- 1 Alors au crépuscule de sa vie, il s’exprimait en tant que membre des Commissions ministérielles des (...)
1« Le qualificatif “technique” perd son acception quand on l’étend, comme c’est l’usage, à des films documentaires aimablement superficiels dont la raison est de faire l’éloge d’une entreprise plutôt que d’en expliquer les techniques » (Cantagrel, 1958, 35). Marc Cantagrel, ancien ingénieur chimiste devenu professeur au Conservatoire des arts et métiers et à l’École supérieure de commerce de Paris, par cette citation issue de son allocution aux Journées européennes du film technique et industriel à Rouen du 8 au 12 octobre 19581, invite à réfléchir au sens polysémique du vocable « technique ». La première définition concerne un processus de fabrication, le fonctionnement d’un appareil. Effectivement, « expliquer les techniques » pour la majorité des réalisateurs de films français qui traitent de la sidérurgie, du minerai (fer et charbon) aux produits semi-finis, c’est avant tout mettre en image ce qui reste invisible au regard du spectateur faisant face à une installation complexe telle qu’un haut-fourneau ou un convertisseur, par exemple. La caméra ne pouvant être placée au cœur de la machine, l’insertion de représentations graphiques au sein du montage filmique s’avère une pratique courante et incontournable. Pourtant, le terme « technique » suppose une autre dimension qui concerne davantage l’entreprise dans sa globalité telle que l’organisation du travail, les rapports sociaux de production, les choix de gestion du personnel ou encore les savoir-faire des hommes au travail. Or, les dessins et schémas animés du corpus établi ne valorisent que rarement la dextérité des gestes et l’expertise professionnelle des travailleurs. Cet aspect renforce encore la part d’invisibilité présente dans ces images filmiques.
- 2 Ces films proviennent des fonds des archives du Centre national de la cinématographie et de l’image (...)
2À partir d’une base de données collectées sur l’ensemble du territoire national, nous avons sélectionné 48 courts métrages industriels et techniques présentant des gestes de travailleurs dans les secteurs miniers et sidérurgiques de 1930 à 1993 et intégrant des dessins et schémas animés2. Ces courts métrages, financés et commandités majoritairement par les entreprises privées et les services publics ministériels, sont diffusés en première partie des programmes cinématographiques (Géhin et Stevens, 2012, 10-11). Au sein de ce corpus, 36 alternent la présence d’images réelles et de schémas. À ces représentations en coupe d’installations industrielles, s’ajoutent également des cartes et des tableaux statistiques en mouvement. Ce sont majoritairement des films d’enseignement réalisés de 1930 à 1970. Ils permettent d’identifier les pionniers de l’entre-deux-guerres, tels que Jean Brérault et Marc Cantagrel accompagnés de leur spécialiste technique, ingénieur des Arts et métiers, Lucien Motard. Par ailleurs, des réalisateurs de courts métrages reconnus utilisent également le graphisme dans leurs images après la Deuxième Guerre mondiale, comme, entre autres, Henri Fabiani ou Guy Gillet. À ces 36 films, s’ajoutent 12 dessins animés dénués de vues réelles et réalisés après 1945. Un film publicitaire de Paul Grimault, un film d’enseignement réalisé par Jean Image et un exemple issu de courts métrages de sécurité réalisés de 1960 à 1970, vont être présentés et analysés.
3Grâce à ce corpus, cet article a pour objectif de questionner la nature de ces représentations graphiques, leur intérêt, la technique utilisée et leurs créateurs. En revanche, l’aspect lacunaire des archives textuelles complémentaires conservées est trop important pour comprendre la genèse des réalisations, la nature des commandes, les contextes de diffusion, la réception auprès des divers publics visés et au-delà l’organisation globale du travail au sein d’une industrie. Tenant compte de cette contrainte limitative, l’étude ainsi menée évoque, en premier point, les raisons pour lesquelles l’insertion de ces techniques cinématographiques au sein d’images réelles est nécessaire aux entreprises. Dans un second point, ce texte souligne que le dessin animé humoristique industriel en tant que langage universel, facilite, pour le grand public, la compréhension des techniques industrielles de fabrication, éclaire sur l’utilité de consommer ces produits conçus et favorise la formation sécuritaire des travailleurs. Pourtant, ces objectifs, aussi louables soient-ils, délaissent de plus en plus au fil des progrès techniques du dessin et schéma animés l’expertise des gestes professionnels des travailleurs. Ils dissimulent tout autant l’entreprise et ses choix de gestion, particulièrement en termes de sécurité de ses personnels.
4Dans la grande majorité des cas, les schémas animés sont apparus comme indispensables dans les films documentaires d’enseignement et scientifiques dès l’entre-deux-guerres. Pour les définir explicitement, le terme recouvre dans cette étude les schémas, graphiques et cartes dont le graphisme en mouvement est intercalé avec des prises de vues réelles au sein de films techniques industriels. Plusieurs raisons expliquent leur présence à l’écran. Ils permettent ponctuellement de faciliter la lecture de bilans financiers ou comptables à des actionnaires, d’illustrer une étude de cas et les solutions qui pourraient être envisagées, de montrer à distance et de manière plus explicite une opération mécanique ou le fonctionnement d’un atelier. Pourtant, dans la grande majorité des films visionnés, le schéma animé sert davantage à rendre visible l’invisible ; de quelle manière ?
5Certaines étapes de la chaîne opératoire de fabrication d’un produit ne sont pas observables parce que confinées dans des machines. La vélocité, a contrario la lenteur, ne permettent pas de voir ce qui se passe réellement. Enfin, la taille, réduite ou, à l’inverse, trop imposante de certaines installations, déforme et empêche la perception visuelle. En règle générale, plus les techniques présentées sont abstraites et complexes, plus le schéma animé s’avère nécessaire et occupe une place prépondérante au sein de la pellicule.
6Pour les films d’information grand public, également nommés « de prestige » par les professionnels de la diffusion de films industriels, l’intérêt pour l’entreprise d’insérer ce type d’images spécifiques relève de la volonté de synthétiser une production. Pour autant, l’essentiel du film est bien constitué de prises de vue réelles. Dans tous les films d’information grand public et à publics ciblés, le schéma permet au spectateur de comprendre vite en s’appuyant sur l’imagination que cela suscite. Cette volonté d’intéresser le spectateur par l’utilisation du dessin représente environ un quart des images montées d’un film. Sans véritable surprise, c’est au sein des films de formation professionnelle, technique ou d’enseignement que le pourcentage de schémas animés est le plus important ; ce qui constitue en moyenne la moitié du film produit. Il s’agit dans ces catégories particulières de montrer un processus de fabrication tout en visitant une usine sans avoir à déplacer les apprenants. L’enseignant ne peut qu’y trouver des avantages. Outre les difficultés pour voir les étapes d’un processus de fabrication déjà évoquées, cela évite le manque de concentration et une ambiance propre au divertissement inhérents à toutes sortie pédagogique. Au contraire, un dessin permet de zoomer sur certaines installations, de les montrer sous divers angles de vue, de décomposer un mouvement (Michaut, 1941, 34). Il permet alors de styliser de manière simple et sobre, de reconstruire étape après étape, selon une démarche démonstrative, afin de faciliter la compréhension. Dans ce contexte, ce qui n’est pas perceptible à l’œil peut prendre vie. Le schéma animé est ainsi considéré par les producteurs et les réalisateurs comme un outil d’assimilation sans effort pour tout type de spectateur.
7Par ailleurs, André Tadié, réalisateur et producteur, aux Journées européennes du film technique et industriel en 1958, déclare que le coût d’inserts d’animation est moins onéreux que le montage de prises de vue réelles ; ce qui permet d’économiser de 15 à 20 % sur le budget d’un film en noir et blanc par exemple. La longueur du film étant plus courte, le tirage de copies pour la diffusion est moins coûteux. Si le film est en couleur ce sont les frais de laboratoire qui sont alors moindres (Tadié, 1958, 64).
- 3 Le Progrès. Usine à gaz, [sr], production Gaumont, 15 minutes et 56 secondes, 1930.
8Dans notre corpus, le premier film alternant prises de vues réelles et schémas animés date de 1930 et s’intitule Le Progrès. Usine à gaz3. Cinq insertions animées sont présentes dans les 16 minutes de film. Après 2 minutes et 54 secondes d’explications annotées sur un fond dessiné et fixe, sur l’origine du gaz de coke et ses utilisations dans la vie quotidienne, apparaît une carte de France recensant, point après point, toutes les usines à gaz de la métropole. La technique adoptée est celle dite « par substitution », qui nécessite la création de plusieurs dessins légèrement modifiés se substituant les uns aux autres devant l’appareil. Il faut un accord absolu entre le dessinateur et l’opérateur qui réalise ensuite les prises de vues. Le repérage doit être parfait, noté dans un plan ; il est pour cette raison réalisé au compteur (Michaut, 1955, 13-14).
Figure 1. Image extraite du film Le Progrès. Usine à gaz (Gaumont, 1930).
Commentaire : La technique d’inserts animés est dite « par substitution » : sur un fond de carte les points, puis les figurés d’usines à gaz apparaissent au fur et à mesure.
9Plus loin, un schéma évolutif montre les divers produits intermédiaires et finis issus de fines à coke lavées et de gaz brut. Cette fois, la technique utilisée se nomme « par découverte ». Elle consiste à reproduire un dessin achevé, puis à l’aide d’un cache déplacé successivement, elle permet de découvrir un aspect supplémentaire du dessin. Pour éviter toute discontinuité ou saute dans le mouvement de la représentation graphique, chaque portion de dessin filmé doit être de taille réduite. Pour finir, il faut aussi régler les déclenchements de l’éclairage, sauf en cas d’effet travelling souhaité où l’éclairage est continu et les dessins sont filmés à une cadence normale de 24 images par seconde (Michaut, 1955, 13-14).
Figure 2. Image extraite du film Le Progrès. Usine à gaz (Gaumont, 1930).
Commentaire : La technique d’inserts animés utilisée est d’abord celle faite « par substitution » : le trait des schémas est dessiné petit à petit, puis est adoptée celle « par découverte » : les noms sont inscrits, ils apparaissent en une fois quand une branche est achevée.
10Les trois autres animations graphiques utilisent, séparément ou simultanément, ces deux techniques permettant d’illustrer, sur une carte du Nord de la France, les stations de départ de gaz des fours à coke et leurs liaisons. Les vues réelles des divers sites sont intercalées au fil du dessin. Cette présentation de vues générales des installations industrielles est habituelle dans les films et les photographies depuis la fin du XIXe siècle, servant ainsi de publicité aux diverses entreprises (Assegond, 2012, 88). En alternance, le spectateur visualise, dans les diverses usines, des hommes et des femmes à leurs postes de travail. Leur présence à l’écran est destinée à rendre vivante la fabrication des produits et à faire le lien avec les étapes de la chaîne de production. Immédiatement à la suite, une balance à plateaux s’affiche à l’écran. Elle représente le prix de revient du gaz en comparaison du charbon placé dans un plateau et le gaz de coke placé dans l’autre. Au fil des divers produits issus du gaz présentés, l’animation fait pencher la balance en faveur du gaz. Un intertitre signale : « Le gaz de four à coke est économique ». Pour finir, à 11 minutes et 27 secondes, est représenté le schéma de la chaufferie au gaz de l’hôtel du commerce à Arras. Les différentes parties qui la composent s’affichent au fur et à mesure.
11Cet exemple filmique n’est pas un cas isolé, il s’inspire grandement des pionniers en ce domaine que sont Jean Brérault et Marc Cantagrel. Il est possible de s’interroger à leur propos sur ce qui est réellement perceptible par le spectateur. Leur volonté de combattre l’invisibilité située au cœur des machines et des installations ne s’est-elle pas réalisée au détriment du geste ouvrier ?
- 4 Dans une mine de houille, Jean Brérault, production Pathé, version 7 minutes et 18 secondes, versio (...)
- 5 Auguste Bessou est le directeur de l’école primaire dans laquelle Jean Brérault est élève, d’après (...)
12D’après Josette Ueberschlag (2007), Jean Brérault, instituteur dès 1920, est aussi réalisateur de documentaires à partir de 1927 ; il devient producteur de films pédagogiques de 1929 à 1935 au sein de la société L’édition française cinématographique, avant de rejoindre Pathé en 1935 et de fonder la Fédération nationale du cinéma éducatif en 1937. Dans notre corpus apparaît le film d’enseignement Dans une mine de houille4, produit par la société Pathé en 1935 pour les élèves de l’école élémentaire de Cours moyen dans le cadre de la leçon de choses. Le rapport Auguste Bessou5 pour l’utilisation du cinématographe dans les disciplines où figurent des connaissances telles que la biologie, la physique, l’histoire ou la géographie, publié en 1920 offre un contexte politico-culturel favorable à ce type de créations filmiques (Bessou, 1920).
- 6 Ce film est encore cité dans Informations UFOCEL, n°10, février 1948.
13Jean Brérault s’inscrit dans ce projet pour, semble-t-il, répondre à une demande pédagogique. Le journal Informations UFOCEL de la Ligue française de l’enseignement n° 1 de mai 1946 publie la notice critique d’un instituteur (Aymé, 1946, 2). Cette publication évoque des qualités telles à ce court métrage qu’il en fait une référence cinématographique dans le monde de l’école. C’est sans doute la raison pour laquelle ce film est encore diffusé en 1946 et même 19486, soit onze et treize ans après sa création. Le court métrage présente effectivement des spécificités qui peuvent être attribuées à des films d’enseignement, telles qu’une voix off qui commente des images, mais surtout en introduction, une carte dessinée qui situe et fait apparaître à l’écran les bassins houillers au fil du commentaire. Pour autant, ce premier film montre les gestes du mineur au travail dans l’optique d’évoquer une évolution des matériels et machines utilisés. Le modernisme y est perçu comme un facteur facilitant le travail humain. La disparition progressive du travailleur en images réelles s’accentue au fil du temps avec le perfectionnement des inserts animés.
- 7 La Compagnie universelle cinématographique (CUC), créée en 1921 par Pierre Marcel Lévi, est une soc (...)
14La Compagnie universelle cinématographique7 permet à Jean Brérault de rencontrer d’autres professionnels du cinéma tels que Lucien Motard en 1927 – il apparaît parfois dans les génériques également sous le nom Danil (Michault, 1941, 34) –, ingénieur des Arts et métiers, qui réalise pour lui les dessins et schémas animés insérés dans ses montages éducatifs. Il rencontre également Marc Cantagrel, ingénieur chimiste puis professeur de technologie au Conservatoire des arts et métiers et à l’École supérieure de commerce de Paris, qui a également recours aux talents de dessinateur de cet ingénieur pour ses propres films d’enseignement technique (Ueberschlag, 2007, 85, 146). À partir de 1925, toutes les écoles d’enseignement commercial supérieur sont équipées d’appareils de projection. Marc Cantagrel et ses collègues, Fernand Meyer à Paris – cité au générique de certains films de ce réalisateur – et François Brenier à Marseille, après une vaine quête de films utilisables en classe, décident de créer leurs propres courts métrages.
- 8 La Fonte, Marc Cantagrel, production Films Jean Mineur ou Librairie Larousse, version 14 minutes et (...)
- 9 Les méthodes pédagogiques, Éduscol [En ligne], consulté le 12 mai 2014. URL : http://eduscol.educat (...)
15Dans notre corpus, deux films de Marc Cantagrel, insérant des animations, nommés La Fonte8, sont composés d’images en partie identiques mais avec deux montages différents donnant une version courte de 8 minutes et une autre de 14 minutes. Ces courts métrages appartiennent à la série Illustration d’un cours sur la métallurgie du fer, dernière série produite à la fin des années 1930 par Marc Cantagrel. À travers ces images filmiques, la technique cinématographique sert d’abord la pédagogie. L’objectif est bel et bien de décrypter des images et des processus de fabrication qu’on ne peut distinguer parce qu’ils sont habituellement dissimulés. Ces courts métrages sont volontairement muets car ils tiennent une place centrale dans les leçons. Pendant que l’élève observe, le maître explique ce qui est projeté ; il s’agit d’une méthode pédagogique strictement expositive9. Ce choix équivaut à ce que Caroline Zéau nomme « la subversion par le son » à propos de certains films documentaires de cette époque où musique et voix off sont en concurrence pour dominer l’autre (Zéau, 2012, 135-136). L’absence de son permet une meilleure concentration sur la parole du maître et l’image visionnée. Le découpage après montage en segment du film La Fonte permet de voir que l’ouvrier au travail est finalement peu filmé tant ce film se concentre sur le mode de fabrication de la fonte et les appareils qui y contribuent. Globalement, il se compose de plans d’ensemble ou rapprochés peu nombreux à l’inverse des intertitres, schémas et dessins insérés. Les annotations schématisées permettent de comprendre, sans l’intervention d’un narrateur, les différentes phases de production de la fonte et le fonctionnement complexe des divers appareils. Le rythme est lent afin de favoriser la compréhension technique. Pour éviter de perdre l’élève, il y a très peu de mouvements filmés et de caméra.
16De 1945 à 1960, c’est véritablement l’âge d’or du film pédagogique industriel. Un lien majeur s’établit alors entre la formation, la reconstruction économique du pays après la Seconde Guerre mondiale, la mise en place du plan Marshall (1948-1951) et la première époque des Trente Glorieuses (de 1952 à 1960). Cette période, qui correspond aussi à la loi de 1953 accordant une prime à la qualité des courts métrages, participe au fleurissement des documentaires éducatifs avec parfois des réalisateurs de renom.
- 10 Cette période dite d’« âge d’or » est fixée de 1954 à 1958 par Jacques Chausserie-Laprée, directeur (...)
- 11 Modernisation des houillères de France, Henri Fabiani et Guy Gillet, production Son et Lumière, 41 (...)
17Après avoir travaillé comme opérateur de films d’actualités en 1937, puis dans le cadre du Service photographique et cinématographique de l’armée durant le second conflit mondial, Henri Fabiani devient l’une des figures emblématiques de la production française de courts métrages10. Bien qu’il soit avéré que le réalisateur soit un professionnel indépendant, les films qui présentent des schémas animés se placent au début de sa carrière et, à cette époque, ils sont tous commandités par Charbonnages de France, produits par la société de Pierre Long, Son et Lumière. Ce réalisateur influence alors grandement la mise en image filmique en concertation avec le service communication de l’industrie charbonnière. Par exemple, avec le réalisateur Guy Gillet, qui travaille uniquement et directement pour la société de production Son et Lumière et indirectement pour Charbonnages de France, Henri Fabiani co-réalise en 1960 Modernisation des houillères de France11. Les animations résultent du travail d’Henry Ferrand, opérateur et spécialiste d’effets optiques (Berthomé, 2005, 104). Une partie introductive présente, à l’aide du commentaire de la voix off et de schémas animés, la formation géologique du charbon, les difficultés d’exploitation de ce type de mine. Le court métrage présente également les divers bassins houillers français et, en images animées, leur restructuration souterraine dans le contexte de la loi de nationalisation de 1946. Enfin, le montage montre, en images réelles, la mécanisation et l’automatisation des sites miniers français, symboles de la modernisation. Les mineurs sont encore visuellement présents, bien que leurs rôles consistent surtout à accompagner les machines et engins de chantier. Leur expertise professionnelle difficilement filmable n’est pourtant pas remplacée par de l’animation. Cette construction filmique est relativement modélisante pour les productions suivantes puisque plusieurs films sont montés avec des images assez similaires jusqu’en 1983. Le réemploi de dessins et schémas animés est relativement fréquent semble-t-il dans le corpus. André Tadié signale à ce propos que l’avantage certain du dessin animé sur les prises réelles est justement de ne pas se démoder (Tadié, 1958, 64). Seules les images réelles sont véritablement modifiées afin de montrer les derniers modèles de machines et leurs utilisations.
- 12 Le Charbon, Fabiani Henri, production Charbonnages de France, 13 minutes, 1959.
18Ainsi, le film Le Charbon12, de 1959, présente en 13 minutes, en dessins et schémas animés, l’origine végétale et la formation du charbon puis, décrit la structure d’une mine moderne et son exploitation. Les schémas se substituent à l’image réelle afin de visualiser au mieux le déroulé des tâches effectuées et l’intérêt de la mécanisation. Par ailleurs, les sites miniers charbonniers étant difficiles d’accès et dangereux, le tournage en prises de vues réelles au fond n’est pas toujours possible. Les principaux bassins houillers de France concluent la présentation et sont représentés, là encore, sous la forme d’une carte dessinée et animée. De manière identique, la formation du charbon est présente dans les autres films produits ensuite jusqu’en 1983.
19Les courts métrages construits sur ce modèle d’alternance de schémas animés et de prises de vue réelles sont pensés a priori dès la phase de création et la concertation entre commanditaire, producteur et réalisateur. C’est pourquoi l’œuvre constitue un ensemble harmonieux et sans doute plus vivant. Cependant, des créations, reposant totalement sur des images de dessins animés, sont également utilisées dans les productions de films industriels. Leurs buts sont alors légèrement différents.
20En 1958, le réalisateur de dessins animés Jean Image, à l’occasion des Journées européennes du film technique et industriel, débute sa présentation en expliquant que les dessins animés humoristiques deviennent un médium d’information de plus en plus prisé des entreprises qui souhaitent s’investir dans le domaine des relations publiques (Image, 1958, 56). Ainsi, selon lui : « Le Canada est le paradis des films d’information en dessin animé ; outre les films de Mac’Laren, “Le Canadian Film Office” sort en moyenne 5 ou 6 dessins animés d’information par an, dont les sujets varient de l’histoire des transports (vu à Cannes), aux films d’enseignement pour l’aviation » (Image, 1958, 56). Le continent américain entier semble d’ailleurs dominer ce secteur, puisque les représentants du syndicat des fabricants d’épinards en conserve commanditent aux Studios Fleischer de New-York, en 1933, un dessin animé reprenant le personnage de Popeye the Sailor, déjà héros de bande dessinée depuis 1929. Son succès planétaire montre l’incidence d’une telle production filmique. Durant le second conflit mondial, ces courtes réalisations filmiques sont destinées à apprendre rapidement aux recrues américaines le maniement des armes.
21En France, le lien économique avec les États-Unis par le biais, notamment, du plan Marshall (1948-1951) initie l’utilisation de ce support comme vecteur publicitaire, en particulier pour le secteur automobile (Citroën, Simca). La création de la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) en 1951, puis de la Communauté économique européenne (CEE) à partir de 1957, contribue fortement au développement du dessin animé à usage d’information industrielle. L’un des atouts de ce produit est alors d’être un « langage universel » (Image, 1958, 56), pouvant être réalisé pour un pays étranger ou même exporté afin d’y être diffusé pour tous types de publics. Les contenus ainsi transmis dépassent le cadre restrictif des frontières afin d’atteindre un objectif non seulement de diffusion culturelle, mais aussi économique en visant la vente de produits industriels. La distraction esthétique qu’ils procurent y contribue fortement. À l’instar des inserts de schémas animés dans un film en prises de vues réelles, le dessin animé entier permet de rendre compte de concepts ou de reproduire une chaîne de production abstraite ou invisible. À l’attirance qu’il suscite sur les spectateurs par son aspect divertissant, s’ajoute également une forme synthétique qui facilite la clarté d’une démonstration ou d’un propos. La création totale, sans la contrainte de filmer in situ, permet une vraie souplesse de production.
22Les premiers dessins sont animés par Émile Reynaud en 1892 pour son théâtre optique. Mais le premier dessin animé reproduit sur pellicule est dû à James Stuart Blackton en 1907, grâce à l’invention du procédé de prise de vue image par image. Cette technique est alors diffusée en France par Émile Cohl chez Gaumont en 1908. Afin de réaliser un dessin animé pour l’industrie, comme pour toute production filmique, il faut avant tout un scénario, approuvé par le commanditaire, qui rend compte du découpage technique. Les maquettes des décors et des personnages sont également validées. Le spécialiste de l’animation peut alors se mettre au travail. En prise de vue réelle, le mouvement est filmé en continu alors que pour le dessin animé chaque image est dessinée, puis photographiée. Le dessin est d’abord exécuté au crayon pour vérifier l’animation, avant d’être repassé à l’encre sur les feuilles de rhodoïd, nommées « cels » et d’être colorié. Le défilement de ces images mises bout à bout crée le mouvement (Image, 1958, 57). L’utilisation de ces cellulos, consistant en la superposition sur un décor de divers éléments transparents s’y intégrant, permet de ne modifier que certains éléments du dessin d’origine et de gagner un temps considérable en reproduction : « Pour un film de 250 m., on compte en moyenne 10 000 dessins… Bien sûr, l’animateur ne les exécute pas tous : il se contente de ce qu’on appelle les dessins extrêmes […] ; il laisse à l’intervalliste le soin de faire les dessins intermédiaires » (Image, 1958, 57). Pour que le rythme du montage corresponde à celui de l’animation, la conception des dessins s’appuie sur la musique ou les paroles enregistrées. Quand les prises de vues sont achevées, le travail de montage en laboratoire s’ensuit. Au total, environ cinq mois de travail sont nécessaires pour 10 minutes de film.
- 13 Magazine du coke, (réalisateur inconnu), production Son et Lumière, 15 minutes et 43 secondes, 1954
23À titre d’exemple, le Magazine du coke13, est représentatif d’une campagne publicitaire destinée à vendre un produit de chauffage, du coke. Il présente, en 11 minutes, les procédés de fabrication du coke dans les cokeries lorraines, puis des chaudières fonctionnant avec ce combustible. Un court reportage de 3 minutes, intitulé Le Coke chez Paul Grimault, montre ensuite comment ce professionnel du dessin animé invente le héros du film d’entracte qu’il doit réaliser. Il choisit de personnifier un morceau de coke en lui ajoutant des bras, des jambes, un visage sympathique. C’est ensuite un animateur qui, en se regardant dans un miroir, réalise les cels nécessaires aux mouvements du personnage. Les intervallistes œuvrent alors pour compléter l’ensemble à raison d’un cellulo par image, soit 1500 dessins par minute. Après la pose de la couleur, Paul Grimault conçoit les décors.
Figures 3a. et 3b. Images extraites du film Les Preuves du feu (Les Films Paul Grimault, 1954).
Commentaire : Le dessinateur Paul Grimault, à sa table, réalise les décors dans lesquels va se mouvoir le personnage principal, un morceau de coke. Les prises de vues sont, enfin, réalisées avec une caméra spécifique et les images montrent très bien le décor qui reste en place alors que les cellulos du ou des personnages se succèdent.
24Quant au film d’entracte lui-même, il est inséré à la fin du magazine et dure 1 minute et 20 secondes. Dans les catalogues de Charbonnages de France, il est référencé sous le titre Les Preuves par le feu, alors que dans le générique du dessin animé figure Les Preuves du feu. Pour cette réalisation, Paul Grimault travaille de concert avec Henri Lacam, lui-même dessinateur et animateur et en collaboration avec les animateurs Léon Dupont et Alberto Ruiz.
25Les premiers dessins montrent, en décor, un village africain dans lequel une petite fille, représentée sur divers cellulos, dessine sur le tableau de son école. Elle imagine alors l’hiver en Europe occidentale. On y voit une famille essayer d’allumer un feu à partir de diverses bûches et morceaux de bois ; ce qui s’avère complexe. L’enfant préconise de brûler ce combustible. Apparaît alors à l’écran un bougnat ou charbonnier, sous les traits d’un comédien filmé qui, à son tour, prend la parole devant la devanture de son magasin dessiné, pour inciter le spectateur avec cette injonction : « Brûlez du coke ! ». Une sorte de transposition apparaît ; la personnification des images réelles de mineurs à la tâche est suggérée par le produit de ce labeur, le morceau de coke dessiné. Les êtres humains sont représentés par le crayon alors que seul le charbonnier est un acteur réel. La visée des financeurs est bel et bien la vente du produit.
26À travers ce dessin animé, il est possible de voir que les commanditaires industriels, en l’occurrence les producteurs de coke, attachent un soin particulier à leurs films publicitaires. Ils n’hésitent pas à financer les travaux de Paul Grimault, professionnel du dessin animé déjà reconnu. S’il débute sa formation comme dessinateur, illustrateur, affichiste à l’École des Arts Germain Pilon, il travaille ensuite dans la société de publicité Damour en 1930, avant de se tourner vers diverses activités cinématographiques comme la création de décors, entre 1931 et 1936. Il fonde ensuite, en collaboration avec André Sarrut, l’entreprise Les Gémaux qui profite de l’engouement international pour les films d’animation en créant des films publicitaires. Ils produisent un des premiers dessins animés français de long métrage : La Bergère et le Ramoneur en 1950, récompensé à la Biennale de Venise en 1952 (Pagliano, 1986, 32-39). C’est en 1951 qu’il crée la société Les Films Paul Grimault à l’origine du film d’entracte Les Preuves du feu. Autrement dit, en 1954, au moment où est produite cette publicité pour le coke, Paul Grimault est déjà un professionnel incontesté dont l’équipe d’animation avec laquelle il travaille est en partie identique à celle qui a réalisé La Bergère et le Ramoneur. Pour finir, les commanditaires se sont aussi attaché les services d’un compositeur de renom tel que José Berghmans. Ce qui pourrait paraître anecdotique dans son activité démontre au contraire un véritable investissement au service du théâtre, de la télévision et du cinéma français et étranger. En l’occurrence, une musique rythmée avec un instrument de percussion tel qu’un tam-tam, illustre le village africain pour le spectateur.
- 14 Magie Moderne, Jean Image, production Films Jean Image, 10 minutes, 1958.
- 15 Fiche personnalité, Ciné-ressources [En ligne], consulté le 31.01.2020. URL : http://cinema.encyclo (...)
27Si l’exemple suivant de dessin animé diffère dans le public visé, le parcours de son réalisateur est relativement similaire, témoignant de l’essor du film d’animation en France à partir de l’entre-deux-guerres. Il s’agit d’un film d’enseignement intitulé Magie moderne14, mis en image par le réalisateur et producteur de film d’animation Jean Image en 1958. Après une formation à l’École des arts décoratifs de Budapest et de Berlin, il travaille à partir de 1934, à Paris, dans le secteur publicitaire où il réalise ses premiers dessins animés. Profitant, lui aussi, du développement de la production de ce mode d’expression dans le monde et spécifiquement en France, il crée Le Loup et l’Agneau en 1939, œuvre engagée dénonçant le nazisme, détruite durant l’Occupation. En 1948, il crée sa propre société les Films Jean Image. C’est un an plus tard, un peu avant Paul Grimault, qu’il réalise Jeannot l’Intrépide, un des premiers, si ce n’est le premier, long métrage français d’animation15.
28Le film d’animation qui intéresse cette étude, Magie moderne, dans un style plus classique que la publicité de Paul Grimault, est remarquable à plus d’un titre.
Figure 4. Image extraite du film Magie moderne (Films Jean Image, 1958).
Commentaire : Un petit boulon, pur produit de la sidérurgie française, sert de guide afin de présenter aux spectateurs son lieu de naissance.
29Un petit boulon, personnifié, fait la visite d’un « monde magique ». Le ton est donné et montre que le public visé est bien celui du primaire et du collège. Pour autant, la reproduction technique reste fidèle : elle intègre un degré de réalité élevé et peu d’ellipses évoquant la chaîne opératoire de fabrication de l’acier. Avec ce film nous entrons dans l’ère de la mine moderne. Il s’agit d’une mine de fer en plateures, aux galeries horizontales et suffisamment larges pour faciliter la circulation et les manœuvres des engins mécaniques. Le forage des orifices de tir se fait par des jumbos munis de deux grands bras à glissières supportant les perceuses électriques équipées d’un long foret de trois mètres. On utilise des explosifs nitratés, comme la Titanite, qui ressemble à des barres de dynamite, avec détonateurs. Pour finir, la chargeuse « Joy » remplit des camions-bennes. C’est à partir de 1957 que l’enseignement de la conduite et du maniement de ces engins commence dans les centres d’apprentissage. Pour finir, les camions déchargent ensuite les bennes dans des wagonnets tirés par une locomotive.
- 16 Un skip est un « appareil élévateur discontinu, constitué par une Benne de grande capacité -jusqu’à (...)
30Le concassage et le triage du minerai sont simplifiés et ne correspondent pas tout à fait à la réalité puisque, normalement, après le passage dans divers concasseurs, le tri se fait sur une bande transporteuse. L’alimentation du haut-fourneau est ici conforme : la montée du minerai et du coke se fait par skip16 et grâce à la vue en coupe, même la cloche, qui permet au mélange de descendre dans la cuve au moment souhaité, est dessinée. La coulée semble se faire seule alors qu’il faut percer le trou de coulée pour qu’elle ait lieu. Cependant, le cheminement du métal en fusion permet de comprendre les différentes étapes qu’il suit jusqu’à l’aciérie.
31Trois procédés y sont présentés : le procédé Thomas qui permet de déphosphorer l’acier et le rendre moins cassant, le four Martin, grâce à la combinaison de ferrailles et de fonte liquide, rend possible la fabrication d’acier à partir de déchets d’acier et l’aciérie électrique au coût moins élevé qui favorise les alliages particuliers d’acier et l’utilisation massive de ferrailles. Il manque l’aciérie à oxygène, utilisée majoritairement après 1945. Elle facilite la décarburation de l’acier en utilisant de l’oxygène pur plutôt que de l’air chaud, résolvant le problème de la persistance de la présence d’azote. Seule la coulée en lingotière, procédé de solidification du métal, est ici représentée ; la coulée continue ne sera généralisée que dans les années 1970. Un passage représente le travail réel dans un laminoir : d’abord dans une cage dégrossisseuse puis dans des cages finisseuses produisant le profil souhaité, plat ou long. L’ensemble du film est ponctué de citations historiques ; « Du haut de ces hauts-fourneaux 4 000 tonnes de fonte vous contemplent » : ainsi s’exprime le boulon en référence à Napoléon Bonaparte lors de la campagne d’Égypte en 1798 qui aurait dit : « Soldats, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ».
32Un tel dessin animé a une visée pédagogique certaine. En simplifiant, mais en évitant les images trop caricaturales ou trop simplistes, il rend compte de la fabrication de l’acier tout en divertissant le jeune public auquel il est destiné. Il faudrait pouvoir étudier la façon dont les enseignants utilisaient ces images, comme un outil illustratif ou véritablement informatif. Pourtant, là encore, les conditions de travail et les ouvriers sont absents ; seuls à trois reprises un conducteur d’engins est dessiné.
33Après la Deuxième Guerre mondiale et avec l’accélération de la mécanisation, les conditions de travail dans les mines et la sidérurgie s’améliorent. Globalement, les postes de travail sont moins pénibles et plus sécurisés. Des campagnes publicitaires sont alors lancées par les industriels afin de prévenir des accidents. Pour attirer davantage l’attention des ouvriers, les commanditaires recourent notamment aux dessins animés. Ce type de support s’adapte parfaitement au format de courte durée que nécessite ce genre de spot informatif. Pour éviter de rendre le sujet trop sérieux, voire mélodramatique dans certaines situations, il est, par ailleurs, fait le choix d’un traitement humoristique reposant même sur la dérision. Il faut dédramatiser pour mieux cibler et convaincre tous types de spectateurs, les ouvriers comme leurs familles. Dans leur grande majorité, ces dessins animés de sécurité sont réalisés, dans les années 1960 et 1970, au sein du service de communication des Houillères du bassin de Lorraine Ils sont produits par la société Son et Lumière du réalisateur Pierre Long, fidèle aux charbonnages de France. Les animateurs crédités au générique sont, à chaque fois, André Martin et Michel Boschet.
34Tous ces dessins animés ont pour vocation de convaincre de l’inconscience de certains gestes travaillés, de l’imprudence face à certaines situations dangereuses, qui peuvent pourtant être évitées par une reconstruction de la posture, de la gestuelle professionnelle, tout autant que le respect des règles de sécurité. Par ailleurs, les messages véhiculés insistent sur la responsabilité individuelle que chacun engage face à la collectivité des travailleurs ; être vigilant c’est veiller au maintien de l’intégrité physique de ses collègues.
- 17 Note de synthèse, ressource documentaire de la Cinémathèque du Centre historique minier de Lewarde, (...)
35La plupart d’entre eux sont construits sur un schéma narratif identique. Dans un premier temps, est opéré le constat d’une erreur toujours commise par la maladresse ou l’imprudence d’un mineur. Elle est souvent imputable à la volonté de gagner du temps. Il n’est jamais évoqué que ce gain temporel est tributaire des consignes entrepreneuriales de rendement ou que le maniement de nouveaux matériels peut aussi provoquer des accidents. L’ouvrier oublie alors un équipement, une règle de sécurité fastidieuse à mettre en place, privilégie un itinéraire non sécurisé plus court. Dans ce montage visuel et sonore, le mineur apparaît comme un mauvais élève, admonesté et moralisé. La même scène indique ensuite l’attitude et le geste approprié. Si dans les années 1960, les premiers dessins animés sont très infantilisants, une évolution est tout de même perceptible dans les années 197017.
36Charger décharger en est un exemple probant. Réalisé en 1975, il prévient en 3 minutes des accidents liés au chargement et au déchargement de matériel sur un convoyeur à bande au fond de la mine. Seules les 25 premières secondes montrent de manière humoristique des situations accidentogènes. L’aspect moralisateur est davantage atténué que pour les productions de la précédente décennie.
Figure 5. Image extraite du film Charger décharger (Son et Lumière, 1975).
Commentaire : « N’oubliez pas ! Prendre du matériel long par l’avant, c’est se mettre en face d’un taureau furieux ».
37La construction du discours est cohérente et explique davantage quelques règles élémentaires à respecter, prévenir le préposé et agir selon le poids du métal, pour une meilleure compréhension et donc appropriation par les mineurs. Ces films de sécurité, diffusés dans des foires commerciales aussi bien que dans les usines, l’étaient parfois également durant l’entracte dans les salles de cinéma. Certains d’entre eux ont même été récompensés. Le film d’animation Charger décharger, destiné aux agents de sécurité et au personnel des exploitations minières, a par exemple été diffusé au Casino municipal de Biarritz dans le cadre du 19e Festival national du film d’entreprise et y a obtenu la mention qualité. Si ces courts métrages ont des visées informatives et formatives, ils occultent pourtant totalement la politique sécuritaire des entreprises en renvoyant vers les travailleurs seuls la responsabilité des accidents.
38Les commanditaires de films industriels, en choisissant de financer et de diffuser des films composés de dessins animés, montrent qu’ils s’inscrivent dans une évolution toujours en lien avec les nouveautés technologiques de la cinématographie des années 1930 à 1983. Ils contribuent à faire de ce support un mode d’expression caractéristique d’une volonté d’informer et former en montrant ce que l’œil humain ne peut pas percevoir. Le schéma animé est alors surtout utilisé dans les films d’enseignement en alternance avec des prises de vue réelles afin de détailler et de disséquer les processus de fabrication, le fonctionnement des machines, tout en synthétisant l’ensemble de la chaîne opératoire. Le dessin animé humoristique, quant à lui, est destiné à renseigner, à dédramatiser des situations parfois anxiogènes, tout en divertissant et en ciblant un public plus vaste, en particulier grâce à l’universalité de son langage.
39Par l’étude de ces supports, il apparaît, comme le suggère Marc Cantagrel en 1958, que les films techniques ne sont pas uniquement révélateurs de l’évolution des techniques industrielles. Au fil des décennies, ils célèbrent le progrès technique et illustrent les politiques de gestion des ressources humaines. En ce sens, alors même que les techniques d’animation de plus en plus performantes permettent de rendre visible des techniques de fabrication, le travail ouvrier et la gestuelle professionnelle qui l’accompagne sont, eux, quasiment invisibles dans ces courts métrages. Cette invisibilité des conditions de travail, voulue par les commanditaires à la tête des entreprises, laisse les ouvriers, par le non-respect des consignes sécuritaires que cela suppose, seuls responsables des accidents. L’entreprise et ses choix de sécurité sont alors absents.