Mais que fait le policier ?
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1Il aurait presque l’air débonnaire ! L’arme bien rangée dans son étui, la casquette vissée sur la tête… En goguette ? Comme un touriste venu d’ailleurs, un caméscope à la main ? Non, bien sûr : l’homme est au travail, en tenue de travail. Mais alors, à quoi lui sert le caméscope qu’il tient en main, de manière plutôt désinvolte ? Que diable filme-t-il ainsi ?
2C’était jour de manif en ville. Une manif plutôt bon enfant, qui avançait tranquillement sur le boulevard. Bien que la raison de la manifestation fût d’importance ! Sur la banderole de tête, il était possible de lire ces trois lignes en grosses lettres noires sur fond jaune, entre les sigles de la CGT de part et d’autre : « Pour un droit du travail protecteur / pour tous les salariés Privé-Public / DÉFENDONS LE CODE DU TRAVAIL » et, en dessous, en majuscules rouges sur fond blanc : « À BAS LES ORDONNANCES MACRON ». Dans le cortège, les drapeaux de la CGT dominaient mais il était possible d’apercevoir quelques drapeaux de Force ouvrière ou de la FSU (éducation). Il y avait aussi la camionnette du syndicat Solidaires, sur un côté de laquelle on pouvait lire, sur un ton plus virulent : « ESCLAVAGISTES / VOTRE LOI DE SAIGNEURS / NE SERA PAS / NOTRE AVENIR ». Ailleurs dans le cortège, sur une petite banderole, rapidement bricolée, était écrit : « NI PATRIE NI PATRON ». Bien ! Mais revenons à notre agent et son caméscope. Travaillait-il donc ? Était-il là pour filmer tout ce petit monde ? Ou pour filmer plus particulièrement ceux qui, de noir vêtus, masqués et portant parfois des lunettes noires, se cachaient derrière leur énigmatique banderole ?
3Dans un coin de leur banderole, ces quatre chiffres : « 1312 ». « 1312 » pour « ACAB », bien sûr ! Entendre « All Cops Are Bastards » plutôt que « All Comrades Are Beautiful ». Des manifestants qui apostrophent les flics donc, verbalement et discrètement en la circonstance. Une grosse poignée, qui avait voulu prendre la tête du cortège mais avait fini par accepter de rentrer dans le rang. Notre agent au caméscope était-il donc là pour filmer ce petit groupe, plus radical ? Pour filmer des visages masqués ? Pourtant, lorsque la manifestation est passée devant le commissariat central, un autre agent filmait lui aussi la manifestation, toute la manifestation, de toute évidence. J’ai la photo, je ne la publie pas ici puisque le visage de l’agent filmant est visible et la personne pourrait être identifiée. Mais je me suis rappelé, à cette occasion, cette autre photo, prise un an auparavant, sur les marches du palais de justice :
4Ben oui : les agents de la police nationale filment les manifestants. Ça fait apparemment partie de leur travail effectif. Mais cela fait-il partie de leur mission officielle ? En ont-ils le droit ou le font-ils au mépris du droit ? Car une fois les prises de vue réalisées, qu’en font-ils, derrière les murs de leurs commissariats ? C’est quoi, exactement, le travail de la police ?
5Et avec ça, nous n’aurions plus, nous, le droit de les photographier ?
List of illustrations
Title | Photo 1 |
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Credits | Photo : Henri Eckert |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/2069/img-1.jpg |
File | image/jpeg, 144k |
Title | Photo 2 |
Credits | Photo : Henri Eckert |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/docannexe/image/2069/img-2.jpg |
File | image/jpeg, 232k |
References
Electronic reference
Henri Eckert, “Mais que fait le policier ?”, Images du travail, travail des images [Online], 11 | 2021, Online since 01 September 2021, connection on 05 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/2069; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itti.2069
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