le symbole de la lutte (Roué, 2002). Pour les candidats aux élections municipales, se donner à voir vêtu d’un Perfecto revient à s’opposer à la culture dominante du milieu politique mais également aux autres sous-cultures vestimentaires contemporaines. Nous distinguons toutefois les usages qui en sont faits par les candidats selon leur positionnement sur l’échiquier politique et leurs parcours de campagne.
- 1 Quelques titres : « Le blouson de cuir, un incontournable du dressing » (Cosmopolitan) ; « Parfait (...)
52Dans un cas, le Perfecto permet de manifester la résilience de la candidate vis-à-vis de l’ancienne tête de liste – Gaspard Gantzer – qui a préféré rejoindre de manière inattendue la liste conduite par Agnès Buzyn. Les sondages plafonnent à 1 % des intentions de vote et les colistiers frustrés se retrouvent orphelins. Le Perfecto est un moyen de souligner la vigueur de la candidate qui reprend le flambeau envers et contre tout et contre tous (affiche 13). Le vêtement permet de se protéger du traumatisme politique subi et d’engager un réel défi électoral. D’élément discriminant, cette candidate fait du Perfecto un signe identitaire fort, celui de la relève et du combat politique. Toutefois, cette lecture ne doit pas faire oublier que le Perfecto est également devenu ces dernières années une pièce must-have du dressing féminin, à la fois sexy et glamour lorsqu’il est associé à un chemisier à col en dentelle, à en croire la presse féminine dédiée1.
53Dans l’autre cas, le Perfecto est porté pour marquer une rupture nette avec l’environnement politique en place. Il ne s’agit pas seulement d’être le représentant d’un parti anticapitaliste, mais plus généralement d’un mouvement qui prône le renversement de l’État et de ses institutions (affiche 14). De la même manière que d’autres élus se sont affichés en blouse d’instituteur, en col Mao ou en bleu de travail (Yonnet, 1985 ; Monjaret, 2011), ces candidats mobilisent le Perfecto pour opérer une fronde vestimentaire en phase avec leurs convictions. Cet habit joue parfaitement son rôle d’identification partisan et de distinction de classe (Simmel, 1989). Il s’agit de bien marquer le trait grâce aux vêtements. En effet il ne s’agit pas de confondre un candidat lambda avec cette candidature spécifique porteuse d’un message singulier. Le vêtement contribue à cette différenciation radicale. À lui seul, le Perfecto permet de signifier aux électeurs cette volonté de rester aux marges du milieu politique professionnel tant dans le fond que la forme. Il représente, à peu de frais, une candidature anticonformiste et une volonté de provocation ou de transgression.
Affiche 13 : Hela Daboussi, Paris 18ème
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Affiche 14 : Pauline Salingue, Toulouse
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54Les vêtements portés lors des séances photographiques répondent à diverses manières d’interpréter les injonctions du monde du travail politique. Certains semblent avoir une vision très claire des attendus vestimentaires (autant de la part du milieu que de l’électorat ciblé) et s’y conforment afin d’accéder au mandat ; d’autres les connaissent également mais cherchent à les faire évoluer en se démarquant à la marge ; et d’autres encore s’y opposent de manière plus frontale en les ignorant et en soumettant d’autres codes vestimentaires éloignés du monde politique traditionnel.
55Certaines pratiques vestimentaires visent à se démarquer, à se distinguer. D’autres pratiques au contraire cherchent le rapprochement, soit de leur propre groupe d’appartenance soit des normes du milieu. Des phénomènes de différenciations et de nivellements vestimentaires se donnent alors à lire sur les affiches de campagne, tout comme des manifestations de concordance entre colistiers et d’ajustements des apparats entre les deux tours.
56Les affiches de campagne donnent à voir les stratégies vestimentaires visant à se différencier en situation de compétition électorale selon diverses modalités. Dans cette partie, nous présentons quelques vêtements et accessoires permettant aux candidats de devenir remarquables d’un point de vue vestimentaire et de gagner en visibilité.
57Premièrement, nous retenons le cas des T-shirts à message, surface de vêtement sur lequel une contestation s’exprime par un dessin (Boidy, 2021). Celui d’un candidat qui apparaît sur la photographie de campagne avec une reproduction de l’estampe « La grande vague de Kanagawa » de l’artiste peintre japonais Hokusai est en cela intéressant. La liste portée par ce candidat se présente comme l’alternative à l’équipe municipale en place. Les barques et les marins ont peu de chances d’échapper à la violence du typhon, tandis que la vague est centrale, elle se déploie et s’abat en forme de main destructrice. Ce vêtement, véritable objet de communication picturale, porte un message à la fois clair et redondant avec le slogan « Pour l’alternative ! » de cette liste.
58Deuxièmement, le col roulé porté par certains candidats hommes les dispense d’avoir à choisir entre le port de la cravate ou le col de la chemise ouvert. Ce vêtement, uni noir dans le cas retenu, est associé à la décontraction ce qui correspond bien au large sourire affiché par le candidat sur l’affiche. Ce choix vestimentaire est importé du milieu entrepreneurial réputé dynamique, créatif, connecté, créateur de valeur et d’engagement, dans lequel les codes vestimentaires sont revisités le vendredi : Friday wear, casual Friday. Enfiler un col roulé sur l’affiche de campagne, c’est moins se protéger le cou de la fraîcheur du mois de mars que de donner à lire des aptitudes entrepreneuriales de ce candidat issu de l’entreprise Macron (Dolez et al., 2019), dispositions transférables au sein de la municipalité (affiche 15).
59Troisièmement, les candidats arborent fréquemment des écharpes colorées ce qui ne va pas sans rappeler l’écharpe tricolore des titulaires de fonctions électives. S’afficher de la sorte revient en quelque sorte à anticiper dans l’imaginaire vestimentaire l’issue du scrutin. Cet accessoire est répandu en politique, mais c’est essentiellement dans le choix des couleurs que se joue la symbolique sur ces affiches de campagne. L’écharpe rouge est fréquente et elle apparaît ostensiblement à gauche de l’échiquier politique. Elle permet de positionner les candidats sur l’échiquier politique sans avoir recours à un logo, ni à un slogan, ni à d’autres apparats vestimentaires. En 2020, les écharpes vertes – du vert impérial au vert chartreuse en passant par le vert lichen – sont toutefois plus nombreuses comme pour signifier une sensibilité à la protection de l’environnement même pour des listes qui ne se réclament pas de partis écologistes.
60Quatrièmement, d’autres accessoires sont rendus visibles sur les affiches, moins pour accompagner une résolution ou une vision que pour renforcer la popularité du candidat en mobilisant des artefacts vestimentaires. C’est typiquement le cas avec la broche araignée de Cédric Villani (et l’habituelle lavallière, exceptionnellement abandonnée sur les affiches de campagne) qui est un élément incontournable de son look relevant de l’hexis corporelle (Bourdieu, 1980), manière durable de se tenir, de parler, de se mouvoir et pourrions-nous ajouter de se vêtir. Il s’agit d’un accessoire constant au fil de ses apparitions suffisamment ostentatoire et insolite pour qu’il soit reconnu pour cela, celui qui se présente c’est « l’homme à l’araignée » (affiche 16). L’accessoire devient la pièce constitutive de la panoplie du candidat qui se confond avec sa personnalité publique.
Affiche 15 : Thomas Berger, Castanet
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Affiche 16 : Anne Lebreton, Paris Centre
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61L’aspiration à se distinguer est notoire pour les candidats en compétition et les vêtements contribuent à cette démarche. Toutefois, cette tendance semble se diluer dès lors que les listes concourent dans de petites communes rurales. Les affiches présentent alors l’ensemble des colistiers en chapelet (affiches 17 et 18). Leurs habits ne renseignent que très accessoirement leur rang dans la liste à tel point que seuls les électeurs de la commune sont en capacité d’identifier la tête de liste de manière certaine. Ce phénomène d’homogénéisation vestimentaire ou de brouillage par les habits est renforcé par le fait que les photographies de groupe sont prises en extérieur à une saison où les manteaux, anoraks, parkas, doudounes ou trench-coat sont de rigueur. Dans cette configuration, les vêtements ne permettent pas de distinguer le maire sortant de son adjoint ou du nouvel arrivé dans l’équipe de campagne.
62En même temps que ces affiches gomment les indicateurs partisans, elles ont également pour fonction de niveler les candidats, du moins sur le cliché qui servira à composer l’affiche de campagne. Les vêtements ne servent pas à la distinction de rang. Au contraire, ils renforcent l’impression de groupe et corroborent la prétention à représenter l’ensemble de la commune (Saward, 2010). Ces candidats connus de tous les électeurs et bénéficiant d’un capital d’autochtonie sont fondus dans le collectif. Les prétentions au charisme (Coulmont, 2013) sont donc mises en affiche de manière différenciée selon l’environnement dans lequel se tiennent les élections.
Affiche 17 : L’avenir ensemble, Saillagouse
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Affiche 18 : Ensemble, choisissons Argelliers, Argelliers
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63Les affiches placardées dans les villes découpées en arrondissements sont intéressantes dans la mesure où elles donnent à voir des permanences de composition, de slogan, de logotypes, mais également de codes vestimentaires. Le cas de Paris renseigne notamment deux styles de réplication de liste d’un arrondissement à l’autre selon des codes vestimentaires contrastés.
64L’un est porté par les candidats de la France Insoumise qui arborent des vêtements proches de ceux portés par les candidats des listes citoyennes. On retrouve en effet des sweats à capuche, des pulls colorés, mais les T-shirts rouges sont les plus fréquents pour les candidats de cette liste parisienne. Le vêtement en lui-même prétend une forme de similitude vestimentaire avec les électeurs ciblés, la proximité entre le candidat et le citoyen est ainsi affichée. La couleur rouge symbolise à la fois un positionnement politique clairement à gauche, typique des mouvements révolutionnaires, tout comme cette couleur attire l’œil pour prévenir d’un danger ou pour signifier un interdit (affiches 19 et 20).
65L’avertissement d’une vague insoumise est ainsi matérialisé par le T-shirt rouge arboré par les candidates d’arrondissement tandis que les têtes de liste n’apparaissent qu’en médaillon. Quoi de plus politique en effet pour figurer un esprit de liberté et d’insoumission que de porter des habits différents ou différemment que ceux que l’on porte habituellement dans le milieu politique conforme (Burger-Roussennac, Pastorello, 2015). En évitant à tout prix de s’habiller en politique, ces candidats affichent de la politique par leurs vêtements. Il ne s’agit pas d’une absence de maîtrise de la convenance vestimentaire, mais d’un jeu avec ces codes qu’il faut enfreindre pour se démarquer des standards imposés par les dominants.
Affiche 19 : Pépita Car, Paris 11ème
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Affiche 20 : Sarah Legrain, Paris 19ème
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66La liste conduite par la maire sortante, Anne Hidalgo, présente aussi des répliques vestimentaires. Sur ces affiches, la tête de liste apparaît en chemisier noir qui rompt avec la tenue habituelle des femmes candidates. Ici, la couleur blanche est laissée aux candidates novices et aux outsiders. L’usage de la couleur noire permet à la candidate de s’extraire des tendances et des modes et d’opter pour un style intemporel. Cela lui confère également une forme d’autorité et de rigueur que seuls ceux qui sont aux affaires peuvent faire valoir. Bien évidemment, ces éléments sont rééquilibrés dans l’affiche par l’usage d’un fond vert et par un large sourire (affiches 21 et 22). L’autre élément intéressant qui revient systématiquement sur les affiches de cette candidate, c’est le costume cravate porté systématiquement par les têtes de liste d’arrondissement qui partagent la même affiche. Les affiches de chaque arrondissement sont raccord selon ces modalités vestimentaires.
67Bien que différents dans leurs styles, ces deux manières de coordonner les tenues de campagne, de les répliquer d’un arrondissement à un autre, correspondent bien à l’élaboration d’un uniforme. Cette redondance vestimentaire fait que les habits deviennent « des outils de communication identitaires qui servent à afficher un statut social, politique ou religieux, ainsi qu’à connoter des manières d’être » (Gherchanoc, Huet, 2007, 13). D’un simple regard, les vêtements permettent d’apprécier des éléments d’identité des candidats ; ils contribuent à générer un a priori positif (ou négatif), un sentiment d’appartenance (ou de rejet) et donc de susciter l’envie d’entrer en interaction (ou pas). En ce sens, les vêtements contribuent indéniablement à la campagne électorale.
Affiche 21 : Emmanuel Grégoire, Paris 12ème
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Affiche 22 : François Dagnaud, Paris 19ème
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68Une telle mise en cohérence vestimentaire entre arrondissements est à mettre en relation avec les ajustements qui se donnent à voir entre les deux tours des élections municipales. En effet, lors des élections de 2020, la période séparant les deux tours a été particulièrement longue du fait de la pandémie, ce qui a permis à certains candidats de réajuster leurs vêtements. Tous les candidats présents lors du second tour n’ont pas nécessairement renouvelé leur affiche de campagne, soit parce que cela représente un coût financier important, soit parce que les alliances d’entre-deux tours ne requièrent pas un tel réajustement. En revanche, les candidats qui optent pour un relooking peuvent le faire selon des modalités plus ou moins perceptibles. Le cas d’une candidate albigeoise est intéressant à observer dans le sens où l’affiche de campagne du second tour rend compte d’une forme d’apprentissage vestimentaire (affiches 23 et 24).
69En mars 2020, la candidate s’affiche emmitouflée dans un manteau de laine à chevrons – même si fort convenable pour le mois de mars – elle porte également un tailleur noir associé à un justaucorps rouge. Si le choix de la couleur rouge, redondant avec l’écharpe rouge également, est cohérent par rapport à la ligne partisane défendue par cette candidate, il n’en demeure pas moins que l’ensemble constitue un vestiaire déviant au regard des standards de composition d’une affiche de campagne électorale. En juin 2020, pour le second tour, une véritable opération de relooking semble avoir été engagée. La candidate apparaît sur l’affiche avec un meilleur éclairage, des cheveux plus courts et sous l’effet d’un léger brushing, des perles discrètes remplacent les larges boucles d’oreilles créoles. Le lourd manteau a été rangé et sous son tailleur la candidate porte désormais une marinière tricolore, nouveau signe de savoir-faire industriel français.
Affiche 23 : Nathalie Ferrand-Lefranc, Albi, 1er tour
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Affiche 24 : Nathalie Ferrand-Lefranc, Albi, 2nd tour
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70Cet article propose un dialogue entre une sociologie du travail politique et une sociologie visuelle. Elle dessine les contours du système vestimentaire en situation de campagne électorale composé de divers vestiaires types mettant en relation l’apparence des candidats au travail comme un travail sur l’image de soi figée en affiche. Ce système répond à une pluralité de normes que chaque équipe de campagne s’approprie et combine selon le contexte électoral, le profil de la tête de liste et son parcours politique. La pluralité des manières qu’ont les éligibles de se représenter ou de se faire représenter répond à des codes vestimentaires qui permettent de reconnaître un parcours, un positionnement, un milieu. Ces éléments sont identifiables et utilisables tant par les candidats eux-mêmes que par les électeurs destinataires des affiches de campagne. Nous avons observé une correspondance entre les images livrées aux électeurs sur les affiches de campagne et les représentations du travail politique envisagées en cas de victoire aux élections municipales, ou du moins les apparences au travail légitimement affichables. L’exploration de cet idiome figuratif (Gadéa, 2016) permet de cerner le groupe des éligibles dans leur diversité.
71Les habits de campagne deviennent un objet riche et novateur pour comprendre les manières de se représenter au travail une fois le mandat conquis. Les vêtements à l’affiche, quelles que soient leurs configurations, sont de ce point de vue davantage des habits au travail que des habits de travail. Ils contribuent de manière significative à la mise en scène des candidats autant qu’à leur mise en image.
72Les typologies et les catégorisations proposées peuvent bien évidemment faire l’objet de prolongements et de comparaisons avec des élections à d’autres échelons – on ne s’habille a priori pas de la même manière pour concourir à l’élection présidentielle ou aux élections départementales – ou encore avec des systèmes vestimentaires internationaux. D’une part, il serait pertinent de questionner les conditions de production de ces affiches selon l’expérience acquise par les candidats, les divers entourages mobilisés et les budgets disponibles. En effet, les dispositions à se grimer en élu au travail selon certains codes vestimentaires expressément pour la séance photographique ne sont pas les mêmes selon que les candidats sont aguerris à l’exercice, qu’ils soient pris en charge par une équipe, qu’ils y accordent de l’importance ou encore qu’ils aient des chances avérées d’emporter l’élection. D’autre part, il serait intéressant de porter une attention aux perceptions faites par les destinataires de ces affiches de campagne. Le regard porté varie selon les engagements politiques, les attentes électorales, selon les orientations politiques, autant de modalités qui jouent sur la lecture de ces affiches. La prise en compte – ou pas – des éléments vestimentaires dans la construction du jugement et de l’orientation des votes reste une hypothèse à vérifier.
73Le vêtement en affiche de campagne porte intrinsèquement un sens que chacun peut lire et interpréter. En période de campagne électorale, les vêtements participent au travail sur l’image de soi dans une relation aux autres, ils sont le premier élément visible permettant d’opérer une reconnaissance identitaire. Un tel élargissement en amont et en aval de la production des images constitue une voie pour cerner les arbitrages opérés entre diverses sources normatives vestimentaires et le poids de ces choix sur la mobilisation de l’électorat ciblé, en lien avec d’autres éléments contribuant à l’infléchissement du comportement électoral au fait de costume ou d’habillement.